Décisions
CA Nancy, ch. soc.-sect. 2, 18 janvier 2024, n° 22/02307
NANCY
Arrêt
Autre
ARRÊT N° /2024
PH
DU 18 JANVIER 2024
N° RG 22/02307 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FB3D
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERDUN
F 20/00041
12 septembre 2022
COUR D'APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2
APPELANTE :
Madame [U] [R]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Etienne GUIDON de la SELARL CABINET GUIDON - BOZIAN, substitué par Me PERROT , avocat au barreau de NANCY
INTIMÉE :
S.A.S.U. SCHREIBER FRANCE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Nicolas CAPILLON de la SELARL CAPILLON ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substitué par Me MOUTON, avocate au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré,
Président : WEISSMANN Raphaël,
Conseillers : BRUNEAU Dominique,
STANEK Stéphane,
Greffier lors des débats : RIVORY Laurène
DÉBATS :
En audience publique du 19 Octobre 2023 ;
L'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 18 Janvier 2024 ; par mise à disposition au greffe conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
Le 18 Janvier 2024, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES
Madame [U] [R] a été engagée sous contrat de travail à durée indéterminée, par la société SAS SCHREIBER FRANCE à compter du 04 juin 2018, en qualité de responsable des ressources humaines.
La convention collective nationale de l'industrie laitière s'applique au contrat de travail.
Le temps de travail de la salariée était soumis à une convention individuelle de forfait annuel, à hauteur de 213 jours.
Par courrier du 24 septembre 2019, Madame [U] [R] a été convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 04 octobre 2019, reporté au 11 octobre 2019, avec notification de sa mise à pied à titre conservatoire.
Par courrier du 29 octobre 2019, Madame [U] [R] a été licenciée pour faute grave.
Par requête du 21 décembre 2020, Madame [U] [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Verdun, aux fins :
- d'enjoindre à la société SAS SCHREIBER FRANCE de produire son règlement intérieur,
- de dire et juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- en conséquence, de condamner la société SAS SCHREIBER FRANCE à lui payer les sommes suivantes :
- 10 051,26 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, équivalente à 2 mois de salaires bruts,
- 1 746,40 euros nets à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 15 076,89 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 1 507,68 euros au titre des congés payés y afférents,
- 5 025,63 euros correspondant à un mois de salaire, à titre de dommages-et-intérêts pour l'existence de conditions vexatoires entourant son licenciement,
- 5 025,63 euros bruts au titre de la mise à pied conservatoire du 24 septembre au 23 octobre 2019, correspondant à un mois de salaire, outre la somme de 502,56 euros au titre des congés payés y afférents,
- de déclarer nul et de nul effet le forfait jours,
- en tout état de cause, de lui déclarer inopposable les effets du forfait jours présent dans son contrat de travail et fixer son horaire de travail sur une base horaire de 151,67 heures mensuelles,
- en conséquence, de condamner la société SAS SCHREIBER FRANCE à lui payer les sommes suivantes :
- 44 724,00 bruts de rappel de salaire du fait des heures supplémentaires non payées, outre 4 472,40 euros bruts de congés payés sur rappels de salaires sur heures supplémentaires,
- 23 455,00 euros nets de dommages et intérêts au titre de la compensation obligatoire en repos non allouée sur le fondement de l'article L.3121-28 du code du travail,
- 5 025,63 euros au titre des dommages et intérêts du fait de la violation manifeste par son employeur des règles relatives aux durées maximales de travail et temps de repos, soit l'équivalent d'un mois de salaire,
- 30 153,78 euros au titre des dommages et intérêts pour travail dissimulé sur le fondement de l'article L.8221-5 du code du travail,
- 10 000,00 euros de dommages et intérêts au titre d'exécution déloyale du contrat de travail, sur le fondement de l'article L.1222-1 du code du travail,
- d'ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile,
- de condamner la société SAS SCHREIBER FRANCE à 3 500,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Verdun rendu le 12 septembre 2022, lequel a :
- déclaré la requête de Madame [U] [R] fondée en partie,
- ordonné à la société SAS SCHREIBER FRANCE de produire son règlement intérieur,
- dit que le licenciement de Madame [U] [R] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
- débouté Madame [U] [R] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamné la société SAS SCHREIBER FRANCE à verser à Madame [U] [R] les sommes suivantes :
- 1 746,40 euros nets à titre d'indemnité de licenciement conventionnel,
- 15 076,89 euros bruts au titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 1 507,68 euros bruts au titre des congés payés sur préavis,
- 5 025,63 euros pour violation manifeste des règles relatives à la durée du temps de travail et du temps de repos,
- condamné la société SAS SCHREIBER FRANCE à verser à Madame [U] [R] la somme de 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté Madame [U] [R] de l'ensemble de ses autres demandes,
- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire,
- laissé les dépens à la charge de chacune des parties.
Vu l'appel formé par Madame [U] [R] le 12 octobre 2022,
Vu l'appel incident formé par la société SAS SCHREIBER FRANCE le 07 avril 2023,
Vu l'article 455 du code de procédure civile,
Vu les conclusions de Madame [U] [R] déposées sur le RPVA le 03 juillet 2023, et celles de la société SAS SCHREIBER FRANCE déposées sur le RPVA le 03 octobre 2023,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 04 octobre 2023,
Madame [U] [R] demande :
- de l'accueillir en son appel,
- de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Verdun le 12 septembre 2022, en ce qu'il a :
- ordonné à la société SAS SCHREIBER FRANCE de produire son règlement intérieur,
- condamné la société SAS SCHREIBER FRANCE à lui verser les sommes suivantes :
- 1 746,40 euros nets à titre d'indemnité de licenciement conventionnel,
- 15 076,89 euros bruts au titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 1 507,68 euros bruts au titre des congés payés sur préavis,
- 5 025,63 euros pour violation manifeste des règles relatives à la durée du temps de travail et du temps de repos,
- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- dit que son licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
- l'a débouté de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- l'a débouté de l'ensemble de ses autres demandes,
Statuant à nouveau :
- de juger le licenciement notifié comme dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- de condamner la société SAS SCHREIBER FRANCE à lui payer les sommes suivantes :
- 10 050,00 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, équivalente à 2 mois de salaires bruts,
- 5 025,00 euros correspondant à un mois de salaire, à titre de dommages-et-intérêts pour l'existence de conditions vexatoires entourant son licenciement,
- 5 025,00 euros bruts au titre de la mise à pied conservatoire du 24 septembre au 23 octobre 2019, correspondant à un mois de salaire,
- 502,50 euros au titre des congés payés y afférents,
- de juger nul et de nul effet son forfait jours,
- en tout état de cause, de lui déclarer inopposable les effets du forfait jour présent dans son contrat de travail et fixer son horaire de travail sur une base horaire de 151,67 heures mensuelles,
- en conséquence, de condamner la société SAS SCHREIBER FRANCE à lui payer les sommes suivantes :
- 44 724,00 bruts de rappel de salaire du fait des heures supplémentaires non payées,
- 4 472,40 euros bruts de congés payés sur rappels de salaires sur heures supplémentaires,
- 23 455,00 euros nets de dommages et intérêts au titre de la compensation obligatoire en repos non allouée sur le fondement de l'article L.3121-28 du code du travail,
- 5 025,00 euros au titre des dommages et intérêts du fait de la violation manifeste par son employeur des règles relatives aux durées maximales de travail et temps de repos, soit l'équivalent d'un mois de salaire,
- 30 150,00 euros au titre des dommages et intérêts pour travail dissimulé sur le fondement de l'article L.8221-5 du code du travail,
- 10 000,00 euros de dommages et intérêts au titre d'exécution déloyale du contrat de travail, sur le fondement de l'article L.1222-1 du code du travail,
- de débouter la société SAS SCHREIBER FRANCE de son appel incident,
- de condamner la société SAS SCHREIBER FRANCE à la somme de 3 500,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel,
- de condamner la société SAS SCHREIBER FRANCE aux dépens qui comprendront les éventuels frais d'exécution forcée.
La société SAS SCHREIBER FRANCE demande :
- d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Verdun rendu le 12 septembre 2022 en ce qu'il l'a condamnée à verser à Madame [U] [R] les sommes suivantes :
- 1 746,40 euros nets à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 15 076,89 euros bruts au titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 1 507,68 euros bruts au titre des congés payés sur préavis,
- 5 025,63 euros pour violation manifeste des règles relatives à la durée du temps de travail et du temps de repos,
- 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de confirmer le jugement entrepris pour le surplus,
En conséquence :
- de dire et juger Madame [U] [R] non fondée en l'intégralité de ses demandes,
- de débouter Madame [U] [R] de ses demandes,
- de condamner Madame [U] [R] au paiement de la somme de 3 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner Madame [U] [R] aux entiers dépens.
SUR CE, LA COUR
Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières écritures qu'elles ont déposées sur le RPVA, s'agissant de l'employeur le 03 octobre 2023, et en ce qui concerne la salariée le 03 juillet 2023.
Sur le licenciement
La lettre de licenciement du 23 octobre 2019 (pièce 3 de l'employeur) indique :
« Madame,
Je donne suite à notre entretien du 11 octobre 2019 au cours duquel j'ai pu recueillir vos observations sur les griefs que je vous exposais. Vous étiez assistée de Monsieur [D] [H], Délégué du personnel et membre du Comité d'Entreprise.
Ces motifs sont les suivants :
Vous occupez les fonctions de Responsable des Ressources Humaines au sein de notre Etablissement de [Localité 4]. A ce titre, vous avez pour mission de veiller à la qualité du dialogue social et au bien-être des collaborateurs de cet établissement. Pour ce faire, vous disposez d'une équipe que vous encadrez et dont vous êtes responsable.
Or, nous devons constater que vous entretenez des rapports conflictuels avec vos différents interlocuteurs au sein de l'entreprise dont les instances représentatives du personnel qui s'en sont d'ailleurs plaintes.
Pire, à l'occasion d'une discussion sur la fin de son stage, Madame [E] [L], qui travaillait dans votre service, a indiqué à Monsieur [B] que vous faisiez peser sur elle une très forte pression. Elle a expliqué que la tension que vous lui faisiez subir était « oppressante ». Elle a encore indiqué que la pression qu'elle subissait et les altercations qui en découlaient avaient affecté son moral. Elle a même pu observer que vous aviez contacté le responsable de son Master pour lui transmettre des informations erronées à son encontre dans le but de la faire échouer.
Cette situation a été confirmée à Monsieur [B] par une autre de vos collaboratrices -qui vous avait entendu parler « très mal » à Madame [L] et qui avait « à plusieurs reprises récupéré [E] en larmes ».
Monsieur [B] a tenu à recevoir chacun des membres de votre service qui ont également fait état d'un climat de travail très dur, évoquant votre humeur très changeante. Certains de vos collaborateurs ont indiqué venir travailler la boule au ventre ou subir des troubles du sommeil, craignant toujours vos reproches. D'autres indiquent se sentir rabaissés ou surveillés au quotidien.
Il a même été rapporté que vous aviez insulté une employée de l'accueil après lui avoir hurlé dessus. Cette employée a expliqué avoir été obligée de cacher son travail à chacun de vos passages sous peine d'être sanctionnée si bien qu'elle dit avoir perdu toute confiance en elle et venir travailler chaque jour avec crainte et peur au ventre.
Ainsi, il apparaît que le personnel amené à travailler avec vous se trouve en grande difficulté du fait de votre comportement, manifestement répété, au point que certains sont dorénavant affectés moralement.
Compte tenu de vos fonctions et plus généralement de vos compétences, le comportement qui vous est reproché est particulièrement inacceptable. Il constitue une faute d'une particulière gravité en ce qu'il porte atteinte à l'intégrité des personnes travaillant avec vous. Il est également incompatible avec les missions qui vous sont confiées puisque, par nature, elles doivent vous sensibiliser contre ce type d'attitude.
Ces faits interdisent donc la poursuite de nos relations contractuelles y compris pendant la période du préavis.
En conséquence, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave. (...) »
- sur la prescription des griefs :
Mme [U] [R] fait valoir que les faits qui lui sont reprochés sont prescrits, ceux-ci n'étant pas datés, et alors que l'article L. 1332-4 du code du travail enferme la procédure disciplinaire dans des délais très stricts.
La société SCHREIBER FRANCE explique que Mme [L] n'a révélé les faits dont elle a été victime qu'à la fin de son stage, et que l'entretien qu'elle a eu avec M. [B] date du mois de septembre 2019, soit moins de 2 mois avant l'engagement de la procédure de licenciement.
Elle ajoute qu'à la suite de cette révélation, M. [B] a entendu les membres de l'équipe de Mme [U] [R], et que ce n'est qu'à l'issue de ces entretiens que l'employeur a eu une connaissance pleine et entière des faits commis par la salariée.
Motivation
Aux termes des dispositions de l'article L1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
La société SCHREIBER FRANCE renvoie à la pièce 16 de Mme [U] [R] ; il s'agit d'un mail de Mme [U] [R], daté du 23 août 2019, adressé à Mme [E] [L], ayant pour objet « fin de stage », lui souhaitant une bonne continuation dans sa vie professionnelle et lui demandant de restituer du matériel (badge etc.).
La société SCHREIBER FRANCE invoque des attestations, qu'elle liste lorsqu'elle aborde les griefs ; ces attestations figurent en pièces 8 à 13 dans le bordereau de communication de pièces.
La moins récente de ces attestations est datée du 02 octobre 2019, la plus récente est datée du 10 octobre 2019 (en dehors de celle de Mme [L] du 11 octobre).
L'employeur démontre ainsi de manière suffisante qu'il n'a pas eu connaissance de l'ensemble des griefs avant le début du mois d'octobre 2019, et en tous les cas après la fin du stage de Mme [L], qui s'est terminé le 23 août.
La procédure disciplinaire ayant été engagée le 24 septembre 2019 avec la lettre de convocation à un entretien préalable (pièce 2 de l'employeur), les faits n'étaient pas prescrits à cette date.
- sur les griefs
La société SCHREIBER FRANCE explique que les attestations relatent les difficultés relationnelles que les attestantes ont rencontrées du fait de Mme [R].
Elle en cite des extraits dans ses écritures.
L'intimée affirme que Mme [U] [R] a fait régner un climat de peur auprès des salariées travaillant avec elle.
La société SCHREIBER FRANCE affirme qu'elle se devait de faire cesser immédiatement les agissements de Mme [U] [R].
Elle indique contester les difficultés alléguées par Mme [U] [R], et ajoute que, quand bien même elles seraient prouvées, rien ne justifie ce qu'elle a fait subir à ses collaboratrices.
Mme [U] [R] explique, s'agissant de Mme [E] [L], avoir indiqué à son responsable pédagogique que son travail n'était pas satisfaisant ; elle ajoute qu'elle a simplement fait remarquer que le travail attendu de sa part n'avait pas été réalisé, sans tenir de propos déplacés ou excessifs.
Elle invoque par ailleurs le principe de liberté d'expression quant à son appréciation sur le travail de la stagiaire.
Elle fait valoir que les attestations de Mme [X] et de Mme [V] sont imprécises.
Mme [U] [R] estime que ce que lui reproche Mme [I] dans son attestation ne relève que de son pouvoir de supervision du travail de ses subordonnées; elle ajoute que Mme [I] souffrait d'un manque de confiance en elle, et était stressée par son évolution interne récente.
Elle fait valoir ses messages à ses collaboratrices, les remerciant pour leur travail.
L'appelante tire également argument de ce que l'employeur n'a pas organisé d'enquête interne, alors que sont présumés des faits de harcèlement moral.
Motivation
Aux termes de l'article L1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.
La lettre de licenciement fixe les limites du litige et c'est au regard des motifs qui y sont énoncés que s'apprécie le bien-fondé du licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. C'est à l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier d'en rapporter la preuve.
Il ressort des attestations produites aux débats que si les salariées qui témoignent se plaignent de l'attitude de Mme [U] [R], c'est sa manière d'être générale qui est mise en exergue : par exemple, Mme [S] [V] lui reproche de ne pas lui dire bonjour en arrivant (pièce 8) ; Mme [Z] [I] et Mme [Y] [F] indiquent avoir constaté plusieurs fois ses changements d'humeur, passant de la colère à l'euphorie ou encore à la crise de larmes (pièces 9 et 10).
Certains reproches émis sont plus verbalisés quant au comportement visé, sans être pour autant suffisamment circonstanciés, par exemple quant aux propos qui auraient été tenus. (Mme [I] indique qu' « elle a élevé le ton à plusieurs reprises sur moi » (pièce 9) ; Mme [F] indique « J'ai aussi été témoin des agressions envers mes collègues et de ses moqueries quotidiennes. Nos journées étaient ponctuées de reproches (') Je me souviens de l'altercation du 11 juillet 2019 où elle m'a manqué de respect et rabaissé devant mes collègues(') » (pièce10) ; etc. ,
Mme [S] [V] (agente d'entretien) lui reproche d'avoir fait appel à une société de nettoyage ; elle explique s'être sentie remise en cause dans son travail, sans pour autant qu'il soit possible de distinguer une décision qui ne ressortisse pas du pouvoir d'organisation de Mme [U] [R].
Pour le surplus, elle fait état de la manière dont elle a ressentit la situation : elle explique qu'elle l'a ressenti comme une pression, et était anxieuse en permanence.
Mme [T] [M] (pièce 11) explique que Mme [U] [R] « était désagréable et cassante envers moi ».
Elle fait état d'une insulte que Mme [U] [R] a proféré contre elle le 22 octobre 2018, rentrant énervée d'un déplacement , se mettant à lui hurler dessus en pleurant, et lui ayant dit « Qu'elle est con celle-là ».
Mme [A] [X] explique que Mme [U] [R] critiquait le travail de la stagiaire [E] [L], mais sans donner de précisions. Elle explique également avoir assisté à des disputes entre « [U] et [E], où [U] parlait très mal à [E] », mais elle ne cite aucun propos.
Mme [E] [L] (pièce 13) explique que Mme [U] [R] « exerçait sur moi une pression continue pour rendre le travail dans des délais irréalisables. De plus j'ai été informée que Mme [R] critiquait mon travail derrière mon dos (') Mme [R] a essayé de compromettre l'obtention de mon diplôme de psychologue en contactant le responsable de mon master pour lui transmettre des informations erronées à mon égard ».
Cependant, Mme [L] ne donne pas plus de précisions ; la société SCHREIBER FRANCE ne fournit aucune pièce complémentaire.
La lettre de licenciement reproche des mauvaises relations avec les représentants du personnel.
La société SCHREIBER FRANCE ne précise pas ce grief dans ses écritures ; elle n'en justifie pas.
Dans ces conditions, les fautes reprochées ne sont pas suffisamment établies.
En conséquence, le licenciement sera dit sans cause réelle et sérieuse.
Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire
Mme [U] [R] explique avoir été convoquée à l'entretien préalable le lendemain du décès de son beau-père, et que le jour de cet entretien, soit le 24 septembre 2019, M. [P] [B] lui a demandé de vider son bureau de ses effets personnels, et ses accès informatiques ont été coupés.
Elle sollicite des dommages et intérêts équivalents à un mois de salaire.
LA société SCHREIBER FRANCE fait valoir avoir exercé son droit de rompre le contrat de travail, et que la mise à pied conservatoire est une modalité procédurale admise.
Elle ajoute que Mme [U] [R] ne justifie pas d'un préjudice.
Motivation
La société SCHREIBER FRANCE n'ayant pas dépassé la stricte application d'une procédure en cas de faute grave reprochée par l'employeur, qui doit être exercée avec diligence, la circonstance qu'elle doive être mise en œuvre alors que le décès du beau-père de Mme [U] [R] est intervenu, étant indépendante de la volonté de l'employeur, Mme [U] [R] sera déboutée de sa demande à ce titre.
Sur les conséquences financières de la rupture
Mme [U] [R] demande la condamnation de la société SCHREIBER FRANCE à lui payer 10 050 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qu'elle présente comme équivalente à deux mois de salaire, et à lui payer 50 25 euros à titre de rappel de salaire pour la mise à pied du 24 septembre au 23 octobre 2019, outre 502,50 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents.
La société SCHREIBER FRANCE ne conclut pas sur ce point.
Motivation
Le licenciement étant dépourvue de cause réelle et sérieuse, les demandes de Mme [U] [R] sont fondées en leur principe.
En l'absence de contestation subsidiaire de l'employeur sur le quantum des demandes, il y sera fait droit.
Sur la convention de forfait
Mme [U] [R] indique qu'elle était soumise à une convention de forfait en jours, signée le 28 mai 2018.
Elle fait valoir que l'obligation de tenir des entretiens dédiés au forfait ou à la déconnexion n'a pas été respectée. Elle rappelle que l'accord de branche de l'industrie laitière, du 03 juin 2016, impose un entretien annuel portant sur la charge de travail et l'articulation entre vie professionnelle et vie personnelle.
Elle ajoute que l'accord de branche, qui prévoit la mise en place d'un document individuel de suivi des périodes d'activité, des jours de repos et des jours de congé, n'a pas été respecté non plus sur ce point.
La société SCHREIBER FRANCE affirme que Mme [U] [R] était cadre dirigeante, et en conséquence n'était pas soumise au décompte de son temps de travail.
Elle ajoute que si les outils de suivi de la charge des salariés n'ont pas été mis en place, c'est en raison de sa carence.
Motivation
L'article L. 3121-65 du code du travail dispose qu'une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve du respect des dispositions suivantes:
1o L'employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l'employeur, ce document peut être renseigné par le salarié;
2o L'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires;
3o L'employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.
En l'espèce, il n'est pas contesté que l'employeur n'a pas respecté son obligation, imposée par les dispositions précitées.
La société SCHREIBER FRANCE affirme que Mme [U] [R] était cadre dirigeante, en tant que membre du CODIR de l'entreprise.
L'intimée n'établit pas cette qualité de cadre dirigeante, alors que son contrat de travail (pièce 1 de l'employeur) précise qu'elle est cadre, niveau 10 de la convention collective.
La société SCHREIBER FRANCE affirme également que si aucun suivi de la charge de travail n'a été mis en place, c'est en raison de la carence de Mme [U] [R] qui était DRH.
Il convient cependant de rappeler que l'article L3121-65 précité du code du travail s'impose à l'employeur, et s'imposait à lui dès lors qu'il a indiqué dans le contrat de travail que la relation de travail était soumise à une convention de forfait, contrat de travail qui stipulait expressément que « A l'occasion d'un entretien annuel, la Salariée et la Société vérifieront la compatibilité des objectifs et de la charge de travail avec ce forfait ». (article 5 in fine du contrat de travail).
Dans ces conditions, la convention de forfait prévue dans le contrat de travail est inopposable à Mme [U] [R], la durée légale de travail trouvant dès lors à s'appliquer.
Sur la demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires
L'article L. 3171-4 du code du travail dispose qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction.
Il ressort de cette règle que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties mais que le salarié doit appuyer sa demande en paiement d'heures supplémentaires par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.
Mme [U] [R] indique avoir effectué des heures supplémentaires, et renvoie à sa pièce 8 bis ' relevés d'heures et décomptes des heures supplémentaires et de la contrepartie obligatoire en repos ' et à sa pièce 10 ' planning Outlook.
Elle produit en pièce 8 bis des tableaux de décompte, jour par jour de ses horaires de travail, détaillant également les heures supplémentaires majorées à 25 % et celles majorées à 50 %, et le nombre d'heures de repos compensateur.
Cette pièce est suffisamment précise pour permettre à l'employeur d'y répondre avec ses propres éléments, la charge du contrôle des heures de travail lui incombant.
La société SCHREIBER FRANCE ne produit aucun élément justifiant les heures de travail de Mme [U] [R], contredisant les pièces de cette dernière.
La société SCHREIBER FRANCE critique les décomptes d'heures, qu'elle estime contradictoires, indiquant des heures de présence au travail inchangés chaque jour, ce qui est impossible au regard de ses responsabilités.
Dans ces conditions, il sera fait droit à la demande, les calculs de Mme [U] [R] n'étant pas contestés à titre subsidiaire par l'employeur.
Sur la demande d'indemnité au titre du travail dissimulé
Aux termes des dispositions de l'article L8221-5 du Code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.
Mme [U] [R] ne fait valoir aucun argument tendant à établir l'intention de l'employeur de dissimuler les heures supplémentaires, indiquant simplement que la société SCHREIBER FRANCE ne peut nier qu'elle avait connaissance de la totalité des heures de travail qu'elle effectuait.
En conséquence, elle sera déboutée de sa demande à ce titre.
Sur la demande au titre de la violation des durées maximales de travail et des repos
Aux termes des dispositions des articles L3121-18 et 19 du code du travail, sauf dérogation par accord collectif, la durée quotidienne de travail effectif ne peut pas dépasser 10 heures.
L'article L3121-20 du même code dispose que la durée maximale hebdomadaire de travail est de 48 heures.
Mme [U] [R] fait valoir qu'il ressort de ses pièces 8 bis et 10 qu'elle a travaillé plus de 50 heures par semaine et plus de 10 heures d'affilée par jour.
La société SCHREIBER FRANCE explique que Mme [U] [R] disposait d'une totale autonomie dans l'organisation de son travail, en qualité de cadre dirigeant, et que ses tableaux ne sont pas probants, émanant d'elle-même.
Elle fait également valoir que Mme [U] [R] ne justifie pas de son préjudice.
Motivation
Il résulte des développements qui précèdent que Mme [U] [R] n'était pas cadre dirigeante, et que sa pièce 8 bis n'est contredite par aucune pièce de l'employeur de décompte des heures de travail.
Le non-respect des durées de travail et des repos cause nécessairement un préjudice au salarié, notamment en termes de santé et de respect de la vie personnelle et familiale.
En conséquence, et en l'absence de contestation subsidiaire, par la société SCHREIBER FRANCE, de la somme réclamée, il sera fait droit à la demande.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre des contreparties obligatoires en repos
Mme [U] [R] expose que la convention collective fixe à 150 heures le contingent annuel d'heures supplémentaires. Elle réclame à ce titre 23 455 euros.
La société SCHREIBER FRANCE développe la même argumentation globale pour les demandes de nullité du forfait, de rappel d'heures supplémentaires, et de compensation obligatoire en repos.
Motivation
Il résulte des développements qui précèdent que la société SCHREIBER FRANCE ne produit aucune pièce justifiant de son point de vue les heures de travail accomplies par la salariée, de telle sorte qu'il y a lieu de tenir compte des décomptes que cette dernière produit en pièce 8 bis.
Cette pièce porte notamment décompte du nombre d'heures de repos compensateur.
En l'absence de contestation subsidiaire par l'employeur du quantum de la demande, il y sera fait droit.
Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
Mme [U] [R] fait valoir que son employeur n'a jamais organisé d'entretien sur le fonctionnement du forfait jours, et l'a laissée continuer à travailler de manière intensive.
La société SCHREIBER FRANCE fait valoir que si la Cour devait considérer qu'elle a commis des fautes, il conviendra de relever que Mme [U] [R] sollicite déjà par ses autres demandes l'indemnisation de son préjudice.
Motivation
Mme [U] [R] fait valoir l'absence d'entretien sur l'exécution de la convention de forfait, ainsi que ses heures supplémentaires.
Elle n'argue pas de préjudices particuliers, alors qu'il résulte des développements qui précèdent qu'elle bénéficiera d'un rappel de salaire sur heures supplémentaires , d'indemnités pour non-respect des durées de travail et des repos, et de dommages et intérêts au titre de la contrepartie obligatoire en repos, ces préjudices étant dès lors indemnisés.
Dans ces conditions, Mme [U] [R] sera déboutée de sa demande à ce titre.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant à l'instance, la société SCHREIBER FRANCE sera condamnée à payer à Mme [U] [R] 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle sera également condamnée aux dépens ; Mme [U] [R] sera déboutée de sa demande de condamnation aux éventuels frais d'exécution de la décision, cette demande apparaissant prématurée à ce stade.
PAR CES MOTIFS
La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
Infirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Verdun le 12 septembre 2022, en ce qu'il a débouté Madame [U] [R] de ses demandes :
- de juger le licenciement notifié comme dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- de condamner la société SAS SCHREIBER FRANCE à lui payer les sommes suivantes :
- 10 050,00 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, équivalente à 2 mois de salaires bruts,
- 5 025,00 euros correspondant à un mois de salaire, à titre de dommages-et-intérêts pour l'existence de conditions vexatoires entourant son licenciement,
- 5 025,00 euros bruts au titre de la mise à pied conservatoire du 24 septembre au 23 octobre 2019, correspondant à un mois de salaire,
- 502,50 euros au titre des congés payés y afférents,
- de lui déclarer inopposable les effets du forfait jour présent dans son contrat de travail et fixer son horaire de travail sur une base horaire de 151,67 heures mensuelles,
- en conséquence, de condamner la société SAS SCHREIBER FRANCE à lui payer les sommes suivantes :
- 44 724,00 bruts de rappel de salaire du fait des heures supplémentaires non payées,
- 4 472,40 euros bruts de congés payés sur rappels de salaires sur heures supplémentaires,
- 23 455,00 euros nets de dommages et intérêts au titre de la compensation obligatoire en repos non allouée sur le fondement de l'article L.3121-28 du code du travail,
- 5 025,00 euros au titre des dommages et intérêts du fait de la violation manifeste par son employeur des règles relatives aux durées maximales de travail et temps de repos, soit l'équivalent d'un mois de salaire ;
Le confirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau dans ces limites,
Dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Dit que la convention de forfait en jours est inopposable à Mme [U] [R] ;
Condamne la société SCHREIBER FRANCE à payer à Mme [U] [R] :
- 10 050,00 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 5 025,00 euros au titre de la mise à pied conservatoire,
- 502,50 euros au titre des congés payés y afférents,
- 44 724,00 bruts de rappel de salaire pour heures supplémentaires,
- 4 472,40 euros bruts de congés payés sur rappels de salaires sur heures supplémentaires,
- 23 455,00 euros nets de dommages et intérêts au titre de la compensation obligatoire en repos,
- 5 025,00 euros au titre des dommages et intérêts du fait de la violation des règles relatives aux durées maximales de travail et temps de repos ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes
Y ajoutant,
Condamne la société SCHREIBER FRANCE à payer à Mme [U] [R] 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société SCHREIBER FRANCE aux dépens.
Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE
Minute en seize pages
PH
DU 18 JANVIER 2024
N° RG 22/02307 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FB3D
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERDUN
F 20/00041
12 septembre 2022
COUR D'APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2
APPELANTE :
Madame [U] [R]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Etienne GUIDON de la SELARL CABINET GUIDON - BOZIAN, substitué par Me PERROT , avocat au barreau de NANCY
INTIMÉE :
S.A.S.U. SCHREIBER FRANCE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Nicolas CAPILLON de la SELARL CAPILLON ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substitué par Me MOUTON, avocate au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré,
Président : WEISSMANN Raphaël,
Conseillers : BRUNEAU Dominique,
STANEK Stéphane,
Greffier lors des débats : RIVORY Laurène
DÉBATS :
En audience publique du 19 Octobre 2023 ;
L'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 18 Janvier 2024 ; par mise à disposition au greffe conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
Le 18 Janvier 2024, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES
Madame [U] [R] a été engagée sous contrat de travail à durée indéterminée, par la société SAS SCHREIBER FRANCE à compter du 04 juin 2018, en qualité de responsable des ressources humaines.
La convention collective nationale de l'industrie laitière s'applique au contrat de travail.
Le temps de travail de la salariée était soumis à une convention individuelle de forfait annuel, à hauteur de 213 jours.
Par courrier du 24 septembre 2019, Madame [U] [R] a été convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 04 octobre 2019, reporté au 11 octobre 2019, avec notification de sa mise à pied à titre conservatoire.
Par courrier du 29 octobre 2019, Madame [U] [R] a été licenciée pour faute grave.
Par requête du 21 décembre 2020, Madame [U] [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Verdun, aux fins :
- d'enjoindre à la société SAS SCHREIBER FRANCE de produire son règlement intérieur,
- de dire et juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- en conséquence, de condamner la société SAS SCHREIBER FRANCE à lui payer les sommes suivantes :
- 10 051,26 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, équivalente à 2 mois de salaires bruts,
- 1 746,40 euros nets à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 15 076,89 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 1 507,68 euros au titre des congés payés y afférents,
- 5 025,63 euros correspondant à un mois de salaire, à titre de dommages-et-intérêts pour l'existence de conditions vexatoires entourant son licenciement,
- 5 025,63 euros bruts au titre de la mise à pied conservatoire du 24 septembre au 23 octobre 2019, correspondant à un mois de salaire, outre la somme de 502,56 euros au titre des congés payés y afférents,
- de déclarer nul et de nul effet le forfait jours,
- en tout état de cause, de lui déclarer inopposable les effets du forfait jours présent dans son contrat de travail et fixer son horaire de travail sur une base horaire de 151,67 heures mensuelles,
- en conséquence, de condamner la société SAS SCHREIBER FRANCE à lui payer les sommes suivantes :
- 44 724,00 bruts de rappel de salaire du fait des heures supplémentaires non payées, outre 4 472,40 euros bruts de congés payés sur rappels de salaires sur heures supplémentaires,
- 23 455,00 euros nets de dommages et intérêts au titre de la compensation obligatoire en repos non allouée sur le fondement de l'article L.3121-28 du code du travail,
- 5 025,63 euros au titre des dommages et intérêts du fait de la violation manifeste par son employeur des règles relatives aux durées maximales de travail et temps de repos, soit l'équivalent d'un mois de salaire,
- 30 153,78 euros au titre des dommages et intérêts pour travail dissimulé sur le fondement de l'article L.8221-5 du code du travail,
- 10 000,00 euros de dommages et intérêts au titre d'exécution déloyale du contrat de travail, sur le fondement de l'article L.1222-1 du code du travail,
- d'ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile,
- de condamner la société SAS SCHREIBER FRANCE à 3 500,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Verdun rendu le 12 septembre 2022, lequel a :
- déclaré la requête de Madame [U] [R] fondée en partie,
- ordonné à la société SAS SCHREIBER FRANCE de produire son règlement intérieur,
- dit que le licenciement de Madame [U] [R] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
- débouté Madame [U] [R] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamné la société SAS SCHREIBER FRANCE à verser à Madame [U] [R] les sommes suivantes :
- 1 746,40 euros nets à titre d'indemnité de licenciement conventionnel,
- 15 076,89 euros bruts au titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 1 507,68 euros bruts au titre des congés payés sur préavis,
- 5 025,63 euros pour violation manifeste des règles relatives à la durée du temps de travail et du temps de repos,
- condamné la société SAS SCHREIBER FRANCE à verser à Madame [U] [R] la somme de 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté Madame [U] [R] de l'ensemble de ses autres demandes,
- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire,
- laissé les dépens à la charge de chacune des parties.
Vu l'appel formé par Madame [U] [R] le 12 octobre 2022,
Vu l'appel incident formé par la société SAS SCHREIBER FRANCE le 07 avril 2023,
Vu l'article 455 du code de procédure civile,
Vu les conclusions de Madame [U] [R] déposées sur le RPVA le 03 juillet 2023, et celles de la société SAS SCHREIBER FRANCE déposées sur le RPVA le 03 octobre 2023,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 04 octobre 2023,
Madame [U] [R] demande :
- de l'accueillir en son appel,
- de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Verdun le 12 septembre 2022, en ce qu'il a :
- ordonné à la société SAS SCHREIBER FRANCE de produire son règlement intérieur,
- condamné la société SAS SCHREIBER FRANCE à lui verser les sommes suivantes :
- 1 746,40 euros nets à titre d'indemnité de licenciement conventionnel,
- 15 076,89 euros bruts au titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 1 507,68 euros bruts au titre des congés payés sur préavis,
- 5 025,63 euros pour violation manifeste des règles relatives à la durée du temps de travail et du temps de repos,
- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- dit que son licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
- l'a débouté de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- l'a débouté de l'ensemble de ses autres demandes,
Statuant à nouveau :
- de juger le licenciement notifié comme dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- de condamner la société SAS SCHREIBER FRANCE à lui payer les sommes suivantes :
- 10 050,00 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, équivalente à 2 mois de salaires bruts,
- 5 025,00 euros correspondant à un mois de salaire, à titre de dommages-et-intérêts pour l'existence de conditions vexatoires entourant son licenciement,
- 5 025,00 euros bruts au titre de la mise à pied conservatoire du 24 septembre au 23 octobre 2019, correspondant à un mois de salaire,
- 502,50 euros au titre des congés payés y afférents,
- de juger nul et de nul effet son forfait jours,
- en tout état de cause, de lui déclarer inopposable les effets du forfait jour présent dans son contrat de travail et fixer son horaire de travail sur une base horaire de 151,67 heures mensuelles,
- en conséquence, de condamner la société SAS SCHREIBER FRANCE à lui payer les sommes suivantes :
- 44 724,00 bruts de rappel de salaire du fait des heures supplémentaires non payées,
- 4 472,40 euros bruts de congés payés sur rappels de salaires sur heures supplémentaires,
- 23 455,00 euros nets de dommages et intérêts au titre de la compensation obligatoire en repos non allouée sur le fondement de l'article L.3121-28 du code du travail,
- 5 025,00 euros au titre des dommages et intérêts du fait de la violation manifeste par son employeur des règles relatives aux durées maximales de travail et temps de repos, soit l'équivalent d'un mois de salaire,
- 30 150,00 euros au titre des dommages et intérêts pour travail dissimulé sur le fondement de l'article L.8221-5 du code du travail,
- 10 000,00 euros de dommages et intérêts au titre d'exécution déloyale du contrat de travail, sur le fondement de l'article L.1222-1 du code du travail,
- de débouter la société SAS SCHREIBER FRANCE de son appel incident,
- de condamner la société SAS SCHREIBER FRANCE à la somme de 3 500,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel,
- de condamner la société SAS SCHREIBER FRANCE aux dépens qui comprendront les éventuels frais d'exécution forcée.
La société SAS SCHREIBER FRANCE demande :
- d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Verdun rendu le 12 septembre 2022 en ce qu'il l'a condamnée à verser à Madame [U] [R] les sommes suivantes :
- 1 746,40 euros nets à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 15 076,89 euros bruts au titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 1 507,68 euros bruts au titre des congés payés sur préavis,
- 5 025,63 euros pour violation manifeste des règles relatives à la durée du temps de travail et du temps de repos,
- 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de confirmer le jugement entrepris pour le surplus,
En conséquence :
- de dire et juger Madame [U] [R] non fondée en l'intégralité de ses demandes,
- de débouter Madame [U] [R] de ses demandes,
- de condamner Madame [U] [R] au paiement de la somme de 3 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner Madame [U] [R] aux entiers dépens.
SUR CE, LA COUR
Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières écritures qu'elles ont déposées sur le RPVA, s'agissant de l'employeur le 03 octobre 2023, et en ce qui concerne la salariée le 03 juillet 2023.
Sur le licenciement
La lettre de licenciement du 23 octobre 2019 (pièce 3 de l'employeur) indique :
« Madame,
Je donne suite à notre entretien du 11 octobre 2019 au cours duquel j'ai pu recueillir vos observations sur les griefs que je vous exposais. Vous étiez assistée de Monsieur [D] [H], Délégué du personnel et membre du Comité d'Entreprise.
Ces motifs sont les suivants :
Vous occupez les fonctions de Responsable des Ressources Humaines au sein de notre Etablissement de [Localité 4]. A ce titre, vous avez pour mission de veiller à la qualité du dialogue social et au bien-être des collaborateurs de cet établissement. Pour ce faire, vous disposez d'une équipe que vous encadrez et dont vous êtes responsable.
Or, nous devons constater que vous entretenez des rapports conflictuels avec vos différents interlocuteurs au sein de l'entreprise dont les instances représentatives du personnel qui s'en sont d'ailleurs plaintes.
Pire, à l'occasion d'une discussion sur la fin de son stage, Madame [E] [L], qui travaillait dans votre service, a indiqué à Monsieur [B] que vous faisiez peser sur elle une très forte pression. Elle a expliqué que la tension que vous lui faisiez subir était « oppressante ». Elle a encore indiqué que la pression qu'elle subissait et les altercations qui en découlaient avaient affecté son moral. Elle a même pu observer que vous aviez contacté le responsable de son Master pour lui transmettre des informations erronées à son encontre dans le but de la faire échouer.
Cette situation a été confirmée à Monsieur [B] par une autre de vos collaboratrices -qui vous avait entendu parler « très mal » à Madame [L] et qui avait « à plusieurs reprises récupéré [E] en larmes ».
Monsieur [B] a tenu à recevoir chacun des membres de votre service qui ont également fait état d'un climat de travail très dur, évoquant votre humeur très changeante. Certains de vos collaborateurs ont indiqué venir travailler la boule au ventre ou subir des troubles du sommeil, craignant toujours vos reproches. D'autres indiquent se sentir rabaissés ou surveillés au quotidien.
Il a même été rapporté que vous aviez insulté une employée de l'accueil après lui avoir hurlé dessus. Cette employée a expliqué avoir été obligée de cacher son travail à chacun de vos passages sous peine d'être sanctionnée si bien qu'elle dit avoir perdu toute confiance en elle et venir travailler chaque jour avec crainte et peur au ventre.
Ainsi, il apparaît que le personnel amené à travailler avec vous se trouve en grande difficulté du fait de votre comportement, manifestement répété, au point que certains sont dorénavant affectés moralement.
Compte tenu de vos fonctions et plus généralement de vos compétences, le comportement qui vous est reproché est particulièrement inacceptable. Il constitue une faute d'une particulière gravité en ce qu'il porte atteinte à l'intégrité des personnes travaillant avec vous. Il est également incompatible avec les missions qui vous sont confiées puisque, par nature, elles doivent vous sensibiliser contre ce type d'attitude.
Ces faits interdisent donc la poursuite de nos relations contractuelles y compris pendant la période du préavis.
En conséquence, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave. (...) »
- sur la prescription des griefs :
Mme [U] [R] fait valoir que les faits qui lui sont reprochés sont prescrits, ceux-ci n'étant pas datés, et alors que l'article L. 1332-4 du code du travail enferme la procédure disciplinaire dans des délais très stricts.
La société SCHREIBER FRANCE explique que Mme [L] n'a révélé les faits dont elle a été victime qu'à la fin de son stage, et que l'entretien qu'elle a eu avec M. [B] date du mois de septembre 2019, soit moins de 2 mois avant l'engagement de la procédure de licenciement.
Elle ajoute qu'à la suite de cette révélation, M. [B] a entendu les membres de l'équipe de Mme [U] [R], et que ce n'est qu'à l'issue de ces entretiens que l'employeur a eu une connaissance pleine et entière des faits commis par la salariée.
Motivation
Aux termes des dispositions de l'article L1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
La société SCHREIBER FRANCE renvoie à la pièce 16 de Mme [U] [R] ; il s'agit d'un mail de Mme [U] [R], daté du 23 août 2019, adressé à Mme [E] [L], ayant pour objet « fin de stage », lui souhaitant une bonne continuation dans sa vie professionnelle et lui demandant de restituer du matériel (badge etc.).
La société SCHREIBER FRANCE invoque des attestations, qu'elle liste lorsqu'elle aborde les griefs ; ces attestations figurent en pièces 8 à 13 dans le bordereau de communication de pièces.
La moins récente de ces attestations est datée du 02 octobre 2019, la plus récente est datée du 10 octobre 2019 (en dehors de celle de Mme [L] du 11 octobre).
L'employeur démontre ainsi de manière suffisante qu'il n'a pas eu connaissance de l'ensemble des griefs avant le début du mois d'octobre 2019, et en tous les cas après la fin du stage de Mme [L], qui s'est terminé le 23 août.
La procédure disciplinaire ayant été engagée le 24 septembre 2019 avec la lettre de convocation à un entretien préalable (pièce 2 de l'employeur), les faits n'étaient pas prescrits à cette date.
- sur les griefs
La société SCHREIBER FRANCE explique que les attestations relatent les difficultés relationnelles que les attestantes ont rencontrées du fait de Mme [R].
Elle en cite des extraits dans ses écritures.
L'intimée affirme que Mme [U] [R] a fait régner un climat de peur auprès des salariées travaillant avec elle.
La société SCHREIBER FRANCE affirme qu'elle se devait de faire cesser immédiatement les agissements de Mme [U] [R].
Elle indique contester les difficultés alléguées par Mme [U] [R], et ajoute que, quand bien même elles seraient prouvées, rien ne justifie ce qu'elle a fait subir à ses collaboratrices.
Mme [U] [R] explique, s'agissant de Mme [E] [L], avoir indiqué à son responsable pédagogique que son travail n'était pas satisfaisant ; elle ajoute qu'elle a simplement fait remarquer que le travail attendu de sa part n'avait pas été réalisé, sans tenir de propos déplacés ou excessifs.
Elle invoque par ailleurs le principe de liberté d'expression quant à son appréciation sur le travail de la stagiaire.
Elle fait valoir que les attestations de Mme [X] et de Mme [V] sont imprécises.
Mme [U] [R] estime que ce que lui reproche Mme [I] dans son attestation ne relève que de son pouvoir de supervision du travail de ses subordonnées; elle ajoute que Mme [I] souffrait d'un manque de confiance en elle, et était stressée par son évolution interne récente.
Elle fait valoir ses messages à ses collaboratrices, les remerciant pour leur travail.
L'appelante tire également argument de ce que l'employeur n'a pas organisé d'enquête interne, alors que sont présumés des faits de harcèlement moral.
Motivation
Aux termes de l'article L1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.
La lettre de licenciement fixe les limites du litige et c'est au regard des motifs qui y sont énoncés que s'apprécie le bien-fondé du licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. C'est à l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier d'en rapporter la preuve.
Il ressort des attestations produites aux débats que si les salariées qui témoignent se plaignent de l'attitude de Mme [U] [R], c'est sa manière d'être générale qui est mise en exergue : par exemple, Mme [S] [V] lui reproche de ne pas lui dire bonjour en arrivant (pièce 8) ; Mme [Z] [I] et Mme [Y] [F] indiquent avoir constaté plusieurs fois ses changements d'humeur, passant de la colère à l'euphorie ou encore à la crise de larmes (pièces 9 et 10).
Certains reproches émis sont plus verbalisés quant au comportement visé, sans être pour autant suffisamment circonstanciés, par exemple quant aux propos qui auraient été tenus. (Mme [I] indique qu' « elle a élevé le ton à plusieurs reprises sur moi » (pièce 9) ; Mme [F] indique « J'ai aussi été témoin des agressions envers mes collègues et de ses moqueries quotidiennes. Nos journées étaient ponctuées de reproches (') Je me souviens de l'altercation du 11 juillet 2019 où elle m'a manqué de respect et rabaissé devant mes collègues(') » (pièce10) ; etc. ,
Mme [S] [V] (agente d'entretien) lui reproche d'avoir fait appel à une société de nettoyage ; elle explique s'être sentie remise en cause dans son travail, sans pour autant qu'il soit possible de distinguer une décision qui ne ressortisse pas du pouvoir d'organisation de Mme [U] [R].
Pour le surplus, elle fait état de la manière dont elle a ressentit la situation : elle explique qu'elle l'a ressenti comme une pression, et était anxieuse en permanence.
Mme [T] [M] (pièce 11) explique que Mme [U] [R] « était désagréable et cassante envers moi ».
Elle fait état d'une insulte que Mme [U] [R] a proféré contre elle le 22 octobre 2018, rentrant énervée d'un déplacement , se mettant à lui hurler dessus en pleurant, et lui ayant dit « Qu'elle est con celle-là ».
Mme [A] [X] explique que Mme [U] [R] critiquait le travail de la stagiaire [E] [L], mais sans donner de précisions. Elle explique également avoir assisté à des disputes entre « [U] et [E], où [U] parlait très mal à [E] », mais elle ne cite aucun propos.
Mme [E] [L] (pièce 13) explique que Mme [U] [R] « exerçait sur moi une pression continue pour rendre le travail dans des délais irréalisables. De plus j'ai été informée que Mme [R] critiquait mon travail derrière mon dos (') Mme [R] a essayé de compromettre l'obtention de mon diplôme de psychologue en contactant le responsable de mon master pour lui transmettre des informations erronées à mon égard ».
Cependant, Mme [L] ne donne pas plus de précisions ; la société SCHREIBER FRANCE ne fournit aucune pièce complémentaire.
La lettre de licenciement reproche des mauvaises relations avec les représentants du personnel.
La société SCHREIBER FRANCE ne précise pas ce grief dans ses écritures ; elle n'en justifie pas.
Dans ces conditions, les fautes reprochées ne sont pas suffisamment établies.
En conséquence, le licenciement sera dit sans cause réelle et sérieuse.
Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire
Mme [U] [R] explique avoir été convoquée à l'entretien préalable le lendemain du décès de son beau-père, et que le jour de cet entretien, soit le 24 septembre 2019, M. [P] [B] lui a demandé de vider son bureau de ses effets personnels, et ses accès informatiques ont été coupés.
Elle sollicite des dommages et intérêts équivalents à un mois de salaire.
LA société SCHREIBER FRANCE fait valoir avoir exercé son droit de rompre le contrat de travail, et que la mise à pied conservatoire est une modalité procédurale admise.
Elle ajoute que Mme [U] [R] ne justifie pas d'un préjudice.
Motivation
La société SCHREIBER FRANCE n'ayant pas dépassé la stricte application d'une procédure en cas de faute grave reprochée par l'employeur, qui doit être exercée avec diligence, la circonstance qu'elle doive être mise en œuvre alors que le décès du beau-père de Mme [U] [R] est intervenu, étant indépendante de la volonté de l'employeur, Mme [U] [R] sera déboutée de sa demande à ce titre.
Sur les conséquences financières de la rupture
Mme [U] [R] demande la condamnation de la société SCHREIBER FRANCE à lui payer 10 050 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qu'elle présente comme équivalente à deux mois de salaire, et à lui payer 50 25 euros à titre de rappel de salaire pour la mise à pied du 24 septembre au 23 octobre 2019, outre 502,50 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents.
La société SCHREIBER FRANCE ne conclut pas sur ce point.
Motivation
Le licenciement étant dépourvue de cause réelle et sérieuse, les demandes de Mme [U] [R] sont fondées en leur principe.
En l'absence de contestation subsidiaire de l'employeur sur le quantum des demandes, il y sera fait droit.
Sur la convention de forfait
Mme [U] [R] indique qu'elle était soumise à une convention de forfait en jours, signée le 28 mai 2018.
Elle fait valoir que l'obligation de tenir des entretiens dédiés au forfait ou à la déconnexion n'a pas été respectée. Elle rappelle que l'accord de branche de l'industrie laitière, du 03 juin 2016, impose un entretien annuel portant sur la charge de travail et l'articulation entre vie professionnelle et vie personnelle.
Elle ajoute que l'accord de branche, qui prévoit la mise en place d'un document individuel de suivi des périodes d'activité, des jours de repos et des jours de congé, n'a pas été respecté non plus sur ce point.
La société SCHREIBER FRANCE affirme que Mme [U] [R] était cadre dirigeante, et en conséquence n'était pas soumise au décompte de son temps de travail.
Elle ajoute que si les outils de suivi de la charge des salariés n'ont pas été mis en place, c'est en raison de sa carence.
Motivation
L'article L. 3121-65 du code du travail dispose qu'une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve du respect des dispositions suivantes:
1o L'employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l'employeur, ce document peut être renseigné par le salarié;
2o L'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires;
3o L'employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.
En l'espèce, il n'est pas contesté que l'employeur n'a pas respecté son obligation, imposée par les dispositions précitées.
La société SCHREIBER FRANCE affirme que Mme [U] [R] était cadre dirigeante, en tant que membre du CODIR de l'entreprise.
L'intimée n'établit pas cette qualité de cadre dirigeante, alors que son contrat de travail (pièce 1 de l'employeur) précise qu'elle est cadre, niveau 10 de la convention collective.
La société SCHREIBER FRANCE affirme également que si aucun suivi de la charge de travail n'a été mis en place, c'est en raison de la carence de Mme [U] [R] qui était DRH.
Il convient cependant de rappeler que l'article L3121-65 précité du code du travail s'impose à l'employeur, et s'imposait à lui dès lors qu'il a indiqué dans le contrat de travail que la relation de travail était soumise à une convention de forfait, contrat de travail qui stipulait expressément que « A l'occasion d'un entretien annuel, la Salariée et la Société vérifieront la compatibilité des objectifs et de la charge de travail avec ce forfait ». (article 5 in fine du contrat de travail).
Dans ces conditions, la convention de forfait prévue dans le contrat de travail est inopposable à Mme [U] [R], la durée légale de travail trouvant dès lors à s'appliquer.
Sur la demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires
L'article L. 3171-4 du code du travail dispose qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction.
Il ressort de cette règle que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties mais que le salarié doit appuyer sa demande en paiement d'heures supplémentaires par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.
Mme [U] [R] indique avoir effectué des heures supplémentaires, et renvoie à sa pièce 8 bis ' relevés d'heures et décomptes des heures supplémentaires et de la contrepartie obligatoire en repos ' et à sa pièce 10 ' planning Outlook.
Elle produit en pièce 8 bis des tableaux de décompte, jour par jour de ses horaires de travail, détaillant également les heures supplémentaires majorées à 25 % et celles majorées à 50 %, et le nombre d'heures de repos compensateur.
Cette pièce est suffisamment précise pour permettre à l'employeur d'y répondre avec ses propres éléments, la charge du contrôle des heures de travail lui incombant.
La société SCHREIBER FRANCE ne produit aucun élément justifiant les heures de travail de Mme [U] [R], contredisant les pièces de cette dernière.
La société SCHREIBER FRANCE critique les décomptes d'heures, qu'elle estime contradictoires, indiquant des heures de présence au travail inchangés chaque jour, ce qui est impossible au regard de ses responsabilités.
Dans ces conditions, il sera fait droit à la demande, les calculs de Mme [U] [R] n'étant pas contestés à titre subsidiaire par l'employeur.
Sur la demande d'indemnité au titre du travail dissimulé
Aux termes des dispositions de l'article L8221-5 du Code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.
Mme [U] [R] ne fait valoir aucun argument tendant à établir l'intention de l'employeur de dissimuler les heures supplémentaires, indiquant simplement que la société SCHREIBER FRANCE ne peut nier qu'elle avait connaissance de la totalité des heures de travail qu'elle effectuait.
En conséquence, elle sera déboutée de sa demande à ce titre.
Sur la demande au titre de la violation des durées maximales de travail et des repos
Aux termes des dispositions des articles L3121-18 et 19 du code du travail, sauf dérogation par accord collectif, la durée quotidienne de travail effectif ne peut pas dépasser 10 heures.
L'article L3121-20 du même code dispose que la durée maximale hebdomadaire de travail est de 48 heures.
Mme [U] [R] fait valoir qu'il ressort de ses pièces 8 bis et 10 qu'elle a travaillé plus de 50 heures par semaine et plus de 10 heures d'affilée par jour.
La société SCHREIBER FRANCE explique que Mme [U] [R] disposait d'une totale autonomie dans l'organisation de son travail, en qualité de cadre dirigeant, et que ses tableaux ne sont pas probants, émanant d'elle-même.
Elle fait également valoir que Mme [U] [R] ne justifie pas de son préjudice.
Motivation
Il résulte des développements qui précèdent que Mme [U] [R] n'était pas cadre dirigeante, et que sa pièce 8 bis n'est contredite par aucune pièce de l'employeur de décompte des heures de travail.
Le non-respect des durées de travail et des repos cause nécessairement un préjudice au salarié, notamment en termes de santé et de respect de la vie personnelle et familiale.
En conséquence, et en l'absence de contestation subsidiaire, par la société SCHREIBER FRANCE, de la somme réclamée, il sera fait droit à la demande.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre des contreparties obligatoires en repos
Mme [U] [R] expose que la convention collective fixe à 150 heures le contingent annuel d'heures supplémentaires. Elle réclame à ce titre 23 455 euros.
La société SCHREIBER FRANCE développe la même argumentation globale pour les demandes de nullité du forfait, de rappel d'heures supplémentaires, et de compensation obligatoire en repos.
Motivation
Il résulte des développements qui précèdent que la société SCHREIBER FRANCE ne produit aucune pièce justifiant de son point de vue les heures de travail accomplies par la salariée, de telle sorte qu'il y a lieu de tenir compte des décomptes que cette dernière produit en pièce 8 bis.
Cette pièce porte notamment décompte du nombre d'heures de repos compensateur.
En l'absence de contestation subsidiaire par l'employeur du quantum de la demande, il y sera fait droit.
Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
Mme [U] [R] fait valoir que son employeur n'a jamais organisé d'entretien sur le fonctionnement du forfait jours, et l'a laissée continuer à travailler de manière intensive.
La société SCHREIBER FRANCE fait valoir que si la Cour devait considérer qu'elle a commis des fautes, il conviendra de relever que Mme [U] [R] sollicite déjà par ses autres demandes l'indemnisation de son préjudice.
Motivation
Mme [U] [R] fait valoir l'absence d'entretien sur l'exécution de la convention de forfait, ainsi que ses heures supplémentaires.
Elle n'argue pas de préjudices particuliers, alors qu'il résulte des développements qui précèdent qu'elle bénéficiera d'un rappel de salaire sur heures supplémentaires , d'indemnités pour non-respect des durées de travail et des repos, et de dommages et intérêts au titre de la contrepartie obligatoire en repos, ces préjudices étant dès lors indemnisés.
Dans ces conditions, Mme [U] [R] sera déboutée de sa demande à ce titre.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant à l'instance, la société SCHREIBER FRANCE sera condamnée à payer à Mme [U] [R] 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle sera également condamnée aux dépens ; Mme [U] [R] sera déboutée de sa demande de condamnation aux éventuels frais d'exécution de la décision, cette demande apparaissant prématurée à ce stade.
PAR CES MOTIFS
La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
Infirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Verdun le 12 septembre 2022, en ce qu'il a débouté Madame [U] [R] de ses demandes :
- de juger le licenciement notifié comme dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- de condamner la société SAS SCHREIBER FRANCE à lui payer les sommes suivantes :
- 10 050,00 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, équivalente à 2 mois de salaires bruts,
- 5 025,00 euros correspondant à un mois de salaire, à titre de dommages-et-intérêts pour l'existence de conditions vexatoires entourant son licenciement,
- 5 025,00 euros bruts au titre de la mise à pied conservatoire du 24 septembre au 23 octobre 2019, correspondant à un mois de salaire,
- 502,50 euros au titre des congés payés y afférents,
- de lui déclarer inopposable les effets du forfait jour présent dans son contrat de travail et fixer son horaire de travail sur une base horaire de 151,67 heures mensuelles,
- en conséquence, de condamner la société SAS SCHREIBER FRANCE à lui payer les sommes suivantes :
- 44 724,00 bruts de rappel de salaire du fait des heures supplémentaires non payées,
- 4 472,40 euros bruts de congés payés sur rappels de salaires sur heures supplémentaires,
- 23 455,00 euros nets de dommages et intérêts au titre de la compensation obligatoire en repos non allouée sur le fondement de l'article L.3121-28 du code du travail,
- 5 025,00 euros au titre des dommages et intérêts du fait de la violation manifeste par son employeur des règles relatives aux durées maximales de travail et temps de repos, soit l'équivalent d'un mois de salaire ;
Le confirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau dans ces limites,
Dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Dit que la convention de forfait en jours est inopposable à Mme [U] [R] ;
Condamne la société SCHREIBER FRANCE à payer à Mme [U] [R] :
- 10 050,00 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 5 025,00 euros au titre de la mise à pied conservatoire,
- 502,50 euros au titre des congés payés y afférents,
- 44 724,00 bruts de rappel de salaire pour heures supplémentaires,
- 4 472,40 euros bruts de congés payés sur rappels de salaires sur heures supplémentaires,
- 23 455,00 euros nets de dommages et intérêts au titre de la compensation obligatoire en repos,
- 5 025,00 euros au titre des dommages et intérêts du fait de la violation des règles relatives aux durées maximales de travail et temps de repos ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes
Y ajoutant,
Condamne la société SCHREIBER FRANCE à payer à Mme [U] [R] 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société SCHREIBER FRANCE aux dépens.
Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE
Minute en seize pages