Livv
Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ., 16 janvier 2024, n° 21/01337

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 21/01337

16 janvier 2024

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

1ère CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 16 JANVIER 2024

PP

N° RG 21/01337 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-L7HH

SASU CENTRE DE PARACHUTISME DE [Localité 11]

Compagnie XL INSURANCE COMPANY SE

c/

[L] [E]

CAISSE NATIONALE MILITAIRE DE SECURITE SOCIALE

INSTITUTION DE GESTION SOCIALE DES ARMEES (IGESA)

MUTUELLE MGEFI

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 15 février 2021 par le Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (chambre : 6, RG : 15/07654) suivant déclaration d'appel du 04 mars 2021

APPELANTES :

SASU CENTRE DE PARACHUTISME DE [Localité 11], radiée du RCS de BORDEAUX sous le n° 817 628 977 suite à un jugement de clôture pour insuffisance d'actif en date du 7 juillet 2020, lui-même faisant suite à un jugement de liquidation judiciaire du tribunal de commerce de Bordeaux du 2 août 2017, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 9] - [Localité 11]

Compagnie XL INSURANCE COMPANY SE, venant aux droits de la société AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCE, dont le siège est [Adresse 8] (IRLANDE), prise en la personne de son représentant légal agissant par l'intermédiaire de sa succursale française domicilié en cette qualité sis [Adresse 6] - [Localité 7]

représentées par Maître Claire LE BARAZER de la SELARL AUSONE AVOCATS, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistées de Maître Patrick DE LA GRANGE de la SELARL DE LA GRANGE ET FITOUSSI AVOCATS, avocat plaidant au barreau de MARSEILLE

INTIMÉS :

[L] [E]

né le [Date naissance 2] 1993

de nationalité Française

demeurant [Adresse 1]

représenté par Maître Marc FRIBOURG de la SELARL FRIBOURG & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

CAISSE NATIONALE MILITAIRE DE SECURITE SOCIALE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 3]

non représentée, assignée à personne habilitée

INSTITUTION DE GESTION SOCIALE DES ARMEES (IGESA), prise en la personne de son Directeur Général, M. [S] [M], domicilié en cette qualité au siège social sis

[Adresse 4]

représentée par Maître Cécile BOULE, avocat au barreau de BORDEAUX

MUTUELLE MGEFI, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 5]

non représentée, assignée à personne habilitée

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été examinée le 21 novembre 2023 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Paule POIREL, Président

Mme Bérengère VALLEE, Conseiller

M. Emmanuel BREARD, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Véronique SAIGE

Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

M. [L] [E], alors âgé de 17 ans pour être né le [Date naissance 2] 1993, a été inscrit à un stage de parachutisme, comprenant 18 sauts, organisé du 17 au 30 août 2010, par L'Institution de Gestion Sociale des Armées (ci-après l'IGESA) confié, suivant une convention d'activités des 15 et 20 avril 2010, à la SARL Centre de Parachutisme de [Localité 11], affiliée à la Fédération Française de Parachutisme, assurée auprès de la SA AXA Corporate Solutions Assurance, aux droits de laquelle vient désormais la compagnie XL Insurance Company SE.

M. [L] [E] avait réalisé l'année précédente un stage similaire dans le cadre duquel il avait réalisé 8 sauts en parachute.

Le 18 août 2010, M. [L] [E] a réalisé un premier saut de reprise avec moniteur, puis le 19 août 2010, a effectué 3 sauts, le 20 août, 3 nouveaux sauts et enfin 2 sauts le 21 août 2010, date à laquelle le stage a été interrompu en raison d'une perte d'audition au niveau de l'oreille gauche et d'acouphènes.

Le 23 août 2010, M. [L] [E] a consulté un ORL qui, devant la perte d'audition de l'oreille gauche, l'a orienté vers le service des urgences de l'Hôpital des Armées [10] où il a séjourné jusqu'au 2 septembre 2010.

Le 25 août 2010, les parents de M. [L] [E] ont déposé plainte auprès du procureur de la République du tribunal de grande instance de Bordeaux, sur le fondement de l'article 222-19 du code pénal du chef de blessures involontaires, reprochant aux moniteurs de ne pas avoir interdit à leur fils les sauts en parachute dès qu'il a manifesté les premiers signes d'un traumatisme au niveau de l'oreille gauche, à savoir, selon ses déclarations, dès la journée du 19 août, à l'issue du 3ème saut, se traduisant par une sensation d'oreilles bouchées associée à des acouphènes aigus à type de sifflements, puis le 20 août après 3 nouveaux sauts en s'en référant au directeur technique du centre qui l'a rassuré en considérant qu'il s'agissait d'un bouchon de cérumen, avant d'effectuer deux autres sauts dans la journée le 21 août 2010.

Par ordonnance du 13 août 2013, le magistrat instructeur, après avoir fait diligenter une expertise médicale confiée au docteur [O], médecin légiste, et au Professeur [I], ORL, a rendu une ordonnance de non-lieu, confirmée en appel par la chambre de l'instruction par arrêt du 19 juin 2014 ainsi motivé : 'attendu que l'absence de véritable volonté par [L] [E] d'informer les instructeurs et moniteurs de la gravité de son affection, dès ses premiers sauts, résulte de l'audition de ses camarades et se déduit, également, de ses propres déclarations ; que son souhait était assurément de poursuivre sa formation jusqu'au bout de son stage (18 sauts prévus et payés par ses parents), malgré une gêne auditive avérée, dont il est certain qu'il n'avait pas alors apprécié l'importance et les conséquences psychologiques, ce qui explique qu'il se soit contenté de débouchage classique des conduits auditifs par des gestes de décompression habituels dans le domaine aéronautique, qui lui ont été conseillés par l'encadrement, qui a été mal informé par l'intéressé de la gravité de ses problèmes auditifs, puisque celui-ci ne s'est, en effet, jamais plaint de quelconque douleur, même auprès de son ami, [X] [N], avant le 21 août (D20)'.

Les experts judiciaires ont conclu qu'il existait une imputabilité certaine et directe entre les séquelles auditives, consistant en une surdité subtotale gauche de 90 décibels avec acouphènes, évaluées à 21%, et les sauts en parachute effectués au cours de la période allant du 19 au 21 août 2010.

C'est dans ce contexte que, par exploit d'huissier en date du 28 juillet 2015, M. [L] [E] a fait assigner l'IGESA devant le tribunal de grande instance de Bordeaux, afin de voir engagée sa responsabilité, sur le fondement des articles L.211-1 et suivants du code du tourisme, et obtenir l'indemnisation des préjudices subis.

Par exploits des 24 et 30 novembre 2015, M. [L] [E] a fait assigner la Caisse Nationale Militaire de Sécurité Sociale et la Mutuelle MGEFI, organismes sociaux tiers payeurs auprès desquels il est affilié, aux fins de déclaration de jugement commun.

Puis, par exploits en date des 3 et 8 juin 2016, l'lGESA a fait assigner la Sarl Centre de Parachutisme de [Localité 11] et son assureur, la SA Axa Corporate Solutions Assurance, sur le fondement de l'article L.211-16 du code du tourisme, afin de se voir garantie et relevée indemne des condamnations susceptibles d'être prononcées a son encontre.

Les procédures ont été jointes.

Par jugement du 15 février 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- dit que l'Institution de Gestion Sociale des Armées (IGESA) a commis une faute contractuelle à l'égard de M. [L] [E] et qu'elle est responsable de son entier préjudice ;

- dit que la Sarl Centre de Parachutisme de [Localité 11] a commis une faute contractuelle à l'égard de l'Institution de Gestion Sociale des Armées (IGESA) et doit relever indemne cette dernière de l'ensemble des condamnations mises à sa charge ;

- fixé le préjudice subi par M. [L] [E], du fait des sauts en parachute réalisés dans le cadre du stage du 17 au 23 août 2010, à la somme totale de 89 900,26 € suivant le détail suivant :

Evaluation du préjudice

Créance victime

Créance CNMSS

Créance Mutuelle

PRÉJUDICES PATRIMONIAUX

Temporaires

DSA Dépenses de santé actuelles

24,26 €

24,26 €

Permanents

IP Incidence Professionnelle

10 000,00€

10 000,00 €

PRÉJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX

Temporaires

DFTP déficit fonctionnel temporaire partiel

3 726,00 €

3 726,00 €

SE souffrances endurées

6 000,00 €

6 000,00 €

Permanents

DFP déficit fonctionnel permanent

66 150,00€

66 150,00 €

PA préjudice d'agrément

4 000,00 €

4 000,00 €

TOTAL

89 900,26€

89 876,00 €

Provision

9 660,00 €

TOTAL après provision

80 216,00 €

- condamné l'Institution de Gestion Sociale des Années (IGESA) à payer à M. [L] [E] la somme de 80 216 € au titre de l'indemnisation de son préjudice corporel, après déduction des provisions versées et de la créance des tiers payeurs ;

- déclaré le jugement commun à la Caisse Nationale Militaire de Sécurité Sociale et a la Mutuelle MGEFI ;

- condamné l'Institution de Gestion Sociale des Armées (IGESA) à payer la somme de 2 200 € a M. [L] [E] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que les sommes allouées ci dessus porteront intérêts au taux légal à compter du jugement ;

- condamné in solidum la SARL Centre de Parachutisme de [Localité 11] et son assureur, la société XL Insurance Company SE, venant aux droits de la société Axa Corporate Solutions Assurance, a relever indemne l'Institut de Gestion Sociale des Armées (IGESA) de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre ;

- condamné in solidum la SARL Centre de Parachutisme de [Localité 11] et la société XL Insurance Company SE aux dépens ;

- ordonne l'exécution provisoire de la décision à hauteur de la moitié des sommes allouées ;

- rejeté les autres demandes des parties.

Par déclaration électronique en date 4 mars 2021, les sociétés Centre de Parachutisme et XL Insurance Company venant aux droits de AXA Corporate Solutions, ont relevé appel de ce jugement.

Les sociétés Centre de Parachutisme et XL Insurance Company venant aux droits de AXA Corporate Solutions, dans leurs dernières conclusions déposées le 31 octobre 2023, demandent à la cour de :

- recevoir la Compagnie XL Insurance Company SE en ses écritures et la déclarer bien fondée en son appel,

- déclarer le jugement déféré nul et non avenu à l'égard de la Société Centre de Parachutisme, société radiée depuis le 9 juillet 2020 à la suite d'un jugement de clôture pour insuffisance d'actif du même jour,

Sur le fond,

- juger que la décision déférée méconnaît l'autorité de la chose jugée à l'égard des allégations de M. [L] [E], jugées inexactes par la chambre de l'instruction de Bordeaux aux termes de son arrêt du 19 juin 2014 ;

- juger, en toute hypothèse, qu'aucune faute n'est démontrée à la charge de la Société Centre de Parachutisme à l'origine du dommage et des préjudices allégués par M. [L] [E] ouvrant droit à indemnisation ;

Dès lors,

Réformer la décision entreprise en toutes ses dispositions,

Statuant de nouveau :

- débouter M. [L] [E], l'IGESA et la Mutuelle MGEFI de toutes leurs demandes et prétentions à l'encontre de la Société Centre de Parachutisme et de son assureur la Compagnie XL Insurance Company SE venant aux droits d'AXA CS,

- ordonner le remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire,

À titre subsidiaire,

Si, par impossible, la Cour confirmait le jugement entrepris en ce qu'il est entré en voie de condamnation à l'encontre de l'IGESA, puis a condamné les appelants à relever et garantir cet organisme,

- réduire à de plus juste proportion, conformément aux évaluations des concluants, les indemnisations allouées à M. [L] [E] à savoir :

A/ Les préjudices temporaires

' déficit fonctionnel temporaire, total (11 jours) et partiel (302 jours) : 2.430 €.

Pour les 11 jours de DFTT :165 €

Pour les 302 jours de DFTP (50%) : 2.265 €

' Souffrances endurées : rejet

B/ Les préjudices permanents

' Le déficit fonctionnel permanent (21%) : 48.300 €.

' Le préjudice d'agrément : 4.000 €.

' incidence professionnelle : rejet

Sous déduction de la somme de 9.660 € versée par la MAIF, assureur de l'IGESA à M. [L] [E] et des sommes des sommes versées au titre de l'exécution provisoire,

- condamner tout succombant à verser à Compagnie XL Insurance Company SE à une indemnité de 4.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner enfin en tous les dépens de la présente instance, dont distraction au profit de Maître Claire Le Barazer, avocat postulant pour ceux dont celui-ci aura pu faire l'avance, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

M. [L] [E] dans ses dernières conclusions déposées le 18 janvier 2022, demande à la cour de :

Confirmer le jugement entrepris par AXA s'agissant de la responsabilité de l'IGESA,

Confirmer les sommes arbitrées par le tribunal au titre du déficit fonctionnel temporaire et au titre de la souffrance endurée,

Réformer le jugement entrepris sur les autres postes et condamner l'Institut de Gestion Sociale des Armées à payer à M. [E] les sommes suivantes :

- 81.900 euros au titre du déficit fonctionnel permanent

- 10.000 euros au titre de son préjudice d'agrément

- 843.829 euros au titre de l'incidence professionnelle

- condamner l'IGESA à verser à M. [E] la somme de 4.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'IGESA aux entiers dépens toutes taxes comprises.

l'Institut de Gestion Sociale des Armées (IGESA),dans ses dernières conclusions déposées le 2 février 2022, demande à la cour de :

A titre principal,

Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a dit que l'IGESA a commis une faute contractuelle à l'égard de M. [E] et qu'elle est responsable de son entier préjudice,

Statuant de nouveau,

- débouter M. [E] de toutes ses demandes et prétentions,

A titre subsidiaire,

Confirmer la décision entreprise en ce que le tribunal judiciaire a dit que la Sarl Centre de Parachutisme de [Localité 11] a commis une faute contractuelle à l'égard de l'IGESA et doit relever indemne cette dernière de l'ensemble des condamnations à sa charge,

- réduire à de plus justes proportions le montant des indemnités allouées à M. [E] en réparation de son préjudice,

- condamner in solidum la Sarl Centre de Parachutisme de [Localité 11] et son assureur la société XL Insurance Company SE, venant aux droits de la société AXA Corporate Solutions Assurance, à relever et garantir l'IGESA de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre,

En tout état de cause,

- condamner tout succombant à verser à l' IGESA la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de procédure.

- les condamner en tous les dépens de l'instance.

La Caisse Nationale Militaire de Sécurité Sociale (CNMSS) n'a pas constitué avocat. Elle a été régulièrement assignée et, par courrier transmis au greffe le 22 mars 2021, elle a indiqué qu'à la date de l'accident, la victime n'était plus affiliée à la CNMSS.

La Mutuelle MGEFI n'a pas constitué avocat. Elle a été régulièrement assignée.

L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 21 novembre 2023.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 7 novembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nullité de la décision prise à l'encontre du centre de parachutisme de [Localité 11] :

Pour la première fois devant la cour, la Sarl Centre de Parachutisme de [Localité 11] conclut à la nullité du jugement pris à son encontre alors qu'elle a fait l'objet d'un jugement de clôture pour insuffisance d'actif en date du 9 juillet 2020 dans la suite d'une procédure de liquidation judiciaire ouverte depuis le 2 août 2017.

S'il résulte des dispositions de l'article 369 du code de procédure civile que l'instance est interrompue par l'effet du jugement qui prononce la liquidation judiciaire du débiteur, l'assignation en garantie délivrée par l'Igesa au centre de Parachutisme de [Localité 11], en 2016, visant une créance antérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective, le 2 août 2017, se heurtait à la règle de l'interdiction des poursuites, rendant en conséquence irrecevable l'action à l'encontre du centre de Parachutisme de [Localité 11].

Le jugement entrepris qui a prononcé une condamnation à l'encontre de la Sarl Centre de Parachutisme de [Localité 11] à relever indemne l'institut de Gestion Sociale des Armées des condamnations prononcées à son encontre est en conséquence infirmé et l'action de l'Igesa déclarée irrecevable.

Sur la responsabilité de l'Igesa :

Le tribunal après avoir rappelé que l'organisateur d'un séjour incluant une activité de parachutisme n'est tenu que d'une obligation de moyen renforcée, a retenu qu'il incombait à M.[E] de rapporter la preuve d'un manquement de l'Igesa à son obligation de sécurité mais également de prudence pour n'avoir pas informé M. [E] des possibles risques auditifs en lien avec l'activité. Et il a retenu qu'il ressortait des éléments du dossier que la preuve était rapportée, notamment par les attestations de M. [N], du père de [L] [E], de Mme [G] et de M. [R], que [L] [E] s'était plaint dès le vendredi 20 août 2010 au Directeur Technique du centre, M. [T] [J], qui n'a pas pris les mesures pour l'empêcher de sauter, que cet élément est confirmé par les mesures prises l'année suivante dans le cadre de la convention entre l'Igesa et le Centre de Parachutisme et qu'en aucun cas la faute de la victime, pour n'avoir pas immédiatement signalé les difficultés auditives rencontrées à l'issue du premier saut de la journée du 19 août et dont elle ne pouvait mesurer toutes les conséquences, n'est de nature à limiter ou exclure son droit à indemnisation.

M. [E] demande la confirmation de la décision.

L'Igesa comme le Centre de Parachutisme et son assureur contestent cette décision, rappelant qu'en tant qu'organisateur d'une activité de parachutisme, elle n'était tenue que d'une obligation de moyen, que la décision sur la responsabilité de l'Igesa se heurte à l'autorité de la chose jugée au pénal alors qu'une décision de non lieu, confirmée en appel par un arrêt de la chambre de l'instruction, est intervenue, qu'en tout état de cause, les témoignages indirects de M. [N] et du père de M. [E], de Mme [G] ou celui, fluctuant et incertain, de M. [R], ne sauraient avoir aucune valeur probante d'une quelconque faute imputable au Centre de Parachutisme et partant à l'Igesa.

Il est constant que le parachutisme étant un sport dangereux, il pèse sur les organisateurs d'une telle activité une obligation de moyen renforcée s'agissant de la sécurité des participants qui ne dispense pas de rapporter la preuve d'un manquement de l'organisateur à ses obligations.

En l'espèce, l'Igesa avec laquelle M. [E] était en lien contractuel était tenu vis à vis de lui de cette obligation de sécurité, peu important que dans leurs relations entre eux l'Igesa ait confié à un tiers l'organisation et l'encadrement de ce stage.

Les parties sont contraires sur la date à laquelle M. [L] [E] a informé les encadrants et notamment le directeur technique de Centre de Parachutisme d'une surdité de l'oreille gauche ressentie dès le premier saut de 4 000 mètres du 19 août 2010, ainsi que l'a indiqué M. [E] lors de l'examen médical circonstancié dans le cadre de son hospitalisation initiale à l'hôpital [10], entre le 23 août et le 2 septembre 2010.

Il n'y a tout d'abord aucune autorité des décisions des juridictions d'instruction, non lieu du juge d'instruction ou arrêt confirmatif chambre de l'instruction, sur le civil.

Dans l'attestation qu'il a remise à M. [E], le 8 mars 2017, dans le cadre de la procédure civile, M. [N] a tenu à revenir sur ses déclarations faites devant les gendarmes en précisant qu'il n'avait pu alors être précis sur les dates mais en indiquant que, quelles que soient les dates, il tenait à rappeler la fermeté de ses déclarations sur le fait que [L] [E] a pu continuer à sauter en parachute après en avoir parlé (de ce problème de surdité) à l'équipe encadrante. Il résulte par ailleurs de la procédure initiale de gendarmerie qu'il avait indiqué, le 31 août 2010, que si [L] s'était plaint auprès de lui ne plus entendre après les sauts du 19 août, ce dernier lui 'a indiqué avoir prévenu le directeur technique prénommé [T], celui qui saute encore', sans toutefois préciser quand et que, le 21 août 2010, il était 'présent quand [L] a expliqué à [T] à l'issue du 2ème saut du samedi 21 août qu'il avait toujours des problèmes auditifs sans aucune douleur', en sorte qu'il n'existe pas de contradiction évidente entre ces deux déclarations.

Devant les gendarmes, M. [N] n'avait pas mentionné avoir été présent lorsque [L] se serait plaint la première fois auprès du directeur technique de ce problème de surdité, sans qu'il soit possible de déterminer s'il s'agissait du 19 ou du 20 août, en sorte que ses déclarations ne constituent sur ce point qu'un témoignage indirect qui ne saurait avoir valeur probante des faits relatés. Et l'attestation du 8 mars 2017, remise par M. [N] à M. [E], qui ne contient précisément aucune date, n'est pas de nature à suppléer la carence probatoire de M. [E] sur ce point. Toutefois, M. [N] relate des faits auxquels il a assisté lorsqu'il indique avoir été présent le 21 août quand [L] [E] a expliqué à '[T]' qu'il avait 'toujours' des problèmes auditifs, formulation de nature à confirmer qu'il en avait déjà fait part à ce dernier, en sorte qu'elles font foi sur ce point de ce qui est relaté.

Quant aux déclarations de M. [H] [E] devant les gendarmes, elles constituent sur ce point également un témoignage indirect en ce qu'il indique qu'ayant régulièrement son fils au téléphone il lui avait indiqué le 20 août entendre mal de l'oreille gauche et que lui ayant demandé si cela était grave son fils lui aurait répondu que non car l'encadrement lui avait fait comprendre que c'était un phénomène courant après un saut en parachute. Ce témoignage ne saurait en conséquence valoir preuve de ce que M. [L] [E] avait dès la journée du 20 août au cours de laquelle il a effectué trois sauts, informé le directeur technique d'un problème d'audition.

Pas davantage, la déposition de Mme [A] [G] devant les gendarmes ne permet de retenir que celle-ci a été témoin de ce que M. [L] [E] se serait plaint, dès le vendredi 20 août, de problèmes d'audition et si elle fait référence à ce qui se serait passé le 20 août, elle ne le fait qu'au conditionnel, ne relatant à l'évidence pas un événement dont elle aurait été personnellement témoin, affirmant au contraire n'avoir été informée que le dimanche (22 août) des problèmes d'audition de [L] [E] mais avoir appris de ses petits camarades, à une période non précisée, qu'il avait déjà des soucis d'audition dès le 19 ou le 20 août.

Cependant si ces témoignages indirects sont insuffisants à attester que le centre de parachutisme avait été informé des problèmes d'audition de M. [E] avant la journée du 21 août, date depuis laquelle il n'a plus sauté, ceux-ci sont cependant parfaitement congruents avec le témoignage, direct sur ce point, de M. [Y] [R], animateur à l'Igesa, en date du 26 août 2010, établi en ces termes 'le Vendredi 20, j'étais au parachutisme. Il me semble bien que c'était l'après midi. [L] s'est plaint à [T] qu'il avait mal à l'oreille gauche. Au début comme j'étais presque à côté du groupe j'ai entendu [L] le dire à ses camarades avant qu'il aille trouver [T]. Ensuite [T] ne lui a pas dit d'arrêter de sauter. [L] a tout de même continué de sauter...' ou encore 'Par contre un autre instructeur surnommé [B] s'est approché de [L]. Il lui a pris la tête en lui faisant des compressions avec ses mains, au niveau de L'oreille; Mais ça n'a rien changé. [L] n'entendait toujours rien de son oreille. Et il a donc recommencé à sauter.

'Le lendemain le samedi 21 août, les enfants sont revenus au parachutisme. A mon souvenir, [L] avait toujours mal à son oreille. Par contre je ne sais plus s'il a sauté ou non...'

Contrairement à ce que soutient l'Igesa ou la société XL Insurance Company, il n'apparaît pas que cette attestation est dubitative, la seule incertitude concernant les événements du 20 août ne se situant qu'entre le matin et l'après midi et, s'agissant de la journée du 21 août, il importe peu que M. [R] ne se souvienne plus si M. [E] a ou non sauté ce jour là puisqu'il n'est pas contesté qu'il a effectivement effectué deux sauts le 21 août et qu'il ressort clairement de cette déposition, confirmant en cela celle de M. [N], que M. [E] a pu poursuivre ses sauts en parachute le lendemain du jour où M. [J] a été informé de ses problèmes auditifs. Enfin, il n'est produit aux débats aucune autre attestation de M. [R] que celle du 26 août devant les gendarmes dont il ressortirait qu'il se serait contredit.

Il est donc suffisamment établi que [L] [E] s'est plaint au directeur technique M. [J] ('[T]') dès la journée du 20 août d'une perte auditive de l'oreille gauche, qu'il a cependant continué ses sauts de la journée et repris le samedi 21 août une série de deux sauts, cette attestation confirmant par ailleurs les témoignages indirects de M. [N], de M. [H] [E] et de Mme [G] sur ce point, quand bien même M. [J] a pour sa part contesté avoir été avisé avant le 21 août des problèmes d'audition de M. [E].

En aucun cas le fait que M. [E], alors mineur, n'ait pas informé la direction, dès le 19 août, de son problème auditif dont il n'a certainement pas mesuré toutes les conséquences alors que se pose par ailleurs la question de l'information reçue sur ce point dans le cadre de la journée de formation, n'est de nature à limiter ou à exclure son droit à réparation intégrale de son préjudice, ce d'autant qu'informé dès le 20 août, l'encadrement n'a de toutes façons pris aucune mesure pour faire cesser immédiatement les sauts de M. [E] et consulter un médecin.

Pas davantage, il ne saurait être reproché à M. [E] ou à ses parents de n'avoir pas fait état d'un traitement en cours par Isotretinoïne pour un acnée sévère alors qu'il résulte des propres écritures des intimés que celui-ci avait arrêté son traitement le 16 août 2010, veille du stage, ni avoir attesté être en bonne santé, ce qui n'est pas utilement contredit. De même, il n'appartient pas à la cour de se prononcer sur l'imputabilité de la surdité de M. [E] à un tel traitement alors qu'aucun dire n'a été transmis en ce sens aux experts ou qu'aucune demande d'expertise complémentaire n'a été formulée, la notice du médicament versée aux débats (pièce 12 de l'Igesa) ne mentionnant au surplus que de très rares troubles de l'oreille et des conduits auditifs

Enfin, il n'a été donné strictement aucune information aux participants sur les possibles risques auditifs en lien avec l'activité ainsi que l'atteste M. [N] (pièce n° 6 de M. [E]), alors qu'il ressort au contraire très clairement de l'audition de M. [R] (pièce n° 12 de M. [E]) que plusieurs enfants s'étaient plaints d'oreilles bouchées ou gênes de l'audition qui seraient très rapidement rentrées dans l'ordre sans qu'il soit précisé que l'encadrement du stage y a porté une attention particulière ou que les enfants aient été interdits de sauts ou soumis à un examen médical.

De même, Mme [V] [P] (pièce n° 7 de M. [E]), fait état, dans une attestation remise à M. [E], datée du 30 juillet 2017, d'une formation au sol d'une journée au cours de laquelle les stagiaires ont été initiés 'aux bonnes pratiques' concernant 'essentiellement' la réception au sol et il leur a été 'déconseillé de sauter avec le nez bouché', faisant référence aux symptômes d'enrhumement, ce qui n'apparaît pas une sensibilisation ou formation suffisante aux risques de barotraumatismes.

L'Igesa reproche à ce témoin de n'avoir pas fait mention de sa relation intime avec M. [L] [E] dont elle partage la vie, mais cela ne rend pas cette attestation irrecevable revenant à la cour d'en apprécier la valeur probante, alors que l'Igesa ne peut à la fois considérer que cette attestation ne saurait être prise en compte et invoquer ce même témoignage pour en retirer la preuve d'une information préalable des participants sur de possibles difficultés ORL en lien avec le saut et pour insister qu'il ne ressort pas de l'affirmation du témoin selon laquelle les risques évoqués étaient 'essentiellement' liés à la réception au sol qu'il n'y a eu aucune formation ou information sur les risques de barotraumatismes.

Cette attestation, qui n'est pas utilement remise en cause et qui intervient dans un contexte où se posait clairement la question d'une formation et information des élèves stagiaires aux risques de la sphère auditive, apparaît ainsi suffisante à attester que les stagiaires n'ont pas reçu de formation spécifique au risque de barotraumatismes en lien avec le saut en parachute.

Au surplus, ainsi que le relevait le tribunal, l'Igesa reconnaît implicitement cette insuffisance ne contestant pas que depuis 2011 elle a mis en place une convention avec le Centre de Parachutisme pour sensibiliser à ce problème ayant notamment depuis été amenée à interrompre des séances de sauts ou avoir recours à des consultations médicales, ainsi qu'en atteste Melle [K] [P] (pièce n° 5 de M. [E]).

Il résulte du compte rendu d'hospitalisation du 31 août 2010 que, dès le premier saut du 19 août 2020, M. [E] a ressenti une surdité total de l'oreille gauche associée à des acouphènes aigus de type sifflements. Ceci est corroboré par l'attestation de son ami [N] ( sa pièce 14) auquel il s'est confié dès le 19 août, au soir des premiers sauts.

Par ailleurs, les experts judiciaires concluent à une surdité gauche barotraumatique en l'absence de toute autre origine, dont 'l'ensemble des éléments anamnestiques et médicaux la rattache à des sauts en parachutes effectués entre le 19 août 2010 et le 21 août 2010". Ainsi, les experts ne concluant pas à une surdité irréversible acquise dès le 19 août, c'est à bon droit que le tribunal a retenu comme établie la preuve d'un manquement de l'Igesa à ses obligations contractuelles envers M. [E] à l'origine du dommage.

Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité contractuelle de l'Igesa, tenue de réparer l'entier préjudice de M. [E], le fait que l'Igesa ait confié au centre de parachutisme l'organisation et l'encadrement du stage n'étant pas de nature à la décharger de sa responsabilité contractuelle envers ses stagiaires.

Sur l'appel en garantie à l'encontre du centre de parachutisme et de son assureur :

L'irrecevabilité des demandes de l'Igesa à l'encontre de la Sarl Centre de Parachutisme de [Localité 11], n'exclut pas de rechercher la garantie de son assureur, la société XL Insurance venant aux droits de la société Axa Corporate Solutions Assurance, laquelle ne conteste pas devoir sa garantie mais conteste toute faute contractuelle du Centre de Parachutisme.

Cependant, la convention d'activité signée entre l'Igesa et le centre de Parachutisme, prévoit notamment :

- en son article 2, que le centre est tenu d'encadrer l'activité de parachutisme dans le respect des règles de sécurité, qu'il fournit le matériel et l'encadrement conformément à la réglementation en vigueur.

- en son article 3, que la technique et la pratique de l'activité sont intégralement laissées sous la responsabilité du prestataire,

- en son article 4 que les jeunes stagiaires sont assurés par l'Igesa pour les dommages subis à eux-mêmes au cours de l'activité, sauf lorsque ces dommages résultent d'une faute du prestataire.

Par ailleurs, il résulte des éléments sus retenus que le directeur technique du Centre de Parachutisme, M. [T] [J], avait été avisé dès le 20 août des problèmes auditifs rencontrés par [L] [E], ce dont il n'a rien fait avant le lendemain n'ayant pas mis un terme aux sauts, ni adressé le jeune [L] [E] en consultation, ni avisé sa direction avant le lendemain, 21 août, voire le 22 août (cf Mme [G]), pas plus qu'il n'a avisé l'Igesa de la difficulté en temps réel.

Le tribunal est donc approuvé d'avoir retenu que le Centre de Parachutisme a commis une faute directement en lien avec le dommage et manqué ainsi à ses obligations contractuelles envers l'Igesa, en sorte que son assureur, la société XL Insurance Company SE venant aux droits de la société Axa Corporate Solutions Assurance doit, en application des dispositions de l'article 4 de la convention liant les parties, garantir et relever indemne l'Institut des condamnations mises à sa charge, en sa qualité d'assureur du Centre de Parachutisme.

Sur la liquidation du préjudice corporel de M.[E] :

M. [E] forme appel incident relativement aux postes du déficit fonctionnel permanent, préjudice d'agrément et incidence professionnelle.

L'Igesa demande à la cour de réduire le préjudice de M. [E] à de plus justes proportions tandis que le Centre de Parachutisme et son assureur, la société XL Insurance Company demande de réduire le DFT , le DFP, le préjudice d'agrément et l'incidence professionnelle.

I - Les préjudices patrimoniaux :

A) les préjudices patrimoniaux temporaires (avant consolidation)

*Les dépenses de santé actuelles (DSA)

Le jugement n'est pas remis en cause ne ce qu'il a fixé ce préjudice à la somme de 24,26 euros.

B) Les préjudices patrimoniaux permanents (après consolidation)

*L'incidence professionnelle (I.P)

Le tribunal a alloué à M. [E] une somme de 10 000 euros de ce chef, retenant que l'importance du déficit fonctionnel permanent de M. [E] constitué par une surdité gauche et des acouphènes entraîne nécessairement une dévalorisation sur le marché du travail pour un jeune homme de 19 ans.

M. [E] sollicite une somme de 843 829 euros en réparation de ce préjudice faisant valoir que sa surdité l'empêche de progresser qu'alors qu'il devrait accéder à des postes de cadre position III-B coefficient 180 pour un salaire minimal annuel brut de 60 170 euros il est bloqué à une position de cadre II coefficient 100 pour une rémunération annuelle de 36 372 euros bruts, soit un manque à gagner de 23 798 euros qu'il capitalise selon le barème de la Gazette du Palais 2020 jusqu'à l'âge de 65 ans pour un homme de 28 ans.

Il est objecté par les intimées que sa surdité ne l'a pas empêché de poursuivre ses études et de devenir ingénieur et qu'aucun préjudice scolaire ou universitaire n'a été sollicité, qu'il n'est nullement établi que M. [E] n'évoluera plus dans sa carrière alors qu'en capitalisant une perte de gains hypothétique il raisonne comme en matière de perte de gains futurs.

Ce poste a vocation à indemniser la dévalorisation de la victime sur le marché du travail, une plus grande fatigabilité, la perte d'intérêt du travail en cas de reclassement, voire une perte de chance d'évolution professionnelle.

M. [E] qui était âgé de 17 ans au moment de l'accident a depuis passé son baccalauréat scientifique, intégré un IUT puis un Master et il occupe actuellement un poste d'ingénieur. Celui ci n'a pas fait état de difficultés en lien avec sa surdité dans le cadre de ses études.

Il verse cependant une attestation circonstanciée de son employeur, M. [F], qui relate les difficultés rencontrées par M. [E] dans le cadre du travail en lien avec sa surdité notamment sa tendance à s'isoler dans le cadre des travaux et études, ce qui freine sa progression professionnelle, avec une difficulté à la prise de parole en réunion ou clientèle. Il souligne que son évolution de carrière va l'amener naturellement vers des métiers du management commercial et stratégique où il pourra se trouver en difficulté et qu'alors que des postes se sont ouverts au sein de la société il n'a pas été amené à postuler, ni n'a encore été incité à le faire.

Il n'est pas possible d'évincer de cette seule attestation que M. [E] devrait actuellement occuper un emploi de cadre III B coefficient 180 ce qui le priverait d'une perte de revenus annuels de 23 798 euros, ni que M [E] devrait nécessairement être d'ores et déjà cadre en management commercial et stratégique puisqu'il n'a pas encore postulé à un tel poste mais l'attestation de M. [F] traduit incontestablement une limitation des possibilités de progression de [E] en lien avec son handicap et une véritable dévalorisation sur le marché du travail qui justifie au regard d'un important DFP de 21 % et du jeune âge de M. [E] à la date de la consolidation, le 9 novembre 2011, de fixer ce préjudice à la somme de 50 000 euros, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef.

II - Les préjudices extra-patrimoniaux :

A) Préjudice extra-patrimoniaux temporaires (avant consolidation ) :

*Le déficit fonctionnel temporaire (DFT):

Le tribunal a fixé ce poste de préjudice à la somme de 3 726 euros.

L'Igesa comme la compagnie XL Insurance demandent de réduire ce préjudice à la somme de 2 430 euros (11 jours : 165 euros et 302 jours de DFP à 50% : 2 2 65 euros).

M. [E] est à la confirmation du jugement sur ce point.

Il s'agit d'indemniser ici l'aspect non économique de l'incapacité temporaire constitué par l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle que subit la victime jusqu'à sa consolidation et qui se manifeste par une gêne dans les actes de la vie courante ou la perte de qualité de vie.

Le tribunal pour fixer le montant de ce préjudice constitué selon le rapport d'expertise par une incapacité totale pendant la période d'hospitalisation initiale de 11 jours du 23 août au 2 septembre 2010, puis par une période d'incapacité de 50 % de 302 jours du 3 septembre 2010 au 1er juillet 2011 a retenu une base journalière de 23 euros qui n'apparaît pas critiquable.

Le jugement entrepris est en conséquence confirmé de ce chef.

*Les souffrances endurées temporaires (SET) :

Le tribunal a alloué une somme de 6 000 euros.

La compagnie XL Insurance conclut au rejet des demandes de ce chef.

L'Igesa demande de réduire ce poste à de plus justes proportions.

M. [E] demande la confirmation.

Le tribunal ayant justement rappelé qu'il s'agissait d'indemniser les souffrances tant physiques que morales du fait d'une atteinte de la victime à son intégrité physique et à sa dignité, ou du fait des traitement subis, a retenu que M. [E] avait subi une hospitalisation, puis subi, jusqu'à la consolidation en novembre 2011, des acouphènes, une sensation d'oreille bouchée génératrice d'angoisses, ce qui a notamment gêné sa scolarité.

Si dans le cadre de l'expertise pénale les experts n'avaient pas chiffré ce préjudice, le tribunal a justement retenu qu'il ressortait du rapport du Dr [C], joint en annexe du rapport d'expertise des Drs [O] et [I] que l'expert missionné par la MAIF avait retenu des souffrances endurées à hauteur de 2/7, tenant compte de l'hospitalisation initiale (11 jours), des suites douloureuses et du stress induit par la non amélioration de sa surdité malgré le traitement.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, le jugement est confirmé en ce qu'il a fixé ce poste de préjudice à la somme de 6 000 euros.

B) Les préjudices extra-patrimoniaux permanents (après consolidation) :

*Le déficit fonctionnel permanent (DFP :21 %) :

Le tribunal a alloué en indemnisation de ce préjudice une somme de 66 150 euros (3 150 euros le point) tenant compte des douleurs persistantes, de la perte de qualité de vie pour indemniser l'aspect non économique lié à la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable ainsi que des phénomènes douloureux et des répercussions psychologiques.

L'Igesa demande de réduire ce poste à de plus justes proportions.

La société XL Insurance demande de le réduire à la somme de 48 300 euros.

M. [E] demande une indemnisation sur la base de 3 900 euros le point.

Compte tenu de l'âge de M. [E] à la date de la consolidation et des éléments de préjudice ce poste sera plus justement réparé par l'octroi d'une somme de 72 765 euros (3 465 X 21), le jugement étant infirmé de ce chef.

*Le préjudice d'agrément :

Le tribunal a fixé ce poste de préjudice à la somme de 4 000 euros pour avoir été privé de son activité de parachutisme ayant écarté comme non établi l'exercice d'autres activités de loisir ou de sport.

L'Igesa demande de réduire ce poste à de plus justes proportions.

Le centre de parachutisme et son assureur concluent à la confirmation.

M. [E] continue de réclamer une somme de 10 000 euros pour avoir été privé de la pratique du parachutisme, de la plongée sous marine et de la guitare.

Cependant, il ne résulte d'aucun élément que M. [E], dont il est acquis qu'il avait déjà effectué un premier stage de parachutisme et qu'il en effectuait un deuxième au moment de son accident, s'adonnait également à la pratique régulière de la guitare ou de la plongée sous marine, en sorte que le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a justement indemnisé la seule privation d'une activité de parachutisme en fixant ce poste de préjudice à la somme de 4 000 euros.

En définitive les préjudices de M. [E] seront résumés comme suit :

préjudice

créance victime

créance

CNMSS

créance

Mutuelle

Préjudice Patrimoniaux

temporaires

dépenses de santé actuelle

24,26€

24,26€

définitif

incidence professionnelle

50.000,00€

50.000,00€

PRÉJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX

Temporaires

DFTP déficit fonctionnel temporaire partiel

3 726,00 €

3 726,00 €

SE souffrances endurées

6 000,00 €

6 000,00 €

Permanents

DFP déficit fonctionnel permanent

72.765,00€

72 765,00 €

PA préjudice d'agrément

4 000,00 €

4 000,00 €

TOTAL

136.515,26 €

136.491,00€

24,26 €

Provision

9 660,00 €

TOTAL après provision

126 831,00€

Il n'a pas été fait état par les tiers payeurs du versement d'une rente AT ou d'une pension d'invalidité susceptible de s'imputer sur l'incidence professionnelle et c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que la somme de 24,26 euros versée par la mutuelle au titre des honoraires médicaux s'imputera sur les dépenses de santé actuelle, poste entièrement absorbé par sa créance.

Au vu de l'issue du présent recours, l'Igesa et la société XL Insurance Company en supporteront les dépens, l' Igesa étant condamnée à payer à M. [E] une somme de 4 500 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel et la société XL Insurance à la relever indemne de cette condamnation, les parties étant déboutées de toute autre demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme partiellement le jugement entrepris.

Statuant à nouveau des chefs réformés :

Déclare irrecevable l'action en garantie de l'Institut de Gestion Sociale des Armées à l'encontre de la Sarl Centre de Parachutisme de [Localité 11].

Fixe les préjudices de M. [E] :

- au titre de l'incidence professionnelle à la somme de 50 000 euros,

- au titre du déficit fonctionnel permanent à la somme de 72 765 euros

En conséquence :

Condamne l'Institut de Gestion Sociale des Armées (IGESA) à payer à M. [L] [E] une somme totale de 126 831 euros en réparation de son préjudice corporel après déduction de la créance de l'organisme social et de la provision.

Confirme le jugement entrepris pour le surplus et y ajoutant :

Déclare le présent arrêt commun à la Caisse Nationale Militaire de Sécurité Sociale et à la Mutuelle MGEFI.

Condamne l'Institut de Gestion Sociale des Armées à payer à M. [L] [E] une somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne in solidum l'Institut de Gestion Sociale des Armées et la société XL Insurance Company aux dépens du présent recours.

Condamne la société XL Insurance Company venant aux droits de la société Axa Corporate Solutions Assurance à garantir et relever indemne l'Institut de Gestion Sociale des Armées de toutes les condamnations mises à sa charge.

Le présent arrêt a été signé par Madame Paule POIREL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,