Livv
Décisions

CA Chambéry, chbre soc. prud'hommes, 1 février 2024, n° 22/01548

CHAMBÉRY

Arrêt

Autre

CA Chambéry n° 22/01548

1 février 2024

COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 01 FEVRIER 2024

N° RG 22/01548 - N° Portalis DBVY-V-B7G-HCL2

[E] [I]

C/ S.A.S. COYOTE SYSTEM

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Chambéry en date du 21 Juillet 2022, RG F 20/00219

Appelant

M. [E] [I]

né le 04 Décembre 1959 à [Localité 4], demeurant [Adresse 2]

Représenté par Me Frédéric MATCHARADZE de la SELARL FREDERIC MATCHARADZE, avocat au barreau de CHAMBERY

Intimée

S.A.S. COYOTE SYSTEM, demeurant [Adresse 1]

Représentée par Me Benjamin LOUZIER de la SELARL REDLINK, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 23 novembre 2023 par Madame Valéry CHARBONNIER, Présidente de la Chambre Sociale, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Monsieur Cyril GUYAT, conseiller, assisté de Monsieur Bertrand ASSAILLY, greffier, à l'appel des causes, dépôt des dossiers et de fixation de la date du délibéré.

Et lors du délibéré par :

Madame Valéry CHARBONNIER, Président,

Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller

Madame Isabelle CHUILON, Conseiller,

********

Exposé du litige':

M. [E] [I] a été engagé le 3 avril 2015 par la société Baya Consulting en qualité d'analyste programmeur en contrat à durée déterminée de chantier pour effectuer sa mission au sein de la société Fleet Technology sises [Localité 3] (73).

M. [I] a ensuite été embauché en contrat à durée déterminée par société Fleet Technology en qualité de développeur informatique de gestion le 30 septembre 2015 et la relation de travail s'est poursuivie à durée déterminée à compter du 24 décembre 2015.

La convention collective de la métallurgie est applicable.

La société Fleet Technology a été rachetée par la SAS Coyote system en 2017 avec effet au 1er octobre 2020.

Par courrier du 9 mars 2020, la SAS Coyote system a informé M. [E] [I] de son changement de lieu de travail en application de la clause de mobilité figurant dans son contrat de travail.

Par courrier du 14 mars 2020, M. [E] [I] a refusé la mobilité.

A compter du 11 mai 2020, la SAS Coyote system a considéré que M. [E] [I] était en absence injustifiée.

Par courrier du 3 juin 2020, M. [E] [I] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé le 16 juin 2020.

Par courrier du 23 juin 2020, M. [E] [I] a été licencié pour avoir refusé la mobilité géographique.

M. [E] [I] a saisi le conseil des prud'hommes de Chambéry, en date du 21 décembre 2020 aux fins de contester son licenciement et l'exécution loyale de son contrat de travail.

Par jugement du'21 juillet 2022, le conseil des prud'hommes de Chambéry, a':

- Dit que le licenciement n'est pas abusif

- Dit qu'il n'y a pas d'exécution déloyale et défectueuse du contrat de travail, ni d'inégalité de traitement

- Débouté M. [I] de l'intégralité de ses demandes

- Condamné M. [I] à verser à la société Coyote system la somme de 400 euros au titre de l'article 700 du CPC

- Condamné M. [I] aux entiers dépens.

La décision a été notifiée aux parties et M. [E] [I] en a interjeté appel par le Réseau privé virtuel des avocats en date du 19 août 2022.

Par conclusions du'6 avril 2023, M. [E] [I] demande à la cour d'appel de':

- Infirmer le jugement du 21 juillet 2022 dont appel en ce qu'il a :

- Dit que le licenciement n'est pas abusif

- Dit qu'il n'y a pas d'exécution déloyale et défectueuse du contrat de travail, ni d'inégalité de traitement

- Débouté M. [I] de l'intégralité de ses demandes

Et statuant à nouveau :

- Fixer le salaire mensuel de base à 2 744 € bruts ;

- Requalifier le licenciement intervenu en licenciement sans cause réelle et sérieuse

- Condamner la société COYOTE SYSTEM à verser à Monsieur [I] les sommes suivantes, avec intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes :

* 16 463 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

* 67 797 euros nets à titre de préjudice de perte de chance de bénéficier des droits à la retraite

* 10 000 euros nets au titre des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

* 19 944 euros bruts à titre de rappel de salaire au titre de l'égalité de traitement 1 994 euros bruts au titre des congés payés afférents

- Ordonner la remise de bulletins de salaire, de l'attestation Pôle Emploi et du certificat de travail conformes sous astreinte de 50 euros par jour par document à compter du Jugement et se réserver la liquidation de l'astreinte ;

- Condamner la société à verser à Monsieur [I] la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du CPC.

Par conclusions du 31 mai 2023, la Sas Coyote system demande à la cour d'appel de':

- Confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Chambéry du 21 juillet 2022 en toutes ses dispositions ;

- Débouter Monsieur [I] de l'intégralité de ses demandes ;

- Condamner Monsieur [I] au paiement de la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le'2 juin 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.

SUR QUOI':

Sur la demande de rappel de salaire au visa de l'article L.3221-4 du code du travail'«'A travail égal, salaire égal'»):

Moyens des parties :

M. [I] soutient qu'alors qu'il exerçait les mêmes fonctions que M. [F] (Développeur informatique de gestion) avec une ancienneté parfaitement similaire mais une expérience beaucoup plus importante, il percevait un salaire fixe mensuel de 554 € brut de moins. Il demande un rappel de salaires à ce titre.

La SAS Coyote system répond que M. [I] n'apporte aucun élément justifiant qu'il pouvait comparer ses fonctions à celles de M. [F] et que les deux salariés exerçaient les mêmes prérogatives selon le même niveau d'expérience et de responsabilité. Elle soutient au contraire que M. [I] et M. [F] n'avaient pas les mêmes responsabilités, M. [I] étant Cadre niveau 1 et Monsieur [F] Cadre niveau 2, ce qui justifie la différence de rémunération.

Sur ce,

Il résulte du principe 'à travail égal, salaire égal', dont s'inspirent les articles L.1242-14, L.1242-15, L.2261-22.9, L.2271-1.8° et L.3221-2 du code du travail, que l'employeur a l'obligation d'assurer une égalité de rémunération entre les salariés placés dans une situation identique effectuant un même travail ou un travail de valeur égale sauf à justifier de la disparité de salaire existante par des critères objectifs et étrangers à toute discrimination.

Sont considérés comme ayant une valeur égale par l'article L.3221-4 du code du travail les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.

En application de l'article 1315 du code civil, s'il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe 'à travail égal, salaire égal' de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence.

En l'espèce, M. [I] justifie que M. [F] a été embauché en contrat à durée indéterminée en novembre 2015 sur le même poste de''développeur informatique de gestion' au siège social du Bourget du Lac et que ce dernier perçoit une rémunération de 554 € brut de plus que lui alors que M. [I] justifie d'avoir été embauché avant en contrat à durée déterminée à deux reprises pour exercer les fonctions d'analyste de gestion puis de développeur informatique de gestion dans la même entreprise depuis avril 2015, le faisant bénéficier d'une ancienneté dans l'entreprise supérieure à celle de M. [F].

Il résulte par ailleurs de l'attestation de M. [Y], supérieur hiérarchique et du service SI-Gestion composé de M. [I] et [O] [F], qu'ils étaient en charge du développement et de la maintenance des sites et logiciels de gestion du groupe traqueur.

M. [I] satisfait ainsi à l'obligation susvisée de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération.

Il incombe dès lors à la SAS Coyote system de rapporter la preuve d'éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence de niveau et de rémunération en découlant.

Contrairement à ce que l'employeur conclut M. [I] a bien été embauché en qualité de développeur informatique de gestion en contrat à durée déterminée puis en contrat à durée indéterminée et ces mêmes fonctions figurent sur ses bulletins de paie. La SAS Coyote system ne démontre pas que la mention «'dev SI gestion'» figurant sur les bulletins de paie de M. [F] constituerait une fonction distincte, «'avec plus de responsabilités'» comme conclu, que celle de développeur informatique de gestion et le seul fait que M. [F] aurait été remplacé par une personne ayant des fonctions plus larges et des responsabilités sur la gestion de projets contrairement à M. [I] ne suffit pas à démontrer que la différence de rémunération était objectivée par un différent niveau de responsabilité, eu égard au pouvoir d'organisation et de direction de l'employeur pouvant décider de réorganiser les services, les missions et les responsabilités de chacun.

Il convient dès lors par voie d'infirmation du jugement déféré de condamner la SAS Coyote system à lui verser un rappel de salaire à ce titre de 19'944 € outre 1'994 € de congés payés afférents.

La minoration ainsi établie du salaire de M. [I], a entrainé une diminution de ses cotisations et des droits à la retraite mais le salarié ne démontre pas qu'il aurait effectivement travaillé jusqu'à l'âge de 70 ans dans l'entreprise comme conclu. Son préjudice s'analyse donc en une perte de chance que M. [I] devra indemniser à hauteur de 20'000 €.

Sur le bien-fondé du licenciement':

Moyens des parties :

M. [E] [I] soutient que le licenciement est abusif et en tout état de cause le grief prescrit.

Il expose qu'il n'a pas disposé d'un délai de prévenance raisonnable pour lui permettre de s'organiser compte tenu de la période de confinement liée au Covid-19 à partir du 17 mars 2020, l'employeur l'informant 7 jours avant le confinement qu'il devait débuter sa nouvelle vie professionnelle et personnelle à [Localité 5] à 600 kilomètres le 11 mai 2020, jour de fin du confinement national. L'employeur ayant volontairement refusé de prendre en compte la période exceptionnelle d pandémie.

M. [I] fait également valoir que la mise en œuvre de la clause de mobilité dont il a refusé l'application, est injustifiée compte tenu des rares fonctions qui lui étaient confiées'puisque le poste de Développeur et surtout qu'elle portait une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale étant âgé de plus de 60 ans, son épouse souffrant d'une pathologie sévère (maladie de Crohn couplée à un diabète) et en invalidité avec un suivi en Savoie et ses enfants et petits-enfants étant installés à proximité de son domicile.

M. [I] conclut que le fait que la société prétende ne pas accorder à ses salariés la possibilité de travailler de chez eux ne constitue en rien la preuve qu'il était nécessaire de mettre en œuvre la clause de mobilité compte tenu des conditions concrètes de son emploi. Or, une solution de télétravail assortie de l'obligation de se rendre ponctuellement à [Localité 5], aurait été de nature à respecter sa vie privée et familiale et n'aurait nullement été refusée par le salarié.

Le salarié allègue une cause économique dissimulée du licenciement, de nombreux postes ayant été supprimés sans que les salariés concernés fassent pour autant l'objet d'un licenciement pour motif économique. La nouvelle direction a unilatéralement modifié les fonctions de ces salariés, sans leur soumettre le moindre avenant. Ses fonctions n'ont jamais été pourvues après son licenciement.

Enfin, le fait fautif de refus de mobilité est prescrit puisque la société a engagé la procédure de licenciement plus de 2 mois après avoir eu connaissance du refus de mobilité du salarié, par lettre du 14 avril 2020.

La SAS Coyote system répond que le licenciement est parfaitement justifié.

Elle expose que'la clause de mobilité du salarié est parfaitement valable en ce qu'elle énonce sa zone géographique et qu'il avait accepté cette clause en signant son contrat de travail et qu'elle a été mise en œuvre de bonne foi et dans l'intérêt de la société. La société n'avait aucune volonté de supprimer son poste pour des raisons économiques et elle a laissé un délai de prévenance de 2 mois au salarié et proposé une prise en charge de frais d'hébergement, des allers-retours en TGV, des frais de déménagement et la mise en place d'un aménagement particulier pour les salariés ayant des enfants scolarisés.

Elle fait valoir qu'elle ne pouvait avoir connaissance à l'avance de la crise sanitaire et la date de prise de poste au nouveau lieu de travail était le 11 mai 2020, soit après la levée du confinement, permettant donc au salarié de se rendre sur le site.

Le refus du salarié de se conformer à la clause de mobilité était nécessairement fautif et justifie son licenciement. La société aurait pu prononcer un licenciement pour faute grave privant le salarié de son indemnité de licenciement mais n'a prononcé qu'un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Le télétravail résulte d'un accord entre le salarié et l'employeur, il ne peut être imposé à la société. Même si le salarié avait été en télétravail, il aurait été amené à se déplacer sur le nouveau site, ce qu'il a refusé.

Enfin le salarié a retrouvé un emploi et ne démontre pas le préjudice subi.

Sur ce,

La mutation d'un salarié en présence d'une clause de mobilité stipulée dans son contrat de travail est licite et s'analyse en un changement de ses conditions de travail relevant du pouvoir d'administration et de direction de l'employeur.

Il est de jurisprudence constante que l'employeur peut en principe imposer une mutation au salarié dont le contrat de travail comporte une clause de mobilité à la condition que celle-ci définisse de façon précise sa zone géographique d'application, qu'elle soit appliquée de bonne foi et que sa mise en œuvre soit dictée par l'intérêt de l'entreprise. Le juge doit également contrôler que son application ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit du salarié à une vie personnelle et familiale.

La bonne foi étant présumée, cet intérêt l'est aussi, et il incombe au salarié de démontrer que la décision de l'employeur a, en réalité, été prise pour des raisons étrangères à cet intérêt ou bien qu'elle ait été mise en œuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle.

Le refus par le salarié d'une nouvelle affectation aux termes de la clause de mobilité sans motif légitime peut être qualifié de faute grave.

En l'espèce, il est constant que M. [I] occupait depuis le 11 décembre 2015 en contrat à durée indéterminée un poste de un poste de développeur informatique de gestion au siège social de la société Fleet Technology [Localité 3] et que son contrat de travail précisait s'agissant du lieu de travail que «' l'indication du lieu de travail est purement informative et n'interdit pas à la société de le modifier dans l'intérêt de l'entreprise sur le territoire nationale sans l'accord du salarié. Ce changement de lieu de travail ne sera pas considéré comme une modification substantielle du présent contrat de travail'».

Les parties ne contestent pas qu'il en ressort l'existence d'une clause de mobilité.

Il ressort d'un courrier recommandé avec accusé de réception en date du 9 mars 2020 avec pour objet «'changement de lieu de travail en application de la clause de mobilité'» que la SAS Coyote system a informé M. [I] de sa mutation géographique au sein de l'établissement de [Localité 5], ce changement étant effectif le 11 mai 2020. L'employeur précisant dans le courrier que M. [I] bénéficiait de la prise en charge de l'hébergement (hôtel) pendant 1 mois à compter du 11 mai 2020, de la prise en charge d'une partie des frais de voyages pour lui et sa famille, des frais de déménagement sur présentation de trois devis et de la possibilité de faire du télétravail les lundis et vendredi jusqu'au 15 juillet 2020 (fin de l'année scolaire des enfants).

Il appert que le confinement total de la population a été décrété le 17 mars 2020 en raison de la pandémie COVID 19, soit une semaine après le courrier susvisé de mutation, mettant à l'arrêt la circulation des personnes sur le territoire français jusqu'au 11 mai 2020, date de prise d'effet de la mutation de M. [I] .

Si l'employeur ne peut être tenu responsable de cette période de confinement et ne pouvait la prévoir, la notion de délai de prévenance raisonnable impose que le salarié soit en mesure d'organiser sa vie privée et familiale afin de prendre ses fonctions sur son nouveau lieu de travail dans de bonnes conditions.

Il convient dès lors de constater que M. [I] a été dans l'impossibilité de bénéficier du temps suffisant pour organiser sa mutation eu égard à la situation pandémique et le confinement et que la seule prise en charge de son hôtel pendant 1 mois après le début de son travail sur place et le fait comme conclu «' d'étudier la possibilité d'une organisation temporaire de travail pour pallier la crise sanitaire une fois la prise de poste effective'» ne satisfont pas au principe de délai de prévenance raisonnable dans ces conditions particulières de pandémie pour permettre au salarié de s'organiser et de déménager sa famille dans de bonnes conditions.

.

Par conséquent le licenciement de M. [I] du fait du non-respect de sa clause de mobilité doit être jugé sans cause réelle et sérieuse par voie d'infirmation du jugement déféré.

En application des dispositions de l'article L.'1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis'; et, si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par ce texte.

Or, M. [I] qui disposait d'une ancienneté au service de son employeur de plus de 4 ans, 8 mois et 22 jours, peut par application des dispositions précitées, prétendre à une indemnisation du préjudice né de la perte injustifiée de son emploi comprise entre 3 et 5 mois de salaire.

M. [I] était âgé de 61 ans lors de son licenciement, cet âge rendant plus difficile la recherche d'un autre emploi.

Il convient par conséquent de condamner la SAS Coyote system à lui verser 5 mois de salaires à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à savoir la somme de 16'462 €.

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail':

Moyens des parties :

M. [I] allègue l'exécution déloyale de son contrat de travail et demande des dommages et intérêts à ce titre.

Il soutient que l'attitude de son employeur a été d'une rare violence et expose qu'il ne s'est vu confier que des tâches de maintenance depuis 2018 provoquant un véritable Bore-out dû à son délaissement progressif de l'absence de tâches confiées en proportion suffisante.

Il fait également valoir l'absence de toute prise en considération du contexte de crise lié à la pandémie du Covid-19 sur la date effective de la mobilité décidée (11 mai), et son contexte familial, créant un sentiment d'impuissance insupportable avec une situation allant nécessairement mener à son licenciement, dans une période déjà difficile à vivre pour tous psychologiquement du fait du confinement. Il dénonce les manœuvres de la société ayant essayé de le piéger suite à son refus de mobilité, le week-end précédant le 11 mai, en le convoquant soudainement à une réunion d'équipe pour présenter les nouveaux locaux malgré son refus et la nouvelle organisation, afin de trouver une faute et un autre motif de licenciement. Il affirme que l'employeur a refusé de s'engager sur la moindre augmentation de rémunération afin d'accompagner sa mobilité, l'a privé de la possibilité de récupérer ses affaires personnelles du 17 mars 2020 jusqu'au 8 juillet 2020 (4 mois) dans les locaux du Bourget du Lac, malgré des relances continuelles, et sans aucune justification.

La Sas Coyote system conteste avoir exécuté le contrat de manière déloyale.

Elle expose qu'elle a simplement valablement mis en œuvre la clause de mobilité du salarié et a proposé des mesures supplémentaires au salarié. Elle n'a pas refusé le télétravail, mais elle avait besoin au préalable que le salarié prenne son poste sur le nouveau lieu de travail comme tous les autres salariés afin d'organiser le travail et les postes pouvant éventuellement être placés en télétravail.

Sur ce,

Aux termes des dispositions de l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. L'employeur doit en respecter les dispositions et fournir au salarié le travail prévu et les moyens nécessaires à son exécution en le payant le salaire convenu. Le salarié doit s'abstenir de tout acte contraire à l'intérêt de l'entresprise et de commettre un acte moralement ou pénalement répréhensible à l'égard de l'entreprise. Il lui est notamment interdit d'abuser de ses fonctions pour s'octroyer un avantage particulier.

En l'espèce, s'agissant de la modification progressive alléguée de ses fonctions, son délaissement conduisant à un bore-out, M. [I] produit l'attestation de M.[Y], ancien supérieur hiérarchique qui expose que le service était en charge du développement et de la maintenance des sites et logiciels du groupe traqueur et que quelques semaines après le départ de sa responsable, après le rachat, l'intégralité des projets a été gelée puis annulée (projets en cours et à venir). A partir de ce moment-là, M. [I] n'intervenait plus que sur la maintenance d'applications et cette activité est très vite devenue rare.

Cette seule attestation et l'impossibilité de prendre des vacances suite à l'absence de manager ne suffisent pas à démontrer que la SAS Coyote system ne donnait plus à M. [I] la charge de travail suffisante et qu'il était laissé à l'abandon comme conclu. Par ailleurs M. [I] ne justifie pas de l'existence d'un bore-out.

M. [I] ne démontre pas qu'il a été dans l'impossibilité de récupérer ses affaires personnelles avant le 8 juillet 2020 dans les locaux du Bourget du Lac.

M. [I] produit le courrier qu'il a adressé à son employeur le 10 mai 2020 à la suite de sa convocation en date du jeudi 7 mai 2020 pour le 11 mai 2020, dans lequel il reprend les arguments fondant son refus de mobilité et de se déplacer le 11 mai à savoir sa situation personnelle et familiale (épouse souffrant d'une maladie chronique auto-immune grave la plaçant parmi les personne à haut risque), son âge et sa santé incompatible avec la prise de transports en commun en période pandémique.

Il en ressort que l'employeur n'a pas, alerté par la situation de son salarié eu égard à la situation pandémique, prolongé le délai de prévenance pour permettre à M. [I] de prendre ses dispositions en vue de se rendre à la réunion programmée et d'une éventuelle prise de fonction compte tenu de la situation exceptionnelle de confinement.

Il convient dès lors par voie d'infirmation du jugement déféré de juger que la SAS Coyote system a exécuté de manière déloyale le contrat de travail et de la condamner à verser à M. [I] des dommages et intérêts à hauteur de 4'000 € pour exécution déloyale du contrat de travail.

Sur le remboursement des allocations chômage:

Il conviendra, conformément aux dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, d'ordonner d'office à l'employeur le remboursement des allocations chômages perçues par le salarié du jour de son licenciement au jour de la présente décision dans la limite de six mois, les organismes intéressés n'étant pas intervenus à l'audience et n'ayant pas fait connaître le montant des indemnités versés.

Une copie de la présente décision sera adressée à Pôle Emploi à la diligence du greffe de la présente juridiction.

Sur les demandes accessoires':

Il convient d'infirmer la décision de première instance s'agissant des frais irrépétibles et des dépens.

La SAS Coyote system, partie perdante qui sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, devra payer à M. [I] la somme de 2'500 € au titre de ses frais irrépétibles pour l'instance.

PAR CES MOTIFS':

La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

INFIRME le jugement déféré dans son intégralité,

STATUANT à nouveau sur les chefs d'infirmation,

DIT que le licenciement de M. [I] est sans cause réelle et sérieuse,

DIT que la SAS Coyote system a exécuté de manière déloyale le contrat de travail,

CONDAMNE la SAS Coyote system à payer à M. [I] les sommes suivantes':

* 19'944 € au titre du rappel de salaire en en application du principe «'à travail égal, salaire'» égal outre 1'994 € de congés payés afférents

* 16'462 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

* 20'000 € de dommages et intérêts pour perte de chance de droits à la retraite

* 4'000 € de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

Y ajoutant,

CONDAMNE la SAS Coyote system payer la somme de 2 500 € à M. [I] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

ORDONNE le remboursement des allocations chômages perçues par le salarié du jour de son licenciement au jour de la présente décision dans la limite de six mois, Une copie de la présente décision sera adressée à Pôle Emploi à la diligence du greffe de la présente juridiction.

CONDAMNE la SAS Coyote system aux dépens de l'instance.

Ainsi prononcé publiquement le 1er Février 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Valéry CHARBONNIER, Présidente, et Monsieur Bertrand ASSAILLY, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président