Décisions
Cass. crim., 6 février 2024, n° 22-87.472
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
N° G 22-87.472 FS-D
N° 00041
MAS2
6 FÉVRIER 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 6 FÉVRIER 2024
M. [K] [H], l'union départementale des syndicats [1] de Loir-et-Cher et la fédération [2], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans, chambre correctionnelle, en date du 22 novembre 2022, qui les a déboutés de leurs demandes après relaxe de M. [C] [B], des chefs d'infractions au code de l'environnement et mise en danger d'autrui, et M. [F] [J], du chef d'infraction au code de l'environnement.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Goanvic, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [K] [H], l'union départementale des syndicats [1] de Loir-et-Cher et la fédération [2], les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [C] [B], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [F] [J], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 décembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Goanvic, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, MM. Samuel, Sottet, Coirre, Mme Hairon, conseillers de la chambre, MM. Joly, Leblanc, Charmoillaux, Rouvière, conseillers référendaires, M. Tarabeux, avocat général, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Sur un terrain rétrocédé par une SAFER à la commune de [Localité 4], afin d'y créer un lotissement, M. [F] [J], maire de celle-ci, a confié les travaux de viabilisation à la société [3].
3. En mars 2015, M. [K] [H], salarié de cette société, a déposé plainte contre cette dernière pour harcèlement moral. Au cours de son audition, il a indiqué aux enquêteurs avoir reçu l'ordre de M. [C] [B], chef de chantier, d'enfouir deux cent quarante tonnes de déchets comportant notamment de l'amiante.
4. Des poursuites ont été engagées contre MM. [J] et [B] des chefs ci-dessus mentionnés pour des faits commis entre le 27 octobre 2014 et le 25 mars 2015.
5. Le tribunal correctionnel a déclaré les prévenus coupables de ces infractions. Les constitutions de partie civile de M. [H] et des syndicats [1] ont été déclarées recevables et certaines sommes leur ont été allouées en réparation de leurs préjudices.
6. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé M. [B] du chef de mise en danger d'autrui, alors :
« 1°/ que la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en retenant, pour relaxer M. [B], poursuivi pour avoir, en sa qualité de chef de chantier bénéficiant d'une délégation de pouvoir en matière de sécurité au travail, mis en danger autrui, notamment M. [H], à l'occasion de l'exécution de travaux de viabilisation d'un terrain sur lequel se trouvaient des déchets amiantés, qu'il n'était pas établi qu'il savait que ces déchets contenaient de l'amiante et qu'à cet égard, les photos prises par M. [H] en début de chantier n'étaient pas probantes, tout en constatant que « selon les parties interrogées à l'audience », et donc, notamment, selon le prévenu lui-même, il est « effectivement possible d'entrevoir des morceaux de plaques de fibrociment, matériaux connus comme comportant de l'amiante », ce dont il résultait que M. [B] avait nécessairement pu constater à l'œil nu la présence de ces matériaux amiantés sur le chantier dont il avait la responsabilité, la cour d'appel s'est contredite et a ainsi méconnu les articles 223-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en se fondant, pour dire que ces photos n'étaient pas probantes, sur la circonstance selon laquelle à leur examen, il est « difficile, en l'absence d'expert, d'affirmer la présence de matériaux amiantés, les déchets apparents étant photographiés d'assez loin », quand cette circonstance relative à l'absence de précision des clichés quant à la nature des matériaux n'était pas de nature à exclure qu'à l'œil nu, ceux-ci constituaient à l'évidence de plaques de fibrociment, la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant et a ainsi méconnu les articles 223-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
8. Pour relaxer M. [B] du chef de mise en danger de la vie d'autrui, l'arrêt attaqué énonce que, chef de chantier bénéficiant d'une délégation de pouvoir en matière de sécurité au travail, il devait appliquer les règles du code du travail face à un risque d'exposition à l'amiante mais que la violation manifestement délibérée de ces règles suppose que soit établie sa connaissance de la présence d'un tel matériau.
9. Les juges relèvent que, si M. [H] a déclaré que M. [B] lui aurait demandé d'évacuer des déchets d'amiante, cette conversation est contestée par M. [B].
10. Ils soulignent qu'aucun témoin ne permet d'attester que ce salarié a informé le chef de chantier de la présence d'amiante, qu'il n'a alerté aucune instance ni exercé son droit de retrait et a tardivement dénoncé les faits, à l'occasion d'une plainte déposée contre son employeur pour harcèlement moral, ce qui conduit à prendre ses déclarations avec réserves.
11. Ils constatent que, selon les parties interrogées à l'audience, sur les photographies prises le 29 octobre 2014 par M. [H], il serait effectivement possible d'entrevoir des morceaux de plaques de fibrociment, matériau connu comme comportant de l'amiante, mais que la mauvaise qualité des clichés n'a pas permis de le confirmer.
12. Les juges relèvent que si certains employés de la société ont déclaré avoir vu des plaques de fibrociment, il est difficile de comprendre à quel moment. Ils déduisent de deux de ces témoignages que cette observation se situe à la fin du chantier ou après le début de l'enquête judiciaire.
13. Ils constatent encore que, si les photographies prises par les enquêteurs le 9 juin 2015 sont plus probantes, elles sont postérieures à la période de prévention. Ils précisent que l'un des intervenants sur le chantier a vu des morceaux de fibrociment fin mars, début avril 2015, une fois que la terre végétale avait été régalée sur les parcelles viabilisées et après un épisode pluvieux, de sorte que rien ne permet de démontrer que ces matériaux étaient visibles avant la fin de la période de prévention.
14. Ils relèvent que d'autres intervenants ne font pas état de la présence d'amiante.
15. Ils ajoutent que M. [H] a produit des attestations de trois personnes, qui auraient eu connaissance de la présence d'amiante sur le site, sur lequel avaient été entreposés à ciel ouvert les restes d'un ancien poulailler, mais que ces témoins ne précisent pas ce qui leur a permis d'identifier des matériaux amiantés et qu'ils n'ont pas vu le transport d'amiante dont les a informés M. [H], tandis que d'autres riverains, qui avaient également une bonne connaissance des lieux, ont affirmé ne pas avoir eu connaissance de la présence d'amiante sur le site.
16. Ils soulignent que ni le coordinateur de sécurité et de prévention de la santé ni le maître d'oeuvre, qui ont indiqué avoir visité le chantier toutes les semaines en présence du maire et de M. [B], n'ont eu connaissance d'un problème de présence d'amiante.
17. Ils constatent que ni le dossier d'appel d'offre ni les documents relatifs à la sécurité du chantier et à la protection de la santé ne mentionnent la possible présence d'amiante, qui n'avait pas été non plus signalée par la SAFER.
18. Ils en déduisent que c'est en fin de chantier que les éléments de fibrociment sont objectivement apparus de sorte qu'il n'en résulte pas la preuve suffisante de la connaissance par M. [B] de la présence d'amiante et donc d'une volonté manifeste d'enfreindre la législation en matière de protection des travailleurs.
19. En l'état de ces énonciations, exemptes de contradiction, la cour d'appel a justifié sa décision.
20. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
21. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé MM. [B] et [J] du chef de gestion irrégulière de déchets, alors : « qu'aux termes de L. 541-1-1 du code de l'environnement, au sens du présent chapitre, on entend par déchet toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire ; qu'aux termes de l'article L. 541-2 du même code, tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d'en assurer ou d'en faire assurer la gestion, conformément aux dispositions du présent chapitre, jusqu'à l'étape finale de leur élimination ou de leur traitement ; que l'article L. 541-46, I, 8° du code de l'environnement punit de 2 ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende le fait de gérer des déchets sans satisfaire aux prescriptions concernant les caractéristiques, les quantités, les conditions techniques et financières de prise en charge des déchets et les procédés de traitement mis en œuvre fixées en application, notamment, de l'article L. 541-2 ; qu'en retenant, pour relaxer les prévenus du chef de gestion irrégulière de déchets, qu'aucune disposition du code de l'environnement n'impose, sous peine de sanctions pénales, à une entreprise de travaux ou à un maire d'évacuer les déchets inertes dont il serait détenteur ou producteur, la cour d'appel a violé les articles L. 541-1-1, L. 541-2 et L. 541-46, I, 8° du code de l'environnement, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 541-1-1, L. 541-2 et L. 541-46, I, 8°, du code de l'environnement, dans leur version applicable aux faits :
22. Selon les deux premiers de ces textes, toute personne qui produit ou détient des déchets, soit toutes substances ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire, est responsable de leur gestion jusqu'à leur élimination ou valorisation finale.
23. Selon le premier, la gestion des déchets consiste notamment en l'exercice de toute activité participant de l'organisation de leur prise en charge depuis leur production jusqu'à leur traitement final.
24. Selon le troisième est puni de deux ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende le fait de gérer des déchets sans satisfaire aux prescriptions des articles du code de l'environnement qu'il vise, concernant les caractéristiques, les quantités, les conditions techniques et financières de prise en charge des déchets et les procédés de traitement mis en œuvre.
25. Pour relaxer les prévenus des chefs de gestion irrégulière de déchets, l'arrêt attaqué énonce qu'il est établi et non contesté qu'ils se sont mis d'accord pour déplacer des déchets, qu'ils pensaient inertes, en limite parcellaire du chantier pour un traitement postérieur par la commune.
26. Les juges retiennent que la prévention ne précise pas les règles qui auraient dû être appliquées et qu'en matière d'évacuation de déchets inertes, il n'existe ni dispositions spécifiques ni textes sanctionnés pénalement imposant à une entreprise de travaux ou à un maire d'évacuer les déchets dont il serait le détenteur ou le producteur.
27. Ils relèvent qu'il résulte des auditions que la ferraille et le béton ont été confiés à des entreprises de recyclage et que l'absence d'évacuation de déchets inertes non-dangereux constitue l'inexécution d'une obligation contractuelle qui, si elle entraînait un préjudice direct et certain aux riverains et à l'environnement, relèverait de la responsabilité administrative.
28. En statuant ainsi la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés.
29. La cassation est encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Orléans, en date du 22 novembre 2022, mais en ses seules dispositions ayant relaxé MM. [B] et [J] du chef de gestion irrégulière de déchets, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Orléans et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du six février deux mille vingt-quatre.
N° 00041
MAS2
6 FÉVRIER 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 6 FÉVRIER 2024
M. [K] [H], l'union départementale des syndicats [1] de Loir-et-Cher et la fédération [2], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans, chambre correctionnelle, en date du 22 novembre 2022, qui les a déboutés de leurs demandes après relaxe de M. [C] [B], des chefs d'infractions au code de l'environnement et mise en danger d'autrui, et M. [F] [J], du chef d'infraction au code de l'environnement.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Goanvic, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [K] [H], l'union départementale des syndicats [1] de Loir-et-Cher et la fédération [2], les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [C] [B], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [F] [J], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 décembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Goanvic, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, MM. Samuel, Sottet, Coirre, Mme Hairon, conseillers de la chambre, MM. Joly, Leblanc, Charmoillaux, Rouvière, conseillers référendaires, M. Tarabeux, avocat général, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Sur un terrain rétrocédé par une SAFER à la commune de [Localité 4], afin d'y créer un lotissement, M. [F] [J], maire de celle-ci, a confié les travaux de viabilisation à la société [3].
3. En mars 2015, M. [K] [H], salarié de cette société, a déposé plainte contre cette dernière pour harcèlement moral. Au cours de son audition, il a indiqué aux enquêteurs avoir reçu l'ordre de M. [C] [B], chef de chantier, d'enfouir deux cent quarante tonnes de déchets comportant notamment de l'amiante.
4. Des poursuites ont été engagées contre MM. [J] et [B] des chefs ci-dessus mentionnés pour des faits commis entre le 27 octobre 2014 et le 25 mars 2015.
5. Le tribunal correctionnel a déclaré les prévenus coupables de ces infractions. Les constitutions de partie civile de M. [H] et des syndicats [1] ont été déclarées recevables et certaines sommes leur ont été allouées en réparation de leurs préjudices.
6. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé M. [B] du chef de mise en danger d'autrui, alors :
« 1°/ que la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en retenant, pour relaxer M. [B], poursuivi pour avoir, en sa qualité de chef de chantier bénéficiant d'une délégation de pouvoir en matière de sécurité au travail, mis en danger autrui, notamment M. [H], à l'occasion de l'exécution de travaux de viabilisation d'un terrain sur lequel se trouvaient des déchets amiantés, qu'il n'était pas établi qu'il savait que ces déchets contenaient de l'amiante et qu'à cet égard, les photos prises par M. [H] en début de chantier n'étaient pas probantes, tout en constatant que « selon les parties interrogées à l'audience », et donc, notamment, selon le prévenu lui-même, il est « effectivement possible d'entrevoir des morceaux de plaques de fibrociment, matériaux connus comme comportant de l'amiante », ce dont il résultait que M. [B] avait nécessairement pu constater à l'œil nu la présence de ces matériaux amiantés sur le chantier dont il avait la responsabilité, la cour d'appel s'est contredite et a ainsi méconnu les articles 223-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en se fondant, pour dire que ces photos n'étaient pas probantes, sur la circonstance selon laquelle à leur examen, il est « difficile, en l'absence d'expert, d'affirmer la présence de matériaux amiantés, les déchets apparents étant photographiés d'assez loin », quand cette circonstance relative à l'absence de précision des clichés quant à la nature des matériaux n'était pas de nature à exclure qu'à l'œil nu, ceux-ci constituaient à l'évidence de plaques de fibrociment, la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant et a ainsi méconnu les articles 223-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
8. Pour relaxer M. [B] du chef de mise en danger de la vie d'autrui, l'arrêt attaqué énonce que, chef de chantier bénéficiant d'une délégation de pouvoir en matière de sécurité au travail, il devait appliquer les règles du code du travail face à un risque d'exposition à l'amiante mais que la violation manifestement délibérée de ces règles suppose que soit établie sa connaissance de la présence d'un tel matériau.
9. Les juges relèvent que, si M. [H] a déclaré que M. [B] lui aurait demandé d'évacuer des déchets d'amiante, cette conversation est contestée par M. [B].
10. Ils soulignent qu'aucun témoin ne permet d'attester que ce salarié a informé le chef de chantier de la présence d'amiante, qu'il n'a alerté aucune instance ni exercé son droit de retrait et a tardivement dénoncé les faits, à l'occasion d'une plainte déposée contre son employeur pour harcèlement moral, ce qui conduit à prendre ses déclarations avec réserves.
11. Ils constatent que, selon les parties interrogées à l'audience, sur les photographies prises le 29 octobre 2014 par M. [H], il serait effectivement possible d'entrevoir des morceaux de plaques de fibrociment, matériau connu comme comportant de l'amiante, mais que la mauvaise qualité des clichés n'a pas permis de le confirmer.
12. Les juges relèvent que si certains employés de la société ont déclaré avoir vu des plaques de fibrociment, il est difficile de comprendre à quel moment. Ils déduisent de deux de ces témoignages que cette observation se situe à la fin du chantier ou après le début de l'enquête judiciaire.
13. Ils constatent encore que, si les photographies prises par les enquêteurs le 9 juin 2015 sont plus probantes, elles sont postérieures à la période de prévention. Ils précisent que l'un des intervenants sur le chantier a vu des morceaux de fibrociment fin mars, début avril 2015, une fois que la terre végétale avait été régalée sur les parcelles viabilisées et après un épisode pluvieux, de sorte que rien ne permet de démontrer que ces matériaux étaient visibles avant la fin de la période de prévention.
14. Ils relèvent que d'autres intervenants ne font pas état de la présence d'amiante.
15. Ils ajoutent que M. [H] a produit des attestations de trois personnes, qui auraient eu connaissance de la présence d'amiante sur le site, sur lequel avaient été entreposés à ciel ouvert les restes d'un ancien poulailler, mais que ces témoins ne précisent pas ce qui leur a permis d'identifier des matériaux amiantés et qu'ils n'ont pas vu le transport d'amiante dont les a informés M. [H], tandis que d'autres riverains, qui avaient également une bonne connaissance des lieux, ont affirmé ne pas avoir eu connaissance de la présence d'amiante sur le site.
16. Ils soulignent que ni le coordinateur de sécurité et de prévention de la santé ni le maître d'oeuvre, qui ont indiqué avoir visité le chantier toutes les semaines en présence du maire et de M. [B], n'ont eu connaissance d'un problème de présence d'amiante.
17. Ils constatent que ni le dossier d'appel d'offre ni les documents relatifs à la sécurité du chantier et à la protection de la santé ne mentionnent la possible présence d'amiante, qui n'avait pas été non plus signalée par la SAFER.
18. Ils en déduisent que c'est en fin de chantier que les éléments de fibrociment sont objectivement apparus de sorte qu'il n'en résulte pas la preuve suffisante de la connaissance par M. [B] de la présence d'amiante et donc d'une volonté manifeste d'enfreindre la législation en matière de protection des travailleurs.
19. En l'état de ces énonciations, exemptes de contradiction, la cour d'appel a justifié sa décision.
20. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
21. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé MM. [B] et [J] du chef de gestion irrégulière de déchets, alors : « qu'aux termes de L. 541-1-1 du code de l'environnement, au sens du présent chapitre, on entend par déchet toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire ; qu'aux termes de l'article L. 541-2 du même code, tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d'en assurer ou d'en faire assurer la gestion, conformément aux dispositions du présent chapitre, jusqu'à l'étape finale de leur élimination ou de leur traitement ; que l'article L. 541-46, I, 8° du code de l'environnement punit de 2 ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende le fait de gérer des déchets sans satisfaire aux prescriptions concernant les caractéristiques, les quantités, les conditions techniques et financières de prise en charge des déchets et les procédés de traitement mis en œuvre fixées en application, notamment, de l'article L. 541-2 ; qu'en retenant, pour relaxer les prévenus du chef de gestion irrégulière de déchets, qu'aucune disposition du code de l'environnement n'impose, sous peine de sanctions pénales, à une entreprise de travaux ou à un maire d'évacuer les déchets inertes dont il serait détenteur ou producteur, la cour d'appel a violé les articles L. 541-1-1, L. 541-2 et L. 541-46, I, 8° du code de l'environnement, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 541-1-1, L. 541-2 et L. 541-46, I, 8°, du code de l'environnement, dans leur version applicable aux faits :
22. Selon les deux premiers de ces textes, toute personne qui produit ou détient des déchets, soit toutes substances ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire, est responsable de leur gestion jusqu'à leur élimination ou valorisation finale.
23. Selon le premier, la gestion des déchets consiste notamment en l'exercice de toute activité participant de l'organisation de leur prise en charge depuis leur production jusqu'à leur traitement final.
24. Selon le troisième est puni de deux ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende le fait de gérer des déchets sans satisfaire aux prescriptions des articles du code de l'environnement qu'il vise, concernant les caractéristiques, les quantités, les conditions techniques et financières de prise en charge des déchets et les procédés de traitement mis en œuvre.
25. Pour relaxer les prévenus des chefs de gestion irrégulière de déchets, l'arrêt attaqué énonce qu'il est établi et non contesté qu'ils se sont mis d'accord pour déplacer des déchets, qu'ils pensaient inertes, en limite parcellaire du chantier pour un traitement postérieur par la commune.
26. Les juges retiennent que la prévention ne précise pas les règles qui auraient dû être appliquées et qu'en matière d'évacuation de déchets inertes, il n'existe ni dispositions spécifiques ni textes sanctionnés pénalement imposant à une entreprise de travaux ou à un maire d'évacuer les déchets dont il serait le détenteur ou le producteur.
27. Ils relèvent qu'il résulte des auditions que la ferraille et le béton ont été confiés à des entreprises de recyclage et que l'absence d'évacuation de déchets inertes non-dangereux constitue l'inexécution d'une obligation contractuelle qui, si elle entraînait un préjudice direct et certain aux riverains et à l'environnement, relèverait de la responsabilité administrative.
28. En statuant ainsi la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés.
29. La cassation est encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Orléans, en date du 22 novembre 2022, mais en ses seules dispositions ayant relaxé MM. [B] et [J] du chef de gestion irrégulière de déchets, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Orléans et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du six février deux mille vingt-quatre.