Décisions
CA Limoges, ch. civ., 18 janvier 2024, n° 22/00766
LIMOGES
Arrêt
Autre
ARRET N° 15
N° RG 22/00766 - N° Portalis DBV6-V-B7G-BIMIF
AFFAIRE :
S.A.S. A.J.P
C/
CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 3] CENTRE
GS/LM
Demande en réparation des dommages causés par les salariés et apprentis, formée contre l'employeur
Grosse délivrée aux avocats
COUR D'APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE CIVILE
---==oOo==---
ARRET DU 18 JANVIER 2024
---===oOo===---
Le DIX HUIT JANVIER DEUX MILLE VINGT QUATRE la chambre civile a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :
ENTRE :
S.A.S. A.J.P La Société A.J.P a été transformée de SARL en SAS par délibération des associés en date du 28.05.2021, demeurant [Adresse 4] - [Localité 2]
représentée par Me Marion ROSSIN-BOISSEAU de la SELARL JURILIM, avocat au barreau de LIMOGES, Me Sophie LEVY de la SELARL PUYBARAUD - LEVY, avocat au barreau de BORDEAUX
APPELANTE d'une décision rendue le 15 SEPTEMBRE 2022 par le TRIBUNAL JUDICIAIRE HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE LIMOGES
ET :
CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 3] CENTRE, demeurant [Adresse 1] - [Localité 3]
représentée par Me Laetitia DAURIAC de la SELARL DAURIAC ET ASSOCIES, avocat au barreau de LIMOGES
INTIMEE
---==oO§Oo==---
Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 16 Novembre 2023. L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 octobre 2023.
La Cour étant composée de Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, de Monsieur Gérard SOURY et de Madame Marie-Christine SEGUIN, Conseillers, assistés de Madame Line MALLEVERGNE, Greffier. A cette audience, Monsieur Gérard SOURY, Conseiller, a été entendu en son rapport, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.
Puis Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 18 Janvier 2024 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
---==oO§Oo==---
LA COUR
FAITS et PROCÉDURE
Par jugement du 1er février 2018, le tribunal correctionnel de Limoges a déclaré M. [N] [T] coupable de vols commis entre janvier 2015 et février 2017 au préjudice de son employeur, la société AJP.
Statuant sur intérêts civils, la cour d'appel, par arrêt du 4 novembre 2020, a condamné M. [T] à payer à cette société la somme totale de 76 757,43 euros en réparation du préjudice.
Après mise en demeure restée infructueuse, la société AJP a assigné la Caisse de crédit mutuel de [Localité 3] Centre (la banque), auprès de laquelle M. [T] avait ouvert plusieurs comptes, devant le tribunal judiciaire de Limoges pour la voir condamner à lui payer 50 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice, en lui reprochant au visa des articles L.561-2 et suivants du code monétaire et financier et 1240 du code civil, d'avoir manqué à ses devoirs de vigilance et de surveillance, pour ne pas avoir détecté des anomalies apparentes dans le fonctionnement du compte de son client.
La banque s'est opposée à cette prétention et elle a formé une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Par jugement du 15 septembre 2022, le tribunal judiciaire a :
- débouté la société AJP de son action après avoir retenu que si la banque a effectivement commis une faute en ne décelant pas des anomalies apparentes dans le fonctionnement du compte de son client, ce manquement était sans lien de causalité direct avec le préjudice subi par cette société ;
- rejeté la demande de dommages-intérêts de la banque pour procédure abusive.
La société AJP a relevé appel de ce jugement.
MOYENS et PRÉTENTIONS
La société AJP demande la condamnation de la banque à lui payer 222 315 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice financier, subsidiairement 200 083,50 euros si un partage de responsabilité était retenu, ainsi que 10 000 euros en réparation de son préjudice moral. Cette société, qui se prévaut des articles L.561-2 et suivants du code monétaire et financier et 1240 du code civil, soutient qu'en présence d'anomalies apparentes -en dépôts et retraits de fonds-dans le fonctionnement des comptes de son client, M. [T], qui auraient dû éveiller ses soupçons quant la possibilité de commission d'infractions pénales, la banque, tenue à un devoir de vigilance et de surveillance, aurait dû alerter l'organisme de contrôle TRACFIN ; qu'en négligeant de le faire, la banque a manqué aux obligations légales des articles L.561-2 et suivants du code monétaire et financier et commis une faute à son égard, en lien avec son préjudice financier, qui engage sa responsabilité délictuelle.
La banque conclut à la confirmation du jugement, sauf à dire qu'elle n'a commis aucune faute professionnelle.
MOTIFS
M. [N] [T] a été déclaré coupable de vols commis sur une période comprise entre janvier 2015 et février 2017 au préjudice de son employeur, la société AJP.
Il est constant que M. [T] était client de la banque auprès de laquelle il avait ouvert six comptes sur lesquels il a déposé des fonds, dont certains correspondaient à des remises de chèques et des virements en lien avec les vols qui lui sont reprochés.
Les articles L.561-2 et suivants du code monétaire et financier, dans leur rédaction en vigueur à la date des opérations bancaires litigieuses, fixent des limites au secret bancaire et au devoir de non- ingérence du banquier dans les affaires de son client, en mettant à la charge des organismes financiers une obligation de vigilance et d'alerte ayant pour finalité de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, ainsi que, plus généralement, la commission d'infractions pénales.
Outre le fait que l'article L.561-10-2 du code précité fait obligation au banquier de procéder à un examen renforcé de toute opération particulièrement complexe ou d'un montant inhabituellement élevé ou ne paraissant pas avoir de justification économique ou d'objet licite, en se renseignant le cas échéant auprès du client sur l'origine des fonds et leur destination, l'article L.561-15 de ce même code lui impose de déclarer au service mentionné à l'article L. 561-23 les sommes inscrites dans ses livres ou les opérations portant sur des sommes dont il sait ou soupçonne ou a de bonnes raisons de soupçonner qu'elles proviennent d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou sont liées au financement du terrorisme.
Il résulte de ces textes que les obligations de secret bancaire et de non- ingérence dues au client par le banquier ne cèdent que lorsque ce dernier découvre, à l'occasion du fonctionnement du compte, des anomalies caractérisant ou faisant soupçonner l'origine frauduleuse des fonds déposés.
En l'occurrence, la pluralité de comptes ouverts par M. [T] auprès de la même banque -six comptes dont trois correspondent à des placements financiers (livret bleu, livret d'épargne populaire et plan d'épargne logement)- n'est pas en elle-même constitutive d'une anomalie.
Pour soutenir l'existence d'anomalies apparentes qui auraient dû éveiller les soupçons de la banque et déclencher son obligation d'alerte auprès du service TRACFIN, la société AJP fait état du fonctionnement suspect des comptes bancaires de M. [T] entre août 2015 et novembre 2016 :
- dépôts multiples de sommes importantes, disproportionnés au regard du salaire de l'intéressé,
- récurrence des tireurs des chèques,
- virements par 'Paypal',
- retraits de sommes importantes.
Les dépôts litigieux sur la période précitée correspondent à 62 remises de chèques, outre cinq virements par 'Paypal'.
Le rapprochement du montant des dépôts avec le salaire mensuel de M. [T] (1 222 euros par mois) apparaît dépourvu de pertinence en l'absence de toute corrélation obligatoire entre les deux termes de la comparaison.
Surtout, le montant des chèques remis à l'encaissement par M. [T] apparaît relativement modeste. Ces chèques portent, pour leur grande majorité, sur des sommes inférieures à 600 euros, seuls trois chèques étant d'un montant supérieur à 1 000 euros. L'encaissement de ces chèques n'a donné lieu à aucune contestation de la part des tireurs et il n'a été déploré que deux incidents de paiement pour défaut de provision (50 euros et 200 euros en août et septembre 2015). Quant aux cinq virements par 'Paypal', leur montant varie entre 500 euros et 1 350 euros. Sur ce point, le premier juge relève avec exactitude que les sommes déposées par M. [T] sur son compte courant représentent 1 800 euros par mois en moyenne sur la période de août à décembre 2015 et 886 euros par mois au cours de l'année 2016.
Même si le nombre de 62 chèques remis à l'encaissement sur une période d'une quinzaine de mois peut paraître important de la part d'une personne exerçant un emploi salarié, il n'en demeure pas moins que les montants déposés restent en tout état de cause modestes, que l'on prenne chaque dépôt isolément (seulement deux chèques de plus de 2 000 euros, à savoir: 2 500 euros le 31 août 2015 et 2 050 euros le 8 septembre 2015) soit que l'on retienne leur moyenne annuelle telle que précédemment calculée. Ces dépôts ne présentent donc pas dans leur apparence un caractère suffisamment suspect pour justifier le déclenchement par la banque du mécanisme d'alerte prévu à l'article L.561-15 du code monétaire et financier.
S'agissant, à présent, des retraits de fonds, M. [T] n'en a opéré que trois:
- 2 000 euros le 10 septembre 2015,
- 5 000 euros le 26 janvier 2016,
- 4 000 euros le 12 avril 2016.
Il s'agit là d'opérations ponctuelles opérées sur une période de sept mois qui, tant par leur montant que par leur fréquence, ne peuvent être qualifiées d'anomalies.
En définitive, et même en appréhendant le fonctionnement du compte bancaire dans sa globalité, on doit considérer, au vu de ce qui précède, que la banque ne s'est pas trouvée confrontée à une anomalie apparente pouvant laisser suspecter l'origine frauduleuse des fonds déposés par le client et justifier le déclenchement d'une alerte auprès de TRACFIN. Juger autrement dans un tel cas d'espèce reviendrait à imposer une mission générale d'investigation au banquier dans tous les cas où il serait confronté à une opération considérée comme 'anormale' au regard du train de vie réel ou supposé d'un client et à créer un climat de suspicion et d'insécurité incompatible avec les exigences de sérénité et de confiance qui doivent présider dans la vie des affaires.
Par ces motifs tirés de l'absence de faute de la banque, le jugement déféré sera confirmé.
PAR CES MOTIFS
La Cour d'appel statuant par décision contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Limoges le 15 septembre 2022 ;
Vu l'équité, DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société AJP aux entiers dépens.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
Line MALLEVERGNE. Corinne BALIAN.
N° RG 22/00766 - N° Portalis DBV6-V-B7G-BIMIF
AFFAIRE :
S.A.S. A.J.P
C/
CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 3] CENTRE
GS/LM
Demande en réparation des dommages causés par les salariés et apprentis, formée contre l'employeur
Grosse délivrée aux avocats
COUR D'APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE CIVILE
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ARRET DU 18 JANVIER 2024
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Le DIX HUIT JANVIER DEUX MILLE VINGT QUATRE la chambre civile a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :
ENTRE :
S.A.S. A.J.P La Société A.J.P a été transformée de SARL en SAS par délibération des associés en date du 28.05.2021, demeurant [Adresse 4] - [Localité 2]
représentée par Me Marion ROSSIN-BOISSEAU de la SELARL JURILIM, avocat au barreau de LIMOGES, Me Sophie LEVY de la SELARL PUYBARAUD - LEVY, avocat au barreau de BORDEAUX
APPELANTE d'une décision rendue le 15 SEPTEMBRE 2022 par le TRIBUNAL JUDICIAIRE HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE LIMOGES
ET :
CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 3] CENTRE, demeurant [Adresse 1] - [Localité 3]
représentée par Me Laetitia DAURIAC de la SELARL DAURIAC ET ASSOCIES, avocat au barreau de LIMOGES
INTIMEE
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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 16 Novembre 2023. L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 octobre 2023.
La Cour étant composée de Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, de Monsieur Gérard SOURY et de Madame Marie-Christine SEGUIN, Conseillers, assistés de Madame Line MALLEVERGNE, Greffier. A cette audience, Monsieur Gérard SOURY, Conseiller, a été entendu en son rapport, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.
Puis Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 18 Janvier 2024 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
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LA COUR
FAITS et PROCÉDURE
Par jugement du 1er février 2018, le tribunal correctionnel de Limoges a déclaré M. [N] [T] coupable de vols commis entre janvier 2015 et février 2017 au préjudice de son employeur, la société AJP.
Statuant sur intérêts civils, la cour d'appel, par arrêt du 4 novembre 2020, a condamné M. [T] à payer à cette société la somme totale de 76 757,43 euros en réparation du préjudice.
Après mise en demeure restée infructueuse, la société AJP a assigné la Caisse de crédit mutuel de [Localité 3] Centre (la banque), auprès de laquelle M. [T] avait ouvert plusieurs comptes, devant le tribunal judiciaire de Limoges pour la voir condamner à lui payer 50 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice, en lui reprochant au visa des articles L.561-2 et suivants du code monétaire et financier et 1240 du code civil, d'avoir manqué à ses devoirs de vigilance et de surveillance, pour ne pas avoir détecté des anomalies apparentes dans le fonctionnement du compte de son client.
La banque s'est opposée à cette prétention et elle a formé une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Par jugement du 15 septembre 2022, le tribunal judiciaire a :
- débouté la société AJP de son action après avoir retenu que si la banque a effectivement commis une faute en ne décelant pas des anomalies apparentes dans le fonctionnement du compte de son client, ce manquement était sans lien de causalité direct avec le préjudice subi par cette société ;
- rejeté la demande de dommages-intérêts de la banque pour procédure abusive.
La société AJP a relevé appel de ce jugement.
MOYENS et PRÉTENTIONS
La société AJP demande la condamnation de la banque à lui payer 222 315 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice financier, subsidiairement 200 083,50 euros si un partage de responsabilité était retenu, ainsi que 10 000 euros en réparation de son préjudice moral. Cette société, qui se prévaut des articles L.561-2 et suivants du code monétaire et financier et 1240 du code civil, soutient qu'en présence d'anomalies apparentes -en dépôts et retraits de fonds-dans le fonctionnement des comptes de son client, M. [T], qui auraient dû éveiller ses soupçons quant la possibilité de commission d'infractions pénales, la banque, tenue à un devoir de vigilance et de surveillance, aurait dû alerter l'organisme de contrôle TRACFIN ; qu'en négligeant de le faire, la banque a manqué aux obligations légales des articles L.561-2 et suivants du code monétaire et financier et commis une faute à son égard, en lien avec son préjudice financier, qui engage sa responsabilité délictuelle.
La banque conclut à la confirmation du jugement, sauf à dire qu'elle n'a commis aucune faute professionnelle.
MOTIFS
M. [N] [T] a été déclaré coupable de vols commis sur une période comprise entre janvier 2015 et février 2017 au préjudice de son employeur, la société AJP.
Il est constant que M. [T] était client de la banque auprès de laquelle il avait ouvert six comptes sur lesquels il a déposé des fonds, dont certains correspondaient à des remises de chèques et des virements en lien avec les vols qui lui sont reprochés.
Les articles L.561-2 et suivants du code monétaire et financier, dans leur rédaction en vigueur à la date des opérations bancaires litigieuses, fixent des limites au secret bancaire et au devoir de non- ingérence du banquier dans les affaires de son client, en mettant à la charge des organismes financiers une obligation de vigilance et d'alerte ayant pour finalité de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, ainsi que, plus généralement, la commission d'infractions pénales.
Outre le fait que l'article L.561-10-2 du code précité fait obligation au banquier de procéder à un examen renforcé de toute opération particulièrement complexe ou d'un montant inhabituellement élevé ou ne paraissant pas avoir de justification économique ou d'objet licite, en se renseignant le cas échéant auprès du client sur l'origine des fonds et leur destination, l'article L.561-15 de ce même code lui impose de déclarer au service mentionné à l'article L. 561-23 les sommes inscrites dans ses livres ou les opérations portant sur des sommes dont il sait ou soupçonne ou a de bonnes raisons de soupçonner qu'elles proviennent d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou sont liées au financement du terrorisme.
Il résulte de ces textes que les obligations de secret bancaire et de non- ingérence dues au client par le banquier ne cèdent que lorsque ce dernier découvre, à l'occasion du fonctionnement du compte, des anomalies caractérisant ou faisant soupçonner l'origine frauduleuse des fonds déposés.
En l'occurrence, la pluralité de comptes ouverts par M. [T] auprès de la même banque -six comptes dont trois correspondent à des placements financiers (livret bleu, livret d'épargne populaire et plan d'épargne logement)- n'est pas en elle-même constitutive d'une anomalie.
Pour soutenir l'existence d'anomalies apparentes qui auraient dû éveiller les soupçons de la banque et déclencher son obligation d'alerte auprès du service TRACFIN, la société AJP fait état du fonctionnement suspect des comptes bancaires de M. [T] entre août 2015 et novembre 2016 :
- dépôts multiples de sommes importantes, disproportionnés au regard du salaire de l'intéressé,
- récurrence des tireurs des chèques,
- virements par 'Paypal',
- retraits de sommes importantes.
Les dépôts litigieux sur la période précitée correspondent à 62 remises de chèques, outre cinq virements par 'Paypal'.
Le rapprochement du montant des dépôts avec le salaire mensuel de M. [T] (1 222 euros par mois) apparaît dépourvu de pertinence en l'absence de toute corrélation obligatoire entre les deux termes de la comparaison.
Surtout, le montant des chèques remis à l'encaissement par M. [T] apparaît relativement modeste. Ces chèques portent, pour leur grande majorité, sur des sommes inférieures à 600 euros, seuls trois chèques étant d'un montant supérieur à 1 000 euros. L'encaissement de ces chèques n'a donné lieu à aucune contestation de la part des tireurs et il n'a été déploré que deux incidents de paiement pour défaut de provision (50 euros et 200 euros en août et septembre 2015). Quant aux cinq virements par 'Paypal', leur montant varie entre 500 euros et 1 350 euros. Sur ce point, le premier juge relève avec exactitude que les sommes déposées par M. [T] sur son compte courant représentent 1 800 euros par mois en moyenne sur la période de août à décembre 2015 et 886 euros par mois au cours de l'année 2016.
Même si le nombre de 62 chèques remis à l'encaissement sur une période d'une quinzaine de mois peut paraître important de la part d'une personne exerçant un emploi salarié, il n'en demeure pas moins que les montants déposés restent en tout état de cause modestes, que l'on prenne chaque dépôt isolément (seulement deux chèques de plus de 2 000 euros, à savoir: 2 500 euros le 31 août 2015 et 2 050 euros le 8 septembre 2015) soit que l'on retienne leur moyenne annuelle telle que précédemment calculée. Ces dépôts ne présentent donc pas dans leur apparence un caractère suffisamment suspect pour justifier le déclenchement par la banque du mécanisme d'alerte prévu à l'article L.561-15 du code monétaire et financier.
S'agissant, à présent, des retraits de fonds, M. [T] n'en a opéré que trois:
- 2 000 euros le 10 septembre 2015,
- 5 000 euros le 26 janvier 2016,
- 4 000 euros le 12 avril 2016.
Il s'agit là d'opérations ponctuelles opérées sur une période de sept mois qui, tant par leur montant que par leur fréquence, ne peuvent être qualifiées d'anomalies.
En définitive, et même en appréhendant le fonctionnement du compte bancaire dans sa globalité, on doit considérer, au vu de ce qui précède, que la banque ne s'est pas trouvée confrontée à une anomalie apparente pouvant laisser suspecter l'origine frauduleuse des fonds déposés par le client et justifier le déclenchement d'une alerte auprès de TRACFIN. Juger autrement dans un tel cas d'espèce reviendrait à imposer une mission générale d'investigation au banquier dans tous les cas où il serait confronté à une opération considérée comme 'anormale' au regard du train de vie réel ou supposé d'un client et à créer un climat de suspicion et d'insécurité incompatible avec les exigences de sérénité et de confiance qui doivent présider dans la vie des affaires.
Par ces motifs tirés de l'absence de faute de la banque, le jugement déféré sera confirmé.
PAR CES MOTIFS
La Cour d'appel statuant par décision contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Limoges le 15 septembre 2022 ;
Vu l'équité, DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société AJP aux entiers dépens.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
Line MALLEVERGNE. Corinne BALIAN.