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Décisions

CA Nîmes, 5e ch. Pôle soc., 1 février 2024, n° 21/04369

NÎMES

Arrêt

Autre

CA Nîmes n° 21/04369

1 février 2024

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 21/04369 - N° Portalis DBVH-V-B7F-IIW7

YRD/DO

POLE SOCIAL DU TJ DE NIMES

28 octobre 2021

RG:21/00174

[T]

[B]

[B]

C/

Me [N] [A]

S.A. [14]

CPAM DU GARD

FIVA

Grosse délivrée le 01 FEVRIER 2024 à :

- Me ANDREU

- Me TUILLIER

- CPAM GARD

- Me [A]

- Le FIVA

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE SOCIALE

5e chambre Pole social

ARRÊT DU 01 FEVRIER 2024

Décision déférée à la Cour : Jugement du Pole social du TJ de NIMES en date du 28 Octobre 2021, N°21/00174

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président,

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère,

Madame Leila REMILI, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier lors des débats et Madame Delphine OLLMANN, Greffière lors du prononcé de la décision.

DÉBATS :

A l'audience publique du 06 Décembre 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 01 Février 2024.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTS :

Madame [C] [T] veuve [B] agissant en son nom propre et en qualité d'ayant droit de Monsieur [X] [B]

née le 30 Août 1951 à [Localité 12]

[Adresse 8]

[Localité 6]

Représentée par Me Julie ANDREU de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

Monsieur [M] [B] agissant en son nom propre en qualité d'ayant droit de Monsieur [X] [B]

né le 24 Décembre 1986 à [Localité 12]

[Adresse 8]

[Localité 6]

Représenté par Me Julie ANDREU de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

Monsieur [P] [B] agissant en son propre nom et en qualité de représentant légal de ses enfants mineurs [S] [B] et [H] [B] et en qualité d'ayant droit de Monsieur [X] [B]

né le 13 Février 1980 à [Localité 12]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par Me Julie ANDREU de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMÉES :

Me [A] [N] (SELARL [15]) - Mandataire ad hoc de S.A. [14]

[Adresse 9]

[Localité 17]

[Localité 4]

ni comparant ni représenté, régulièrement convoqué

CPAM DU GARD

Département des Affaires Juridiques

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représenté par M. [W] en vertu d'un pouvoir spécial

FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE

[Adresse 1]

[Localité 10]

Représentée par Me Alain TUILLIER de la SELARL TGE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

ARRÊT :

Arrêt réputé contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 01 Février 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour.

FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

[X] [B], décédé le 20 janvier 2018, a été embauché par la SA [14] entre le 13 septembre 1965 et le 30 septembre 1984 en qualité de mouleur.

Aux termes de la déclaration de maladie professionnelle établie le 20 mai 2019 par Mme [C] [T] veuve [B], sur la base d'un certificat médical initial du 15 septembre 2017, [X] [B] était atteint 'd'un carcinome épidermoïde broncho pulmonaire' maladie inscrite au tableau des maladies professionnelles 30 bis.

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Gard a reconnu le caractère professionnel de la maladie le 21 octobre 2019 ainsi que l'imputabilité du décès à la maladie professionnelle dont souffrait [X] [B] le 08 avril 2020.

Déclaré consolidé le 16 septembre 2017, l'état de santé de [X] [B] a conduit la CPAM du Gard à lui attribuer un taux d'incapacité permanente de 100% à compter du 17 septembre 2017.

Par notification du 08 avril 2020, la CPAM du Gard a reconnu le lien de causalité entre le décès de [X] [B] et la maladie professionnelle dont souffrait ce dernier.

Par notification du 21 avril 2020, Mme [C] [T] veuve [B] s'est vu attribuer à compter du 1er février 2018, une rente d'ayant-droit.

Les ayants-droit de [X] [B] ont saisi le Fonds d'indemnisation des Victimes de l'Amiante (FIVA), lequel est entré en voie d'indemnisation des préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux subis par [X] [B] au titre de l'action successorale et au titre des préjudices des ayants droit.

Sollicitant la reconnaissance de la faute inexcusable de la SA [14], par courrier du 15 octobre 2020, Mmes et MM. [B] agissant en leur qualité d'ayants-droit de [X] [B] ont saisi la CPAM du Gard pour mettre en oeuvre la procédure de conciliation.

Par ordonnance du tribunal de commerce de Nîmes en date du 28 octobre 2020, la Selarl [16], représentée par Me [N] [A], a été désignée en qualité de mandataire ad'hoc de la SA [14], radiée depuis le 15 juillet 1999.

Après échec de la procédure de conciliation, Mmes et MM. [B], en leur qualité d'ayants-droit de [X] [B] ont saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Nîmes le 19 février 2021, aux mêmes fins.

Par jugement du 28 octobre 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Nîmes a :

- déclaré prescrite l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de la SA [14] engagée par les consorts [B],

- déclaré irrecevable le recours formé par les consorts [B] devant le tribunal de céans,

- condamné les consorts [B] aux dépens de l'instance.

Par courrier recommandé reçu à la cour le 06 décembre 2021, Mmes et MM. [B] agissant en leur propre nom et en leur qualité d'ayants-droit de [X] [B] ont régulièrement interjeté appel de cette décision.

Par conclusions écrites, déposées et développées oralement à l'audience, Mmes et MM. [B] agissant en leur propre nom et en leur qualité d'ayants-droit de [X] [B] demandent à la cour de :

- déclarer recevable et bien fondé leur appel.

- annuler intégralement le jugement du tribunal judiciaire de Nîmes du le 28 octobre 2021.

En conséquence :

- dire que l'action est recevable et non prescrite,

- dire et juger que la maladie professionnelle dont est atteint et décédé [X] [B] est la conséquence de la faute inexcusable de son employeur, la société [14] ([18]).

Au titre de l'action successorale :

- leur allouer l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale ;

En leur nom propre :

- fixer au maximum légal la majoration de la rente à venir attribuée par la caisse primaire d'assurance maladie du Gard au profit de Mme [C] [B].

En tout état de cause :

- leur allouer les sommes de 200 euros au titre de la provision allouée au mandataire et 16.86 euros correspondant aux frais d'enregistrement de la requête au greffe du tribunal de commerce de Nîmes, au titre des frais non couverts par le Livre IV du code de la sécurité sociale.

- dire que la caisse primaire d'assurance maladie du Gard sera tenue de faire l'avance de ces sommes.

Ils soutiennent que :

Sur la prescription :

- les premiers juges ne pouvaient soulever d'office la prescription, sans inviter les parties à présenter leurs observations.

- à titre subsidiaire, la prescription prévue sous les articles L 431-2 et L 461-1 du code de la sécurité sociale est non acquise dès qu'il s'est écoulé moins de deux ans entre la notification de reconnaissance de la maladie professionnelle de [X] [B] (21 octobre 2019) et la saisine de la CPAM (15 octobre 2020).

Sur la faute inexcusable :

- [X] [B] a été massivement exposé à l'inhalation de poussières d'amiante sans moyen de protection collectif ou individuel, et il n'a pas été informé des risques encourus,

- la société, compte tenu de son domaine d'activité, devait nécessairement avoir conscience du danger occasionné par ce matériau,

- la société n'a pas respecté les prescriptions de sécurité prévenant l'inhalation des poussières,

- la société a manqué à son obligation de sécurité de résultat et n'a nullement mis en œuvre les mesures nécessaires pour préserver ses salariés des risques liés à l'inhalation de poussières d'amiante.

Par conclusions écrites, déposées et développées oralement à l'audience, le Fonds d'indemnisation des Victimes de l'Amiante demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris,

Et, statuant à nouveau,

- déclarer recevable et non prescrite, la demande formée par les consorts [B], dans le seul but de faire reconnaître l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur,

- déclarer recevable son intervention, subrogé dans les droits des ayants droit de [X] [B],

- dire que la maladie professionnelle dont était atteint [X] [B] est la conséquence de la faute inexcusable de la société [14], prise en la personne de Me [N] [A], son mandataire ad hoc,

- fixer à son maximum l'indemnité forfaitaire visée à l'article L.452-3, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale, soit un montant de 18 336,64 euros, et dire que cette indemnité sera versée par la CPAM du Gard à la succession de [X] [B],

- fixer à son maximum la majoration de la rente servie au conjoint survivant de la victime, en application de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale, et dire que cette majoration sera directement versée à ce conjoint survivant par l'organisme de sécurité sociale,

- fixer l'indemnisation des préjudices personnels de [X] [B] comme suit :

* souffrances morales 51 400 euros

* souffrances physiques 16 600 euros

* préjudice d'agrément 16 600 euros

* préjudice esthétique 2 000 euros

* total 86 600 euros

- fixer l'indemnisation des préjudices moraux de ses ayants droit, comme suit:

* Mme [C] [B] (veuve) 32 600 euros

* M. [M] [B] (enfant au foyer) 15 200 euros

* M. [P] [B] (enfant) 8 700 euros

* Mlle [S] [B] (petit enfant) 3 300 euros

* M. [H] [B] (petit enfant) 3 300 euros

* Total 63 100 euros

- juger que la CPAM du Gard devra lui verser ces sommes en application de l'article L452-3 alinéa 3, du code de la sécurité sociale, soit un total de 149 700 euros.

Elle fait valoir que :

- l'action des consorts [B] est parfaitement recevable de même que son intervention,

- l'action en faute inexcusable a bien été engagée dans le respect des règles de la prescription,

- l'exposition de [X] [B] à l'inhalation des poussières d'amiante est incontestable, de même que l'absence de protection mise en oeuvre par l'employeur, ainsi que le démontrent les pièces produites aux débats.

Par conclusions écrites, déposées et développées oralement à l'audience, la caisse primaire d'assurance maladie du Gard demande à la cour de :

A titre principal,

- lui donner acte de ce qu'elle déclare s'en remettre à la justice sur la recevabilité de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable engagée par les ayants droit de [X] [B],

A titre subsidiaire,

- lui donner acte de ce qu'elle déclare s'en remettre à justice sur le point de savoir si la maladie professionnelle de [X] [B], décédé est due à la faute inexcusable de l'employeur.

Si la cour retient la faute inexcusable :

1) accorder le bénéfice de l'indemnité forfaitaire aux consorts [B],

2) fixer l'évaluation du montant de la majoration de la rente d'ayant droit de Mme Veuve [B],

3) prendre acte des remarques émises par elle concernant les demandes de liquidation des préjudices subis par [X] [B],

4) fixer le quantum des indemnités allouées au titre des préjudices subis par [X] [B] et par ses ayants droit dans les proportions reconnues par la jurisprudence,

5) rejeter la demande de paiement par la Caisse de frais de désignation du mandataire ad hoc et des frais d'enregistrement de la requête au greffe du tribunal de commerce de Nîmes,

6) condamner l'employeur à lui rembourser dans le délai de quinzaine les sommes dont elle aura fait l'avance, assorties des intérêts légaux en cas de retard.

La Selarl [16], représentée par Me [N] [A], en sa qualité de mandataire ad'hoc de la SA [14] a adressé un courrier recommandé reçu à la cour le 1er avril 2022 pour indiquer qu'elle ne serait ni présente, ni représentée à l'audience et déclarer s'en rapporter à la justice.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures déposées et soutenues oralement lors de l'audience.

L'affaire a été fixée à l'audience du 06 décembre 2023.

MOTIFS

* Sur la prescription

Selon l'article 16 du code de procédure civile le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.

En l'espèce, en soulevant d'office l'irrecevabilité de la demande en raison de la prescription sans solliciter les observations des parties, le premier juge a violé les dispositions qui précèdent en sorte que sa décision encourt la réformation.

En outre, la juridiction de sécurité sociale ne peut soulever d'office une prescription depuis l'abolition à compter du 1er janvier 2019 par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle de l'ancien article L.142-9 du code de la sécurité sociale prévoyant que : « Les juridictions mentionnées à l'article L. 142-2 soulèvent d'office les prescriptions prévues au présent code et au livre VII du code rural et de la pêche maritime.»

L'article L.431-2 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige énonce:

«Les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par le présent livre se prescrivent par deux ans à dater :

1° ) du jour de l'accident ou de la cessation du paiement de l'indemnité journalière ;

2° ) dans les cas prévus respectivement au premier alinéa de l'article L. 443-1 et à l'article L. 443-2, de la date de la première constatation par le médecin traitant de la modification survenue dans l'état de la victime, sous réserve, en cas de contestation, de l'avis émis par l'expert ou de la date de cessation du paiement de l'indemnité journalière allouée en raison de la rechute ;

3° ) du jour du décès de la victime en ce qui concerne la demande en révision prévue au troisième alinéa de l'article L. 443-1 ;

4° ) de la date de la guérison ou de la consolidation de la blessure pour un détenu exécutant un travail pénal ou un pupille de l'éducation surveillée dans le cas où la victime n'a pas droit aux indemnités journalières.

(...)

Cette prescription est également applicable, à compter du paiement des prestations entre les mains du bénéficiaire, à l'action intentée par un organisme payeur en recouvrement des prestations indûment payées, sauf en cas de fraude ou de fausse déclaration.

Les prescriptions prévues aux trois alinéas précédents sont soumises aux règles de droit commun.

Toutefois, en cas d'accident susceptible d'entraîner la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la prescription de deux ans opposable aux demandes d'indemnisation complémentaire visée aux articles L. 452-1 et suivants est interrompue par l'exercice de l'action pénale engagée pour les mêmes faits ou de l'action en reconnaissance du caractère professionnel de l'accident.»

L'article L.461-1 dans sa rédaction applicable au litige prévoit :

«Les dispositions du présent livre sont applicables aux maladies d'origine professionnelle sous réserve des dispositions du présent titre. En ce qui concerne les maladies professionnelles, la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle est assimilée à la date de l'accident...»

Il résulte ainsi des textes qui précèdent que les droits de la victime ou de ses ayants droit au bénéfice des prestations et indemnités prévues par la législation professionnelle se prescrivent par deux ans à compter soit de la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle, soit de la cessation du travail en raison de la maladie constatée, soit du jour de la clôture de l'enquête, soit de la cessation du paiement des indemnités journalières, soit encore de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie.

Les consorts [B] font valoir qu'un certificat médical initial a été établi le 15 septembre 2017, que [X] [B] a souscrit une déclaration de maladie professionnelle, que le caractère professionnel de sa maladie a été reconnu le 21octobre 2019 par la caisse primaire d'assurance maladie suite à la demande effectuée le 20 mai 2019 par Mme [B], que Mme [B] a engagé l'action aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur le 15 octobre 2020.

Ils en concluent qu'en ayant saisi la caisse primaire d'assurance maladie le 15 octobre 2020 d'une demande de conciliation dans le cadre d'une procédure en reconnaissance de faute inexcusable de l'ancien employeur de [X] [B] leur action a été engagée dans le délai de deux ans suivant la reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie du 21 octobre 2019.

Effectivement, un délai de moins de deux ans sépare la date de reconnaissance de la maladie professionnelle de [X] [B] de la saisine de la caisse primaire d'assurance maladie aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur en sorte que l'action est recevable.

Le jugement encourt la réformation et non l'annulation laquelle est prévue aux articles 455 et 458 du code de procédure civile sachant que la voie de recours contre un jugement qui viole les dispositions de l'article 16 du code de procédure civile est l'appel-réformation.

* Sur la faute inexcusable de l'employeur

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Ces critères sont cumulatifs. Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié : il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes ont concouru au dommage. Mais une relation de causalité entre les manquements susceptibles d'être imputés à l'employeur et la survenance de l'accident doit exister à défaut de laquelle la faute inexcusable ne peut être retenue. La faute de la victime n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable.

Il appartient au salarié de prouver que les éléments constitutifs de la faute inexcusable ' conscience du danger et absence de mise en place des mesures nécessaires pour l'en préserver ' sont réunis. Lorsque le salarié ne peut rapporter cette preuve ou même lorsque les circonstances de l'accident demeurent inconnues, la faute inexcusable ne peut être retenue.

En l'espèce, il résulte des rapports des inspecteurs du travail des 30 juillet 2009 et 25 mars 2010, des consignes de fabrication de galet polysius en date du 26 janvier 1976, du procès-verbal de prélèvements et d'analyses de poussières en date du 29 juin 1978, du rapport amiante du 23 avril 1979, du rapport de la Caisse Régionale d'Assurance Maladie des Travailleurs du 23 septembre 1979, des attestations d'anciens salariés et de l'arrêté du 12 avril 2011 pris en l'application de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 inscrivant la société [11] sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) pour la période de 1949 à 1996 que [X] [B] par son activité de mouleur de septembre 1965 à septembre 1984 a massivement été exposé aux poussières d'amiante.

Il existait, dès la loi des 12 et 13 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs et le décret du 10 juillet 1913, une législation de portée générale sur les poussières, reprises dans le code du travail mettant à la charge des employeurs des obligations destinées à assurer la sécurité de leurs salariés.

Le risque sanitaire provoqué par l'amiante a été reconnu par l'ordonnance du 3 août 1945 ayant créé le tableau n°25 des maladies professionnelles concernant la fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation des poussières d'amiante et de silice.

Cette reconnaissance a été confirmée par le décret du 31 août 1950 et par celui du 3 octobre 1951 ayant créé le tableau n° 30 spécifique à l'asbestose, fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation des poussières d'amiante.

Ce risque d'asbestose avait déjà été identifié dès le début du 20ème siècle à l'issue de nombreux travaux d'études scientifiques publiées sur les conséquences de l'inhalation des poussières d'amiante et ce, avant la publication du décret du 17 août 1977.

Les décrets des 5 janvier 1976 et 17 août 1977 ont réglementé les travaux portant sur les produits à base d'amiante en les mentionnant dans le tableau n°30 des maladies professionnelles et ont imposé des règles de protection particulière afin de préserver des poussières d'amiante.

Il résulte de ces éléments et de l'activité de la SA [14], de son importance et de son organisation (groupe [13]), qu'elle avait ou aurait dû avoir conscience du danger représenté par l'amiante et que malgré ce, elle n'a pas pris les mesures nécessaires pour en préserver ses salariés dont [X] [B]. En effet, les différentes pièces produites au débat et notamment les attestations d'anciens salariés établissement que les ouvriers exposés aux poussières d'amiante étaient démunis de tout équipement de protection individuelle.

Il convient donc de retenir la faute inexcusable de l'employeur dans la survenance de la maladie affectant [X] [B].

* Sur les demandes des consorts [B]

- Au titre de l'action successorale :

Selon l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale « Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanent de 100%, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de la consolidation ».

Le 6 janvier 2020, la caisse primaire a attribué une rente à [X] [B] ainsi qu'un taux d'IPP de 100%.

Le FIVA n'ayant rien versé à ce titre, il convient d'allouer cette indemnité aux appelants (18.336,64 euros valeur au 01/04/2017).

- Pour Mme [C] Veuve [B] :

- Majoration de sa rente d'ayant droit :

Lorsque la maladie professionnelle est due à la faute inexcusable de l'employeur, les victimes ou leurs ayants-droit peuvent prétendre à la majoration de la rente qui leur est allouée conformément à l'article L.452-2 du Code de la sécurité sociale.

En l'espèce, une rente d'ayant droit a été attribuée à Madame Veuve [B] par la caisse primaire d'assurance maladie du Gard par notification du 21 avril 2020.

La rente sera donc fixée à son taux maximum.

- Sur le remboursement des frais de désignation du mandataire : Par ordonnance du tribunal de commerce de Nîmes en date du 28 octobre 2020, Maître [N] [A] a été désigné en qualité de Mandataire Ad hoc pour représenter la Société anonyme [14], radiée depuis le 15 juillet 1999.

Les consorts [B] sollicitent le remboursement des frais afférents à cette désignation au titre des dommages non couverts par le Livre IV du Code de la sécurité sociale, en application de la décision du Conseil Constitutionnel n°2010-8 QPC du 18 juin 2010.

Ces dépenses rendues obligatoires par la procédure mais n'étant plus couvertes par le Livre IV du code de la sécurité sociale, doivent faire l'objet d'une prise en charge au titre des frais non couverts, en application de la décision précitée du Conseil Constitutionnel.

Il convient d'allouer aux consorts [B] le remboursement des sommes de 200 euros au titre de la provision allouée au mandataire ad hoc et 16.86 euros correspondant aux frais d'enregistrement des requêtes au greffe du tribunal de commerce.

* Sur les demandes du FIVA

Selon l'article 53-VI, 1er et 2ème alinéas, de la loi du 23 décembre 2000 : « Le Fonds est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge des dites personnes.

Le fonds intervient devant les juridictions civiles, y compris celles du contentieux de la sécurité sociale, notamment dans les actions en faute inexcusable, et devant les juridictions de jugement en matière répressive, même pour la première fois en cause d'appel, en cas de constitution de partie civile du demandeur contre le ou les responsables des préjudices ; il intervient à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi. »

Les propositions d'indemnisation du FIVA ont été acceptées par les consorts [B].

L'article 36 du décret d'application n°2001-963 du 23 octobre 2001 précise que : « Dès l'acceptation de l'offre par le demandeur, le fonds exerce l'action subrogatoire prévue au VI de l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000 ».

L'article 53-VI, 4e alinéa, de la loi du 23 décembre 2000 dispose par ailleurs :

« La reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, à l'occasion de l'action à laquelle le fonds est partie, ouvre droit à la majoration des indemnités versées à la victime ou à ses ayants droit en application de la législation de sécurité sociale. L'indemnisation à la charge du fonds est alors révisée en conséquence ».

1) Sur les souffrances physiques :

Le FIVA expose que [X] [B] a subi une biopsie par thoracoscopie (examen particulièrement douloureux, effectué sous anesthésie locale, avec introduction d'un endoscope au travers d'une petite incision réalisée entre deux côtes, pour visualiser le poumon et pratiquer les biopsies à partir de l'analyse desquelles le caractère malin des cellules pourra être posé avec certitude), qu'il n'a pu bénéficier d'une opération, compte tenu de l'avancement de sa maladie, qu'il a été contraint de suivre un traitement par chimiothérapie (3 cures), suivi d'une radiothérapie et a ensuite reçu des soins palliatifs, que sa pathologie a été à l'origine d'une dégénérescence générale ayant conduit au décès, la victime ayant dû être hospitalisée dans ses 3 derniers jours de vie (17/01/2018 au 20/01/2018).

Il sera alloué la somme de 16 600 euros en réparation de ce chef de préjudice.

2) Souffrances morales :

Le FIVA relate que les souffrances morales de [X] [B], se sont naturellement développées dès l'apparition des premiers symptômes, puis l'annonce du diagnostic, que le diagnostic de cancer broncho-pulmonaire engendre une souffrance morale importante, accompagnant les souffrances physiques (correspondant à la composante morale du pretium doloris), ainsi qu'une souffrance morale liée à la connaissance de sa contamination par l'amiante, dans un cadre professionnel, et à l'angoisse d'une aggravation de son état de santé ou de l'apparition d'autres maladies graves.

Comme le soutient justement le FIVA la souffrance morale de [X] [B] a résulté de la connaissance de sa contamination à l'amiante, des circonstances de son exposition, du diagnostic de sa maladie, et de la détérioration progressive de son état de santé, se savant condamné, à plus ou moins longue échéance.

Il sera alloué la somme de 51 400 euros à ce titre.

3) Sur le préjudice esthétique :

Il résulte des éléments versés au débat que [X] [B] avait considérablement maigri, et avait perdu ses cheveux, ce qui constitue un préjudice esthétique indéniable, qu'il se trouvait sous oxygénothérapie.

Il sera alloué la somme de 2 000 euros à ce titre.

4) Sur le préjudice d'agrément :

L'indemnisation d'un préjudice d'agrément suppose que soit rapportée la preuve de l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer une activité spécifique sportive ou de loisir.

En l'espèce, il n'est justifié d'aucun préjudice particulier.

La demande est en voie de rejet.

5) Sur le préjudice moral des ayants droit :

[X] [B] est décédé à l'âge de 72 ans, il était marié depuis 44 ans à son épouse.

Le préjudice moral de son épouse, résultant de la perte de la personne avec laquelle elle a partagé sa vie, n'est pas sérieusement contestable.

[X] [B] avait deux enfants et deux petits-enfants qui, tous, ont accompagné la victime durant sa maladie.

Le FIVA explique que M. [M] [B] vivait au foyer de la victime durant sa maladie, tandis que M. [P] [B] n'y résidait plus.

Ainsi les préjudices moraux et d'accompagnement des ayants droit de [X] [B] seront fixés comme suit :

Mme [C] [B] (veuve) : 32 600 euros

M. [M] [B] (enfant au foyer) : 15 200 euros

M. [P] [B] (enfant) : 8 700 euros

Mme [S] [B] (petit enfant) : 3 300 euros

M. [H] [B](petit enfant) : 3 300 euros

Ces sommes seront versées au FIVA, créancier subrogé, par l'organisme de sécurité sociale, conformément aux dispositions des articles L452-2 et L452-3 du Code de la Sécurité Sociale.

PAR CES MOTIFS

la Cour, statuant publiquement, en matière de sécurité sociale, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort ;

Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,

Et statuant à nouveau,

Déclare recevables les demandes des consorts [B] et du FIVA,

Juge que la maladie professionnelle dont est atteint et décédé [X] [B] est la conséquence de la faute inexcusable de son employeur, la Société [14] ([18]),

Alloue l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L452-3 du code de la sécurité sociale aux ayants-droit de [X] [B],

Fixe au maximum légal la majoration de la rente à venir attribuée par la caisse primaire d'assurance maladie du Gard au profit de Madame [C] [B],

Alloue aux consorts [B] les sommes de 200 euros au titre de la provision allouée au mandataire ad hoc et 16.86 euros correspondant aux frais d'enregistrement de la requête au greffe du tribunal de commerce de Nîmes, au titre des frais non couverts par le Livre IV du code de la sécurité sociale,

Dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Gard sera tenue de faire l'avance de ces sommes,

Fixe l'indemnisation des préjudices personnels de [X] [B] comme suit :

Souffrances morales : 51 400 euros

Souffrances physiques : 16 600 euros

Préjudice esthétique : 2 000 euros

Déboute le FIVA de sa demande au titre du préjudice d'agrément,

Fixe l'indemnisation des préjudices moraux des ayants droit de [X] [B] comme suit :

Mme [C] [B] : 32 600 euros

M. [M] [B] : 15 200 euros

M. [B] [P] : 8 700 euros

Mme [S] [B] : 3 300 euros

M. [H] [B] : 3 300 euros

Juge que la CPAM du Gard devra verser ces sommes au FIVA, créancier subrogé, en application de l'article L452-3 alinéa 3, du Code de la sécurité sociale,

Rappelle que la caisse primaire d'assurance maladie du Gard dispose d'un recours contre l'employeur pour obtenir le remboursement de toutes les sommes par elle avancées,

Condamne la Selarl [16], représentée par Me [N] [A], en sa qualité de mandataire ad'hoc de la SA [14] aux éventuels dépens de l'instance.

Arrêt signé par le président et par la greffiere.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT