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Décisions

CA Caen, 1re ch. soc., 18 janvier 2024, n° 22/01819

CAEN

Arrêt

Autre

CA Caen n° 22/01819

18 janvier 2024

AFFAIRE : N° RG 22/01819

N° Portalis DBVC-V-B7G-HAZP

Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAEN en date du 08 Juillet 2022 RG n° 21/00309

COUR D'APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRÊT DU 18 JANVIER 2024

APPELANT :

Monsieur [V] [Z]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Marie-France MOUCHENOTTE, avocat au barreau de CAEN

INTIMEE :

S.A.S. ENBRO Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Valérie BELLANCOURT-DE-SAINT-JORES, avocat au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre, rédacteur

Mme PONCET, Conseiller,

Mme VINOT, Conseiller,

DÉBATS : A l'audience publique du 09 novembre 2023

GREFFIER : Mme JACQUETTE-BRACKX

ARRÊT prononcé publiquement le 18 janvier 2024 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme GOULARD, greffier

M. [V] [Z], engagé le 31 août 2020 en qualité de commercial par la société Enbro, a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au16 février 2021 par lettre du 8 février précédent, reporté au 18 février 2021 puis au 1er mars suivant, mis à pied à titre conservatoire, puis licencié pour faute grave par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 12 mars 2021 ;

Contestant son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail, M [Z] a saisi le 1er juillet 2021 le conseil de prud'hommes de Caen, qui, statuant par jugement du 8 juillet 2022, a débouté M. [Z] de l'ensemble de ses demandes, l'a condamné à payer à la société Enbro la somme de 686.60 € au titre de la violation de la clause de non concurrence, celle de 159.60 € au titre des frais de nettoyage du véhicule, celle de 263.88 € au titre du téléphone non restitué et celle de 200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Par déclaration au greffe du 19 juillet 2022, M. [Z] a formé appel de cette décision ;

Par conclusions n°2 remises au greffe le 20 mars 2023 et auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel, M. [Z] demande à la cour de :

- dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Enbro France à verser à M. [Z] les sommes de 2.277.50 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de 2.277.50 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis (article 15 de la CCN), de 227,75 € à titre d'indemnité de congés payés sur préavis, de 2.440,06 € € à titre de rappel de salaire sur la mise à pied, de 244,00 € au titre des congés payés afférents au rappel de salaire sur la mise à pied ;

- annuler l'avertissement notifié le 24 décembre 2020 ;

- condamner la société Enbro France à verser à M. [Z] la somme de 1.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour avertissement injustifié ;

- annuler l'avertissement notifié le 06 janvier 2021 ;

- condamner la société Enbro France à verser à M. [Z] la somme de 1.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour avertissement injustifié ;

- condamner la société Enbro France à verser à M. [Z] la somme de 5.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour la mise en place et l'utilisation abusive de la géolocalisation du véhicule ;

- condamner la société Enbro France à verser à M. [Z] la somme de 5.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ;

- condamner la société Enbro France à verser à M. [Z] la somme de 2.277.50 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement dans des conditions vexatoires ;

- débouter la société Enbro de ses demandes ;

- condamner la société Enbro France à verser à M. [Z] la somme de 5000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Par conclusions remises au greffe le 22 décembre 2022 et auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel, la société Enbro demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il déboutait la Société Enbro de sa demande tendant à voir M. [Z] condamné à lui régler une somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis par la SAS Enbro du fait de la violation de la clause de non-concurrence ;

- statuant à nouveau,

- condamner M. [Z] à lui payer la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis du fait de la violation de la clause de non-concurrence et celle de 7500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [Z] aux dépens ;

- confirmer le jugement pour le surplus ;

MOTIFS

I- Sur les avertissements

*avertissement du 24 décembre 2020

L'employeur a notifié au salarié par lettre recommandée du 24 décembre 2020 un avertissement, motivé par un manque d'implication provoquant des résultats en deçà des objectifs, le non respect des consignes de son responsable hiérarchique et des procédures de l'entreprise, notamment le fait d'édicter des mandats de consommation sans signature du client, et le non respect de son objectif d'un chiffre d'affaires de 500 points ;

Le salarié fait valoir que l'avertissement est signé par M. [N] qui était à l'époque actionnaire de la société sans délégation de pouvoir sanctionner un salarié. La lettre est effectivement signée de M. [B] [N] CEO Enbro SAS France. Il n'est pas contesté que M. [N], mentionné sur le contrat de travail de M. [Z] comme son supérieur hiérarchique, était actionnaire de la société, qu'il n'était donc pas une personne étrangère à l'entreprise et pouvait recevoir une délégation de pouvoir du président de la société Enbro SAS pour sanctionner le salarié. Il est produit aux débats une délégation de pouvoir signée par M. [L] président de la société Enbro en date du 2 mai 2018 à M. [N] actionnaire Enbro, ce pouvoir de signature concernant la gestion quotidienne toutes les démarches administratives financières et commerciales pour Enbro pour un durée indéterminée ». Cette délégation implique nécessairement le pouvoir de sanctionner un salarié ;

Cependant l'employeur dans ses conclusions ne donne aucune précision sur les griefs visés, notamment l'absence d'implication, le non respect des consignes et ne vise aucun élément ou pièce de nature à les établir ;

L'avertissement sera donc par infirmation du jugement annulé et il sera alloué une somme de 500 € au salarié à titre de dommages et intérêts ;

*avertissement du 6 janvier 2021

En cette même qualité, M. [N] a adressé le 6 janvier 2021 à M. [Z] un courriel dans lequel il lui indique avoir constaté, alors qu'il est « positif au Covid 19 », que « ta voiture bouge alors que tu es en quarantaine », et lui rappelle les conséquences de son comportement : les difficultés avec l'assurance du véhicule qui ne peut circuler car « tu es strictement en quarantaine tant professionnellement que personnellement », les difficultés s'il est en contact avec une autre personne et le risque qu'il contamine quelqu'un d'autre ;

1)Pour considérer que ce courriel ne peut être qualifié d'avertissement, l'employeur considère que ces échanges s'apparentent à « un père qui gronde son fils », qu'il s'agit d'une réprimande informelle et non d'une sanction disciplinaire ;

Mais le courriel précise, après avoir rappelé le comportement du salarié, que « ce mail est classé dans ton dossier et je n'hésiterai pas à m'en servir si je devait le faire pour assurer mes arrières », et que « pour ma part le sujet est clos, inutile de discuter ou d'échanger par rapport à cet avertissement » ;

Il en résulte ainsi que l'employeur a lui-même qualifié son courriel d'avertissement, que les termes du courriel évoquent un agissement du salarié considéré comme fautif, et caractérisent une volonté de l'employeur de sanctionner cet agissement, en l'occurrence par une menace de sanction.

Dès lors ce courriel doit être considéré comme un avertissement ;

2) Le salarié forme les mêmes critiques quant au pouvoir de sanctionner de l'auteur du courriel, M. [N], lesquelles au vu de ce qui a été précédemment jugé, seront rejetées ;

3)Le salarié reproche à l'employeur d'avoir tracé le véhicule alors qu'il était en arrêt maladie et que la géolocalisation aurait dû être désactivée, et que l'utilisation de la géolocalisation n'a pas été prévue pour un motif disciplinaire ;

L'employeur indique qu'il a communiqué au salarié les éléments nécessaires pour désactiver le système, lequel par négligence n'y a pas procédé, que l'utilisation du système de géolocalisation n'est donc pas abusive ;

Au vu des pièces produites par le salarié, ce dernier a été en arrêt de travail pour maladie à compter du 4 janvier 2021, prolongé le 13 janvier (l'avis portant la mention « pneumopathie Covid 19 » puis à deux reprises jusqu'au 21 février 2021 ;

Selon son contrat de travail, le salarié dispose d'un véhicule de la société qu'il peut utiliser à titre professionnel et à titre privé. L'employeur ne justifie pas des formalités légales accomplies pour l'utilisation du système de géolocalisation installé dans les véhicules ;

Toutefois, par courriel du 23 décembre 2020, le salarié a demandé à la responsable des ressources humaines ses identifiants et mot de passe afin qu'il puisse couper la géolocalisation du véhicule pendant ses vacances, qu'il a été destinataire le 24 décembre 2020 à 8h15, d'un courriel du site Logbook lui expliquant les modalités et lui communiquant ses identifiants et le mot de passe, et d'un courriel de la responsable lui confirmant cet envoi et lui demandant de «lui faire un retour pour être certaine que cela fonctionne » ;

Ainsi, contrairement à ce qu'il soutient, le salarié a été en mesure de désactiver le système pendant ses congés, ce qu'il n'a pas fait. En effet, c'est seulement le 5 janvier 2021 qu'il a écrit à Mme [J] pour lui demander de « ravoir » un lien car le sien ne fonctionnait pas ;

Toutefois, même si le salarié n'a pas désactivé le système de géolocalisation pendant ses congés puis pendant son arrêt de travail pour maladie, l'employeur ne pouvait durant ses périodes utiliser ce système ;

Dès lors, les constatations faites par l'employeur et ayant motivé l'avertissement du 6 janvier 2021 résultent d'une utilisation abusive du système de géolocalisation. L'avertissement du 6 janvier 2021 doit donc être annulé et une somme de 500 € allouée au salarié à titre de dommages et intérêts, le jugement étant infirmé ;

II- Sur la mise en place abusive de la géolocalisation du véhicule

Le salarié reproche à l'employeur d'avoir utilisé le système de géolocalisation du véhicule alors qu'il était en arrêt maladie, et de ne pas l'avoir mis en capacité de débrancher le système de géolocalisation ;

L'employeur indique qu'il a communiqué au salarié les éléments nécessaires pour désactiver le système, lequel par négligence n'y a pas procédé ;

Il a été jugé que l'employeur ne pouvait utiliser le système de géolocalisation durant l'arrêt de travail pour maladie du salarié, ce même si celui-ci ne l'avait pas désactivé. Cette utilisation abusive a occasionné un préjudice moral au salarié en portant atteinte à sa vie privée qui sera, par infirmation du jugement, réparé par une somme de 500 € à titre de dommages et intérêts ;

III- Sur le manquement à l'obligation de sécurité

Le salarié reproche à l'employeur de ne pas avoir mis en place, pendant la crise sanitaire, d'équipement de protection, soit masque gel hydroalcoolique, protection de plexiglas et d'avoir refusé le télétravail, également de l'avoir obligé à assister à une réunion alors que le salarié l'avait informé que son épouse avait été testée positive au Covid 19 ;

L'employeur indique qu'il a pris les mesures nécessaires ;

Le salarié produit les pièces suivantes :

- une attestation de M. [W] indiquant qu'il avait eu seulement un masque en tout le jour de sa prise de poste, et qu'il n'a pas été informé que des masques et du gel étaient à sa disposition ;

- une attestation de Mme [P] commerciale au sein de la société qui indique que lors de la période de septembre 2020 à janvier 2021, il ne lui a été remis qu'un seul masque en tissus, qu'elle n'a pas eu de gel, qu'il en a été de même pour ses collègues commerciaux. Elle indique également qu'ils étaient contraints d'assister à des réunions au sein de l'agence au cours desquels les distances et règles de sécurité quant à la pandémie n'étaient pas respectées ;

- un courriel adressé par le salarié à Mme [J] (responsable ressources humaines) le dimanche 3 janvier 2021 lui indiquant que son épouse était susceptible d'avoir le Covid 19 et qu'il souhaitait savoir si le télétravail était possible s'il était positif au Covid ou en contact avec une personne qui l'avait, ce à quoi il lui avait été répondu le 4 janvier à 8h55 que le télétravail n'était pas possible compte tenu de ses fonctions, et que son épouse devait se faire tester et que si elle est positive il serait en qualité de cas contact mis en isolement 7 jours et donc en arrêt maladie ;

- une lettre de l'avocat de Mme [P] adressée à la société Enbro le 18 janvier 2020 listant les difficultés rencontrées par Mme [P] dans l'exécution de son contrat de travail et évoquant le non respect par la société de son obligation de sécurité fait état d'une réunion organisée le 4 janvier 2021 regroupant 9 personnes dans une petite salle alors qu'un de ses collègues avait informé l'employeur qu'il était possible que son épouse soit positive au Covid 19 et demandé à participer à la réunion en visio-conférence ce qui lui avait été refusé, le midi ce salarié a appris que son épouse était effectivement positive au Covid, puis l'après-midi que lui-même était positif au Covid 19.

Mais cette lettre a été écrite par l'avocat de Mme [P] qui n'a pas été témoin direct de cette réunion, qui ne fait que reprendre les propos de sa cliente, laquelle pourtant n'en parle pas dans son attestation du 4 mai 2022 qui est pourtant postérieure, et surtout ne cite pas le nom de M. [Z].

L'employeur produit aux débats une fiche d'entreprise établie le 25 janvier 2021 par le médecin du travail qui constate au titre des mesures de prévention existantes « gel hydroalcoolique à disposition des salariés dans l'open-space, masques chirurgicaux portés, note de service Covid 19 à l'attention des salariés », et une note de service du 1er septembre 2020 à l'attention de l'ensemble du personnel rappelant les mesures de protection mises en place (dans la salle de pause, bureau) port du masque nettoyage avec lingette mise à disposition ;

De ce qui vient d'être exposé, il en résulte que s'il ne peut être reproché à l'employeur la présence du salarié à la réunion du 4 janvier 2021, alors même que son épouse n'était pas encore déclarée comme ayant contracté la Covid 19, les autres régles de prévention et protection n'étaient cependant pas respectées, notamment les distances requises entre les participants aux réunions (ces régles ne sont d'ailleurs pas précisées dans la note de service),et la fourniture insuffisante de masques (un seul masque remis), le constat du médecin du travail se limitant à la mention que le masque est porté ;

Il existe ainsi un manquement par l'employeur à son obligation de sécurité qui sera réparée, par infirmation du jugement, par une somme de 800 € à titre de dommages et intérêts ;

IV- Sur le licenciement

La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l'employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et s'ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail ;

Le salarié critique le pouvoir de l'auteur de la lettre de licenciement M. [N] de le licencier et se fonde sur les mêmes moyens que ceux développés pour critiquer la signature par M. [N] des deux avertissements ;

La lettre de licenciement du 12 mars 2021 a été signée par M. [B] [N], CEO Enbro France. Au vu de ce qui a été précédemment jugé relativement aux avertissements, observant en outre que la délégation de pouvoir impliquait nécessairement le pouvoir de M. [N], alors actionnaire et qui est devenu en 2022 directeur général de la société, de licencier le salarié ;

La lettre de licenciement vise les éléments suivants :

1) faux et usage de faux

Il est reproché au salarié d'avoir édité des mandats de consommation sans contresignature du client, de ne pas ainsi respecter les consignes de son supérieur ainsi que les procédures applicables rappelées lors d'une formation de trois jours, notamment l'interdiction d'édicter un mandat PO sans qu'un mandat de consommation ait été signé préalablement par le client. La lettre évoque également la plainte d'un client auprès du service Back Office

L'employeur produit :

- un courriel du 4 novembre 2020 de M. [Y] « sales manager » adressé à tous les salariés leur rappelant les procédures pour le back office notamment que le mandat conso doit être rempli et signé et que les PO sont exceptionnels et que le mandat « conso » doit être intégré dans le fichier avec sa facture ;

- deux témoignages écrits de salariés, Mme [U] indiquant avoir été informée lors de sa formation du 31 août 2020 par M. [Y] que le mandat PO ne peut être effectué alors qu'un mandat de consommation n'est pas signé par le client, et de M. [X] faisant état des mêmes consignes reçues lors de sa formation du 1er décembre 2020 ;

- un mandat de consommation du 17 décembre 2020 au nom de l'hôtel [5] établi par M. [Z] en tant que courtier signé par lui avec la mention « PO », et qui porte une mention du 21 décembre 2020 par le salarié : « je viens d'intégrer les mandats signés du client reçu par mail ce jour » ;

- un courriel du 17 novembre 2020 adressé par le salarié à M. [Y] par lequel il lui joint une facture du client par mail et lui précise que le mandat de consommation a été signé hier par le client et a été intégré dans son dossier ;

- un courrier de l'avocat d'un client (M. [G]) adressé le 3 novembre 2020 à la société se plaignant qu'un de ses courtiers, M. [Z] avait tenté de faire régulariser à son client « un mandat pour conclure un contrat de fourniture d'énergie », et précisant que le courtier s'était servi d'un mandat SEPA pour porter la signature qui y figurait sur le contrat de fourniture d'énergie.

- un mandat de fourniture d'énergie du 28 octobre 2020 signé par M. [G], le courtier étant M. [Z] ;

Le salarié conteste les griefs, soutient que le grief lié à une fausse signature n'est pas visé dans la lettre de licenciement, que ce grief est au demeurant prescrit, que par ailleurs le non respect des consignes a été sanctionné par l'avertissement ;

Le salarié n'est pas contredit lorsqu'il indique que le mandat de consommation est destiné à recevoir l'accord du client pour autoriser le commercial à faire une étude auprès des fournisseurs d'énergie pour trouver le meilleur tarif, que ce mandat est signé électroniquement puis transmis au service Back Office pour faire l'étude, que ce service établit le contrat avec le fournisseur choisi par le client puis le transmet au commercial qui contacte le client pour la signature du contrat ;

Les pièces produites par l'employeur démontrent que le salarié faisait signer des mandats de consommation pour ordre, ce en dépit des consignes qu'il ne conteste pas avoir reçues à ce titre ;

Concernant l'imitation de la signature de M. [G], si elle ne concerne pas un mandat de consommation mais le mandat pour conclure un contrat de fourniture d'énergie, au vu de la pièce n°19 fournie par l'employeur, ce grief est néanmoins nécessairement inclus dans la lettre de licenciement sous le vocable « faux et usage de faux » la plainte de ce client étant d'ailleurs expressément rappelée dans la lettre ;

Toutefois, l'employeur a été informé de ce reproche par le courrier du 3 novembre 2020, et qu'un délai de deux mois s'est écoulé entre cette date et la convocation à l'entretien préalable du 8 février 2021 ; L'employeur qui ne s'explique pas utilement sur le moyen de prescription soulevé, n'invoque pas la nécessité d'une enquête et ne justifie d'ailleurs pas la réponse faite au courrier du 3 novembre 2020 ; Ce grief est donc en application de l'article L1332-4 du code du travail, prescrit ;

Concernant le non respect des consignes, les deux manquements établis sont antérieurs à l'avertissement du 24 décembre 2020. Or, cet avertissement vise notamment le non respect des consignes et des procédures de l'entreprise, notamment du back office, sans les préciser mais en relevant que « le fait d'édicter des mandats de consommation sans contresignature du client est passible de sanction disciplinaire mais également pénale » ;

Dès lors, l'employeur qui connaissait ces deux manquements au moment de la délivrance de l'avertissement les a ainsi nécessairement visés. Il a donc épuisé son pouvoir disciplinaire et ces deux manquements ne peuvent être retenus au soutien du licenciement ;

2 Faux rendez-vous

La lettre lui reproche, suite au contrôle qualité réalisé auprès des clients, d'avoir mentionné sur son agenda des rendez vous « Rdv R+1 » alors que les clients avaient indiqué après vous avoir vu une première fois en prospection ne pas souhaiter prendre un second rendez vous.

L'employeur se fonde sur sa pièce n°4 qui est un échange de courriel entre M. [Y] et Mme [J] par lequel le premier communique à la seconde un message de Mme [A] (responsable call center) qui indique « comme convenu j'ai contrôlé les RDV prospection de [V] de la première semaine de janvier, voici mon retour :

- boucherie les 3 chefs Ifs, prévu le 5/01 à 10h : Mr a bien vu [V] mais n'a jamais pris RDV et n'aime pas ça (prospect désagréable).

- New deal pare-brise, Ifs prévu le 5/01 à 13h30 : Mr [C], a vu [V] mais lui a précisé qu'il n'avait pas le temps pour voir ça avant février ! n'a jamais pris RDV. »

Le salarié dit qu'il n'a pas pu tenir ces rendez vous car il était en arrêt de travail pour maladie.

Mais il lui est reproché non pas de ne pas avoir honoré ces rendez vous mais d'avoir noté, après un premier prospect, des rendez vous sans l'accord des clients ;

Ce grief non autrement contesté est donc établi ;

Même si l'ancienneté du salarié était inférieure à une année au moment du licenciement, cet unique grief, en l'absence de tout rappel à l'ordre antérieur, l'avertissement du 24 décembre 2020 ayant été annulé et ne concernait au demeurant pas la mention de faux rendez vous, ne présente pas la gravité suffisante pour justifier un licenciement à fortiori un licenciement pour faute grave. Le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse, le jugement sera infirmé ;

Le salarié peut par conséquent prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, augmentée des congés payés afférents,et au paiement du salaire et congés payés afférents durant la mise à pied à titre conservatoire. Le montant des sommes réclamées à ce titre ne fait l'objet d'aucune contestation y compris à titre subsidiaire. Il sera ainsi fait droit à ses demandes qui seront rappelées au dispositif de l'arrêt ;

Il peut également prétendre à des dommages et intérêts au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement ;

En application des dispositions de l'article L1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017, le salarié peut prétendre, au vu de son ancienneté inférieure à une année complète et de la taille de l'entreprise, à une indemnité maximale d'un mois de salaire brut ;

Au vu de son âge, de son ancienneté, de sa formation et de ses capacités à retrouver un nouvel emploi, il convient de lui allouer des dommages et intérêts de 2000 € ;

Le salarié demande des dommages et intérêts pour licenciement dans des conditions vexatoires. Il invoque les termes de la lettre de licenciement et l'attitude de l'employeur à l'occasion de la notification du licenciement soit le décalage de l'entretien préalable ;

En l'espèce, fixé au 16 février 2021, l'entretien préalable a été décalé à deux reprises, au 18 février puis au 1er mars. L'employeur a invoqué dans ses courriers le non respect du délai de 5 jours, également pour la seconde modification des intempéries. Le salarié a par ailleurs informé l'employeur par lettre du 15 février qu'il était en arrêt de travail pour maladie et qu'il ne pourrait se présenter. S'il est vrai que le salarié n'a pas demandé le report des entretiens, ces reports au vu des motifs retenus par l'employeur ne caractérisent pas une circonstance vexatoire, étant par ailleurs relevé que le caractère fautif des motifs de la lettre de licenciement est réparé par les dommages et intérêts alloués pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et n'a donc généré aucun préjudice distinct ;

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande ;

V- Sur la clause de non concurrence

L'article 13 du contrat de travail intitulé « non concurrence » prévoit que le salarié s'engage à ne pas travailler « en qualité de salarié ou de non salarié pour une entreprise concurrente et à ne pas créer directement ou indirectement par personne interposée d'entreprise ayant des activités concurrentes ou similaires à celles de la société ». L'interdiction est limitée à une période de 12 mois courant à compter du départ effectif de la société de M. [Z] ;

Cet article prévoit encore que « toute violation de la présente clause de non concurrence rendra automatiquement M. [V] [Z] redevable envers la société Enbro Sas d'une somme correspondant à 1/3 de mois de salaire brut. Cette somme devra être versée à la société Enbro Sas pour chaque infraction constatée, sans qu'il soit besoin d'une mise en demeure d'avoir à cesser l'activité concurrentielle » ;

Il ajoute enfin que le paiement de cette somme n'est pas exclusif du droit que la société Enbro Sas se réserve de poursuivre M. [V] [Z] en remboursement du préjudice effectivement subi et de faire ordonner sous astreinte la cessation de l'activité concurrentielle » ;

L'employeur fait valoir que le salarié s'est engagé avec la société Alliance Eco et qu'il utilisait l'étendard de la société Enbro pour démarcher ses clients ;

Il produit une carte de visite de la société Alliance Eco portant le numéro de téléphone de M. [Z]. Il ne produit pas la date de l'engagement ni d'éléments relatifs à l'activité de cette société mais le salarié ne conteste pas qu'elle exerçait une activité concurrentielle de son ex-employeur puisqu'il se limite à considérer que la clause pénale ne peut être mise en œuvre faute de mise en demeure en application de l'article 1231-5 du code civil et à solliciter subsidiairement la réduction de cette clause ;

L'article 1231-5 du code civil dispose que « sauf inexécution définitive, la pénalité n'est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure » ;

L'employeur ne conteste pas que la mise en demeure est nécessaire nonobstant l'article 13 du contrat de travail mais estime qu'elle ne l'était pas en application de l'article 1231-5 au motif que l'inexécution contractuelle est définitive ;

Toutefois, il n'explique pas en quoi les conditions de l'exception à l'envoi d'une mise en demeure prévue par l'article L1231-5 du code civil seraient remplies, se contentant d'un renvoi à la motivation du jugement lequel rappelle que la mise en demeure s'applique sauf dans l'hypothèse où l'inexécution contratuelle est définitive sans dire davantage en quoi elle l'était en l'espèce ;

Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a condamné le salarié au paiement de la clause pénale ;

L'employeur fait état d'un préjudice lié à la violation de la clause de non concurrence en ce que d'une part le salarié est entré en contact avec les clients de la société Enbro en continuant à se prévaloir de son image et d'autre part a démarché les clients de la société Enbro sous l'étendard de la société Alliance Eco ;

Il produit un courrier de Mme [H] (Boulangerie Pâtisserie Aux douceurs d'Agathe) du 25 mars 2021 dans lequel elle indique avoir été démarchée par téléphone par M. [Z] « aux alentours du 5 mars 2021 » pour prendre un rendez vous. Outre, qu'à cette date le salarié n'était pas encore licencié, elle ne précise à quel titre le rendez vous a été pris et au nom de quelle société ;

Il produit également un échange de courriels entre lui et Mme [D] qui établit que celle-ci a adressé un courriel à M. [Z] (ce courriel n'est pas produit), que l'employeur lui a répondu le 7 octobre 2021 lui indiquant que M. [Z] ne faisait plus partie des effectifs et que son équipe a repris son dossier, et que Mme [D] a elle-même répondu en indiquant « je suis surprise que vous me disiez que M. [Z] ne face plus partie de vos effectifs car il vient de me contacter ». Là encore, Mme [D] ne précise pas à quel titre M. [Z] l'avait contactée, notamment si c'était pour le compte de la société Alliance Eco ;

Dès lors, l'employeur n'établit pas une faute du salarié encore moins qu'elle lui ait occasionné un préjudice, le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts ;

VI- Sur les demandes de remboursement formées par l'employeur

La responsabilité pécuniaire du salarié ne peut être engagée envers l'employeur qu'en cas de faute lourde. Celle-ci est caractérisée par l'intention de nuire à l'employeur ;

L'employeur sollicite d'une part le remboursement des frais de nettoyage du véhicule de fonction et d'autre part celui du téléphone professionnel du salarié jamais restitué ;

Les photographies produites aux débats démontrent que le véhicule a été effectivement restitué sale, notamment au niveau des tapis de sol et sièges, sans toutefois que ces seuls éléments suffisent à caractériser une intention de nuire du salarié ;

Concernant l'absence de restitution du téléphone portable, l'employeur produit comme seul élément la facture d'achat d'un nouveau téléphone qui est insuffisant pour établir l'intention de nuire du salarié.

Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a fait droit aux demandes de remboursement de l'employeur ;

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux indemnités de procédure seront infirmées.

En cause d'appel, l'employeur qui perd le procès sera condamné aux dépens de première instanceet d'appel et débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile. En équité, il réglera, sur ce même fondement, une somme de 2000 € à M. [Z]. ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Infirme le jugement rendu le 8 juillet 2022 par le conseil de prud'hommes de Caen sauf en ce qu'il a débouté M. [Z] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement intervenu dans des conditions vexatoires et la société Enbro de sa demande de dommages et intérêts pour la violation de clause de non concurrence,

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

Prononce la nullité des avertissements des 24 décembre 2020 et 6 janvier 2021 ;

Condamne la société Enbro à payer à M. [Z] la somme de 500 € pour chacun d'eux à titre de dommages et intérêts ;

Condamne la société Enbro à payer à M. [Z] la somme de 500 € pour utilisation abusive du système de géolocalisation ;

Condamne la société Enbro à payer à M. [Z] la somme de 800 € pour manquement à son obligation de sécurité ;

Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Enbro à payer à M. [Z] la somme de 2000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, celle de 2277.50 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, celle de 227.75 € à titre de congés payés afférents, celle de 2440.06 € à titre de rappel de salaire sur mise à pied et celle de 244 € à titre de congés payés afférents ;

Déboute la société Enbro de sa demande au titre de la clause pénale et en remboursement des sommes de 159.60 € et 263.88 € ;

Condamne la société Enbro à payer à M. [Z] la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

La déboute de sa demande aux mêmes fins ;

Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêt au taux légal à compter de l'avis de réception de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes ;

Dit que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt ;

Condamne la société Enbro aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

E. GOULARD L. DELAHAYE