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Décisions

CA Besançon, 1re ch., 30 janvier 2024, n° 22/01019

BESANÇON

Arrêt

Autre

CA Besançon n° 22/01019

30 janvier 2024

Le copies exécutoires et conformes délivrées à

CS/FA

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Minute n°

N° de rôle : N° RG 22/01019 - N° Portalis DBVG-V-B7G-EQZD

COUR D'APPEL DE BESANÇON

1ère chambre civile et commerciale

ARRÊT DU 30 JANVIER 2024

Décision déférée à la Cour : jugement du 10 mai 2022 - RG N°19/00384 - TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE VESOUL

Code affaire : 28A - Demande en partage, ou contestations relatives au partage

COMPOSITION DE LA COUR :

M. Michel WACHTER, Président de chambre.

M. Cédric SAUNIER et Madame Anne-Sophie WILLM, Conseillers.

Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.

DEBATS :

L'affaire a été examinée en audience publique du 28 novembre 2023 tenue par M. Michel WACHTER, président de chambre, M. Cédric SAUNIER et Madame Anne-Sophie WILLM, conseillers et assistés de Mme Fabienne ARNOUX, greffier.

Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.

L'affaire oppose :

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

INTIMEE SUR APPEL INCIDENT

Madame [Y] [T] veuve [F]

née le [Date naissance 5] 1934 à [Localité 11], de nationalité française, retraitée,

demeurant [Adresse 6]

Représentée par Me Marie-Christine VERNEREY, avocat au barreau de MONTBELIARD

ET :

INTIMÉ

Monsieur [O] [F]

né le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 10], de nationalité française,

demeurant [Adresse 9]

Représenté par Me Mireille THOMAS, avocat au barreau de MONTBELIARD

INTIMES

APPELANTS A L'INCIDENT

Madame [D] [F] épouse [U]

née le [Date naissance 8] 1960 à [Localité 10], de nationalité française, agent de service hospitalier, demeurant [Adresse 4]

Représentée par Me Marie-Christine VERNEREY, avocat au barreau de MONTBELIARD

Monsieur [C] [F]

né le [Date naissance 2] 1966 à [Localité 10], de nationalité française, éducateur,

demeurant [Adresse 6]

Représenté par Me Marie-Christine VERNEREY, avocat au barreau de MONTBELIARD

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.

*************

Faits, procédure et prétentions des parties

[I] [F] est décédé le [Date décès 3] 2017, laissant pour lui succéder son épouse Mme [Y] [T], commune en biens et bénéficiaire d'une donation au dernier vivant, ainsi que ses enfants M. [O] [F], Mme [D] [F] et M. [C] [F].

Par actes signifiés les 27 février et 8 mars 2019, M. [O] [F] a fait assigner les autres héritiers devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Vesoul aux fins que soit ordonnée l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession, en sollicitant en outre :

- la condamnation de Mme [T] à rapporter à la succession la somme de 90 000 euros outre intérêts, correspondant au montant de sommes recelées, à verser entre les mains du notaire désigné sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement ;

- qu'il soit 'jugé' que cette dernière sera privée de tout droit dans la succession à hauteur de la somme de 90 000 euros ;

- qu'il soit 'jugé' que le notaire désigné pourra opérer partage entre Mme [D] [F], M. [C] [F] et lui-même de la somme susvisée et sera autorisé à lui verser le tiers de ce montant ;

- qu'il soit 'jugé' que Mme [T] a abusé de l'usufruit dont elle disposait conformément à l'article 618 du code civil et prononcer la déchéance de celui-ci ;

- la condamnation de cette dernière à verser entre les mains du notaire désigné, sous astreinte de

1 000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement, la somme de 42 601,08 euros et qu'il soit 'jugé' que le notaire pourra opérer partage entre les trois autres héritiers de ladite somme ;

- que le notaire soit autorisé à lui verser les sommes de 14 200,36 euros et de 44 200,36 euros.

M. [O] [F] demandait subsidiairement :

- qu'il soit 'jugé' que la somme de 110 100,85 euros devra être restituée aux nus-propriétaires, que Mme [T] soit condamnée à verser ce montant, augmenté des intérêts, entre les mains du notaire sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement, qu'il soit 'jugé' que le notaire désigné pourra procéder au partage de ladite somme entre les trois autres héritiers et qu'il soit autorisé à lui verser le tiers de ladite somme, soit 36 700,28 euros ;

- à défaut, qu'il soit 'jugé' que le notaire devra placer ladite somme sur un compte bloqué ouvert au nom de l'indivision [F] jusqu'au décès de Mme [T] avec versement des intérêts sur ladite somme à cette dernière jusqu'à son décès ;

- en toutes hypothèses, la condamnation de Mme [T] à lui verser la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts et celle de 6 760 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [D] [F] et M. [C] [F] n'ont pas constitué avocat devant le juge de première instance, tandis que Mme [T] sollicitait, outre frais irrépétibles et dépens :

- que les actions aux fins de partage de la succession et en recel successoral et abus de jouissance d'usufruit soit déclarées irrecevables ;

- que M. [O] [F] soit débouté de toutes ses demandes, fins et prétentions et soit condamné à lui payer une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Par jugement rendu le 10 mai 2022, le tribunal a :

- ordonné qu'il soit procédé aux opérations de compte, liquidation et partage de la succession de [I] [F] ;

- commis pour y procéder Me [G] [J], notaire associée à [Localité 12] ;

- désigné le président du tribunal judiciaire pour surveiller les opérations ci-avant ordonnées et faire rapport en cas de difficultés ;

- dit qu'en cas d'empêchement du juge ou du notaire ci-dessus désignés, il sera procédé à leur remplacement par simple ordonnance présidentielle rendue sur requête ;

- fixé le montant du recel successoral à la somme de 45 000 euros imputable à Mme [T] que cette dernière devra rapporter à la succession et sur laquelle elle sera privée de sa part ;

- renvoyé pour le surplus les parties devant le notaire désigné ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de partage et la distraction de ceux-ci au profit des avocats de la cause.

Pour parvenir à cette décision, le juge de première instance a considéré :

- qu'il n'y a pas lieu d'écarter les attestations produites par Mme [T], quand bien même elles émaneraient de Mme [D] [F] et M. [C] [F], parties à l'instance, dans la mesure où elles apparaissent régulières en la forme et ont été contradictoirement versées aux débats ;

- que contrairement à ce que soutient la défenderesse, il existe une indivision entre les intéressés quant à la nue-propriété de sorte que M. [O] [F] est en droit de provoquer le partage et de prendre les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis ;

- que nul n'étant tenu de rester en indivision aux termes de l'article 815 du code civil, la demande tendant à ce qu'il soit procédé aux opérations de compte, liquidation et partage de la succession est bien-fondée ;

- que Mme [T] n'a pas révélé spontanément avoir placé sur un compte bancaire, dont elle refuse de communiquer les références, le solde du fruit de la cession de l'immeuble commun qu'elle détenait avec son époux, manifestant par son abstention une volonté d'exclure l'un des autres héritiers, de sorte qu'elle a commis un recel successoral au sens de l'article 778 du code civil portant sur la somme de 45 000 euros correspondante à la moitié entrant dans le patrimoine successoral ;

- que la demande tendant à la déchéance d'usufruit doit être rejetée dans la mesure où l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage ont pour effet de faire cesser l'indivision tandis que le recel successoral a été retenu et que M. [O] [F] ne démontre aucune altération de l'usufruit ;

- que les demandes tendant à la condamnation à paiement et à autoriser le notaire à procéder à des versements relèvent des opérations de partage ;

- qu'aucune faute malicieuse ou dolosive, et d'un préjudice en résultant, n'est établie au soutien des demandes indemnitaires.

Par déclaration du 22 juin 2022, Mme [T] a interjeté appel de l'intégralité des chefs de ce jugement.

Mme [D] [F] et M. [C] [F] ont formé appel incident le 27 octobre 2022 en visant l'ensemble des chefs du jugement dont appel.

Mme [T], appelante principale, ainsi que Mme [D] [F] et M. [C] [F], appelants incidents, ont conclu en dernier lieu, ensemble, le 12 mai 2023 en sollicitant la 'réformation' du jugement critiqué et demandent à la cour, statuant à nouveau, de :

- déclarer irrecevables les actions d'une part aux fins de partage de la succession, d'autre part en recel successoral et abus de jouissance d'usufruit, formées par M. [O] [F] ;

- le débouter de toutes ses demandes, fins et prétentions liées à sa demande de partage de la succession de [I] [F] ;

- 'déclarer' abusives ses demandes et le condamner à payer à Mme [T] une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

- le condamner, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, à payer à Mme [T] une somme de 6 000 euros, à Mme [D] [F] une somme de 1 000 euros et à M. [C] [F] une somme de 1 000 euros, outre les entiers dépens.

Ils font valoir :

- que l'ensemble des enfants ont été informés de la vente du domicile familial situé [Adresse 7] intervenue le 27 juillet 2017 au prix de 90 000 euros selon acte établi par Me [P] entre leurs parents et M. [Z] [X] et Mme [A] [R] ;

- que lors de cette vente, destinée à permettre de financer l'admission de [I] [F] en établissement spécialisé, M. [O] [F] a d'ailleurs récupéré divers outils et matériels ;

- que le tribunal correctionnel de Vesoul, saisi suite à la plainte pour faux et usage de faux déposée par ce dernier à l'encontre de sa mère, l'a relaxée par jugement rendu le 11 mars 2021;

- qu'en tout état de cause, Mme [T] justifie être largement en capacité de représenter la somme d'environ 11 000 euros susceptible de revenir à son fils [O] au titre de la succession de son père, s'il devait être procédé au partage de celle-ci ;

Sur l'irrecevabilité des demandes présentées par M. [O] [F] :

- que la demande tendant à provoquer le partage de la succession est irrecevable avant le décès de Mme [T], en ce que la donation au dernier vivant consentie réciproquement le 05 mai 1981 permet au conjoint survivant d'une part, de ne pas avoir à se déposséder des biens acquis au cours du mariage et de se maintenir dans les mêmes conditions de vie en dépit du décès de son conjoint, d'autre part de pouvoir faire face à ses besoins sans avoir à solliciter d'aide financière de ses enfants en exécution de l'obligation alimentaire résultant de l'article 205 du code civil ;

- que contrairement aux motifs retenus par le juge de première instance, Mme [T] est propriétaire des cinq huitièmes des biens de la communauté et usufruitière des trois huitièmes restants tandis que les trois enfants ne sont que nus-propriétaires des trois quarts des biens dépendants de la succession et non nus-propriétaires des trois quarts et usufruitiers d'un quart, de sorte qu'il n'existe pas d'indivision entre les parties dans la mesure où leurs droits, respectivement d'usufruitier et de nu-propriétaires, sont de nature différente ;

- que M. [O] [F] est donc dépourvu de droit d'agir aux fins de partage ;

- qu'à défaut de partage entre les héritiers, il résulte de la jurisprudence qu'il n'y a pas matière à recel successoral, lequel suppose la dissimulation d'effets de la succession en vue de rompre l'égalité du partage ;

Sur la demande tendant à la consignation de sommes par Mme [T] :

- que l'acte de donation du 05 mai 1981 dispense expressément le donataire, bénéficiaire d'usufruit, de fournir caution ;

- qu'en vertu de l'article 587 du code civil, Mme [T] est fondée à utiliser comme elle l'entend les avoirs bancaires dépendant de la succession de [I] [F], ce jusqu'à la fin de son usufruit lequel s'éteindra par son décès ;

Sur l'abus de jouissance de l'usufruit :

- que celui-ci suppose, aux termes de l'article 618 du code civil, la commission de dégradations sur le fonds, objet de l'usufruit, et un défaut d'entretien entraînant un dépérissement dudit fonds ;

- que cependant aucun de ces manquements ne peut être invoqué à l'encontre de Mme [T] dont l'usufruit porte exclusivement sur des avoirs bancaires dont elle a la libre jouissance ;

Sur la demande indemnitaire :

- que Mme [T] subit un préjudice moral consécutif au caractère abusif de la procédure engagée par M. [O] [F].

M. [O] [F] a formé appel incident le 20 décembre 2022 et a répliqué en dernier lieu par conclusions transmises le 26 octobre 2023 pour demander à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté ses demandes tendant à la déchéance d'usufruit, aux condamnations en paiement, aux autorisations de versement, à son indemnisation, à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens et :

A titre principal :

- de condamner Mme [T] à rapporter à la succession la somme de 55 000 euros correspondant au montant des sommes recelées ;

- de la condamner à verser entre les mains du notaire désigné, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision, ladite somme outre les intérêts perçus depuis le décès de [I] [F] ;

- de 'juger' qu'elle sera privée de tout droit dans la succession à hauteur de ladite somme ;

- de 'juger' que le notaire pourra opérer partage entre Mme [D] [F], M. [C] [F] et lui-même de la somme de 55 000 euros augmentée des intérêts ;

- d'autoriser le notaire à lui verser le tiers de ladite somme, soit 18 333,33 euros, outre les intérêts à même proportion ;

- de 'juger' que Mme [T] a abusé de l'usufruit dont elle disposait sur la somme restante ;

- de prononcer la déchéance de celui-ci ;

- de condamner Mme [T] à verser entre les mains du notaire, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision, la somme de 41 475,75 euros augmentée des intérêts perçus sur ladite somme depuis le décès de [I] [F] ;

- de 'juger' qu'elle sera privée de tout droit dans la succession à hauteur de ladite somme ;

- de 'juger' que le notaire pourra opérer partage entre Mme [D] [F], M. [C] [F] et lui-même de la somme de 41 475,75 euros augmentée des intérêts depuis le décès de [I] [F] ;

- d'autoriser le notaire à lui verser la somme de 13 825,25 euros augmentée des intérêts à même proportion ;

- d'autoriser le notaire à lui verser la somme totale de 32 158,58 euros augmentée des intérêts à même proportion ;

Subsidiairement :

- de 'juger' que Mme [T] a abusé de l'usufruit ;

- de prononcer sa déchéance ;

- de la condamner à verser entre les mains du notaire, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision, la somme de 82 725,75 euros augmentée des intérêts perçus depuis le décès de [I] [F] ;

- de 'juger' que Mme [T] sera privée de tout droit dans la succession à hauteur de ladite somme ;

- de 'juger' que le notaire pourra opérer partage entre Mme [D] [F], M. [C] [F] et lui-même de la somme de 82 725,75 euros augmentée des intérêts ;

- d'autoriser le notaire à lui verser le tiers de ladite somme, soit 27 575,25 euros, augmentée des intérêts à même proportion ;

'Sous-subsidiairement' :

- de 'juger' que Mme [T] a abusé de l'usufruit dont elle disposait ;

- de la condamner à verser entre les mains du notaire, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision, la somme de 82 725,75 euros augmentée des intérêts perçus depuis le décès de [I] [F] ;

- de 'juger' que le notaire devra placer ladite somme sur un compte bloqué ouvert au nom de 'l'indivision [F]' jusqu'au décès de Mme [T] ;

- de 'juger' que le notaire devra, jusqu'au décès de Mme [T], verser à cette dernière les intérêts sur ladite somme ;

En toutes hypothèses :

- de condamner Mme [T] à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

- de débouter cette dernière, ainsi que M. [C] [F] et Mme [D] [F] de toutes demandes contraires ;

- de condamner Mme [T] à lui verser la somme de 6 760 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner cette dernière, ainsi que M. [C] [F] et Mme [D] [F], aux entiers dépens de première instance ;

Y ajoutant :

- de condamner Mme [T] in solidum avec M. [C] [F] et Mme [D] [F] à lui verser la somme de 2 400 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel ;

- de condamner in solidum Mme [T], M. [C] [F] et Mme [D] [F] aux entiers dépens d'appel.

Il expose :

- qu'il résulte des pièces produites par Mme [T] que celle-ci a dissimulé une somme de 55 000 euros lors de la déclaration de succession dont elle refuse d'indiquer l'utilisation ;

- que s'il savait que la vente de la maison de ses parents était envisagée, il n'a pas été informé de la réalisation de cette cession n'a donc pas été invité à vider la maison au moment de la vente ;

- qu'il n'a jamais été informé de la volonté de sa mère, de son frère ou de sa s'ur, de procéder à un partage amiable dans la mesure où le courrier du 14 août 2020 a été adressé par le notaire à Me [K] [S] qui avait alors cessé son activité professionnelle et n'était plus son conseil ;

- que le rapport à la succession prononcé par le Tribunal à l'encontre de Mme [Y] [T] ne peut avoir d'efficacité que si celle-ci est condamnée à remettre ladite somme entre les mains du notaire ;

Sur la recevabilité de ses demandes :

- que dans la mesure où Mme [T] n'est titulaire que d'un quart en pleine propriété et de trois quarts en usufruit des biens dépendant de la succession de [I] [F], tandis que les trois enfants sont nus-propriétaires des trois quarts, il existe une indivision entre le titulaire d'un droit en pleine propriété portant sur une quote-part de l'universalité des biens de la communauté et le nu-propriétaire du surplus ;

- que dès lors, il est en droit de demander l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage même si Mme [T] a joui de la somme d'argent depuis le décès de son époux ;

- que par ailleurs, dans la mesure où il existe entre les cohéritiers une indivision du droit de nue-propriété, l'article 840 du code civil prévoit que le partage est fait en justice lorsque l'un des indivisaires refuse de consentir au partage amiable ou s'il s'élève des contestations sur la manière d'y procéder ou de le déterminer, alors même qu'il est établi qu'une contestation porte sur la détermination de la masse partageable comportant le prix de vente de l'immeuble ;

- qu'en application de l'article 578 du code précité, si sa mère a le droit de jouir des choses, elle a la charge d'en conserver la substance et doit en établir inventaire alors qu'en dépit d'une dispense de caution, des mesures de sauvegarde peuvent être ordonnées si le nu-propriétaire est exposé à voir ses droits mis en péril ;

Sur le recel :

- que le recel successoral s'applique au conjoint survivant bénéficiaire d'une donation à cause de mort comme c'est le cas en l'espèce ;

- que Mme [T] a soustrait de la succession une somme de 55 000 euros sur le montant de 90 000 euros correspondant au prix de vente de l'immeuble commun, cédé dans des circonstances frauduleuses vis-à-vis de son époux, de l'employée de mairie ayant légalisé sa signature et du notaire ;

- qu'elle a refusé de l'y réintégrer malgré l'introduction de la procédure en cours, refusant de produire aux débats les documents bancaires relatifs au placement de ladite somme, malgré un incident de mise en état aux fins de communication de pièces en première instance ;

- qu'elle a déclaré vouloir déshériter son fils [O] au motif qu'il a épousé une maghrébine ;

- que l'actif net de succession se serait élevé à la somme de 55 301,15 + 55 000 = 110 301,15 euros si Mme [T] ne s'était pas livrée au détournement précité, de sorte qu'il n'y a donc pas lieu à diviser par deux la somme qu'elle devra rapporter à la succession ;

Sur l'usufruit :

- qu'en application de l'article 618 du code civil, l'usufruit peut cesser s'il est démontré l'abus que l'usufruitier fait de sa jouissance et l'usufruitier peut être condamné à rapporter à la succession le montant des dissipations commises ;

- que Mme [T] s'est livrée à des manœuvres pour surprendre la vigilance de la secrétaire de mairie et du notaire afin de rendre liquide un usufruit qui aurait dû porter sur un immeuble, ce qui aurait dès lors empêché Mme [T] de pouvoir déshériter son fils ;

- qu'elle s'est donnée mandat à elle-même de vendre le bien immobilier commun en se dispensant de l'accord de son époux qui n'était plus en capacité de signer ;

- que c'est donc en fraude des droits de ce dernier et indirectement de ses enfants que Mme [T] est parvenue à modifier, quatre mois avant le décès, la nature du bien dont elle allait devenir usufruitière ;

- que par la suite, elle a fait état de sa volonté ferme et déterminée de ne pas rétablir la consistance réelle de l'usufruit, tout en reconnaissant la détenir personnellement ;

- qu'elle a donc abusé de l'usufruit dont elle dispose et qu'elle a la ferme intention de continuer à en abuser ;

- que nul ne pouvant se prévaloir de sa propre turpitude, le caractère liquide de la succession est sans incidence ;

- que si son frère lui a proposé de récupérer quelques objets dans l'ancien domicile de ses parents, au motif que Mme [T] ne l'occupait plus, il n'était nullement question de vendre cette maison ;

Subsidiairement :

- que si l'action en ouverture des opérations de liquidation et partage d'indivision successorale est déclarée irrecevable et si les dispositions relatives au recel successoral sont écartées, il conviendra néanmoins de faire application des dispositions relatives à l'abus d'usufruit ;

- que l'actif successoral s'élèvant en réalité à 110 301 euros et Mme [T] ayant bénéficié des trois quarts en usufruit soit 82 725,75 euros, il conviendra, après déchéance du droit d'usufruit, d'ordonner la restitution de cette dernière somme aux nus-propriétaires ;

- que le notaire devra être autorisé à lui verser la somme de 27 575,25 euros ;

Sur sa demande indemnitaire :

- qu'il résulte des attestations établies par Mme [N], M. [W], M. [L] et M. [M] et [V] qu'il a été fortement impacté moralement par le comportement de sa mère qui a clairement fait tout ce qui est en ses moyens pour favoriser ses frère et soeur mais aussi le priver de sa réserve légale ;

- que son préjudice moral doit donc être fixé à la somme de 5 000 euros.

Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 07 novembre 2023 et l'affaire a été appelée à l'audience du 28 novembre suivant et mise en délibéré au 30 janvier 2024.

En application de l'article 467 du code de procédure civile, le présent arrêt est contradictoire.

Motifs de la décision

La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de «'donner acte'», de «'constater'» ou de «'dire et juger'» qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.

- Sur la recevabilité des actions formées par M. [O] [F] ;

L'article 122 du code de procédure civile définit les fins de non-recevoir comme les moyens qui tendent à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

En application de l'article 32 du code précité, est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.

La cour rappelle que le droit d'agir au sens des dispositions précitées, lequel ne concerne que la recevabilité de l'action, doit être distingué du bien-fondé de celle-ci lequel suppose la preuve de la réunion des conditions légales nécessaires au succès des prétentions, notamment en l'espèce d'une indivision entre les parties et des droits de chacune d'entre-elles au sein de celle-ci.

Dès lors, indépendemment de l'existence d'une indivision successorale retenue par le juge de première instance, la seule qualité de co-héritier de M. [O] [F] lui confère droit d'agir aux fins d'ouverture des opérations de liquidation et partage de la succession de [I] [F].

La conduite dedites opérations ayant précisément pour objet de déterminer les droits des héritiers dans la succession et de procéder aux désintéressement de ceux-ci, les actions en recel successoral et en déchéance d'usufruit formées par M. [O] [F] sont aussi recevables.

Alors même que le juge de première instance a omis de tirer les conséquences, au dispositif de sa décision, des motifs susvisés, le jugement dont appel sera donc complété en ce que les actions susvisées formées par ce dernier seront déclarées recevables.

- Sur l'ouverture des opérations de liquidation et partage de la succession ;

En application de l'article 815 du code civil, nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu'il n'y ait été sursis par jugement ou convention.

L'article 840 du même code prévoit que le partage est fait en justice lorsque l'un des indivisaires refuse de consentir au partage amiable ou s'il s'élève des contestations sur la manière d'y procéder ou de le terminer ou lorsque le partage amiable n'a pas été autorisé ou approuvé dans l'un des cas prévus aux articles 836 et 837.

En l'espèce, le juge de première instance a, par de justes motifs non remis en cause en appel, retenu l'existence d'une indivision sucessorale entre Mme [T], M. [O] [F], Mme [D] [F] et M. [C] [F].

Dès lors et en considération du désaccord existant entre les héritiers concernant tant la masse partageable que les droits des co-indivisaires, le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de [I] [F].

- Sur le recel successoral ;

Le juge de première instance a, par des motifs détaillés et circonstanciés, retenu l'existence d'un recel successoral commis par Mme [T] et ordonné le rapport par celle-ci à la succession de la somme de 45 000 euros sur laquelle elle sera privée de sa part.

Ni le fait que M. [O] [F] aurait été informé de la réalisation de la vente immobilière, ce qui n'est au demeurant pas établi, ni l'objectif de cette vente, ni la relaxe prononcée à l'encontre de Mme [T] par le tribunal correctionnel, ni enfin le fait que Mme [T] soit ou non en capacité de représenter les sommes devant revenir à son fils [O] n'ont d'incidence sur la caractérisation du recel successoral.

La cour observe enfin que si M. [O] [F] sollicite en appel la condamnation de Mme [T] à rapporter à la succession la somme de 55 000 euros qu'il estime correspondre au montant des sommes recelées, il n'a interjeté aucun appel incident à l'encontre du chef du jugement ayant retenu une somme de 45 000 euros à ce titre.

Le jugement critiqué sera donc confirmé en ce qu'il a fixé le montant du recel successoral à la somme de 45 000 euros imputable à Mme [T] que cette dernière devra rapporter à la succession et sur laquelle elle sera privée de sa part.

- Sur la demande tendant au prononcé de la déchéance d'usufruit du fait de son abus ;

En application de l'article 618 du code civil, l'usufruit peut aussi cesser par l'abus que l'usufruitier fait de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d'entretien.

Les créanciers de l'usufruitier peuvent intervenir dans les contestations pour la conservation de leurs droits ; ils peuvent offrir la réparation des dégradations commises et des garanties pour l'avenir.

Les juges peuvent, suivant la gravité des circonstances, ou prononcer l'extinction absolue de l'usufruit, ou n'ordonner la rentrée du propriétaire dans la jouissance de l'objet qui en est grevé, que sous la charge de payer annuellement à l'usufruitier, ou à ses ayants cause, une somme déterminée, jusqu'à l'instant où l'usufruit aurait dû cesser.

En l'espèce, la cour relève que les circonstances de la cession du domicile familial, ayant fait l'objet d'une plainte pénale puis d'une décision de relaxe, sont sans incidence sur la caractérisation d'un abus d'usufruit lequel doit être apprécié au regard de l'actif sur lequel porte ledit usufruit à la date du décès, soit postérieurement à la cession immobilière susmentionnée.

Par ailleurs, alors même qu'il ne vise pas les dispositions sanctionnant l'abus d'usufruit, les seuls griefs invoqués par M. [O] [F], à savoir le refus de réintégrer l'usufruit à la succession, de communiquer les pièces relatives aux placements bancaires et de partager le prix de vente, se rapportent expressément à 'la dissimulation de la somme de 55 000 euros', laquelle ne constitue pas un 'fonds' au sens de l'article 618 du code civil susceptible de dégradations ou de dépérissement.

Enfin, si M. [O] [F] dénonce une réticence de sa mère à lui fournir des informations concernant le produit de la vente immobilière, il n'établit la réalité d'aucune faute ayant consisté en la dissipation des sommes concernées, alors même que la déchéance d'usufruit suppose la preuve, non pas d'un risque d'abus mais d'une altération effective du bien.

Cette demande, qui ne peut concerner que la part du prix de vente de l'immeuble excédant le montant du recel successoral, est donc malfondée.

Le jugement dont appel sera confirmé en ce qu'il a rejeté celle-ci.

- Sur les demandes de condamnation à verser au notaire et aux fins d'autorisation du notaire à procéder au partage ;

Le juge de première instance a, par d'exacts motifs liés à la finalité même des opérations de compte, liquidation et partage de la succession, rejeté les demandes tendant à la condamnation de Mme [T] à verser sous astreinte différentes sommes entre les mains du notaire et à autoriser celui-ci à lui verser une partie de ces sommes augmentée des intérêts, au demeurant dépourvues de fondement légal.

- Sur les demandes indemnitaires formées par M. [O] [F] et par Mme [T] ;

En application des articles 1240 et 1241 du code civil, la responsabilité délictuelle d'une personne est engagée dès lors que celle-ci a commis une faute, par son fait ou par sa négligence ou son imprudence, causant de manière directe et certaine un dommage à autrui.

Tel que retenu par le juge de première instance, Mme [T] comme M. [O] [F] invoquent sans l'établir avoir subi chacun un préjudice moral.

Au surplus, Mme [T] ne caractérise pas le caractère abusif de l'action judiciaire engagée par M. [O] [F], dont certaines prétentions sont d'ailleurs retenues en appel, tandis que ce dernier évoque un 'comportement' de sa mère lié à un contentieux familial dont il n'établit ni la réalité, ni le caractère fautif dépassant de simples dissensions familiales même vives.

Dès lors, le jugement dont appel sera confirmé en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes indemnitaires.

Par ces motifs,

La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi :

Confirme, dans les limites de l'appel, le jugement rendu entre les parties le 10 mai 2022 par le tribunal judiciaire de Vesoul sauf à déclarer recevables les actions formées par M. [O] [F] aux fins d'ouverture des opérations de liquidation et partage de la succession de [I] [F], en recel successoral et en déchéance d'usufruit ;

Y ajoutant :

Condamne Mme [Y] [T], Mme [D] [F] et M. [C] [F] aux dépens d'appel ;

Et, vu l'article 700 du code de procédure civile, les déboute de leurs demandes, les condamne in solidum à payer à M. [O] [F] la somme de 1 500 euros et rejette les différentes demandes formées par de ce dernier pour le surplus.

Ledit arrêt a été signé par M. Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Fabienne Arnoux, greffier.

Le greffier, Le président de chambre,