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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-2, 25 janvier 2024, n° 23/02652

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 23/02652

25 janvier 2024

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-2

ARRÊT AU FOND

DU 25 JANVIER 2024

N° 2024/25

Rôle N° RG 23/02652 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BK2FJ

[V] [L]

AJ partielle BAJ Aix en Pce du 31/03/2023 n°N130012023001566

[Y] [U]

AJ partielle BAJ Aix en Pce du 03/05/2023 n°N130012023001567

C/

S.E.L.A.R.L. [N] LES MANDATAIRES

S.E.L.A.R.L. [N] LES MANDATAIRES

Société ELYSIA CONSULTING

Société ARES SERVICES

PROCUREUR GENERAL

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Sandra JUSTON

Me Eric AGNETTI

PG

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de NICE en date du 18 Janvier 2023 enregistré au répertoire général sous le n° 2021L00387.

APPELANTS

Monsieur [V] [L]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro N130012023001566 du 31/03/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

né le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 8] (06), demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Sandra JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Madame [Y] [U]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro N130012023001567 du 03/05/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

née le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 7] (95), demeurant [Adresse 5]

représentée par Me Sandra JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMEES

S.E.L.A.R.L. [N] LES MANDATAIRESprise en la personne de Maître [X] [N], agissant en sa qualité de Liquidateur Judiciaire de la SASU ALBIANCE.

demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Eric AGNETTI, avocat au barreau de NICE

S.E.L.A.R.L. [N] LES MANDATAIRESprise en la personne de Maître [X] [N], agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS ARES SERVICES.

demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Eric AGNETTI, avocat au barreau de NICE

SARL ELYSIA CONSULTING prise en la personne de ses représentants légaux

domiciliés ès qualités au siège social sis [Adresse 5]

défaillante

SAS ARES SERVICES

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualité au siège social sis [Adresse 6]

défaillante

Monsieur le Procureur Général, demeurant COUR D'APPEL - [Adresse 2]

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 15 Novembre 2023 en audience publique devant la cour composée de :

Madame Gwenael KEROMES, Président de chambre, magistrat rapporteur

Madame Muriel VASSAIL, Conseiller

Madame Agnès VADROT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Janvier 2024.

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

ARRÊT

Défaut,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Janvier 2024,

Signé par Madame Gwenael KEROMES, Président de chambre et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La société Albiance, dont l'objet social consiste principalement en des prestations de nettoyage industrielles, a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, sur assignation de l'Urssaf, prononcée par jugement du tribunal de commerce de Nice en date du 24 mars 2016, à l'issue de laquelle un plan a été arrêté le 28 juin 2017, prévoyant l'apurement de la totalité du passif définitif (1 041 078,10 euros) sur une durée de 10 années au moyen d'échéances progressives.

Cette société a eu plusieurs présidents successifs :

- par décision de l'associé unique du 28 octobre 2013, à la suite de la démission de M. [V] [L] M. [O] [R] est nommé en tant que président,

- puis le 22 septembre 2015, lui succédera Mme [Y] [U], compagne de M. [V] [L],

- A compter du 8 février 2016, Mme [Y] [U] démissionne de son mandat et M. [V] [L] est de nouveau le président (et unique actionnaire).

La société Albiance fait partie d'un groupe de sociétés dans lesquelles M. [L] est actionnaire, et est détentrice de participations dans d'autres sociétés telles que :

- la société Nord Sud Environnement dont elle détient 100 % du capital social, société qui fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire depuis le 14 novembre 2019

- la société Travaux Espace Environnement (TEE) dont elle détient 60,78 % du capital social.

A la demande du liquidateur judiciaire, le tribunal de commerce a :

- reporté la date de cessation des paiements au 1er décembre 2014.

- annulé, par jugement du 5 décembre 2016, plusieurs factures émises pendant la période suspecte, dont celles émises par la SAS HDG à l'encontre de la SAS Albiance et le remboursement de la somme de 886 euros versées par cette dernière à la SAS HDG.

Le tribunal de commerce a ordonné le 3 avril 2017 une mesure d'expertise afin d'examiner les liens financiers entre la SAS Albiance et ses actionnaires et dirigeants. Un appel a été interjeté contre cette ordonnance, appel encore pendant devant cette même cour.

Postérieurement à l'adoption du plan de redressement dont les deux premières annuités ont été respectées, le commissaire à l'exécution du plan a sollicité la résolution du celui-ci par requête déposée le 20 avril 2018, puis s'est désisté de sa demande.

Le Tribunal de commerce de Nice, saisi par requête en résolution du plan présentée par la société IDSUD Voyages du 25 octobre 2019, pour défaut de paiement de sa créance, requête à laquelle le liquidateur judiciaire s'est associé, en raison notamment de la création de dettes nouvelles durant l'exécution du plan pour un montant total de 672 273 euros (dettes URSSAF, dettes TVA 2019 et CVAE 2017, dettes fournisseurs), a finalement prononcé le 27 novembre 2019, la résolution du plan de redressement et prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, le tribunal retenant une date de cessation des paiements au 1er décembre 2018.

La procédure collective ouverte à l'égard de la société Albiance a été étendue à la société Arès Services par jugement du tribunal de commerce de Nice du 13 octobre 2020.

La vérification du passif a porté sur une seule créance contestée de la SAS TEE qui a fait l'objet d'une décision de rejet par le tribunal de commerce de Nice, rejet confirmé en appel par arrêt du 26 octobre 2022.

Suite à la liquidation judiciaire de la société Albiance, Me [N], ès qualités de liquidateur judiciaire a demandé, au visa des articles L. 651-1 et L. 651-2 du Code de Commerce, la condamnation solidaire des dirigeants de la société, à savoir M. [O] [R], M. [V] [L] et Mme [Y] [U], au paiement du passif encore provisoire de la société ALBIANCE, soit la somme de 8.000 000 euros.

Le tribunal de commerce de Nice, par jugement rendu le 18 janvier 2023, ordonnant la jonction des deux instances enregistrées sous les numéros 2021L00387 et 2021L00425, a :

- dit que M. [V] [L] et Mme [Y] [U] ont commis des fautes de gestion, plaçant la SAS Albiance en infraction au regard du droit de la procédure collective, du droit des sociétés et traduisant une incompétence en matière de gestion et une passivité critiquable,

- dit que ces fautes de gestion ont contribué à l'insuffisance d'actif caractérisant en cela le lien de causalité requis ;

- condamné M. [V] [L] et Mme [Y] [U] solidairement au paiement d'une provision équivalente au montant de l'insuffisance d'actif arrêtée au jour de l'assignation à 7 874 932,04 euros dans l'attente de connaître précisément l'insuffisance d'actif à l'indue des opérations de vérification des créances et de la réalisation des actifs de la SAS Albiance ;

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;

- mis hors de cause M. [O] [R] de la présente instance et prend acte de ce que celui-ci se désiste de toute demande envers la SCP [N] - Les Mandataires ès qualités, en ce compris l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- pris acte de ce que la Selarl [N]-Les Mandataires ès qualités se désiste de toute demande envers M. [O] [R], en ce compris l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [V] [L] et Mme [Y] [U] à payer, chacun la somme de 3 000 euros à la Selarl [N] - Les Mandataires ès qualités sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, liquidés à la somme de 147,84 euros.

Pour se prononcer, les premiers juges ont retenu à l'encontre de Monsieur [V] [L] et de Madame [Y] [U] :

- une insuffisance d'actif égale au passif s'élevant provisoirement à 7 874,932,04 euros,

- des fautes de gestion tenant à :

' l'absence de déclaration de cessation des paiements par le dirigeant de la société Albiance dans le délai imparti ;

' l'absence d'anticipation et la dégradation du fonds de roulement, relevée par le Cabinet In Extenso dans une note du 3 février 2017 ;

' le transfert de la clientèle de la SAS Albiance vers la SAS Arès services, dont le capital est détenu par Mme [Y] [U] qui en assume la gérance, ce qui a d'ailleurs conduit le tribunal de commerce de Nice à rendre le 13 octobre 2020 un jugement d'extension de la procédure collective à la SAS Arès Services sur requête de la Selarl [N]-Les Mandataires,

' l'absence de comptabilité pour les exercices 2016, 2017 et 2018.

Il a été relevé appel de cette décision par M. [V] [L] et Mme [Y] [U], par déclaration du 16 février 2023.

Par conclusions déposées et signifiées le 28 mars 2023, auxquelles la cour entend se référer expressément en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [V] [L] et Mme [Y] [U] demandent à la cour :

- d'infirmer la décision querellée en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

'En pareille matière,

Chaque faute doit légalement être justifiée. Si plusieurs dirigeants sont poursuivis, la jurisprudence impose que les fautes de chacun soient détaillées.

CONSTATER que M. [R] ne fait plus l'objet de depuis la première instance et en cours de procédure en raison d'une modification de la position du mandataire judiciaire lequel s'est désisté. Le détail des fautes de chacun n'a pas été démontré et par suite le préjudice subi par la liquidation. Le jugement qui condamne le dirigeant d'une personne morale à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif de celle-ci doit préciser en quoi chaque faute retenue a contribué à l'insuffisance d'actif. La démonstration étant absente du dispositif de la décision querellée, la faute ne peut être caractérisée.

JUGER que toute condamnation ne pourra intervenir que pour les faits susceptibles de constituer une faute à compter du 20 avril 2018. La décision querellée sera donc infirmée en totalité.

JUGER que la règle de proportionnalité n'a pas été appliquée en contrariété avec la jurisprudence constante en pareille matière. La décision querellée sera donc infirmée de ce chef et à titre subsidiaire si la responsabilité des appelants devait être retenue. La condamnation devra du même coup être minorée à hauteur des revenus actuels de Madame [U] et Monsieur [L] lesquels sont aujourd'hui inexistants.

DIRE ET JUGER que la condamnation sera modulée en fonction soit 1 euros symbolique'.

Par conclusions déposées et notifiées par RPVA le 26 avril 2023, auxquelles la cour entend expressément se référer conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Selarl [N]-Les Mandataires ès qualités, demandent à la cour de :

- confirmer tous les chefs de jugement du Tribunal de Nice en date du 18/01/2023, sous réserve

de réajuster le montant de l'insuffisance d'actifs à la somme de 7 657 088,68 euros.

- débouter Monsieur [V] [L] et Madame [U] de leurs demandes, fins et conclusions.

- condamner Monsieur [V] [L] et Madame [U] à payer chacun à la Selarl [N]-Les Mandataires ès qualités la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens.

La Sarl Elysia Consulting, intimée citée, a fait l'objet d'un procès-verbal de recherches en application de l'article 659 du code de procédure civile et la SAS Arès Services, intimée, a été citée à étude. Aucune n'ayant constitué avocat, l'arrêt sera rendu par défaut conformément aux dispositions de l'article 474 du code de procédure civile.

Par un avis déposé le 17 octobre 2023, le ministère public a requis la confirmation de la décision entreprise, dans le sens demandé par le liquidateur judiciaire.

L'affaire a été fixée à l'audience du 15 novembre 2023 et la clôture a été prononcée le 19 octobre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Suivant l'article L. 651-2 du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.

Pour que la mise en cause de la responsabilité personnelle et pécuniaire des dirigeants de la SAS Albiance engagée par la Selarl [N]-Les Mandataires ès qualités puisse prospérer, il est nécessaire que soient établis :

- une insuffisance d'actif,

- une ou plusieurs fautes de gestion imputables aux dirigeants,

- un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l'insuffisance d'actif.

L'insuffisance d'actif qui conditionne la condamnation d'un dirigeant se mesure à la différence entre le montant du passif antérieur admis et le montant de l'actif réalisé.

Il n'est pas nécessaire, pour qu'il puisse être fait application des dispositions de l'article L 651-2 du code de commerce, que le passif soit entièrement chiffré, ni que l'actif ait été réalisé. Il suffit que l'insuffisance d'actif apparaisse certaine à la date à laquelle le juge statue.

Le tribunal, estimant que le passif total déclaré, était de 7 874 932,04 euros a condamné les appelants à devoir payer une provision équivalente au montant de l'insuffisance d'actif provisoirement arrêtée à la date de l'assignation à la somme précitée, dans l'attente de connaître précisément le montant de l'insuffisance d'actif, à l'issue des opérations de vérifications des créances .

Il ressort des éléments versés aux débats, non contestés, que le passif total déclaré entre les mains de la SCP [N]-Les Mandataires ès qualités s'élève à la date du actualisé au 1er juillet 2022, s'élève à la somme totald de 7 657 088,68 euros, dont :

- un passif antérieur contesté à hauteur de 217 843,36 euros

- un passif admis de 1 103 368,15 euros

- un passif provisionnel de 292 747 euros

- un passif non définitif de 510 590,36 euros.

Les actifs corporels n'ont pu être inventoriés ni appréhendés, faute pour les dirigeants de la SAS Albiance d'avoir collaboré avec le commissaire-priseur désigné, lequel a convié sans résultat, le représentant légal de la SAS Albiance, à plusieurs reprises, pour l'inventaire et la prisée du patrimoine de la société, avec rappel au conseil de celle-ci, et a été contraint de dresser un procès-verbal de difficultés (pièce n° 32 de l'intimée).

Il apparaît donc que l'actif est manifestement insuffisant pour apurer le passif de la SAS Albiance, et que l'insuffisance d'actif ne pourra être inférieure à la somme de 1 103 368,15 euros.

Il y a lieu de fixer à cette somme le montant de l'insuffisance d'actif à laquelle pourraient être condamnés les appelants, sans préjudice des créances qui feront l'objet d'une admission ultérieure.

Sur les fautes de gestion reprochées à M. [V] [L] et à Mme [Y] [U] :

' l'absence de déclaration de cessation des paiements par le dirigeant de la société Albiance dans le délai imparti .

Eu égard à la fixation par le tribunal de commerce dans son jugement du 27 novembre 2019 prononçant la résolution du plan de redressement pour inexécution des obligations, de l'état de cessation des paiements à la date du 1er décembre 2018, date qui n'a pas été contestée, et en l'absence de déclaration de cessation des paiements ou de demande d'ouverture d'une conciliation, dans le délai imparti à l'article L.631-4 du Code de commerce, ce grief est caractérisé.

A la date du 1er décembre 2018, M. [V] [L] était gérant de la SAS Albiance et il n'est pas démontré l'existence d'une gérance de fait de la société par Mme [Y] [U].

' l'absence de comptabilité pour les exercices 2016, 2017 et 2018,

La Selarl [N]-Les Mandataires fait grief à M. [V] [L] et à Mme [Y] [U] de ne pas avoir tenu de comptabilité sur les exercices 2016 à 2018, étant rappelé que Mme [Y] [U] n'a été la gérante de droit de la SAS Albiance du 22 septembre 2015 au 8 février 2016, date à laquelle M. [V] [L] lui a succédé, et soutient qu'aucune comptabilité ne lui a été remise dans le cadre de la procédure collective ouverte à l'égard de la SAS Albiance depuis le 24 mars 2016.

Les appelants affirment dans leurs écritures que la comptabilité de la société était tenue par un expert comptable jusqu'à la liquidation judiciaire, mais n'en justifient nullement en première instance comme à hauteur d'appel.

Il peut toutefois se déduire de l'attestation émise le 3 février 2017 par la société In Extenso, expert comptable de la SAS Albiance (pièce n° 37 de l'intimée), qu'à la date de l'attestation, la société avait bien un expert comptable en charge de la tenue de sa comptabilité, de sorte qu'il y a lieu de tenir ce grief pour non établi au titre des exercices 2016 et 2017.

En revanche, M. [V] [L], gérant de la SAS Albiance, ne justifie en aucune manière la tenue d'une comptabilité de la SAS Albiance pour l'exercice 2018.

Dès lors, en se privant ainsi d'un outil fiable de pilotage de l'entreprise lui permettant d'avoir une connaissance exacte de sa situation financière, d'autant plus nécessaire qu'il avait à charge à compter de juin 2017, de poursuivre l'activité de la société et remplir les obligations fixées par le plan de redressement, M. [V] [L] a commis une faute de gestion qui a participé à l'aggravation de l'insuffisance d'actif et a ainsi retardé la constatation de l'état de cessation des paiements -fixée au 1er décembre 2018- et l'aggravation du passif, puisque le tribunal n'a été saisi d'une demande de résolution du plan que sur requête d'un créancier, la société IDSUD Voyage, déposée le 24 octobre 2019.

' l'absence d'anticipation et la dégradation du fonds de roulement, relevée par le Cabinet In Extenso dans une note du 3 février 2017:

Il ressort de l'attestation établie le 3 février 2017 par la société In Extenso [Localité 8], expert comptable de la SAS Albiance (pièce n°36 de la partie intimée) que la société 'n'a bénéficié ni de concours bancaire, ni d'apport en compte-courant' et 'a ouvert un compte auprès d'une société d'affacturage afin de réduire son besoin en fonds de roulement, en palliant au décalage d'encaissement des créances clients'.

La Selarl [N]-Les Mandataires fait grief à M. [V] [L] et Mme [Y] [U], grief repris par le tribunal de commerce, de ne pas avoir anticipé le besoin en fond de roulement de la société.

Il ressort des éléments communiqués et développés par la Selarl [N]-Les Mandataires (page 16 de ses conclusions) qu'entre 2014 et 2016, le chiffre d'affaires a progressé de 175 %, avec une progression de 89 % entre 2014 et 2015 liée à la conclusion d'un contrat avec Burger King. Les charges de personnel ont progressé entre 2015 et 2016 de 110,3 % soit plus rapidement que le chiffre d'affaire sur la même période, ce poste représentant près de 83 % du chiffre d'affaire (contre 74,4 % en 2015). Il en résulte une insuffisance brute d'exploitation de 65 777 euros et un résultat d'exploitation en 2016 de - 85 928 euros contre - 536 293 euros en 2015.

Ces éléments chiffrés ne démontrent pas de manière certaine une absence d'anticipation du besoin en fonds de roulement, tel que retenu par le tribunal, en ce que :

- l'attestation du cabinet In Extenso sus évoquée n'indique en effet pas à quelle date la société a ouvert un compte auprès d'une société d'affacturage ;

- la société n'ayant pas fait appel au crédit bancaire ni bénéficié d'apports en compte courant d'associés, l'ouverture d'un compte dans une société d'affacturage a pu lui permettre de mobiliser les créances qu'elle détient auprès de ses clients et pallier ainsi le décalage entre la réalisation de la prestation et le paiement pour faire face à son BFR.

Dès lors, en l'état de ces développements, il ne peut être tenu pour caractérisée la faute de gestion retenue par le tribunal de commerce.

La Selarl [N]-Les Mandataires ne peut davantage soutenir que depuis 2013 jusqu'à l'adoption du plan de redressement le 28 juin 2017, la société a poursuivi une activité déficitaire, dès lors que, nonobstant une activité déficitaire, c'est sur la base du projet de plan de redressement arrêté par le tribunal de commerce qu'a été autorisée la poursuite de l'activité de la SAS Albiance. La validation par le tribunal du projet de plan de redressement proposé par la SAS Albiance fait obstacle à ce qu'il puisse être reproché ultérieurement aux dirigeants, d'avoir poursuivi une activité déficitaire au cours des années antérieures à l'adoption du plan.

Ce grief invoqué par la Selarl [N]-Les Mandataires ne sera pas retenu.

' le transfert de la clientèle de la SAS Albiance vers la SAS Arès services, dont le capital est détenu par Mme [Y] [U] qui en assume la gérance, ce qui a d'ailleurs conduit le tribunal de commerce de Nice à rendre le 13 octobre 2020 un jugement d'extension de la procédure collective à la SAS Arès Services sur requête de la Selarl [N]-Les Mandataires.

Sur ce point, les appelants ne formulant aucune observation dans leurs écritures, la cour se référera aux motifs exposés dans le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nice le 13 octobre 2020, prononçant l'extension de la procédure collective de la SAS Albiance à la société Arès, non contesté et à ce jour définitif (pièce n° 32)

Il appert que la SAS Arès Services, dont l'objet social est identique à celui de la SAS Albiance, ayant pour présidente Mme [Y] [U], compagne de M. [V] [L], a été constituée le 29 octobre 2019 et immatriculée au RCS Paris, soit peu avant la liquidation judiciaire de la SAS Albiance, prononcée le 27 novembre 2017. C'est à la suite des relances effectuées auprès des clients de la SAS Albiance, que le liquidateur judiciaire s'est aperçu que certains clients avaient effectué des règlements au profit de la SAS Arès Services, celle-ci s'étant présentée à eux comme étant une émanation de la SAS Albiance qui avait transféré son activité vers la société Arès Services, laquelle exécutait la plupart des contrats initialement conclus par la SAS Albiance.

Le tribunal relevait :

- que la SAS Arès Services avait écrit courant novembre 2019 aux clients de la SAS Albiance pour les informer 'pour permettre de se recentrer sur leurs compétences et apporter encore plus de services, pour renforcer leur activité régionale et mieux les servir, la SAS Albiance est devenue la SAS Arès Services - Siret 878 546 530 00014 APE : B121Z',

- que celle-ci avait facturé et encaissé les prestations réalisées par la SAS Albiance,

- qu'elle s'était appropriée l'ensemble du fichier clientèle de la SAS Albiance, sans a moindre contrepartie pour la liquidation judiciaire de cette dernière, ni financière, ni sociale par la reprise de tout ou partie des salariés attachés aux contrats transférés de l'une à l'autre .

Ce détournement des actifs de la SAS Albiance n'a pu se faire qu'à l'initiative de M. [V] [L], alors dirigée par M. [V] [L].

En conséquence, la faute de détournement des éléments de l'actif de la SAS Albiance étant parfaitement caractérisé à l'encontre de M. [V] [L] a participé directement et incontestablement de l'insuffisance d'actif en privant la SAS Albiance et par suite, les créanciers de celle-ci, de rentrées de fonds liée à l'exécution des prestations réalisées par la SAS Albiance.

Les fautes de gestion constituées à l'encontre de M. [V] [L], en l'occurrence, le défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours à compter de la constatation de celui-ci, l'absence de tenue d'une comptabilité à compter de 2018, et le détournement des actifs de la société ont manifestement et directement contribué à l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire.

Concernant Mme [Y] [U], celle-ci n'ayant plus été gérante de la SAS Albiance à compter du du 8 février 2016, l'existence d'une gérance de fait n'étant par ailleurs pas démontrée par le liquidateur judiciaire, aucune faute de gestion ayant un lien de cause à effet direct sur l'insuffisance d'actif ne peut lui être reprochée.

Le jugement sera par conséquent infirmé en ce qui la concerne.

Sur la contribution de M. [V] [L] à l'insuffisance d'actif.

M. [V] [L] fait grief aux premiers juges de ne pas lui avoir appliqué le principe de proportionnalité de la sanction financière à sa situation. Or, il lui appartient de justifier de sa situation, familiale, professionnelle, patrimoniale et financière, ce qu'il s'est bien abstenu de faire.

Outre le fait que M. [V] [L] a produit devant la cour un relevé de condamnation pénale (pièce 1 de l'appelant) d'où il appert qu'il a été condamné le 12 février 2022 par le tribunal judiciaire de Nice, dans le cadre d'une CRPC, pour des faits de banqueroute par emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds, par détournement ou dissimulation de tout ou partie de l'actif, par augmentation frauduleuse du passif et non tenue d'une comptabilité, à la peine de trois ans d'emprisonnement délictuel, assorti en partie du sursis probatoire pendant deux ans et à une amende délictuelle de 50 000 euros, il ne justifie d'aucune façon de sa situation personnelle, professionnelle, familiale comme de ses ressources, ni de son patrimoine.

Dès lors, en considération de l'importance du passif actuel et prévisible de la SAS Albiance qui s'élevant à plusieurs millions d'euros, de la gravité et de la pluralité des fautes de gestion établies à son encontre, qui ont aggravé de manière directe et certaine l'insuffisance d'actif, il y a lieu de fixer la contribution de M. [V] [L] au titre de l'insuffisance d'actif à la somme de 1 103 368,15 euros.

Sur les demandes accessoires :

M. [V] [L] succombant, est infondé en sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En considération des faits de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de Mme [Y] [U] au titre de ses frais irrépétibles.

M. [V] [L] sera en outre condamné à payer à la Selarl [N]-Les Mandataires, représentée par Me [X] [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Albiance, la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [V] [L] sera condamné aux dépens d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, après débats publics, par arrêt rendu par défaut et par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nice (n° minute 2023L00213) en date du 18 janvier 2023 en ce qu'il a :

- ordonné la jonction des deux instances pendantes sous les numéros 2021L00387 et 2021L00425 ;

- dit que M. [V] [L] a commis les fautes de gestion de non déclaration de cessation des paiements par le dirigeant de la société Albiance dans le délai imparti, de non tenue d'une comptabilité au titre de l'exercice 2018, de détournement les éléments de l'actif de la SAS Albiance par transfert de sa clientèle vers la SAS Arès services ;

- dit que ces fautes ont contribué directement à l'insuffisance d'actif,

- mis hors de cause M. [O] [R] et pris acte de ce que celui-ci se désiste de ses demandes envers la Selarl [N]-Les Mandataires ès qualités, en ce compris l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

- pris acte de ce que la Selarl [N]-Les Mandataires, représentée par Me [X] [N], ès qualités se désiste de ses demandes envers M. [O] [R] en ce compris l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [V] [L] à payer à la Selarl [N]-Les Mandataires, représentée par Me [X] [N], ès qualités la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens, liquidés à la somme de 147,84 euros.

L'infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Fixe la contribution mise à la charge de M. [V] [L] au titre de l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la SAS Albiance, à hauteur de 1 103 368,15 euros ;

Condamne M. [V] [L] à payer à la Selarl [N]-Les Mandataires, représentée par Me [X] [N], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS Albiance, la somme de 1 103 368,15 euros au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif ;

Condamne M. [V] [L] à payer à la Selarl [N]-Les Mandataires, représentée par Me [X] [N], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS Albiance la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel ;

Déboute la Selarl [N]-Les Mandataires, représentée par Me [X] [N], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS Albiance, de ses demandes à l'encontre de Mme [Y] [U] et de ses autres demandes à l'encontre de M. [V] [L] ;

Condamne M. [V] [L] aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE