Livv
Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 17 janvier 2024, n° 21/00328

ROUEN

Arrêt

Autre

CA Rouen n° 21/00328

17 janvier 2024

N° RG 21/00328 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IVG5

COUR D'APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 17 JANVIER 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

19/00597

Tribunal judiciaire d'Evreux du 24 novembre 2020

APPELANTE :

SA PACIFICA

RCS de Paris 352 358 865

[Adresse 17]

[Localité 16]

représentée et assistée de Me Richard SEDILLOT, avocat au barreau de Rouen

INTIMES :

Monsieur [C] [A]

né le [Date naissance 2] 1973 à [Localité 22]

[Adresse 13]

[Localité 8]

représenté et assisté par Me Nelly LEROUX-BOSTYN, avocat au barreau de l'Eure

Monsieur [T] [N]

né le [Date naissance 12] 1990

[Adresse 18]

[Localité 11]

représenté par Me Vincent BEUX-PRERE, avocat au barreau de Rouen

Monsieur [D] [O]

né le [Date naissance 5] 1993 à [Localité 22]

[Adresse 14]

[Localité 10]

représenté par Me François DELACROIX de la SELARL SELARL DELACROIX, avocat au barreau de l'Eure

Monsieur [L] [S]

ès qualités de représentante légale de [D] [O]

[Adresse 14]

[Localité 10]

représenté par Me François DELACROIX de la SELARL SELARL DELACROIX, avocat au barreau de l'Eure

LA RÉUNION MUTUELLE D'ASSURANCES RÉGIONALES (REMA)

RCS 775 626 377

[Adresse 1]

[Localité 19]

représentée par Me Jamellah BALI de la SCP BALI COURQUIN JOLLY PICARD, avocat au barreau de l'Eure

Monsieur [P] [O]

[Adresse 14]

[Localité 10]

non constitué bien que régulièrement assigné par acte d'huissier de justice remis à l'étude le 2 avril 2021

Monsieur [M] [B] [H]

né le [Date naissance 3] 1989 à [Localité 20]

[Adresse 4]

[Localité 9]

non constitué bien que régulièrement assigné par acte d'huissier de justice remis à l'étude le 2 avril 2021

Monsieur [E] [G]

né le [Date naissance 15] 1985 à [Localité 22]

[Adresse 7]

[Localité 6]

non constitué bien que régulièrement assigné par acte d'huissier remis le 7 avril 2021 selon les disposition de l'article 659 du code de procédure civile

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 13 novembre 2023 sans opposition des avocats devant Mme DEGUETTE, conseillère, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre

Mme Magali DEGUETTE, conseillère

Mme Anne-Laure BERGERE, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Catherine CHEVALIER

DEBATS :

A l'audience publique du 13 novembre 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 17 janvier 2024

ARRET :

RENDU PAR DEFAUT

Prononcé publiquement le 17 janvier 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

*

* *

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Dans la nuit du 18 au 19 septembre 2009, les deux hangars de M. [C] [A] situés à [Localité 21] (27) et contenant de la paille et du lin ont été incendiés volontairement.

Par jugement irrévocable du 24 janvier 2014, le tribunal correctionnel d'Evreux a condamné MM. [M] [B] [H], [T] [N] et [E] [G], pour destruction du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes. Il a reçu les constitutions de partie civile de M. [C] [A] et de son assureur de biens la société Pacifica. Il a condamné solidairement les trois prévenus à payer à

M. [C] [A] les sommes de 158 246,17 euros en réparation de son préjudice matériel et de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral et à la société Pacifica la somme de 779 234,17 euros au titre des travaux réparatoires qu'elle a exposés dans le cadre du sinistre de son assuré.

Suivant jugement irrévocable du 5 février 2014, le tribunal pour enfants d'Evreux a condamné M. [D] [O], mineur au moment des faits, pour complicité des faits précités. Il a reçu la constitution de partie civile de M. [C] [A] et a condamné le mineur, in solidum avec ses parents M. [P] [O] et Mme [L] [S], civilement responsables, et solidairement avec M. [M] [B] [H], M. [T] [N] et M. [E] [G], à payer à celui-ci les indemnités précitées. Il a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la société Pacifica pour défaut de préjudice personnel direct causé par l'infraction.

Par actes d'huissier de justice du 16 septembre 2014, M. [C] [A] a fait assigner MM. [M] [B] [H], [T] [N], [E] [G], [D] [O], [P] [O] ès qualités, Mme [L] [S] ès qualités, et l'assureur de cette dernière la société La Réunion des Mutuelles d'Assurances Régionales (Rema) devant le tribunal de grande instance d'Evreux. Il a demandé leur condamnation in solidum au paiement notamment de la somme de 163 246,17 euros avec capitalisation des intérêts en réparation de son préjudice.

Suivant exploit du même jour, la société Pacifica a fait assigner les mêmes défendeurs en remboursement de la somme de 779 234,17 euros versée à son assuré.

Ces instances ont été jointes.

Par jugement du 24 novembre 2020, le tribunal judiciaire d'Evreux a :

- condamné la société Réunion Mutuelles d'Assurances Régionales, in solidum, avec [D] [O], [L] [S], et [P] [O], civilement responsables, ces derniers étant solidairement condamnés avec [E] [G], [T] [N] et [M] [H] [B], par le tribunal correctionnel d'Evreux le 24 janvier 2014, à payer à M. [C] [A] la somme de 163 246,17 euros à titre de dommages-intérêts,

- débouté M. [C] [A] de sa demande de capitalisation des intérêts en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

- débouté la société Pacifica de sa demande en paiement,

- débouté les parties de leur demande plus ample ou contraire,

- débouté la société Pacifica de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société Réunion Mutuelles d'Assurances Régionales de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Réunion Mutuelles d'Assurances Régionales à payer à

M. [C] [A] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Réunion Mutuelles d'Assurances Régionales aux entiers dépens,

- ordonné l'exécution provisoire.

Par déclarations des 22 et 28 janvier 2021, la Sa Pacifica a formé un appel contre ce jugement.

Ces deux instances ont été jointes le 3 février 2021.

Par arrêt du 16 novembre 2022, la cour d'appel a avant dire droit :

- ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture du 24 août 2022 et la réouverture des débats,

- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état électronique du mercredi 15 mars 2023 à 9 heures pour les conclusions de la société Pacifica sur la fin de non-recevoir tirée de la chose jugée attachée au jugement irrévocable du tribunal correctionnel d'Evreux du 24 janvier 2014 qui a condamné solidairement MM. [M] [B] [H], [T] [N] et [E] [G], à lui payer la somme de 779 234,17 euros au titre des travaux réparatoires qu'elle a exposés dans le cadre du sinistre de son assuré.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 23 août 2022 et précédemment signifiées à MM. [M] [B] [H] le 12 janvier 2022, [E] [G] le 2 décembre 2021, et [P] [O] ès qualités le 29 décembre 2021, la Sa Pacifica demande de voir en application des articles 563 et suivants du code de procédure civile et L.121-12 du code des assurances :

- réformant le jugement entrepris, condamner MM. [M] [B] [H], [T] [N] et [E] [G], solidairement avec M. [D] [O], M. [P] [O] ès qualités de civilement responsable de celui-ci, et Mme [L] [S] ès qualités de civilement responsable du même, solidairement ou in solidum avec la société La Rema, au paiement de la somme principale de 701 848 euros correspondant aux indemnités qu'elle a versées à son assuré,

- condamner solidairement les parties défaillantes au paiement de la somme de

5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en plus des entiers dépens de l'instance.

Elle fait valoir que M. [C] [A] est assuré auprès d'elle au titre d'une police 'Multirisque Agricole' qui prévoit bien l'indemnisation des préjudices résultant d'un incendie ; qu'elle prouve les règlements indemnitaires faits au profit de celui-ci pour la somme de 701 848 euros dont il justifie également, qu'elle est donc subrogée dans les droits et actions de son assuré contre les responsables du sinistre.

Elle ajoute que la société La Rema est tenue de garantir les dommages occasionnés par le fils de Mme [L] [S], son assurée ; que l'expertise sur la base de laquelle les indemnités ont été arrêtées judiciairement a été contradictoire car cette dernière y était représentée ; que le mode de détermination du plafond de garantie que la société La Rema oppose est obscur et ne peut pas être opposé à l'assuré ; que ce plafond ne doit pas être exprimé en francs mais en euros car le contrat a pris effet en 2002, soit après l'introduction de l'euro ; qu'il est égal à 1 608 800 euros qui couvre largement les demandes de M. [C] [A] et ses propres demandes.

Par conclusions notifiées le 27 avril 2023 à l'issue de la réouverture des débats, la société Pacifica a demandé de se voir donner acte de son rapport à justice quant à la fin de non-recevoir tirée de la chose jugée attachée au jugement irrévocable du tribunal correctionnel d'Evreux du 24 janvier 2014 ayant condamné solidairement MM. [M] [B] [H], [T] [N] et [E] [G] à lui payer la somme de 779 234,17 euros au titre des travaux réparatoires qu'elle a exposés à l'issue du sinistre subi par son assuré.

Par dernières conclusions notifiées le 6 octobre 2023 et signifiées à M. [E] [G] le 30 octobre 2023 et à MM. [M] [B] [H] et [P] [O] ès qualités le 31 octobre 2023, la société d'assurance mutuelle La Rema demande de voir en application des articles 1134 du code civil et L.121-12 du code des assurances :

sur l'appel principal de la société Pacifica :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que les demandes de la société Pacifica étaient irrecevables et, en conséquence, débouter celle-ci de l'intégralité de ses demandes,

- subsidiairement, à défaut de les dire irrecevables, juger que les demandes formulées par la société Pacifica en cause d'appel sont infondées et débouter celle-ci de l'intégralité de ses prétentions,

sur son appel incident :

- réformer la décision du tribunal judiciaire d'Evreux en ce qu'il :

. l'a déboutée de ses demandes,

. l'a condamnée in solidum avec M. [D] [O], Mme [L] [S], et

M. [P] [O], civilement responsables, condamnés par le tribunal pour enfants d'Evreux le 5 février 2014 et solidairement avec MM. [E] [G], [T] [N] et [M] [H] [B], condamnés par le tribunal correctionnel d'Evreux le 24 janvier 2014, à payer à M. [C] [A] la somme de 163 246,17 euros à titre de dommages-intérêts,

. l'a condamnée à payer à M. [C] [A] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

. l'a condamnée aux entiers dépens,

- statuant à nouveau, débouter M. [C] [A] de l'intégralité de ses demandes,

subsidiairement :

- constater que le plafond contractuel de sa garantie afférent au sinistre survenu les 18 et 19 septembre 2009 au préjudice de M. [C] [A] est de

245 259,98 euros,

- en conséquence, juger qu'elle ne saurait être tenue au-delà de ce plafond de garantie et limiter l'ensemble des condamnations à sa charge à une somme totale et globale qui ne saurait excéder 245 259,98 euros tous postes de préjudices et tous demandeurs confondus,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [C] [A] de sa demande de capitalisation des intérêts à compter du 5 février 2014 des sommes indemnitaires susceptibles d'être mises à sa charge dans la décision à intervenir,

- juger que M. [C] [A] devra être payé par préférence à son assureur subrogé dans ses droits,

en tout état de cause :

- condamner la société Pacifica et M. [C] [A] à lui payer une somme de

6 000 euros au titre des frais de l'article 700 du code de procédure civile engagés en première instance, ainsi qu'aux entiers dépens de la première instance,

- y ajoutant, condamner la société Pacifica et M. [C] [A] à lui payer une somme de 6 000 euros au titre des frais de l'article précité engagés en instance d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance d'appel.

Elle expose que la société Pacifica ne peut pas fonder ses demandes dirigées contre elle sur le jugement passé en force de chose jugée du tribunal pour enfants qui a déclaré irrecevable son recours subrogatoire, ni sur le jugement du tribunal correctionnel devant lequel elle-même n'était pas partie, ni M. [D] [O] ; que la société Pacifica n'est donc pas recevable en ses demandes formées à son encontre et à l'encontre de MM. [D] [O] et [P] [O] ès qualités et de Mme [S] ès qualités.

Elle ajoute que la société Pacifica ne justifie toujours pas avoir versé l'indemnité qu'elle réclame ; que celle-ci ne produit pas la police d'assurance, ni ses conditions particulières établissant son obligation contractuelle de garantie ; que les deux projets d'assurance versés aux débats ne permettent pas d'identifier précisément les biens sinistrés et si M. [C] [A] en était le propriétaire ; que la société Pacifica est donc irrecevable en ses demandes.

Elle indique à titre subsidiaire que l'appelante ne justifie pas de la réalité et du montant des paiements effectivement intervenus en faveur de M. [C] [A].

Elle précise, concernant l'action directe engagée contre elle par M. [C] [A], que les jugements des 24 janvier et 5 février 2014 et les pièces versées à l'occasion de ces deux instances, notamment une expertise amiable non contradictoire, lui sont inopposables dès lors qu'elle n'y était pas partie ; que M. [C] [A] a déjà été indemnisé de l'intégralité de ses préjudices immobiliers et mobiliers par la société Pacifica, de sorte qu'il ne peut pas réclamer l'indemnisation des dommages suivants non subis du fait de l'incendie et insuffisamment caractérisés : frais de clôture et de main-d'oeuvre pour la pose de celle-ci, frais d'installation d'un système de surveillance, manque-à-gagner sur la commercialisation de sa paille, et préjudice moral. Elle précise subsidiairement que l'article 1343-2 du code civil régissant la capitalisation des intérêts n'a pas à être interprété.

Elle ajoute à titre très subsidiaire que le montant total des condamnations doit être limité au plafond de garantie afférent à la responsabilité civile des dommages d'incendie prévu dans le contrat Multirisque Habitation souscrit par Mme [L] [S] et dans le tableau récapitulatif des garanties, égal à 20 fois l'indice de référence, soit dans la limite de la somme de 245 259,98 euros calculée sur des données exprimées en francs.

Par dernières conclusions notifiées le 16 octobre 2023 et précédemment signifiées à MM. [M] [B] [H] le 6 août 2021, [P] [O] ès qualités le 3 août 2021 et [E] [G] le 28 juillet 2021, M. [C] [A] sollicite de voir en application des articles L.112-6 du code des assurances, 1346-3 et 1343-2 du code civil :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Evreux le 24 novembre 2020,

- dire et juger que MM. [T] [N], [E] [G], [M] [B] [H], [D] [O], [P] [O] ès qualités, Mme [L] [S] ès qualités, et la société La Rema sont civilement responsables in solidum des dommages causés à son exploitation agricole garantie en vertu des jugements correctionnel et du tribunal pour enfants désormais définitifs,

- entrer en voie de condamnation à l'encontre de MM. [T] [N], [E] [G], [M] [B] [H], [D] [O], [P] [O] ès qualités, de Mme [L] [S] ès qualités, et de la société La Rema in solidum à son bénéfice pour la somme de 163 246,17 euros au titre de ses préjudices,

- réformer le jugement dont appel en ce qu'il l'a débouté de sa demande de capitalisation des intérêts,

statuant à nouveau,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- condamner in solidum MM. [T] [N], [E] [G], [M] [B] [H], [D] [O], [P] [O] ès qualités, Mme [L] [S] ès qualités, et la société La Rema, au paiement de la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter la société Pacifica et la société La Rema de leurs demandes sur le fondement de l'article précité,

- condamner in solidum MM. [T] [N], [E] [G], [M] [B] [H], [D] [O], [P] [O] ès qualités, Mme [L] [S] ès qualités, et la société La Rema, aux entiers dépens de la présente instance.

Il fait valoir qu'il justifie être propriétaire des bâtiments sinistrés.

Il indique s'en rapporter à justice sur le quantum du plafond de garantie opposé par la société La Rema lequel n'est pas dépassé par le montant de 163 246,47 euros dont il réclame le paiement qui correspond aux préjudices pour lesquels il n'a pas été indemnisé par la société Pacifica et dont il justifie, qu'il bénéficie d'un droit de paiement par préférence à celle-ci ; que le jugement du 5 février 2014 qui a autorité de la chose jugée est opposable à la société La Rema ; que la dette de celle-ci est une dette de valeur pouvant être assortie de la capitalisation de ses intérêts moratoires.

Il précise s'en rapporter à justice sur le recours subrogatoire de l'appelante tant en sa recevabilité, qu'en son principe et son montant.

MM. [T] [N] et [D] [O] et Mme [L] [S] ès qualités ont constitué avocat, mais n'ont pas conclu.

MM. [E] [G], [M] [B] [H], et [P] [O] ès qualités, à qui la déclaration d'appel avait été signifiée pour le premier le 7 avril 2021 par procès-verbal de recherches infructueuses et pour les deux autres le 2 avril 2021 par dépôt à l'étude, n'ont pas constitué avocat.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 18 octobre 2023.

MOTIFS

Sur la demande d'indemnisation de M. [A]

Selon l'article L.124-1 du code des assurances, dans les assurances de responsabilité, l'assureur n'est tenu que si, à la suite du fait dommageable prévu au contrat, une réclamation amiable ou judiciaire est faite à l'assuré par le tiers lésé.

L'article L.124-3 du même code précise que le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable. L'assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n'a pas été désintéressé, jusqu'à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l'assuré.

Dans le cas présent, la responsabilité civile de MM. [G], [N], [B] [H], [D] [O], [P] [O] ès qualités et Mme [S] ès qualités, a été établie respectivement par les jugements du tribunal correctionnel d'Evreux du 24 janvier 2014 et du tribunal pour enfants d'Evreux du 5 février 2014.

Cette dernière décision judiciaire qui condamne son assurée Mme [S] à raison de sa responsabilité constitue pour la société La Rema, dans ses rapports avec la victime M. [A], la réalisation, tant dans son principe que dans son étendue, du risque couvert. Elle lui est dès lors opposable en ce sens dans le cadre de cette action directe engagée contre elle par M. [A].

La société La Rema ne conteste pas son obligation de fournir sa garantie eu égard notamment à la nature du sinistre et aux stipulations du contrat d'assurance. Les moyens qu'elle oppose tendent à contester le droit à indemnisation de M. [A] pour les préjudices qui n'ont pas été réparés par la société Pacifica et à critiquer leur appréciation par le tribunal pour enfants, notamment leur lien de causalité avec l'incendie, et le montant qu'il a arrêté à 163 246,17 euros. Mais, cette décision devenue irrévocable ayant autorité de la chose jugée, ces moyens ne peuvent qu'être écartés.

M. [A] peut donc se prévaloir du jugement irrévocable du tribunal pour enfants du 5 février 2014 contre la société La Rema, assureur de responsabilité de Mme [S] ès qualités, même si elle n'a pas été partie à l'instance pénale. La décision de première instance ayant condamné la société La Rema in solidum avec MM. [D] et [P] [O] ès qualités, Mme [S] ès qualités, et solidairement avec MM. [G], [N] et [B] [H], à payer à M. [A] la somme de 163 246,17 euros, sera confirmée.

L'ancien article 1154 du code civil applicable à la cause eu égard à la date de l'assignation, antérieure à la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, prévoit que les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière.

Les seules conditions posées par ce texte sont que la demande a été judiciairement formée et qu'il s'agit d'intérêts dus pour au moins une année entière, ce qui est le cas en l'espèce.

Le bénéfice de la capitalisation des intérêts moratoires sera donc accordé. Le jugement du tribunal ayant rejeté cette demande sera infirmé.

Sur la recevabilité du recours subrogatoire de la société Pacifica

L'article 122 du code de procédure civile prévoit que constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

- à l'encontre de la société La Rema

L'article L.121-12 alinéa 1er du code des assurances précise que l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur.

En l'espèce, la société Pacifica justifie, au moyen des deux lettres d'acceptation signées le 22 décembre 2009 par M. [A], lui avoir versé la somme totale de

701 848 euros en règlement de son sinistre incendie du 18 septembre 2009

(471 848 euros indemnisant l'immobilier et les frais de démolition et de permis de construire + 230 000 euros indemnisant le contenu des deux hangars soit

4 600 tonnes de paille à 50 euros la tonne). M. [A] a confirmé ce fait dans ses conclusions.

Elle prouve également que le paiement de cette indemnité d'assurance est intervenu en exécution du contrat dont elle verse aux débats le projet d'assurance multirisque agricole daté et signé par M. [A] le 12 février 2005 et qui a pris effet le 1er janvier 2005. Dans ses écritures, ce dernier confirme que la société Pacifica est son assureur. Ce contrat ainsi formé prévoit à la page 03/06 la garantie des bâtiments d'exploitation n°B01 d'une surface de 3 300 m² et C01 d'une surface de 2 450 m² pour l'événement incendie. A la lecture du rapport d'expertise du 17 novembre 2009 de M. [K], expert agricole mandaté par la société Pacifica pour chiffrer les dommages, ce sont bien ces deux bâtiments respectivement d'une surface de couverture de 3 340 m² et de 2 448 m² qui ont été incendiés.

Au jour de la souscription de ladite police d'assurance, M. [A] avait la qualité d'occupant de ces deux bâtiments comme renseignée par la référence 'OPC' (occupant avec assurance pour le compte du propriétaire). A la fin de son rapport d'expertise, M. [K] a visé en pièce jointe l'attestation notariale de propriété de ces deux bâtiments. La confirmation par M. [A] de sa qualité de propriétaire lors de son audition par les gendarmes le 20 septembre 2009 et dans ses écritures, ainsi que la confirmation de cette qualité par son expert comptable dans son écrit du 10 août 2021, permettent de la retenir au moment de son indemnisation et d'écarter le moyen contraire formulé sur ce point par la sociéte La Rema.

En définitive, le paiement opéré par la société Pacifica au profit de M. [A] est intervenu en exécution de la garantie Incendie. La société Pacifica est donc subrogée dans les droits de M. [A].

Par ailleurs, si la constitution de partie civile de la société Pacifica a été déclarée irrecevable par le tribunal pour enfants d'Evreux, l'autorité de chose jugée attachée à cette décision rejetant le préjudice personnel direct de celle-ci n'est pas de nature à écarter la prétention différente qu'elle forme aujourd'hui au titre de son recours subrogatoire dans les droits de son assuré.

Enfin, le moyen de la société La Rema tiré de l'inopposabilité du jugement du tribunal correctionnel d'Evreux à son égard et à celui de M. [D] [O] est sans portée. En effet, ce n'est pas cette décision sur laquelle se base la société Pacifica pour fonder ses demandes contre eux, mais sur celle du tribunal pour enfants précitée du 5 février 2014.

Ayant qualité à agir, la société Pacifica est recevable en ses demandes dirigées contre la société La Rema.

- à l'encontre de MM. [M] [B] [H], [T] [N], et [E] [G]

Selon l'ancien article 1351 du code civil applicable au litige, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

Dans le cas présent, comme indiqué dans l'exposé des faits, aux termes de son jugement irrévocable du 24 janvier 2014, le tribunal correctionnel d'Evreux a accueilli le recours subrogatoire de la société Pacifica, assureur de biens de

M. [A], formé contre MM. [B] [H], [N] et [G], et les a condamnés solidairement à payer à celle-ci la somme de 779 234,17 euros.

Or, dans le cadre de la présente instance d'appel, la société Pacifica sollicite, au titre de son recours subrogatoire pour les mêmes faits d'incendie, la condamnation des mêmes, outre celle de MM. [D] [O] et [P] [O] ès qualités, et de Mme [L] [S] ès qualités, solidairement ou in solidum avec la société La Rema, au paiement de la somme principale de 701 848 euros.

L'autorité de chose jugée attachée au jugement irrévocable du tribunal correctionnel d'Evreux rend irrecevable le recours subrogatoire de la société Pacifica dirigé contre MM. [B] [H], [N], et [G].

Sur le bien-fondé du recours subrogatoire de la société Pacifica à l'encontre de MM. [D] [O] et [P] [O] ès qualités, de Mme [S] ès qualités, et de la société La Rema

L'article L.112-6 du code des assurances prévoit que l'assureur peut opposer au porteur de la police ou au tiers qui en invoque le bénéfice les exceptions opposables au souscripteur originaire.

En l'espèce, l'effectivité du paiement par la société Pacifica de l'indemnité d'assurance minimum de 701 848 euros à son assuré est démontrée par :

- les deux lettres d'acceptation précitées acceptées par M. [A] le 22 décembre 2009,

- la copie d'écran retraçant les règlements effectués au profit de celui-ci entre le 19 février 2010 et le 31 janvier 2012,

- les relevés bancaires de M. [A] et les lettres-chèques que lui a adressées la société Pacifica,

- l'attestation du comptable de M. [A] du 9 février 2022,

- la confirmation de ce paiement par ce dernier dans ses écritures.

La qualité de propriétaire de M. [A] a également été prouvée comme il ressort des développements précédents.

L'annexe aux conditions particulières du contrat Multirisque Habitation souscrit par Mme [S] auprès de la société La Rema stipule de manière très claire que la garantie Responsabilité civile vie privée, pour les dommages d'incendie, est limitée à 20 fois l'indice. Les conditions particulières visent l'indice du prix de la construction dans la région parisienne publié par la Fédération Nationale du Bâtiment (FNB), celui-ci ayant pour base 100 au 1er trimestre 1941. Elles précisent en outre qu'au jour d'un sinistre, le montant de la garantie est fixé en fonction du dernier indice trimestriel publié avant la date du sinistre.

Si ce contrat a pris effet courant 2002, soit après le 1er janvier 2002, date de mise en circulation de l'euro à la place du franc, le tableau récapitulatif des garanties mentionne toujours les valeurs en francs. Par exemple, la limitation spéciale pour les dommages exceptionnels au titre de la garantie Responsabilité Civile est égale à '20 Millions de Francs non indexés'. Les conditions générales, aux pages 3 et 11, expriment des valeurs en francs. L'exemplaire des conditions générales a été rédigé en 1988, celui des conditions particulières en 1994, et celui du tableau récapitulatif des garanties en 1995. De plus, il n'est pas certain, contrairement à ce que soutient la société Pacifica, que la cotisation annuelle mentionnée sur la police d'assurance soit exprimée en euros. Aucune monnaie n'est renseignée après le montant de 125,25.

Il convient donc de retenir le calcul opéré par la société La Rema à partir des valeurs exprimées en francs, soit : indice de la FNB au jour du sinistre de 804,40 × base 100 au 1er trimestre 1941 = 80 440 × 20 = 1 608 800 francs, soit 245 259,98 euros.

La société Pacifica n'a versé qu'une indemnisation partielle à M. [A] limitée à l'immobilier et au contenu des deux hangars. Parallèlement au recours subrogatoire de celle-ci, M. [A] a exercé une action en responsabilité pour obtenir la réparation de ses dommages matériels consécutifs à l'incendie et de ses dommages financier et moral. Dans cette hypothèse, lorsque la dette du tiers responsable est insuffisante pour rembourser entièrement l'assureur subrogé et l'assuré exerçant une action personnelle, c'est ce dernier qui prime le premier jusqu'à concurrence de la réparation du préjudice garanti en application de l'ancien article 1252 du code civil.

En définitive, toutes les conditions de la subrogation étant réunies, celle-ci se produit de plein droit au profit de la société Pacifica qui peut exercer le droit de son assuré de solliciter la condamnation de M. [D] [O] et de ses civilement responsables, in solidum avec la société La Rema. Cette condamnation sera prononcée à concurrence de la somme de 82 013,81 euros (245 259,98 euros '

163 246,17 euros). Le jugement du tribunal ayant débouté la société Pacifica de sa demande en paiement sera infirmé.

Sur les dépens et les frais de procédure

Les dispositions de première instance sur les dépens et les frais de procédure seront confirmées.

Parties perdantes, MM. [D] [O] et [P] [O] ès qualités, Mme [S] ès qualités, et la société La Rema, seront condamnés in solidum aux dépens d'appel.

Il n'est pas inéquitable de les condamner également in solidum à payer à M. [A] et à la société Pacifica chacun la somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens que ces derniers ont exposés.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt par défaut, mis à disposition,

Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a :

- débouté M. [C] [A] de sa demande de capitalisation des intérêts en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

- débouté la Sa Pacifica de sa demande en paiement,

Statuant à nouveau de ces chefs infirmés et y ajoutant,

Ordonne la capitalisation année par année des intérêts moratoires sur la somme de 163 246,17 euros,

Déclare recevable le recours subrogatoire de la Sa Pacifica formé contre la société La Rema,

Déclare irrecevable le recours subrogatoire de la Sa Pacifica formé contre

M. [M] [B] [H], M. [T] [N], et M. [E] [G], pour cause d'autorité de la chose jugée attachée au jugement irrévocable du tribunal correctionnel d'Evreux du 24 janvier 2014,

Condamne M. [D] [O], M. [P] [O] ès qualités de civilement responsable de celui-ci, et Mme [L] [S] ès qualités de civilement responsable du même, in solidum avec la société La Rema, à payer à la Sa Pacifica la somme de 82 013,81 euros,

Condamne in solidum M. [D] [O], M. [P] [O] ès qualités de civilement responsable de celui-ci, et Mme [L] [S] ès qualités de civilement responsable du même, et la société La Rema à payer à M. [C] [A] et à la Sa Pacifica, chacun, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties du surplus des demandes,

Condamne in solidum M. [D] [O], M. [P] [O] ès qualités de civilement responsable de celui-ci, et Mme [L] [S] ès qualités de civilement responsable du même, et la société La Rema aux dépens d'appel.

Le greffier, La présidente de chambre,