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Décisions

CA Lyon, ch. soc. d (ps), 16 janvier 2024, n° 21/06095

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 21/06095

16 janvier 2024

AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE

RAPPORTEUR

R.G : N° RG 21/06095 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NYQR

Société [5], SAS

C/

[B]

Société [7], SAS

CPAM DU [Localité 8]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Pole social du TJ de LYON

du 15 Juin 2021

RG : 19/01036

AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE D

PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU 16 JANVIER 2024

APPELANTE :

Société [5], SAS

[Adresse 9]

[Adresse 9]

représentée par Me Christelle HABERT de l'AARPI CABINET HABERT & DAVID, avocat au barreau de PARIS

INTIMES :

[I] [B]

né le 19 Août 1966 à [Localité 4]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

comparant en personne, assisté de Me Alexis DOSMAS, avocat au barreau de LYON

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 69123/2/2021025216 du 23/09/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)

Société [7], SAS

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représentée par Me Florence FARABET ROUVIER de la SELARL AUMONT FARABET ROUVIER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

CPAM DU [Localité 8]

[Adresse 10]

[Adresse 10]

représenté par Mme [N] [S] (Membre de l'entrep.) en vertu d'un pouvoir général

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 05 Décembre 2023

Présidée par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Magistrate, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Anais MAYOUD, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

- Delphine LAVERGNE-PILLOT, présidente

- Vincent CASTELLI, conseiller

- Nabila BOUCHENTOUF, conseillère

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 16 Janvier 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Magistrate, et par Anais MAYOUD, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

M. [B] a été engagé par la société [7] (la société intérimaire, l'employeur), société de travail temporaire, en qualité de cariste, puis mis à disposition de la société [5] (l'entreprise utilisatrice) du 10 juin au 31 décembre 2016 puis du 31 décembre 2016 au 31 décembre 2017.

Il a été victime d'un accident du travail survenu le 15 mars 2017 à 10h15, M. [B] ayant déclaré s'être trouvé en train de rincer des fûts et qu'après avoir positionné le dernier fût dans le système de lavage, celui-ci a explosé le projetant en arrière. Il a reçu divers projectiles.

Le 22 mars 2017, la caisse primaire d'assurance maladie du [Localité 8] (la CPAM) a pris en charge cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels.

Le 3 mars 2018, M. [B] a saisi la CPAM aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et, en l'absence de conciliation, a, par requête reçue au greffe le 14 mars 2019, saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale, devenu pôle social du tribunal judiciaire.

Par jugement du 15 juin 2021, le tribunal :

- dit que l'accident du 15 mars 2017 est imputable à la faute inexcusable de la société [5], entreprise utilisatrice,

En conséquence,

- ordonne la majoration de la rente servie par la caisse aux taux maximum,

- fixe à 2 000 euros le montant de la provision dont la caisse devra faire l'avance au bénéfice de M. [B],

Statuant avant-dire droit sur l'évaluation des préjudices et sur l'indemnisation,

- ordonne une expertise médicale de M. [B],

- désigne pour y procéder le docteur [J] [T] ([6] centre d'éducation motrice, [Adresse 1]), lui donne mission, après avoir convoqué les parties, de :

* se faire communiquer le dossier médical de M. [B],

* examiner M. [B],

* détailler les blessures provoquées par l'accident du 15 mars 2017,

* décrire précisément les séquelles consécutives à l'accident du 15 mars 2017, et indiquer les actes et gestes devenus limités ou impossibles,

* indiquer la durée de l'incapacité totale de travail,

* indiquer la durée de l'incapacité temporaire partielle de travail et évaluer le taux de cette incapacité,

Indiquer,

* dire si l'état de la victime nécessite ou a nécessité l'assistance constante ou occasionnelle d'une tierce personne, et, dans l'affirmative, préciser la nature de l'assistance et sa durée quotidienne,

* dire si l'état de la victime nécessite ou a nécessité une aménagement de son logement, un aménagement de son véhicule,

* évaluer les souffrances physiques et morales consécutives à l'accident,

* évaluer le préjudice esthétique consécutif à l'accident,

* évaluer le préjudice d'agrément consécutif à l'accident,

* évaluer le préjudice sexuel consécutif à l'accident,

* dire si la victime subit une perte de chance de réaliser un projet de vie familiale,

* dire si la victime subit des préjudices exceptionnels et s'en expliquer,

* dire si l'état de la victime est susceptible de modifications,

- dit que l'expert déposera son rapport au secrétariat du tribunal des affaires de sécurité sociale dans les six mois de sa saisine, et au plus tard le 30 décembre 2021, et en transmettra une copie à chacune des parties,

- dit que la société [5] devra relever et garantir la société [7] de toutes les conséquences financières qui résulteront de la reconnaissance de la faute inexcusable, tant en principal, intérêts, frais et accessoires, ainsi que des condamnations au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que la caisse doit faire l'avance des frais d'expertise, ainsi que de la provision,

- dit que la caisse pourra recouvrer l'intégralité des sommes dont elle aura fait l'avance, directement auprès de l'employeur, y compris les frais relatifs à la mise en œuvre de l'expertise,

- condamne la société [5] à verser à M. [B] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- réserve les dépens.

Par déclaration enregistrée le 22 juillet 2021, la société [5] a relevé appel de cette décision.

Par ses conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 17 novembre 2023 et reprises à l'audience sans ajout ni retrait au cours des débats, elle demande à la cour de :

A titre principal,

- juger que les conditions de la faute inexcusable de l'employeur ne sont pas réunies,

En conséquence,

- débouter M. [B] de ses demandes,

A titre subsidiaire, si la faute inexcusable de l'employeur était reconnue,

a) Sur la demande de majoration de rente,

Vu l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale,

- débouter M. [B] de sa demande de majoration de rente,

b) Sur la demande de provision,

- débouter M. [B] de sa demande de provision qui est manifestement excessive et prématurée,

c) Sur la demande d'expertise médicale judiciaire,

Vu l'article 238 du code de procédure civile,

- exclure de la mission d'expertise le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle qui relève d'une appréciation juridique et non médicale,

- exclure de la mission d'expertise les préjudices déjà couverts par livre IV du code de la sécurité sociale,

d) Sur la demande d'article 700 du code de procédure civile,

- débouter M. [B] de sa demande,

3) A titre subsidiaire, en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur sur les demandes de garantie et de transfert du coût de l'accident de la société [7],

- débouter la société [7] de sa demande de garantie intégrale à son encontre, ainsi que de sa demande de garantie portant sur les intérêts de retard,

Vu les articles L. 412-6, L. 241-5-1 et R. 242-6-1 du code de la sécurité sociale,

- constater l'absence de preuve de la notification d'un taux d'IPP, encore moins supérieur à 10 %,

En conséquence,

- débouter la société [7] de sa demande de transfert du coût de l'accident du travail dans la mesure où les articles L. 241-5-1 et R. 246-2-1 du code de la sécurité sociale précisent que lorsqu'il est inférieur à 10 %, il est nécessairement supporté par l'entreprise de travail temporaire,

En tout état de cause,

- débouter M. [B], la société [7] et la CPAM de l'ensemble de leurs demandes dirigées à son encontre.

Par ses conclusions n° 1 notifiées par voie électronique le 24 novembre 2023 et reprises à l'audience sans ajout ni retrait au cours des débats, la société [7] demande à la cour de :

A titre principal :

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu la faute inexcusable,

A titre subsidiaire :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que la société [5] devra la relever et garantir de toutes les conséquences financières qui résulteront de la reconnaissance de la faute inexcusable, tant en principal, intérêts, frais et accessoires ainsi que des condamnations au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire et juger la décision à intervenir commune à la caisse primaire d'assurance maladie du [Localité 8].

Par des écritures reçues au greffe le 4 décembre 2023 et reprises à l'audience sans ajout ni retrait au cours des débats, M. [B] demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

- condamner la société [5] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens de l'instance.

Par ses écritures reçues au greffe le 24 novembre 2023 et reprises à l'audience sans ajout ni retrait au cours des débats, la CPAM demande à la cour de prendre acte qu'elle n'entend pas formuler d'observations sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur mais que, dans l'hypothèse où cette dernière serait reconnue, elle entend voir prendre acte qu'en sa qualité de subrogée dans les droits de l'assurée, elle procédera au recouvrement de l'intégralité des sommes dont elle serait amenée à faire l'avance directement auprès de l'employeur, soit celles versées au titre des préjudices reconnus, y compris les frais relatifs à la mise en œuvre d'une expertise.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR LA FAUTE INEXCUSABLE

La société [5] prétend que les conditions de la faute inexcusable ne sont pas réunies, que M. [B] ne rapporte pas la preuve contraire se contentant d'allégations non étayées par les 31 pièces qu'il verse aux débats. Elle considère que des causes multifactorielles rendent les circonstances de l'accident indéterminées, que le salarié souffrait d'un état antérieur et qu'eu égard à son parcours professionnel, il connaissait les exigences et règles applicables dans les entreprises de l'industrie chimique. Elle indique que M. [B] s'est, en tout état de cause, vu délivrer une formation complète lors de son arrivée sur le site, puis d'un tutorat de plusieurs mois. Elle considère qu'elle a parfaitement évalué les risques inhérents à son activité, notamment à son secteur d'affectation, et qu'elle ne pouvait avoir conscience du danger à l'origine de l'accident litigieux, précisant qu'aucune infraction aux règles de sécurité ne lui a été reprochée par l'inspection du travail ni aucune poursuite pénale engagée à son encontre.

En réponse, la société [7] oppose l'absence de preuve de tout manquement de sa part considérant que seule l'entreprise utilisatrice est responsable de l'éventuel non-respect des règles relatives à la sécurité et aux conditions de travail, notamment en cas d'accident du travail, puisqu'elle seule établit la liste des postes à risques et connaît donc si le poste proposé au salarié intérimaire est ou non à risques. Elle ajoute que M. [B] ne rapporte ni la preuve que la société [5] avait connaissance du risque auquel ses salariés pouvaient être exposés ni surtout qu'elle n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

M. [B] considère quant à lui que les conditions de la faute inexcusable de l'employeur sont réunies. Il expose que le poste de travail auquel il était affecté l'exposait de manière importante à des risques chimiques, que le fait de rincer des fûts ayant contenu du triethylsilane représentait un danger que son employeur connaissait ou dont il aurait dû avoir conscience et que ce dernier n'a pas évalué les risques ni organisé son poste de travail en tenant compte des dangers qu'il encourait pour sa santé et sa sécurité. Il ajoute n'avoir pas été formé pour prévenir ces dangers et n'avoir reçu aucune information de la part de son employeur.

La faute inexcusable de l'employeur prévue à l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale est présumée établie pour les salariés temporaires victimes d'un accident de travail alors qu'affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité, ils n'auraient pas bénéficié de la formation à la sécurité renforcée prévue par l'article L. 4154-2 , dans l'entreprise dans laquelle ils sont occupés.

Il en résulte une présomption de faute inexcusable de l'employeur au bénéfice du salarié intérimaire victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle dès lors qu'il était affecté à un poste de travail présentant des risques particuliers pour sa santé ou sa sécurité.

En prévoyant que l'entreprise utilisatrice doit indiquer à l'entreprise de travail temporaire si le poste de travail occupé par le travailleur présente des risques particuliers mentionné à l'article L. 4624-2 du code du travail, le législateur a entendu faire peser sur l'entreprise utilisatrice l'obligation d'identifier les postes à risques qui nécessitent une formation renforcée à la sécurité et de les signaler à l'entreprise d'intérim.

Les obligations de l'employeur en matière de sécurité des salariés temporaires sont quant à elles régies par les dispositions L. 232-3-1, en vigueur au moment des faits,' du code du travail et R. 4141-14 du même code.

Par ailleurs, en matière d'accident du travail imputable à la faute inexcusable de l'employeur, il résulte de l'article L. 412-6 du code de la sécurité sociale que l'entreprise utilisatrice est regardée comme substituée dans la direction, au sens de l'article L. 452-1, à l'entreprise de travail temporaire euros l'article L. 1251-21 du code du travail dispose que pendant la durée de la mission, l'entreprise utilisatrice est responsable des conditions d'exécution du travail, et notamment de ce qui a trait à la santé et à la sécurité au travail.

L'existence d'une faute inexcusable peut donc s'apprécier au regard du comportement de l'entreprise utilisatrice mais l'employeur (entreprise de travail temporaire) reste seule tenu des conséquences de la faute inexcusable vis-à-vis de la caisse, avec la possibilité d'exercer une action récursoire contre l'entreprise utilisatrice fautive en remboursement de tout ou partie de la charge qu'entraîne pour lui la faute inexcusable.

Si la présomption de faute inexcusable s'applique, alors celle-ci est induite de la seule survenance de l'accident, sans que le salarié n'ait à prouver que les éléments constitutifs de cette faute sont bien réunis.

Il est de jurisprudence constante que cette présomption de faute inexcusable s'applique même lorsque les circonstances de l'accident sont indéterminées ou lorsque le salarié a fait preuve d'imprudence ou a commis une faute grossière, dès lors que l'employeur a affecté un salarié recruté sous contrat à durée déterminée à des postes dangereux, sans l'avoir fait bénéficier d'une formation adaptée.

Ici, M. [B] recherche la faute inexcusable de son employeur à l'origine de son accident du survenu le 15 mars 2017 alors qu'il était mis à disposition de la société [5].

Le salarié, qui appartient au service HSE, était en charge d'assurer la gestion des déchets sur le site dans le respect des normes, de la qualité, de la sécurité, des délais et des coûts. Il était affecté au traitement des conditionnements vides usagés, à savoir qu'il collectait les contenants auprès du service production après qu'ils aient fait l'objet d'une première décontamination, puis les prenait en charge. Il était plus particulièrement affecté au nettoyage de fûts de triethylsilane. Il ressort de ses contrats de mission du 20 juin 2016 et 31 décembre 2016 qu'il occupait un poste à risques. Il doit être alors rappelé que les énonciations du contrat de travail ne lient pas la juridiction dans la mesure où sont en cause les règles d'ordre public de la faute inexcusable pour les salariés intérimaires. Il appartient, dans ce cas, à la juridiction, suivant les éléments qui lui sont produits par les parties, de rechercher si le poste de travail était effectivement à risque. Ici, M. [B] a été affecté au sein d'une entreprise relevant de l'industrie chimique et était chargé d'assurer la gestion des déchets sur le site et, à cet effet, de changer le conditionnement du triethylsilane, produit par nature dangereux. Il occupait donc un poste à risque, étant exposé de manière importante à des risques chimiques. Il devait donc bénéficier d'une formation renforcée à la sécurité avant sa prise de poste, étant rappelé que l'obligation de formation à la sécurité incombe aussi bien à l'entreprise de travail temporaire qu'à l'entreprise utilisatrice.

La société [5] n'est donc pas fondée, pour s'opposer, à se prévaloir, d'une part, des circonstances indéterminées de l'accident ni, d'autre part, de la faute du salarié qui est sans emport. Il sera ajouté que l'existence éventuelle d'un état antérieur est également inopérante.

En tout état de cause, les circonstances de l'accident sont parfaitement établies, à savoir que l'un des fûts que M. [B] était en train de rincer a explosé et l'a blessé au niveau du dos (projection de liquides et de plexiglas). Il importe peu également que l'inspection du travail n'ait retenu aucune sanction administrative à l'encontre de la société [5], ni qu'aucune poursuite pénale n'ait été engagée en suite de l'accident litigieux.

La présomption de faute inexcusable de l'employeur s'applique donc en l'espèce. Elle est induite de la seule survenance de l'accident, sans que le salarié n'ait à prouver que les éléments constitutifs de cette faute sont bien réunis.

Il est de jurisprudence constante que cette présomption de faute inexcusable ne peut être renversée que par la preuve que l'employeur a dispensé au salarié la formation renforcée à la sécurité prévue par l'article L. 4154-2 du code de la sécurité sociale, étant précisé qu'il pèse également sur l'entreprise de travail temporaire le devoir de s'informer sur les dangers et risques éventuels encourus par le salarié et de mettre en œuvre, le cas échéant, en concertation avec l'entreprise utilisatrice des mesures propres à informer et protéger le salarié.

Or, ni la société intérimaire ni la société utilisatrice ne justifie du respect de cette obligation de formation renforcée lors de l'embauche du salarié, la remise à l'arrivée sur site d'un livret d'accueil « sécurité environnement », l'existence d'un règlement intérieur et d'un document d'évaluation des risques ne remplissant pas cette condition.

Quant à la formation AFPA au CAIC, elle ne constitue davantage pas une formation renforcée à la sécurité mais une formation diplômante, de base, à la mission de conducteur d'appareils des industries chimiques.

Il importe peu par ailleurs que le salarié ait réalisé une grande partie de sa carrière professionnelle au sein de différentes entreprises de l'industrie chimique, ou qu'il ait bénéficié d'une présentation générale des activités du site, de son service et de son fonctionnement, ainsi que d'une visite guidée du site.

La société [5] établit que M. [B] s'est vu dispenser différentes formations dont l'une sur le sodium (pièce 15), une autre intitulée « Formation HSE pour tous » (pièce 16), outre sa participation à un stage Eurofeu (pièce 17) et à une opération concernant le plan d'opération interne (plan de secours pour l'intérieur du site, pièce 18). Elle justifie également d'une formation du salarié à son poste de travail par un tuteur, ce dont témoigne M. [E], le tuteur désigné. Cependant, ces formations ne sauraient valoir formation renforcée à la sécurité qui doit précéder la prise de poste, laquelle s'entend ici d'une formation adaptée au poste occupé, notamment sur la manipulation et le traitement de fûts de triethylsilane. Enfin, elle ne justifie d'aucune étude sérieuse préalable ni d'aucune consigne spéciale donnée aux salariés appelés à procéder au lavage des fûts de sorte que M. [B] a procédé à l'opération de lavage sans être averti des dangers liés à cette opération. Au surplus, la société [5] a, près l'accident, envisagé la modification de la station de lavage en procédant à l'élaboration d'un poste d'égouttage, la limitation de la pression de l'eau et le démarrage déporté de l'opération de rinçage, mesures qui, comme le souligne à juste titre le tribunal, auraient pu être anticipées, notamment au moment où l'entreprise utilisatrice a décidé du changement de procédure de lavage des fûts auparavant détruits.

La présomption de faute inexcusable n'est donc pas renversée par les sociétés intérimaire et utilisatrice. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu la faute inexcusable, sauf à dire que l'accident du 15 mars 2017 est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la société [7].

Le jugement sera également confirmé en ses dispositions relatives à la majoration de la rente qui est de droit en cas de faute inexcusable, à la provision allouée qui est fondée au regard des lésions constatées (« traumatisme sonore et psychique sur explosion au travail ») et des soins administrés, ainsi qu'en ses dispositions relatives à l'expertise médicale, dans les termes de la mission confiée par le tribunal à l'expert.

SUR L'APPEL EN GARANTIE

La société [7] soutient que l'entreprise utilisatrice, seule responsable des conditions d'exécution du contrat de travail, est tenue de la garantir l'entreprise de l'intégralité des sommes versées à titre d'indemnisation des préjudices subis par la victime ainsi que des sommes susceptibles d'être versées au titre de la majoration de la rente liée à la reconnaissance de la faute inexcusable.

La société [5] réplique qu'elle n'a commis aucun manquement à l'obligation de sécurité et que seule la société intérimaire doit supporter les conséquences de la faute inexcusable qui sera reconnue à son encontre. Elle conteste par ailleurs toute garantie sur les intérêts de retard.

Or, il est jugé que lorsque le travail s'exécute dans les locaux d'une autre entreprise, l'employeur a le devoir de se renseigner sur les dangers courus par le salarié et doit mettre en œuvre, le cas échéant, en coopération avec les organes de l'entreprise tierce, des mesures propres à préserver le salarié.

La société utilisatrice est également tenue à l'égard des salariés mis à disposition, au même titre que la société de travail temporaire, d'assurer l'effectivité de son obligation de sécurité.

Il est en outre constant que si l'entreprise de travail temporaire est seule tenue envers l'organisme social des obligations de l'employeur en cas d'accident du travail causé par une faute inexcusable, elle dispose d'une action contre l'entreprise utilisatrice auteur d'une faute inexcusable.

Il ressort des dispositions de l'article L. 412-6 du code de la sécurité sociale que, pour l'application des articles L. 452-1 à L. 452-4 concernant la faute inexcusable de l'employeur, l'entreprise utilisatrice est regardée comme substituée dans la direction, au sens des dits articles, à l'entreprise de travail temporaire.

L'employeur peut, dès lors, demander la garantie de l'entreprise utilisatrice, auteur de la faute inexcusable à l'origine de l'accident, au titre des sommes complémentaires qui pourraient être mises à sa charge ainsi que de la majoration de la rente générée par l'accident survenu à son salarié.

Ainsi, si l'entreprise de travail temporaire n'a aucune responsabilité dans la survenance de l'accident du travail de son salarié, imputable entièrement à la faute de l'entreprise utilisatrice, cette dernière doit relever et garantir entièrement l'employeur des conséquences financières résultant de la faute inexcusable tant en ce qui concerne la réparation complémentaire versée à la victime que le coût de l'accident du travail.

Si l'accident est imputable aux fautes tant de l'entreprise utilisatrice que de la société de travail temporaire, cette dernière conserve une part de responsabilité.

Ici, l'entreprise de travail temporaire [7] était tenue d'assurer la formation à la sécurité renforcée ou de s'assurer que son salarié en avait bénéficié. Elle avait le devoir, alors que le travail s'exécutait dans les locaux d'une autre entreprise, de se renseigner sur les dangers courus par le salarié et devait mettre en œuvre, le cas échéant, en coopération avec les organes de l'entreprise tierce, des mesures propres à préserver le salarié, ce qu'elle n'établit avoir fait.

La société utilisatrice était quant à elle tenue, à l'égard du salarié mis à disposition, d'assurer l'effectivité de son obligation de sécurité. Elle était, du reste, responsable des conditions d'exécution du travail et, en ne remplissant pas cette obligation, a commis une faute qui a concouru au dommage à hauteur des deux tiers.

La société [7] sera donc relevée et garantie par la société [5] à hauteur des 2/3 des conséquences financières résultant de la reconnaissance de la faute inexcusable, tant en principal, intérêts, frais et accessoires, ainsi que des condamnations au titre de l'article 700 du code de procédure civile, le jugement étant infirmé en ce qu'il a retenu un partage de responsabilité à hauteur de 100% .

L'action récursoire de la société [7] s'exercera, par conséquent, à concurrence des 2/3 des dépenses liées à la faute inexcusable.

SUR LE TRANSFERT DU COUT DE L'ACCIDENT A L'ENTREPRISE UTILISATRICE

La société [7] demande que le coût de l'accident du travail soit intégralement supporté par la société [5] tandis que cette dernière s'y oppose rappelant que ce n'est pas parce qu'une entreprise utilisatrice est condamnée dans le cadre de la faute inexcusable de l'employeur qu'elle doit également supporter le coût de l'accident.

Il est constant que, pour tenir compte des risques particuliers encourus par les salariés mis à la disposition d'utilisateurs par les entreprises de travail temporaire, et sans préjudice du droit d'action de chacune des entreprises en cause afin de répartition différente (devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale) en fonction de leurs responsabilités effectives et respectives, le coût de l'accident et de la maladie professionnelle d'un salarié intérimaire est réparti entre l'entreprise de travail temporaire et l'entreprise utilisatrice. Or, l'action récursoire d'une entreprise de travail temporaire à l'encontre de l'entreprise utilisatrice prévue à l'article L. 412-6 du code de la sécurité sociale vise exclusivement le remboursement des indemnisations complémentaires en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur tandis que l'action de l'entreprise de travail temporaire à l'encontre de l'entreprise utilisatrice prévue à l'article L. 241-5-1 du même code concerne exclusivement le coût de l'accident du travail dont les modalités sont précisées à l'article R. 242-6-1.

Selon l'article R. 242-6-1 alinéa 1 du code de la sécurité sociale, pour les entreprises en tarification mixte ou individuelle, le coût de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle classé dans une catégorie correspondant à une incapacité permanente au moins égale à 10 % est mis pour partie à la charge de l'entreprise utilisatrice en application de l'article L. 241-5-1, sur la base du coût moyen rendu applicable à cette catégorie dans le champ professionnel du comité technique national mentionné à l'article L. 422-1 dont elle dépend selon les modalités déterminées en application de l'article L. 242-5. Il est imputé au compte de l'établissement dans lequel le travailleur temporaire effectuait sa mission, à hauteur d'un tiers de ce coût moyen pour déterminer le taux de cotisation accidents du travail et maladies professionnelles de cet établissement ou de l'ensemble des établissements pour lesquels un taux unique est fixé.

Il est également constant que le coût de l'accident du travail s'entend exclusivement du capital versé aux ayants droit en cas d'accident mortel et du capital représentatif de la rente accident du travail servi à la victime dont le taux d'incapacité permanente partielle est supérieur ou égal à 10 %, peu important la reconnaissance d'une faute inexcusable.

En l'occurrence, le taux d'IPP de M. [B] n'est pas connu de sorte que la demande de la société [7] de transfert du coût de l'accident du travail sur la société [5] est sans objet.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

Il n'a pas lieu de dire et juger la décision à intervenir commune à la CPAM, cette demande étant sans objet, la caisse étant dans la cause.

La décision attaquée sera confirmée en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Les sociétés [7] et [5], qui succombent, supporteront in solidum les dépens d'appel et, pour la société utilisatrice, une indemnité au visa de l'article 700 du code de procédure civile, l'employeur étant tenu de la garantir à hauteur de 1/3 de cette condamnation.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Infirme le jugement entrepris, sauf en ses dispositions relatives à la majoration de la rente au taux maximum, à l'indemnité provisionnelle de 2 000 euros allouée à M. [B], à l'expertise médicale ordonnée, à l'avance des frais par la caisse primaire d'assurance maladie, à l'action récursoire de cette dernière contre l'employeur, ainsi qu'en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

Dit que l'accident du 15 mars 2017 est imputable à la faute inexcusable de l'employeur, la société [7],

Dit que la société [5] devra relever et garantir la société [7] des conséquences financières résultant de la reconnaissance de la faute inexcusable, tant en principal, intérêts frais et accessoires, ainsi que des condamnations au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dans la limite des 2/3 des condamnations prononcées,

Dit que la demande de la société [7] de transfert du coût de l'accident du travail est sans objet,

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société [5] à payer complémentairement en cause d'appel à M. [B] la somme de 2 000 euros,

Condamne in solidum les sociétés [7] et [5] aux dépens d'appel,

Dire n'y avoir lieu à déclarer que le présent arrêt est commun à la caisse primaire d'assurance maladie du [Localité 8],

Rejette toute demande plus ample ou contraires des parties.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE