Décisions
CA Grenoble, 1re ch., 16 janvier 2024, n° 22/01429
GRENOBLE
Arrêt
Autre
N° RG 22/01429 - N° Portalis DBVM-V-B7G-LJ6L
C3
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
la SARL JBV AVOCATS
la SELARL EYDOUX MODELSKI
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
1èRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 16 JANVIER 2024
Appel d'un jugement (N° R.G. 20/01261)
rendu par le tribunal judiciaire de Bourgoin - Jallieu
en date du 25 janvier 2022
suivant déclaration d'appel du 08 avril 2022
APPELANTS :
M. [T] [J] en son nom propre et en sa qualité d'héritier de Madame [H] [J] née [V]
né le [Date naissance 2] 1941 à [Localité 12]
de nationalité Française
[Adresse 11]
[Localité 10]
Mme [X] [J], en son nom propre et en sa qualité d'héritier de Madame [H] [J] née [V]
Née le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 12] ,
De nationalité française,
Domiciliée [Adresse 11]
[Localité 10]
Assistée par EVA TUTELLE, en sa qualité de curateur, Association loi 1901 déclarée à la Préfecture de l'Isère sous le n°W381015233 dont le siège social est situé [Adresse 13]- [Localité 8], prise en la personne de son représentant en exercice ;
Mme [K] [G] en son nom propre et en sa qualité d'héritier de Madame [H] [J] née [V]
née le [Date naissance 6] 2003 à [Localité 12]
de nationalité Française
Chez Madame [U] - [Adresse 16]
[Localité 9]
représentés par Me Sixtine VADON de la SARL JBV AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMÉE :
LA CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL SUD RHÔNE ALPES prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 7]
représentée par Me Pascale MODELSKI de la SELARL EYDOUX MODELSKI, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine CLERC, Présidente,
Mme Joëlle BLATRY, Conseiller,
Mme Véronique LAMOINE, Conseiller,
Assistées lors des débats de Anne Burel, greffier
DÉBATS :
A l'audience publique du 06 novembre 2023, Madame Clerc a été entendue en son rapport.
Les avocats ont été entendus en leurs observations.
Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.
*****
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [T] [J] et son épouse Mme [H] [J] étaient détenteurs d'un compte joint n°[XXXXXXXXXX04] dans les livres de la Caisse régionale de Crédit Agricole Sud Rhône Alpes (ci-après désigné le Crédit Agricole).
Entre décembre 2016 et octobre 2017 plusieurs chèques ont été émis et plusieurs retraits en espèces ont été effectués pour un montant total de 62.364,21€ sur ce compte ; à partir de juillet 2017, la cellule fraude du Crédit Agricole a rejeté des chèques pour signature non conforme après avoir constaté que la signature apposée sur les chèques n'était pas celle des titulaires du compte.
Mme [H] [J] est décédée le [Date décès 5] 2017, laissant pour lui succéder, son époux, sa fille [X] [J] et sa petite fille [K] [G], venant par représentation de sa mère prédécédée.
À la suite de plaintes déposées par M. [T] [J], et d'un signalement fait par la Caisse d'épargne, gestionnaire des autres comptes de M. et Mme [J], quant à un possible abus de faiblesse commis à leur encontre en lien avec l'émission de nombreux chèques au profit de M. [L] [W], compagnon de Mme [X] [J], ainsi que des virements et des retraits, une information pénale a été ouverte à l'encontre de ce dernier du chef d'abus de faiblesse.
Par courrier recommandé avec AR du 26 juin 2019, M. [T] [J] a mis en demeure le Crédit Agricole de lui régler la somme de 75.319,18€ au titre de son préjudice financier et de lever l'inscription au fichier central des chèques.
Par jugement du tribunal correctionnel de Bourgoin-Jallieu du 22 juillet 2019, M. [W] a été condamné pénalement pour abus de faiblesse au préjudice de M. et Mme [J] commis courant 2016 et jusqu'au 30 septembre 2017, et à payer diverses sommes notamment à M. [J], à Mme [X] [J] assistée de son curateur ainsi qu'à Mme [G] au titre de leur préjudice moral.
Par jugement rendu par ce même tribunal le 17 février 2020, M. [W] a été condamné solidairement avec M. [E], déclaré coupable de recel des infractions commises par M. [W], à payer la somme de 48.693,85€ à M. [J] et la même somme à l'indivision successorale de [H] [J], au titre des dépenses injusti'ées sur les comptes joints appartenant à M. et Mme [J] entre le 8 décembre 2016 et le 11 septembre 2017.
Par exploit d'huissier en date du 1er décembre 2020, M. [J], Mme [X] [J], assistée par Eva tutelles en sa qualité de curateur et Mme [G], représentée par l'aide sociale à l'enfance (ASE) en qualité de tuteur, ont assigné le Crédit Agricole devant le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu a'n d'obtenir sa condamnation au paiement de diverses sommes incluant le remboursement des opérations litigieuses, de dommages-intérêts, frais irrépétibles et dépens.
Par jugement contradictoire du 25 janvier 2022 le tribunal précité a :
débouté M. [J], Mme [X] [J], assistée par Eva tutelles en sa qualité de curateur et Mme [G], représentée par l'aide sociale à l'enfance (ASE) en qualité de tuteur, de leurs demandes à l'encontre du Crédit Agricole,
rejeté la demande du Crédit Agricole fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
condamné M. [J], Mme [X] [J], assistée par Eva tutelles en sa qualité de curateur et Mme [G], représentée par l'aide sociale à l'enfance (ASE) en qualité de tuteur, aux dépens de l'instance,
rappelé que la décision est de droit exécutoire.
La juridiction a retenu en substance que :
une suspicion de fraude est apparue dès juillet 2017.époque à laquelle à la demande de la cellule prévention-lutte-fraude du Crédit Agricole 12 chèques ont été rejetés pour signature non-conforme,
certains chèques émis avant la décision de la cellule fraude ne semblent également pas avoir été signés par Mme ou M. [J]. Leur montant respectif et leur succession dans le temps aurait dû alerter la banque qui a manqué à son devoir de vigilance,
les virements ont été effectués après que la banque ait suspecté la falsification des chèques précités mais au profit de tiers inconnus de la banque y compris, M. [W], aucun élément ne donnant à penser que l'auteur de l'abus de faiblesse était alors connu de l'établissement ; ces virements ne présentant aucune caractéristique suspecte, il ne saurait être reproché à la banque une négligence,
rien ne permet d'imputer les retraits d'espèce à une autre personne que les titulaires du compte, aucune faute ne saurait être retenue à ce titre,
l'hypothèse d'un préjudice indemnisable au titre de la perte de chance de ne pas perdre l'épargne accumulée par M. et Mme [J] durant leur vie doit être rejetée, dès lors que les demandeurs n'établissent pas que les titulaires du compte avaient le projet d'épargner les sommes figurant au crédit de leur compte-joint qui pouvaient tout à fait être destinées à leurs dépenses courantes,
le lien de causalité entre une faute de la banque et un préjudice moral n'est pas établi, ce dernier ne pouvant être distingué selon qu'il provient de la faute de la banque ou de celle de M. [W] ; or, ce dernier ayant été déjà condamné à réparer le préjudice moral des héritiers de [H] [J], la réclamation indemnitaire formulée par les demandeurs se heurte au principe de la réparation intégrale ; en outre, l'indivision successorale étant dépourvue de personnalité juridique, elle n'a pas subi de préjudice moral et n'est pas titulaire d'une créance à ce titre.
Par déclaration déposée le 8 avril 2022 , les consorts [J]-[G] ont relevé appel.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 28 octobre 2022 sur le fondement de l'article L131-2 du Code monétaire et financier et des articles 1104, 1217 et 1231-1 du code civil, les consorts [J]-[G] demandent à la cour de réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions, et en conséquence de :
juger que le Crédit Agricole a commis une faute en ne vérifiant pas la régularité formelle des chèques émis par M. [W] sur les comptes de M. et Mme [J],
juger que le Crédit Agricole a violé son devoir de vigilance et de mise en garde en autorisant de très nombreuses opérations suspectes sous formes de retraits d'espèces et de virements sur les comptes de M. et Mme [J],
condamner le Crédit Agricole à régler à M. [T] [J] la somme globale de 20.000 € en indemnisation de la perte de chance pour lui de bénéficier du capital dilapidé dans l'avenir,
condamner le Crédit Agricole à régler à Mme [X] [J], assistée par Eva tutelles en qualité de curateur, à la somme de 6.000 € en indemnisation de la perte de chance pour elle de bénéficier du capital dilapidé dans l'avenir,
condamner le Crédit Agricole à régler à Mme[G] la somme de 6.000 € en indemnisation de la perte de chance pour elle de bénéficier du capital dilapidé dans l'avenir,
condamner le Crédit Agricole à régler à :
' M. [J] la somme globale de 5.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
' Mme [X] [J], assistée par Eva tutelles en qualité de curateur la somme de 3.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
' Mme [G] la somme de 3.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
condamner le Crédit Agricole à payer aux consorts [J]-[G] la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner le Crédit Agricole aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de la SARL JBV Avocats, avocat au barreau de Grenoble sur son affirmation de droit.
Les appelants font valoir en substance que :
les demandes de Mme [J] et Mme [G] sont recevables en appel tout comme elles l'étaient en première instance, toutes deux agissant en qualité d'héritières de leur mère et grand-mère prédécédée,
les chèques rédigés par M. [W] ont été signés par lui et la banque a commis une faute de négligence en ne relevant pas la non-conformité de cette signature, cette faute s'étant poursuivie dès lors qu'elle a continué à émettre des chèques de banque après le rejet de chèques par sa cellule fraude,
les chèques présentant des montants très élevés par rapport au débit habituel du compte ou encore le nombre important de chèques remis à l'encaissement, le Crédit Agricole engage sa responsabilité du fait de son absence de vigilance ; les 54 chèques émis en 8 mois pour un montant total de 62.631,56€ soit un montant bien supérieur aux dépenses courantes du foyer ayant mis les époux [J] dans une situation financière irrémédiablement compromise,
les sommes devant être remboursées comprennent les sommes détournées par M. [W] mais également les chèques émis à des personnes étrangères à M. [J] le tout pour un montant total de 25.892,32€,
le préjudice financier s'élève à 57 592,32 euros (25 892,32€ de chèques émis et 31 700€ par virements et retrait d'espèces),
le manquement du Crédit Agricole leur a fait perdre une chance de bénéficier du capital leur revenant et dilapidé du fait de ces manquements,
M. [J] a subi un préjudice moral du fait de la négligence du Crédit Agricole, cela l'a obligé à aller vivre chez sa fille, il a ensuite fait un AVC et a été hospitalisé pendant 4 mois. [H] [J] vivant seule à ce moment-là et ne sachant ni lire, ni écrire, M. [W] a profité de sa faiblesse. Les époux ont été placés en interdit bancaire et M. [J] n'a toujours pas la possibilité d'émettre des chèques.
Par ordonnance juridictionnelle du 8 novembre 2022, le conseiller de la mise en état a
déclaré Mme [X] [J] irrecevable en son appel du 8 avril 2022 formé sans l'assistance de son curateur, dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et que les dépens de la procédure en incident suivront le sort de l'instance au fond.
Dans ses dernières conclusions déposées le 25 novembre 2022 au visa des articles 1103 et 1240 du code civil sous réserve de l'application des dispositions de l'article 12 du Code de procédure civile, le Crédit Agricole entend voir la cour :
confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, et par voie de conséquence,
juger irrecevables les demandes de Mme [G],
juger qu'il n'a commis aucune faute engageant sa responsabilité,
subsidiairement juger que le préjudice des appelants a déjà été réparé par les condamnations prononcées à l'encontre de MM. [W] et [E],
plus subsidiairement juger qu'il n'est à l'origine d'aucune perte de chance au préjudice des consorts [J]-[G],
juger que les consorts [J]-[G] ne justifient d'aucun préjudice imputable lui étant imputable,
débouter en conséquence les mêmes de l'ensemble de leurs demandes,
condamner solidairement M. [J], Mme [X] [J] et Mme [G] à lui payer la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
les condamner solidairement aux dépens comprenant les frais d'exécution de l'arrêt à intervenir.
L'intimé répond que :
conformément à la décision du conseiller de la mise en état l'appel interjeté par Mme [J] est irrecevable,
les demandes formées à son encontre par Mme [G] à hauteur d'appel sont des demandes nouvelles et doivent être nécessairement rejetées,
il ne peut être accusé de négligence à l'égard des retraits d'espèces, le premier juge ayant justement retenu que « rien ne permet, par définition, d'imputer les retraits d'espèces à une autre personne que les titulaires du compte. Aucune faute ne saurait être retenue à ce titre ». Il en va de même pour les virements, pour lesquels l'auteur de l'abus de faiblesse lui étant inconnu, ces virements ne présentaient aucune caractéristique suspecte,
les chèques n'étant pas frappés d'opposition seule la régularité formelle du chèque devait être examinée ; or aucune anomalie n'ayant été trouvée sur ces chèques, il pouvait se convaincre de leur régularité. Les chèques qui ont été payés comportent une signature qui correspond manifestement à la signature des époux [J]. A contrario, sur les chèques rejetés la signature était différente de celles des époux [J]. En l'absence d'anomalies apparentes sur les autres chèques émis, il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir rejeté leur encaissement,
M. [W] était titulaire d'une procuration remise par [H] [J] ; ce faisant, les époux [J] ont été négligents dans la garde des chéquiers et de leurs moyens de paiement,
les époux [J] qui n'ont pas contrôlé leurs relevés de compte à réception, n'ignoraient pas que M. [W], compagnon de Mme [X] [J] sortait tout juste de prison, où il avait d'ailleurs été incarcéré pour la 6ème fois pour des faits d'escroquerie et d'abus de confiance,
les préjudices subis par les appelants ont été réparés par les décisions prononcées par la juridiction correctionnelle : en application du principe de réparation intégrale, il est impossible de les indemniser de nouveau du même poste de préjudice,
le préjudice moral subi par les appelants du fait d'opérations frauduleuses réalisées par M. [W] sur le compte bancaire des époux [J] a également été mis à la charge de ce dernier, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'indemniser une nouvelle fois ce préjudice,
subsidiairement, si sa responsabilité devait être retenue à l'égard des appelants, il ne pourrait être accordé aux consorts [J]-[G] une somme équivalente aux opérations litigieuses réalisées car le préjudice résultant d'un défaut de mise en garde s'analyse en une simple perte de chance, inexistante en l'espèce, les dilapidations invoquées ayant eu pour origine reconnue les agissements de deux personnes identifiées et condamnées.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 octobre 2023.
MOTIFS
A titre liminaire, il est rappelé que la cour n'est pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ni de procéder à des recherches que ses constatations rendent inopérantes.
Il est d'ores et déjà précisé que l'appel de Mme [X] [J] ayant été jugé irrecevable, la cour n'est pas saisie de ses prétentions et les dispositions du jugement déféré concernant cette partie doivent produire leur plein effet.
Sur la recevabilité des demandes de Mme [G]
Le Crédit Agricole soutient l'irrecevabilité au visa de l'article 564 du code de procédure civile des demandes portées par Mme [G] à hauteur d'appel en excipant du fait qu'en première instance, celle-ci n'avait formulé aucune demande en son nom personnel, le premier juge étant saisi uniquement de demandes formées par M. [J] et l'indivision successorale de [H] [J].
Ce qui ne peut être admis, l'instance ayant été initiée par les héritiers de [H] [J] pris individuellement, y compris M. [J] et non pas par l'indivision successorale en tant que telle. Il en résulte que Mme [G], en sa qualité d'héritière de [H] [J] , et qui était partie en première instance en cette qualité, est recevable en ses demandes présentées en appel.
Sur la responsabilité du Crédit Agricole
s'agissant des chèques
A titre liminaire, il est vain pour M. [J] et Mme [G] de conclure que leur « famille était connue dans la commune de [Localité 15] pour avoir un train de vie particulièrement chiche et pour présenter une personnalité fragile, vulnérable et influençable » pour dénoncer un manquement du Crédit Agricole au principe de vigilance et de mise en garde pesant sur les établissements bancaires en ce qu'il se serait abstenu de surveiller les comptes de la famille [J], et n'aurait pas relevé les anomalies intellectuelles, à savoir un nombre important de chèques remis à l'encaissement, un montant très élevé des débits par rapport au débit habituel.
En effet, l'agence du Crédit Agricole était située à [Localité 14] et non pas à [Localité 15] et ensuite, il n'est pas soutenu et a fortiori démontré que M. [J] et son épouse avaient des entretiens réguliers avec leur conseiller bancaire, lequel n'était donc pas en mesure d'apprécier leur situation personnelle, les comptes bancaires de la clientèle ne donnant pas lieu à des surveillances systématiques et constantes sauf irrégularités dénoncées par le titulaire du compte.
Le Crédit Agricole, tenu à un devoir de non-ingérance dans les affaires de ses clients, n'était donc pas tenu d'alerter M. [J] et son épouse sur le fait qu'ils émettaient plusieurs chèques sur de courtes périodes tant que les chèques émis ne présentaient pas d'anomalies apparentes ou des traces de falsification, notamment au niveau de la signature du tiré.
En tout état de cause, aucune faute ne peut être reprochée au Crédit Agricole du chef des 11 chèques émis en juin et août 2017 (une erreur sur le montant du n°8788598 figurant dans les conclusions des appelants à savoir que le montant exact est 280€ et non 1.500€) lesquels ont été frappés d'opposition par M. [J] et donc non payés par la banque.
Quant au fait qu'une « une nouvelle signature » a été apposée sur les chèques (ce qui ne concerne pas les 11 chèques), il y a lieu de rappeler, ce qui n'est pas discuté, que M. [J] et son épouse avaient donné procuration sur leur compte à M. [W] le 7 juillet 2017.
Il est avéré qu'en juillet 2017, le Crédit Agricole a satisfait à son devoir de vigilance en rejetant 12 chèques dont la signature était non conforme à celle des titulaires du compte, M. et Mme [J].
Les 15 autres chèques dénoncés par M. [J] et Mme [G] comme ayant été encaissés à tort par le Crédit Agricole dont seulement 13 sont communiqués par les appelants (le chèque 8788646 étant absent et le 8788614 ayant été comptablisé deux fois) s'avèrent avoir été tirés en avril 2017, sauf le chèque 8788586 tiré en juin 2017 et ont été libellés au bénéfice :
soit de [H] [J] (1337160 ; 8788615 pour un total de 1.800€),
soit de [X] [J] (1337157 ; 1337165 ; 8788613 ; 8788614 ; 8788616 ; 8788614 pour un total de 4.400€) ,
soit de M. [W] (1337154 pour un montant de 1.000€),
soit de tiers (1337158 ; 1337156 ; 1337159 ; 8788618 ; 8788586 pour un total de 5.857,29€),
ces chèques étant revêtus d'une signature non conforme à celle de M. [J] et de son épouse, cette absence de conformité étant décelable sans qu'il soit nécessaire de procéder à des vérifications approfondies.
S'il est indéniable que M. [J] et son épouse n'ont pas alerté le Crédit Agricole sur l'encaissement de ces chèques dont ils ne pouvaient ignorer qu'ils n'en étaient pas les signataires en découvrant leur existence sur leurs relevés de compte bancaire et qu'il résulte de la mise en demeure adressée par M. [J] à la banque le 26 juin 2019 que celui-ci et son épouse avaient remis à M. [W] leurs moyens de paiement lequel les avaient utilisés, et ce à la faveur de l'abus de faiblesse dont celui-ci s'était rendu coupable à leur égard, contribuant ainsi pour partie à la réalisation de leur préjudice, il n'en est pas moins indiscutable que le Crédit Agricole a notoirement manqué à son devoir de vigilance en ne refusant pas le paiement de ces chèques dont la signature n'était pas conforme, ce qui constituait une anomalie apparente, comme il allait le faire ultérieurement en juillet 2017 à l'égard de 12 autres chèques.
Ce faisant, le Crédit Agricole a commis une faute engageant sa responsabilité civile professionnelle envers M. [J] et les héritiers de [H] [J].
s'agissant des virements et retraits
Le premier juge a exactement débouté M. [J] et Mme [G] de leur action en responsabilité du chef des retraits d'argent effectués dans un distributeur automatique sur le compte bancaire de M. [J] et de son épouse et des virements effectués à partir de celui-ci à la faveur de pertinents motifs adoptés par la cour.
Sur les préjudices
Le préjudice résultant du manquement du Crédit Agricole à son devoir de vigilance à l'égard des 13 chèques précités émis courant avril 2017 s'analyse objectivement en une perte de chance de ne pas voir débiter du compte bancaire le montant des chèques en cause.
Il est constant qu'en droit la perte de chance indemnisable qui consiste en la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procurée cette chance si elle s'était réalisée.
Le préjudice financier dont excipent M. [J] en son nom personnel et en sa qualité d'héritier et Mme [G], en sa qualité d'héritière a déjà été indemnisé en tant que tel dans le cadre de l'instance sur intérêts civils par le jugement correctionnel du 17 février 2020.
Or, les sommes prélevées indûment figuraient au crédit d'un compte courant, dont la vocation est de financer toutes dépenses de son titulaire, sa finalité n'étant pas de constituer une épargne.
Il résulte de ces constatations et considérations, que « la perte de chance de bénéficier du capital dilapidé dans l'avenir » revendiquée par M. [J] et Mme [G] n'est donc pas établie et le jugement querellé doit être confirmé en ce qu'il a débouté ces parties de ce chef de prétention.
Au soutien de leur demande d'indemnisation du préjudice moral, M. [J] et Mme [G] font valoir la négligence du Crédit Agricole qui a contribué à ce préjudice dans la mesure où M. [J] ayant perdu son habitation dans un incendie, puis ayant été hospitalisé pour un AVC, son épouse a été contrainte d'emménager dans un logement provisoire modulaire et que se retrouvant seule, et ne sachant ni lire ni écrire, elle a été victime des agissements de M. [W] qui a notamment émis des chèques et effectué des retraits et des virements à l'insu du couple, ce qui les a conduit, lui et son épouse à être interdits bancaires, situation encore d'actualité à l'égard de M. [J] , ce dernier et Mme [G] s'étant trouvés psychologiquement affectés par toute cette situation.
Toutefois, comme relevé à bon droit par le premier juge, outre que la preuve n'est pas établie d'un lien de causalité direct et exclusif entre le manquement du Crédit Agricole à son devoir de vigilance à l'égard du paiement des 13 chèques à la signature non conforme émis courant avril et juin 2017 et le préjudice allégué qui trouve également sa source dans le comportement de M. [W], il doit être rappelé que le préjudice moral allégué a été indemnisé par jugement correctionnel précité du 22 juillet 2019 et que la demande des appelants du même chef se heurte au principe de la réparation intégrale.
Par suite, le jugement querellé est confirmé sur le rejet des demandes indemnitaires de M. [J], pris en sa double qualité et de Mme [G].
Sur les mesures accessoires
Succombant dans leur recours, M. [J] et Mme [G] sont condamnés aux dépens d'appel et conservent la charge de leurs frais irrépétibles exposés devant la cour ; ils sont dispensés en équité de verser une indemnité de procédure au Crédit Agricole pour l'instance d'appel ; le jugement querellé est confirmé en ses dispositions relatives aux mesures accessoires.
Il n'y a pas lieu de juger que les dépens comprendront les frais de l'exécution de l'arrêt à intervenir comme sollicité par le Crédit Agricole en l'absence de toute disposition légale ou réglementaire permettant de déroger à l'application de l'article 10 du décret du 12 décembre 1996 dont les dispositions ont été modifiées par l'article 10 du décret n°2001-212 du 8 mars 2001 lui-même ayant été modifié par le décret n°2016-230 du 26 février 2016, mettant à la charge du créancier un droit de recouvrement et d'encaissement.
En effet, hors le cas spécifique prévu par l'article R.631-4 du code de la consommation au profit du consommateur titulaire d'une créance à l'encontre d'un professionnel, aucune disposition légale ou réglementaire n'autorise le juge à mettre à la charge du débiteur les droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement de l'huissier de justice (désormais commissaire de justice) mis à la charge du créancier par le tableau 3-1 annexé à l'article R.444-3 du code de commerce auquel renvoie l'article R.444-55 du même code institué par le décret précité du 26 février 2016.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Constatant l'irrecevabilité de l'appel de Mme [X] [J] prononcée par ordonnance juridictionnelle du conseiller de la mise en état le 8 novembre 2022,
Déboutant la Caisse régionale de Crédit Agricole Sud Rhône Alpes de sa prétention fondée sur l'article 564 du code de procédure civile pour dire les demandes de Mme [K] [G] irrecevables comme nouvelles en appel,
Confirme le jugement déféré,
Ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties en appel,
Déboute la Caisse régionale de Crédit Agricole Sud Rhône Alpes de sa demande tendant à voir juger que les dépens comprendront les frais d'exécution du présent arrêt,
Condamne M. [T] [J] et Mme [K] [G] aux dépens d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de la procédure civile,
Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
C3
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
la SARL JBV AVOCATS
la SELARL EYDOUX MODELSKI
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
1èRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 16 JANVIER 2024
Appel d'un jugement (N° R.G. 20/01261)
rendu par le tribunal judiciaire de Bourgoin - Jallieu
en date du 25 janvier 2022
suivant déclaration d'appel du 08 avril 2022
APPELANTS :
M. [T] [J] en son nom propre et en sa qualité d'héritier de Madame [H] [J] née [V]
né le [Date naissance 2] 1941 à [Localité 12]
de nationalité Française
[Adresse 11]
[Localité 10]
Mme [X] [J], en son nom propre et en sa qualité d'héritier de Madame [H] [J] née [V]
Née le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 12] ,
De nationalité française,
Domiciliée [Adresse 11]
[Localité 10]
Assistée par EVA TUTELLE, en sa qualité de curateur, Association loi 1901 déclarée à la Préfecture de l'Isère sous le n°W381015233 dont le siège social est situé [Adresse 13]- [Localité 8], prise en la personne de son représentant en exercice ;
Mme [K] [G] en son nom propre et en sa qualité d'héritier de Madame [H] [J] née [V]
née le [Date naissance 6] 2003 à [Localité 12]
de nationalité Française
Chez Madame [U] - [Adresse 16]
[Localité 9]
représentés par Me Sixtine VADON de la SARL JBV AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMÉE :
LA CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL SUD RHÔNE ALPES prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 7]
représentée par Me Pascale MODELSKI de la SELARL EYDOUX MODELSKI, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine CLERC, Présidente,
Mme Joëlle BLATRY, Conseiller,
Mme Véronique LAMOINE, Conseiller,
Assistées lors des débats de Anne Burel, greffier
DÉBATS :
A l'audience publique du 06 novembre 2023, Madame Clerc a été entendue en son rapport.
Les avocats ont été entendus en leurs observations.
Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.
*****
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [T] [J] et son épouse Mme [H] [J] étaient détenteurs d'un compte joint n°[XXXXXXXXXX04] dans les livres de la Caisse régionale de Crédit Agricole Sud Rhône Alpes (ci-après désigné le Crédit Agricole).
Entre décembre 2016 et octobre 2017 plusieurs chèques ont été émis et plusieurs retraits en espèces ont été effectués pour un montant total de 62.364,21€ sur ce compte ; à partir de juillet 2017, la cellule fraude du Crédit Agricole a rejeté des chèques pour signature non conforme après avoir constaté que la signature apposée sur les chèques n'était pas celle des titulaires du compte.
Mme [H] [J] est décédée le [Date décès 5] 2017, laissant pour lui succéder, son époux, sa fille [X] [J] et sa petite fille [K] [G], venant par représentation de sa mère prédécédée.
À la suite de plaintes déposées par M. [T] [J], et d'un signalement fait par la Caisse d'épargne, gestionnaire des autres comptes de M. et Mme [J], quant à un possible abus de faiblesse commis à leur encontre en lien avec l'émission de nombreux chèques au profit de M. [L] [W], compagnon de Mme [X] [J], ainsi que des virements et des retraits, une information pénale a été ouverte à l'encontre de ce dernier du chef d'abus de faiblesse.
Par courrier recommandé avec AR du 26 juin 2019, M. [T] [J] a mis en demeure le Crédit Agricole de lui régler la somme de 75.319,18€ au titre de son préjudice financier et de lever l'inscription au fichier central des chèques.
Par jugement du tribunal correctionnel de Bourgoin-Jallieu du 22 juillet 2019, M. [W] a été condamné pénalement pour abus de faiblesse au préjudice de M. et Mme [J] commis courant 2016 et jusqu'au 30 septembre 2017, et à payer diverses sommes notamment à M. [J], à Mme [X] [J] assistée de son curateur ainsi qu'à Mme [G] au titre de leur préjudice moral.
Par jugement rendu par ce même tribunal le 17 février 2020, M. [W] a été condamné solidairement avec M. [E], déclaré coupable de recel des infractions commises par M. [W], à payer la somme de 48.693,85€ à M. [J] et la même somme à l'indivision successorale de [H] [J], au titre des dépenses injusti'ées sur les comptes joints appartenant à M. et Mme [J] entre le 8 décembre 2016 et le 11 septembre 2017.
Par exploit d'huissier en date du 1er décembre 2020, M. [J], Mme [X] [J], assistée par Eva tutelles en sa qualité de curateur et Mme [G], représentée par l'aide sociale à l'enfance (ASE) en qualité de tuteur, ont assigné le Crédit Agricole devant le tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu a'n d'obtenir sa condamnation au paiement de diverses sommes incluant le remboursement des opérations litigieuses, de dommages-intérêts, frais irrépétibles et dépens.
Par jugement contradictoire du 25 janvier 2022 le tribunal précité a :
débouté M. [J], Mme [X] [J], assistée par Eva tutelles en sa qualité de curateur et Mme [G], représentée par l'aide sociale à l'enfance (ASE) en qualité de tuteur, de leurs demandes à l'encontre du Crédit Agricole,
rejeté la demande du Crédit Agricole fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
condamné M. [J], Mme [X] [J], assistée par Eva tutelles en sa qualité de curateur et Mme [G], représentée par l'aide sociale à l'enfance (ASE) en qualité de tuteur, aux dépens de l'instance,
rappelé que la décision est de droit exécutoire.
La juridiction a retenu en substance que :
une suspicion de fraude est apparue dès juillet 2017.époque à laquelle à la demande de la cellule prévention-lutte-fraude du Crédit Agricole 12 chèques ont été rejetés pour signature non-conforme,
certains chèques émis avant la décision de la cellule fraude ne semblent également pas avoir été signés par Mme ou M. [J]. Leur montant respectif et leur succession dans le temps aurait dû alerter la banque qui a manqué à son devoir de vigilance,
les virements ont été effectués après que la banque ait suspecté la falsification des chèques précités mais au profit de tiers inconnus de la banque y compris, M. [W], aucun élément ne donnant à penser que l'auteur de l'abus de faiblesse était alors connu de l'établissement ; ces virements ne présentant aucune caractéristique suspecte, il ne saurait être reproché à la banque une négligence,
rien ne permet d'imputer les retraits d'espèce à une autre personne que les titulaires du compte, aucune faute ne saurait être retenue à ce titre,
l'hypothèse d'un préjudice indemnisable au titre de la perte de chance de ne pas perdre l'épargne accumulée par M. et Mme [J] durant leur vie doit être rejetée, dès lors que les demandeurs n'établissent pas que les titulaires du compte avaient le projet d'épargner les sommes figurant au crédit de leur compte-joint qui pouvaient tout à fait être destinées à leurs dépenses courantes,
le lien de causalité entre une faute de la banque et un préjudice moral n'est pas établi, ce dernier ne pouvant être distingué selon qu'il provient de la faute de la banque ou de celle de M. [W] ; or, ce dernier ayant été déjà condamné à réparer le préjudice moral des héritiers de [H] [J], la réclamation indemnitaire formulée par les demandeurs se heurte au principe de la réparation intégrale ; en outre, l'indivision successorale étant dépourvue de personnalité juridique, elle n'a pas subi de préjudice moral et n'est pas titulaire d'une créance à ce titre.
Par déclaration déposée le 8 avril 2022 , les consorts [J]-[G] ont relevé appel.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 28 octobre 2022 sur le fondement de l'article L131-2 du Code monétaire et financier et des articles 1104, 1217 et 1231-1 du code civil, les consorts [J]-[G] demandent à la cour de réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions, et en conséquence de :
juger que le Crédit Agricole a commis une faute en ne vérifiant pas la régularité formelle des chèques émis par M. [W] sur les comptes de M. et Mme [J],
juger que le Crédit Agricole a violé son devoir de vigilance et de mise en garde en autorisant de très nombreuses opérations suspectes sous formes de retraits d'espèces et de virements sur les comptes de M. et Mme [J],
condamner le Crédit Agricole à régler à M. [T] [J] la somme globale de 20.000 € en indemnisation de la perte de chance pour lui de bénéficier du capital dilapidé dans l'avenir,
condamner le Crédit Agricole à régler à Mme [X] [J], assistée par Eva tutelles en qualité de curateur, à la somme de 6.000 € en indemnisation de la perte de chance pour elle de bénéficier du capital dilapidé dans l'avenir,
condamner le Crédit Agricole à régler à Mme[G] la somme de 6.000 € en indemnisation de la perte de chance pour elle de bénéficier du capital dilapidé dans l'avenir,
condamner le Crédit Agricole à régler à :
' M. [J] la somme globale de 5.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
' Mme [X] [J], assistée par Eva tutelles en qualité de curateur la somme de 3.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
' Mme [G] la somme de 3.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
condamner le Crédit Agricole à payer aux consorts [J]-[G] la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner le Crédit Agricole aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de la SARL JBV Avocats, avocat au barreau de Grenoble sur son affirmation de droit.
Les appelants font valoir en substance que :
les demandes de Mme [J] et Mme [G] sont recevables en appel tout comme elles l'étaient en première instance, toutes deux agissant en qualité d'héritières de leur mère et grand-mère prédécédée,
les chèques rédigés par M. [W] ont été signés par lui et la banque a commis une faute de négligence en ne relevant pas la non-conformité de cette signature, cette faute s'étant poursuivie dès lors qu'elle a continué à émettre des chèques de banque après le rejet de chèques par sa cellule fraude,
les chèques présentant des montants très élevés par rapport au débit habituel du compte ou encore le nombre important de chèques remis à l'encaissement, le Crédit Agricole engage sa responsabilité du fait de son absence de vigilance ; les 54 chèques émis en 8 mois pour un montant total de 62.631,56€ soit un montant bien supérieur aux dépenses courantes du foyer ayant mis les époux [J] dans une situation financière irrémédiablement compromise,
les sommes devant être remboursées comprennent les sommes détournées par M. [W] mais également les chèques émis à des personnes étrangères à M. [J] le tout pour un montant total de 25.892,32€,
le préjudice financier s'élève à 57 592,32 euros (25 892,32€ de chèques émis et 31 700€ par virements et retrait d'espèces),
le manquement du Crédit Agricole leur a fait perdre une chance de bénéficier du capital leur revenant et dilapidé du fait de ces manquements,
M. [J] a subi un préjudice moral du fait de la négligence du Crédit Agricole, cela l'a obligé à aller vivre chez sa fille, il a ensuite fait un AVC et a été hospitalisé pendant 4 mois. [H] [J] vivant seule à ce moment-là et ne sachant ni lire, ni écrire, M. [W] a profité de sa faiblesse. Les époux ont été placés en interdit bancaire et M. [J] n'a toujours pas la possibilité d'émettre des chèques.
Par ordonnance juridictionnelle du 8 novembre 2022, le conseiller de la mise en état a
déclaré Mme [X] [J] irrecevable en son appel du 8 avril 2022 formé sans l'assistance de son curateur, dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et que les dépens de la procédure en incident suivront le sort de l'instance au fond.
Dans ses dernières conclusions déposées le 25 novembre 2022 au visa des articles 1103 et 1240 du code civil sous réserve de l'application des dispositions de l'article 12 du Code de procédure civile, le Crédit Agricole entend voir la cour :
confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, et par voie de conséquence,
juger irrecevables les demandes de Mme [G],
juger qu'il n'a commis aucune faute engageant sa responsabilité,
subsidiairement juger que le préjudice des appelants a déjà été réparé par les condamnations prononcées à l'encontre de MM. [W] et [E],
plus subsidiairement juger qu'il n'est à l'origine d'aucune perte de chance au préjudice des consorts [J]-[G],
juger que les consorts [J]-[G] ne justifient d'aucun préjudice imputable lui étant imputable,
débouter en conséquence les mêmes de l'ensemble de leurs demandes,
condamner solidairement M. [J], Mme [X] [J] et Mme [G] à lui payer la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
les condamner solidairement aux dépens comprenant les frais d'exécution de l'arrêt à intervenir.
L'intimé répond que :
conformément à la décision du conseiller de la mise en état l'appel interjeté par Mme [J] est irrecevable,
les demandes formées à son encontre par Mme [G] à hauteur d'appel sont des demandes nouvelles et doivent être nécessairement rejetées,
il ne peut être accusé de négligence à l'égard des retraits d'espèces, le premier juge ayant justement retenu que « rien ne permet, par définition, d'imputer les retraits d'espèces à une autre personne que les titulaires du compte. Aucune faute ne saurait être retenue à ce titre ». Il en va de même pour les virements, pour lesquels l'auteur de l'abus de faiblesse lui étant inconnu, ces virements ne présentaient aucune caractéristique suspecte,
les chèques n'étant pas frappés d'opposition seule la régularité formelle du chèque devait être examinée ; or aucune anomalie n'ayant été trouvée sur ces chèques, il pouvait se convaincre de leur régularité. Les chèques qui ont été payés comportent une signature qui correspond manifestement à la signature des époux [J]. A contrario, sur les chèques rejetés la signature était différente de celles des époux [J]. En l'absence d'anomalies apparentes sur les autres chèques émis, il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir rejeté leur encaissement,
M. [W] était titulaire d'une procuration remise par [H] [J] ; ce faisant, les époux [J] ont été négligents dans la garde des chéquiers et de leurs moyens de paiement,
les époux [J] qui n'ont pas contrôlé leurs relevés de compte à réception, n'ignoraient pas que M. [W], compagnon de Mme [X] [J] sortait tout juste de prison, où il avait d'ailleurs été incarcéré pour la 6ème fois pour des faits d'escroquerie et d'abus de confiance,
les préjudices subis par les appelants ont été réparés par les décisions prononcées par la juridiction correctionnelle : en application du principe de réparation intégrale, il est impossible de les indemniser de nouveau du même poste de préjudice,
le préjudice moral subi par les appelants du fait d'opérations frauduleuses réalisées par M. [W] sur le compte bancaire des époux [J] a également été mis à la charge de ce dernier, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'indemniser une nouvelle fois ce préjudice,
subsidiairement, si sa responsabilité devait être retenue à l'égard des appelants, il ne pourrait être accordé aux consorts [J]-[G] une somme équivalente aux opérations litigieuses réalisées car le préjudice résultant d'un défaut de mise en garde s'analyse en une simple perte de chance, inexistante en l'espèce, les dilapidations invoquées ayant eu pour origine reconnue les agissements de deux personnes identifiées et condamnées.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 octobre 2023.
MOTIFS
A titre liminaire, il est rappelé que la cour n'est pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ni de procéder à des recherches que ses constatations rendent inopérantes.
Il est d'ores et déjà précisé que l'appel de Mme [X] [J] ayant été jugé irrecevable, la cour n'est pas saisie de ses prétentions et les dispositions du jugement déféré concernant cette partie doivent produire leur plein effet.
Sur la recevabilité des demandes de Mme [G]
Le Crédit Agricole soutient l'irrecevabilité au visa de l'article 564 du code de procédure civile des demandes portées par Mme [G] à hauteur d'appel en excipant du fait qu'en première instance, celle-ci n'avait formulé aucune demande en son nom personnel, le premier juge étant saisi uniquement de demandes formées par M. [J] et l'indivision successorale de [H] [J].
Ce qui ne peut être admis, l'instance ayant été initiée par les héritiers de [H] [J] pris individuellement, y compris M. [J] et non pas par l'indivision successorale en tant que telle. Il en résulte que Mme [G], en sa qualité d'héritière de [H] [J] , et qui était partie en première instance en cette qualité, est recevable en ses demandes présentées en appel.
Sur la responsabilité du Crédit Agricole
s'agissant des chèques
A titre liminaire, il est vain pour M. [J] et Mme [G] de conclure que leur « famille était connue dans la commune de [Localité 15] pour avoir un train de vie particulièrement chiche et pour présenter une personnalité fragile, vulnérable et influençable » pour dénoncer un manquement du Crédit Agricole au principe de vigilance et de mise en garde pesant sur les établissements bancaires en ce qu'il se serait abstenu de surveiller les comptes de la famille [J], et n'aurait pas relevé les anomalies intellectuelles, à savoir un nombre important de chèques remis à l'encaissement, un montant très élevé des débits par rapport au débit habituel.
En effet, l'agence du Crédit Agricole était située à [Localité 14] et non pas à [Localité 15] et ensuite, il n'est pas soutenu et a fortiori démontré que M. [J] et son épouse avaient des entretiens réguliers avec leur conseiller bancaire, lequel n'était donc pas en mesure d'apprécier leur situation personnelle, les comptes bancaires de la clientèle ne donnant pas lieu à des surveillances systématiques et constantes sauf irrégularités dénoncées par le titulaire du compte.
Le Crédit Agricole, tenu à un devoir de non-ingérance dans les affaires de ses clients, n'était donc pas tenu d'alerter M. [J] et son épouse sur le fait qu'ils émettaient plusieurs chèques sur de courtes périodes tant que les chèques émis ne présentaient pas d'anomalies apparentes ou des traces de falsification, notamment au niveau de la signature du tiré.
En tout état de cause, aucune faute ne peut être reprochée au Crédit Agricole du chef des 11 chèques émis en juin et août 2017 (une erreur sur le montant du n°8788598 figurant dans les conclusions des appelants à savoir que le montant exact est 280€ et non 1.500€) lesquels ont été frappés d'opposition par M. [J] et donc non payés par la banque.
Quant au fait qu'une « une nouvelle signature » a été apposée sur les chèques (ce qui ne concerne pas les 11 chèques), il y a lieu de rappeler, ce qui n'est pas discuté, que M. [J] et son épouse avaient donné procuration sur leur compte à M. [W] le 7 juillet 2017.
Il est avéré qu'en juillet 2017, le Crédit Agricole a satisfait à son devoir de vigilance en rejetant 12 chèques dont la signature était non conforme à celle des titulaires du compte, M. et Mme [J].
Les 15 autres chèques dénoncés par M. [J] et Mme [G] comme ayant été encaissés à tort par le Crédit Agricole dont seulement 13 sont communiqués par les appelants (le chèque 8788646 étant absent et le 8788614 ayant été comptablisé deux fois) s'avèrent avoir été tirés en avril 2017, sauf le chèque 8788586 tiré en juin 2017 et ont été libellés au bénéfice :
soit de [H] [J] (1337160 ; 8788615 pour un total de 1.800€),
soit de [X] [J] (1337157 ; 1337165 ; 8788613 ; 8788614 ; 8788616 ; 8788614 pour un total de 4.400€) ,
soit de M. [W] (1337154 pour un montant de 1.000€),
soit de tiers (1337158 ; 1337156 ; 1337159 ; 8788618 ; 8788586 pour un total de 5.857,29€),
ces chèques étant revêtus d'une signature non conforme à celle de M. [J] et de son épouse, cette absence de conformité étant décelable sans qu'il soit nécessaire de procéder à des vérifications approfondies.
S'il est indéniable que M. [J] et son épouse n'ont pas alerté le Crédit Agricole sur l'encaissement de ces chèques dont ils ne pouvaient ignorer qu'ils n'en étaient pas les signataires en découvrant leur existence sur leurs relevés de compte bancaire et qu'il résulte de la mise en demeure adressée par M. [J] à la banque le 26 juin 2019 que celui-ci et son épouse avaient remis à M. [W] leurs moyens de paiement lequel les avaient utilisés, et ce à la faveur de l'abus de faiblesse dont celui-ci s'était rendu coupable à leur égard, contribuant ainsi pour partie à la réalisation de leur préjudice, il n'en est pas moins indiscutable que le Crédit Agricole a notoirement manqué à son devoir de vigilance en ne refusant pas le paiement de ces chèques dont la signature n'était pas conforme, ce qui constituait une anomalie apparente, comme il allait le faire ultérieurement en juillet 2017 à l'égard de 12 autres chèques.
Ce faisant, le Crédit Agricole a commis une faute engageant sa responsabilité civile professionnelle envers M. [J] et les héritiers de [H] [J].
s'agissant des virements et retraits
Le premier juge a exactement débouté M. [J] et Mme [G] de leur action en responsabilité du chef des retraits d'argent effectués dans un distributeur automatique sur le compte bancaire de M. [J] et de son épouse et des virements effectués à partir de celui-ci à la faveur de pertinents motifs adoptés par la cour.
Sur les préjudices
Le préjudice résultant du manquement du Crédit Agricole à son devoir de vigilance à l'égard des 13 chèques précités émis courant avril 2017 s'analyse objectivement en une perte de chance de ne pas voir débiter du compte bancaire le montant des chèques en cause.
Il est constant qu'en droit la perte de chance indemnisable qui consiste en la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procurée cette chance si elle s'était réalisée.
Le préjudice financier dont excipent M. [J] en son nom personnel et en sa qualité d'héritier et Mme [G], en sa qualité d'héritière a déjà été indemnisé en tant que tel dans le cadre de l'instance sur intérêts civils par le jugement correctionnel du 17 février 2020.
Or, les sommes prélevées indûment figuraient au crédit d'un compte courant, dont la vocation est de financer toutes dépenses de son titulaire, sa finalité n'étant pas de constituer une épargne.
Il résulte de ces constatations et considérations, que « la perte de chance de bénéficier du capital dilapidé dans l'avenir » revendiquée par M. [J] et Mme [G] n'est donc pas établie et le jugement querellé doit être confirmé en ce qu'il a débouté ces parties de ce chef de prétention.
Au soutien de leur demande d'indemnisation du préjudice moral, M. [J] et Mme [G] font valoir la négligence du Crédit Agricole qui a contribué à ce préjudice dans la mesure où M. [J] ayant perdu son habitation dans un incendie, puis ayant été hospitalisé pour un AVC, son épouse a été contrainte d'emménager dans un logement provisoire modulaire et que se retrouvant seule, et ne sachant ni lire ni écrire, elle a été victime des agissements de M. [W] qui a notamment émis des chèques et effectué des retraits et des virements à l'insu du couple, ce qui les a conduit, lui et son épouse à être interdits bancaires, situation encore d'actualité à l'égard de M. [J] , ce dernier et Mme [G] s'étant trouvés psychologiquement affectés par toute cette situation.
Toutefois, comme relevé à bon droit par le premier juge, outre que la preuve n'est pas établie d'un lien de causalité direct et exclusif entre le manquement du Crédit Agricole à son devoir de vigilance à l'égard du paiement des 13 chèques à la signature non conforme émis courant avril et juin 2017 et le préjudice allégué qui trouve également sa source dans le comportement de M. [W], il doit être rappelé que le préjudice moral allégué a été indemnisé par jugement correctionnel précité du 22 juillet 2019 et que la demande des appelants du même chef se heurte au principe de la réparation intégrale.
Par suite, le jugement querellé est confirmé sur le rejet des demandes indemnitaires de M. [J], pris en sa double qualité et de Mme [G].
Sur les mesures accessoires
Succombant dans leur recours, M. [J] et Mme [G] sont condamnés aux dépens d'appel et conservent la charge de leurs frais irrépétibles exposés devant la cour ; ils sont dispensés en équité de verser une indemnité de procédure au Crédit Agricole pour l'instance d'appel ; le jugement querellé est confirmé en ses dispositions relatives aux mesures accessoires.
Il n'y a pas lieu de juger que les dépens comprendront les frais de l'exécution de l'arrêt à intervenir comme sollicité par le Crédit Agricole en l'absence de toute disposition légale ou réglementaire permettant de déroger à l'application de l'article 10 du décret du 12 décembre 1996 dont les dispositions ont été modifiées par l'article 10 du décret n°2001-212 du 8 mars 2001 lui-même ayant été modifié par le décret n°2016-230 du 26 février 2016, mettant à la charge du créancier un droit de recouvrement et d'encaissement.
En effet, hors le cas spécifique prévu par l'article R.631-4 du code de la consommation au profit du consommateur titulaire d'une créance à l'encontre d'un professionnel, aucune disposition légale ou réglementaire n'autorise le juge à mettre à la charge du débiteur les droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement de l'huissier de justice (désormais commissaire de justice) mis à la charge du créancier par le tableau 3-1 annexé à l'article R.444-3 du code de commerce auquel renvoie l'article R.444-55 du même code institué par le décret précité du 26 février 2016.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Constatant l'irrecevabilité de l'appel de Mme [X] [J] prononcée par ordonnance juridictionnelle du conseiller de la mise en état le 8 novembre 2022,
Déboutant la Caisse régionale de Crédit Agricole Sud Rhône Alpes de sa prétention fondée sur l'article 564 du code de procédure civile pour dire les demandes de Mme [K] [G] irrecevables comme nouvelles en appel,
Confirme le jugement déféré,
Ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties en appel,
Déboute la Caisse régionale de Crédit Agricole Sud Rhône Alpes de sa demande tendant à voir juger que les dépens comprendront les frais d'exécution du présent arrêt,
Condamne M. [T] [J] et Mme [K] [G] aux dépens d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de la procédure civile,
Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT