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Décisions

CA Lyon, ch. soc. d (ps), 23 janvier 2024, n° 21/05982

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 21/05982

23 janvier 2024

AFFAIRE : CONTENTIEUX PROTECTION SOCIALE

COLLÉGIALE

RG : N° RG 21/05982 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NYHP

S.A.S.U. [6]

C/

[G]

CPAM DU RHONE

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Pole social du TJ de LYON

du 15 Juin 2021

RG : 19/00754

AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE D

PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU 23 JANVIER 2024

APPELANTE :

S.A.S.U. [6]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 1]

représentée par Me Franck JANIN de la SELAFA CHASSANY WATRELOT ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON substituée par Me Marie ARNAULT, avocat au barreau de LYON

INTIMÉS :

[O] [G]

né le 26 Mars 1977 à [Localité 7]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Delphine BOURGEON, avocat au barreau de LYON

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/025788 du 23/09/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)

CPAM DU RHONE

Service contentieux général

[Localité 4]

représenté par Mme [W] [E] (Membre de l'entrep.) en vertu d'un pouvoir général

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 19 Décembre 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Présidente

Anne BRUNNER, Conseillère

Nabila BOUCHENTOUF, Conseillère

Assistés pendant les débats de Anais MAYOUD, Greffière.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 23 Janvier 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Magistrate et par Anais MAYOUD, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

Le 6 juillet 2016, vers 13 heures, M. [G], plâtrier-peintre au sein de la société [6] (la société [6], l'employeur), a été victime d'un accident du travail pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône (la CPAM) au titre de la législation sur les risques professionnels.

L'état de santé de M. [G] a été déclaré consolidé le 18 mars 2018 avec un taux d'IPP de 18%.

Par lettre du 27 juillet 2018, M. [G] a saisi la CPAM d'une demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur à l'origine de son accident du travail.

Un procès-verbal de non-conciliation a été dressé le 19 octobre 2018.

Par requête du 15 février 2019, il a saisi le pôle social du tribunal judiciaire aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son encontre.

Par jugement du 15 juin 2021, le tribunal a fait droit à sa demande, fixé à 5 000 euros la provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel, ordonné la majoration de la rente servie par la CPAM au taux maximum, prononcé une expertise médicale de M. [G], fait droit à l'action récursoire de la caisse et condamné la société [6] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 13 juillet 2021, la société [6] a relevé appel de cette décision.

Dans le dernier état de ses conclusions reçues au greffe le 20 décembre 2022 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, elle demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

A titre principal,

- juger qu'elle n'a pas commis de faute inexcusable,

- rejeter toute demande formée à son encontre,

- condamner M. [G] aux dépens,

A titre subsidiaire, si la faute inexcusable devait être reconnue,

- renvoyer le dossier devant le pôle social du tribunal judiciaire en vue de l'examen des préjudices,

A titre infiniment subsidiaire,

- limiter la majoration de la rente en fonction du taux de 18%, seul taux opposable à l'employeur,

- limiter la mission d'expertise aux souffrances physiques et morales non d'ores et déjà indemnisées par le déficit fonctionnel permanent compris dans la rente attribuée, au déficit fonctionnel temporaire, ainsi qu'au préjudice esthétique définitif,

- débouter M. [G] de sa demande de provision et de toutes ses autres demandes.

Par ses dernières écritures reçues au greffe le 28 février 2023 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, M. [G] demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

- renvoyer la cause à une audience ultérieure devant la chambre sociale de la cour d'appel,

- condamner la société [6] à payer à Maître [J] la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 37 de la loi de 1991 sur l'aide juridictionnelle sous réserve de renonciation à cette aide, outre les frais d'ores et déjà prononcés en première instance à hauteur de 2 000 euros à ce titre,

- réserver les dépens d'instance.

Dans ses écritures reçues au greffe le 19 septembre 2023 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, la CPAM demande à la cour, en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, de confirmer le jugement sur son action récursoire à l'encontre de l'employeur mais à exercer sur le capital de la majoration de rente limitée au taux de 18%, ainsi sur le montant des préjudices et les frais d'expertise.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR LA FAUTE INEXCUSABLE ET SES CONSEQUENCES

La société [6] conteste sa faute inexcusable et la version des faits à l'origine de l'accident, telle que retenue par le premier juge, considérant que les circonstances de l'accident sont à tout le moins indéterminées. Elle conteste également la conscience du danger qu'elle aurait eu ou aurait dû avoir et soutient avoir, en tout état de cause, pris toutes les mesures pour l'éviter. Elle considère enfin que les dispositions de l'article R. 4534-11 du code du travail, invoquées par le salarié, ne sont pas applicables aux circonstances de l'espèce.

M. [G] répond que les circonstances de son accident sont parfaitement déterminées, que son employeur ne pouvait ignorer les dangers qu'il encourait lors de la manœuvre du véhicule impliqué dans l'accident et se prévaut, à ce titre, des dispositions de l'article R. 4534-11 du code du travail selon lesquelles, « lorsque le conducteur d'un camion exécute une manœuvre, notamment de recul, dans des conditions de visibilité insuffisantes, un ou plusieurs travailleurs dirigent le conducteur et avertissent, par la voix ou par des signaux conventionnels, les personnes survenant dans la zone où évolue le véhicule.
Les mêmes mesures sont prises lors du déchargement d'une benne de camion ». M. [G] oppose à et égard le manque de rigueur de la société [6] s'agissant des conditions de circulation des véhicules sur les chantiers.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers ce dernier d'une obligation de sécurité de moyen renforcée en ce qui concerne les accidents du travail.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié. Il suffit, pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, qu'elle en soit la cause nécessaire, alors même que d'autres facteurs ont pu concourir à la réalisation du dommage.

Le manquement à l'obligation de moyen renforcée précitée a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, la conscience du danger s'appréciant au moment ou pendant la période de l'exposition au risque.

Ici, le caractère professionnel de l'accident déclaré n'est pas remis en cause par les parties qui s'opposent uniquement sur l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur à l'origine de cet accident.

Il est acquis aux débats que l'accident de M. [G], survenu sans témoin le 6 juillet 2016 à 13h30, s'est produit alors que M. [M], gérant de la société [6], était au volant d'une camionnette Citroen Jumper et qu'il man'uvrait ce véhicule au passage d'un portail pendant que M. [G] en tenait le battant. Il en résulté la section nette du pouce droit du salarié provoquée par la portière latérale de la camionnette.

M. [G] expose que son employeur a manœuvré sans aucune visibilité et qu'il a forcé le passage au niveau du portail après lui avoir donné l'ordre d'en maintenir le battant.

La société [6], en la personne de son gérant, considère pour sa part que le salarié s'est sciemment placé entre la camionnette et le portail alors qu'elle lui avait demandé à plusieurs reprises de s'écarter de l'accès ou de remontrer dans le véhicule.

Il ressort des éléments du dossier et des déclarations mêmes de M. [M] devant les services de police, que celui-ci, après avoir déverrouillé manuellement le portail pour entrer sur le chantier d'un particulier, a manœuvré pour passer alors que le passage était étroit, que le rétroviseur côté passager était rabattu et qu'il n'avait, par suite, aucune visibilité sur la droite où se situait précisément M. [G] qui était descendu du véhicule et se trouvait à côté du camion et du portail. Le salarié s'est ainsi retrouvé coincé pendant que le véhicule entamait sa manœuvre pour passer.

Au vu de ces circonstances, clairement établies, M. [M] ne pouvait ignorer le danger auquel il exposait son salarié en passant le portail avec sa camionnette sans aucune visibilité et alors qu'il savait M. [G] a proximité. Il soutient lui avoir donné des instructions précises de sécurité mais ne l'établit pas. Or, même à supposer, comme il le prétend, lui avoir demandé de se tenir à une distance de sécurité suffisante, il ne s'est manifestement pas assuré que ses consignes de sécurité étaient respectées.

Dès lors, et nonobstant l'inapplication aux faits litigieux des dispositions de l'article R. 4534-11 du code du travail qui ne visent pas le type de véhicule impliqué dans l'accident litigieux, la faute inexcusable de la société [6] est établie sans qu'aucune faute du salarié, au demeurant non démontrée, ne puisse exonérer l'employeur de sa responsabilité. Le moyen tiré de l'absence de poursuites pénales engagées contre la société et d'infraction retenue à son encontre par l'inspection du travail est également inopérant dès lors que les circonstances de l'accident sont suffisamment précises et déterminées. Le jugement sera confirmé en ses dispositions en ce sens. Il le sera également en ce qu'il ordonne la majoration de la rente, sauf à préciser que cette majoration s'effectuera dans la limite d'un taux d'IPP fixé à 18%, seul taux opposable à l'employeur. Il y a également lieu de confirmer le jugement sur l'action récursoire de la caisse, dans la limite du taux d'IPP de 18%, et sur l'expertise médicale ordonnée en retranchant cependant de la mission de l'expert l'évaluation d'une chance de promotion professionnelle qui ne relève pas d'investigations médicales, ainsi que l'évaluation du taux d'incapacité de la victime.

S'agissant de la demande de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice corporel du salarié, il convient là encore de confirmer la somme de 5 000 euros allouée par le tribunal au vu des pièces médicales versées au dossier par M. [G].

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

La décision attaquée sera confirmée en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

La société [6], qui succombe, supportera les dépens d'appel et une indemnité au visa de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement entrepris, sauf ses dispositions relatives à la majoration de la rente à son maximum à l'égard de l'employeur et à la mission confiée à l'expert judiciaire,

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

Limite la majoration de la rente opposable à l'employeur au taux d'IPP de 18%,

En conséquence, dit que l'action récursoire de la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône s'exercera à l'encontre de l'employeur sur le capital de la majoration de rente limitée au taux de 18%, ainsi que sur le montant des préjudices et des frais d'expertise,

Dit que la mission confiée à l'expert judiciaire, le docteur [U] [B], sera retranchée en ses dispositions relatives à l'évaluation d'une chance de promotion professionnelle et à l'évaluation du taux d'incapacité de M. [G],

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamnela société [6] à payer complémentairement en cause d'appel la somme de 1 500 euros qui sera versée à Maître [J] sur le fondement de l'article 37 de la loi de 1991 sur l'aide juridictionnelle, sous réserve de la renonciation à cette aide,

Condamne la société [6] aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE