Livv
Décisions

CA Toulouse, 4e ch. sect. 2, 19 janvier 2024, n° 22/03357

TOULOUSE

Arrêt

Autre

CA Toulouse n° 22/03357

19 janvier 2024

19/01/2024

ARRÊT N°2024/14

N° RG 22/03357 - N° Portalis DBVI-V-B7G-PAAU

EB/AR

Décision déférée du 26 Juillet 2022 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Montauban (20/272 ) Section COMMERCE - COSTE A. -

[E] [W] [I]

C/

S.A.S. DECHETS RECUPERATION INDUSTRIELS ET MENAGERS DE MO NTECH - DRIMM

INFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le 19 01 2024

à Me Amarande-julie GUYOT

Me Thierry DEVILLE

ccc à Pôle Emploi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 2

***

ARRÊT DU DIX NEUF JANVIER DEUX MILLE VINGT QUATRE

***

APPELANTE

Madame [E] [W] [I]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Amarande-julie GUYOT, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE

INTIMEE

S.A.S. DECHETS RECUPERATION INDUSTRIELS ET MENAGERS DE MO NTECH - DRIMM

prise en la personne de son représentant légal, domicilié ès qualités audit siège sis [Adresse 2]

Représentée par Me Thierry DEVILLE de la SARL ALIZE 360, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Décembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant , C.BRISSET, présidente et E.BILLOT vice-présidente placée, chargées du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

C. BRISSET, présidente

F. CROISILLE-CABROL, conseillère

E. BILLOT, vice-présidente placée

Greffier, lors des débats : A. RAVEANE

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par C. BRISSET, présidente, et par A. RAVEANE, greffière de chambre

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [E] [W] [I] a été embauchée selon contrat à durée indéterminée du 25 avril 2003 par la SASU Déchets Récupération Industriels et Ménagers de Montech (ci-après DRIMM) en qualité d'agent du centre de traitement de déchets, statut ouvrier.

La convention collective applicable est celle des activités du déchet.

La société DRIMM emploie plus de 10 salariés.

Mme [I], se plaignant de faits de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique M. [P], a été placée le 23 avril 2018 hors de l'autorité de ce dernier, dans le cadre d'une mesure conservatoire, pendant la durée d'une enquête menée conjointement par le CHSCT et des représentants de la direction.

Suite au dépôt du rapport de la commission d'enquête, la société DRIMM a informé Mme [I] le 18 juin 2018 de la suspension de la mesure conservatoire.

A compter du 26 juillet 2018, Mme [I] a été placée en arrêt de travail pour maladie, prolongé à plusieurs reprises.

Lors de la visite médicale de reprise en date du 20 septembre 2019, le médecin du travail a déclaré Mme [I] inapte à tous les postes de l'entreprise.

Selon lettre du 14 novembre 2019, Mme [I] a été convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 25 novembre 2019 puis licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement selon lettre du 29 novembre 2019, réceptionnée le 1er décembre 2019.

Le 30 novembre 2020, Mme [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Montauban en contestation de son licenciement.

Par jugement du 26 juillet 2022, le conseil a :

- dit que le licenciement de Mme [W] [I] repose sur une cause réelle et sérieuse.

En conséquence :

- débouté Mme [I] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la société DRIMM, prise en la personne de son représentant légal, de sa demande au titre de I'article 700 du code de procédure civile,

- mis les dépens de I'instance à la charge Mme [F].

Le 16 septembre 2022, Mme [I] a interjeté appel du jugement, énonçant dans sa déclaration les chefs critiqués de la décision.

Dans ses dernières écritures en date du 16 novembre 2023, auxquelles il est fait expressément référence, Mme [I] demande à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Montauban du 26 juillet 2022 .

Et, statuant de nouveau,

à titre principal :

- dire et juger que Mme [I] a subi des agissements d'harcèlement moral,

- dire et juger que le licenciement notifié à Mme [I] est nul.

En conséquence :

- condamner la SAS DRIMM à verser à Mme [I] les sommes suivantes :

- 3 876,14 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 387,61 euros à titre de congés payés sur préavis,

- 26 154 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des agissements d'harcèlement moral.

A titre subsidiaire :

- dire et juger que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat,

- dire et juger que le licenciement notifié à Mme [I] est sans cause réelle et sérieuse.

En conséquence :

- condamner la société DRIMM à verser à Mme [I] les sommes de : - 3 876,14 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 387,61 euros à titre de congés payés sur préavis,

- 26 154 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice spécifique subi du fait des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat.

En toutes hypothèses et y ajoutant :

- dire et juger que l'employeur a manqué à son obligation d'adaptation.

En conséquence :

- condamner la société DRIMM à verser à Mme [I] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice spécifique subi du fait des

manquements de l'employeur à son obligation d'adaptation,

- condamner la société DRIMM à verser à Mme [I] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle expose avoir été victime d'harcèlement moral de la part de son chef de ligne et en déduit la nullité de son licenciement. A titre subsidiaire, elle fait valoir que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne la protégeant pas de son harceleur, de sorte que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle ajoute que l'employeur a manqué à son obligation d'adaptation.

Dans ses dernières écritures en date du 9 mars 2023, auxquelles il est fait expressément référence, la société DRIMM demande à la cour de :

In limine litis :

- déclarer irrecevables d'office, les prétentions formulées par Mme [W] [I] devant la cour, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des agissements de harcèlement moral, car nouvelles en cause d'appel,

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Montauban le 26 juillet 2022, en ce qu'il a :

- dit que le licenciement de Mme [I] repose sur une cause réelle et sérieuse,

- débouté Mme [I] de l'ensemble de ses demandes,

- mis les dépens de l'instance à la charge de Mme [I].

Et statuant à nouveau :

- dire que Mme [I] n'a pas subi des faits de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique,

- dire que la SAS DRIMM a tout mis en oeuvre pour prévenir tout risque de harcèlement moral dans l'entreprise et pour préserver la santé et la sécurité de Mme [I],

- dire que la société DRIMM a, dès qu'elle a eu connaissance par Mme [I] de ses accusations de harcèlement moral, immédiatement pris toutes les mesures nécessaires pour faire cesser le prétendu harcèlement moral,

- dire que la société DRIMM a respecté son obligation de sécurité de résultat,

- exonérer la société DRIMM de toute responsabilité pour harcèlement moral et au titre de son obligation de sécurité de résultat,

- dire que la société DRIMM a respecté son obligation d'adaptation,

- dire que l'inaptitude de Mme [I] n'a aucun lien avec un quelconque manquement ou comportement fautif de la société DRIMM,

- dire que le licenciement de Mme [I] ne peut, de facto, pas être jugé de nul,

- dire et juger que le licenciement de Mme [I] repose sur une cause réelle et sérieuse, à savoir l'inaptitude constatée par le médecin du travail et l'impossibilité pour la société DRIMM de la reclasser,

- dire et juger que la procédure de licenciement pour inaptitude a été parfaitement respectée et notamment l'obligation de reclassement,

- dire et juger que Mme [I], n'ayant pas exécuté son préavis, aucune indemnité compensatrice de préavis ne lui est due,

- dire que Mme [I] ne peut se prévaloir d'un quelconque préjudice que ce soit au titre de l'exécution de son contrat de travail ou de la rupture de celui-ci,

- débouter Mme [I] de toutes ses demandes,

- condamner Mme [I] à payer à la société DRIMM une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens.

Elle considère la demande de Mme [I] de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des agissements de harcèlement moral irrecevable car nouvelle en cause d'appel.

Elle conclut à l'absence de tout harcèlement moral ainsi qu'à tout manquement à l'obligation de sécurité et à l'obligation d'adaptation.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 21 novembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le harcèlement moral

Sur la recevabilité de la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral

Mme [I] qui se dit victime de faits de harcèlement moral sollicite à ce titre à la fois la nullité du licenciement et l'octroi de dommages et intérêts.

La société DRIMM soulève l'irrecevabilité de la demande nouvelle de Mme [I] à titre de dommages et intérêts du fait des agissements de harcèlement moral.

Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Aux termes de l'article 566 du même code, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

En l'espèce, la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral formulée pour la première fois en cause d'appel constitue un accessoire de la demande de nullité du licenciement de sorte qu'elle est recevable par application des dispositions de l'article 566 du code de procédure civile. La fin de non recevoir soulevée par l'employeur ne peut donc qu'être rejetée.

Sur le fond

Il résulte des dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Par application des dispositions de l'article L. 1154-1 du même code lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, Mme [I] invoque un harcèlement moral exercé par son chef de ligne, M. [P], à compter de son retour de congé parental au mois de novembre 2013, harcèlement qui se manifeste par :

- des propos agressifs : elle fait valoir que M. [P] a eu des gestes virulents et agressifs à son encontre en novembre 2016 pour la remise en route de la chaîne et elle relate un incident survenu le 13 avril 2018 au cours duquel M. [P] lui a dit 'tu as une grosse gueule, tu ouvres trop ta grande gueule'. La réalité des propos tenus le 13 avril 2018 est reconnue par M. [P].

- des inégalités de traitement injustifiées et des méthodes managériales indélicates, en exposant que son supérieur hiérarchique direct la fait attendre lorsqu'elle veut aller aux toilettes alors qu'il l'autorise à d'autres. Elle mentionne que cela a été le cas un jour de mars 2017 suite à la remise en route de la chaîne après une panne, le 09 avril 2018 où Mme [I] a demandé à aller aux toilettes après le tour de remplacement et le 13 avril 2018.

Alors que Mme [I] mentionne un harcèlement moral qui aurait débuté en novembre 2013, elle ne décrit cependant des faits qu'à compter du mois de novembre 2016.

Elle produit plusieurs éléments qui viennent corroborer ses allégations et notamment : - le rapport établi par la commission d'enquête au cours de laquelle les témoignages de plusieurs salariés ont été recueillis et notamment :

- M. [C], agent de tri, qui a expliqué que c'est souvent Mme [I] qui doit attendre son tour pour se faire remplacer et aller aux toilettes et notamment à deux reprises au cours du mois d'avril 2018. Il ajoute que M. [P] parle souvent de manière inappropriée à Mme [I].

- Mme [A] qui a indiqué que Mme [I] a attendu plus longtemps que les autres pour aller aux toilettes (environ 1/4 heure), ce que confirme également Mme [Z] 'Mme [I] peut attendre plus longtemps que les autres'.

- Mme [B] qui a déclaré qu'il y avait eu plusieurs altercations à propos de la pause-pipi avec une concentration des événements au mois d'avril 2018.

- l'attestation de Mme [L] qui indique avoir été témoin d'un refus opposé à Mme [I] de se rendre aux toilettes après reprise de la ligne tombée en panne.

- l'attestation de M. [T] qui a travaillé en intérim pour la société puis dans le cadre d'un contrat à durée déterminée qui décrit les relations qu'il avait lui-même avec M. [P], sans pour autant donner d'élément concernant la situation particulière de Mme [I].

- l'attestation de Mme [V] qui confirme que lorsque Mme [I] demande à aller aux toilettes, M. [P] se moque ouvertement d'elle et abuse de son autorité pour la faire patienter ; lors de son audition dans le cadre de l'enquête, elle a mentionné l'incident du 13 avril 2018 où M. [P] est sorti de son bureau en criant et en faisant de grands gestes.

- l'attestation de Mme [R] qui confirme que M. [P] avait une attitude différente selon les affinités qu'il avait avec les personnes placées sous son autorité et notamment sur l'ordre de passage aux toilettes.

Si ces témoignages ne répondent pas à l'ensemble des exigences de forme de l'article 202 du code de procédure civile notamment en ce qu'ils ne précisent pas qu'ils ont été établis en vue de leur production en justice et que leur auteur a connaissance qu'une fausse déclaration de leur part les exposerait à des sanctions pénales, il demeure qu'ils sont accompagnés d'un justificatif d'identité et que leur contenu est suffisamment précis pour qu'il n'y ait pas lieu de les écarter.

Mme [I] ajoute que ces agissements ont eu pour conséquence une dégradation massive de ses conditions de travail et de son état de santé.

Pour s'en justifier, elle produit une attestation de Mme [N], psychologue du travail, qui explique suivre Mme [I] depuis la fin de l'année 2018, laquelle a rencontré des difficultés au travail à la suite d'une altercation avec son supérieur hiérarchique qui se traduit par un fort sentiment d'injustice. Elle est actuellement en arrêt car elle se sent moralement incapable de faire face au travail en présence de son chef. Au mois de novembre 2020, Mme [N] a établi une nouvelle attestation décrivant les ressentis de Mme [I] sur sa conception du rapport au travail, à laquelle vient s'ajouter une attestation de Mme [S] (psychologue) qui décrit la même situation.

Toutefois, les différents praticiens n'ont pu constater directement les conditions de travail de sorte qu'ils ont uniquement relaté les dires de leur patiente quant à l'origine de la dégradation de son état de santé.

Mme [I] verse également aux débats un certificat médical du Dr [O], psychiatre, qui atteste suivre Mme [I] depuis avril 2019 pour épisode dépressif qui a exigé un arrêt de travail sur plusieurs mois, ainsi qu'une ordonnance de son médecin traitant en date du 19 février 2019 prescrivant des anxiolytiques et des anti-dépresseurs et son l'arrêt de travail du 16 septembre 2019 pour état dépressif réactionnel.

Il ressort de l'analyse de l'ensemble de ces éléments que, s'il est établi que M. [P] a, à quelques reprises, retardé de quelques minutes la demande de Mme [I] de se rendre aux toilettes pendant l'exécution de son travail et s'est adressé à elle en des termes non appropriés au mois d'avril 2018, il subsiste que ces éléments, pris dans leur ensemble, sont très insuffisants pour laisser supposer un harcèlement moral.

La nullité du licenciement n'est ainsi pas encourue, par confirmation du jugement, et Mme [I] sera par conséquent déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Sur l'obligation de sécurité

En application de l'article L 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Il lui incombe d'établir que, dès qu'il a eu connaissance du risque subi par le salarié, il a pris les mesures suffisantes pour y remédier.

Au soutien de sa demande, Mme [I] expose que son employeur était informé depuis l'année 2016 qu'elle subissait des agissements à tout le moins vexatoires de la part de M. [P]. Or, ce dernier n'a pris aucune mesure jusqu'à l'incident du 13 avril 2018 ayant conduit l'employeur à faire diligenter une enquête.

Elle déplore également que, suite au dépôt du rapport d'enquête, dont elle critique les conclusions, elle a été replacée sous le lien hiérarchique de M. [P], en dépit de sa fragilité avérée. Elle considère que c'est cette situation qui a conduit à son arrêt de travail à compter du 26 juillet 2018 puis à sa déclaration d'inaptitude du 20 septembre 2019.

La société DRIMM réplique n'avoir été alertée par la salariée que le 18 avril 2018, alerte à la suite de laquelle Mme [I] a été reçue en entretien dès le 20 avril 2018. A l'issue de l'entretien, l'employeur a pris la décision de faire diligenter une enquête sous l'égide du CHSCT et il a été décidé de placer Mme [I] hors l'autorité de M. [P], ce dernier ayant effectivement été positionné sur l'équipe d'après-midi le temps de l'enquête, à titre conservatoire.

La cour observe que Mme [I] ne justifie pas avoir, préalablement à l'incident du mois d'avril 2018, alerté son employeur sur la dégradation de ses conditions en lien avec l'attitude à son endroit de M. [P], son chef de ligne.

En revanche, dès que l'employeur a été averti de cette situation au mois d'avril 2018, il a pris les mesures qui s'imposaient, dans le respect de son obligation de sécurité.

Cependant, alors même que le rapport d'enquête pointe des différends entre M. [P] et Mme [I] qui se sont cristallisés dans le temps et que la dégradation des conditions de travail de la salariée ne peut être sérieusement contestée par l'employeur, la société DRIMM a, suite au dépôt du rapport d'enquête et après entretien avec les deux parties, demandé par courrier du 18 juin 2018 à M. [P] de reprendre son poste sur l'équipe du matin et a indiqué à Mme [I] qu'elle allait retravailler avec celui-ci.

En faisant ce choix nonobstant les éléments rappelés ci-dessus, la société DRIMM a replacé Mme [I] dans une situation de risque psycho social, ce qui a conduit quelques semaines plus tard à un nouvel arrêt de travail pour maladie puis à une déclaration d'inaptitude.

L'employeur ne saurait valablement se retrancher derrière le fait d'avoir informé le médecin du travail de ce qu'il allait recevoir Mme [I] et M. [P] le 12 juin 2018 et que le médecin du travail a organisé de son côté un rendez-vous avec les protagonistes au début du mois de juillet 2018. Cet élément ne saurait en effet suffire pour considérer que la société a respecté l'obligation qui lui incombe d'assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale de Mme [I].

L'employeur ne peut non plus se fonder sur le règlement intérieur qui rappelle dans son article 11 le principe de prohibition du harcèlement sexuel et moral et les sanctions qui y sont attachées mais également sur l'affichage au sein de l'entreprise des textes punissant le harcèlement au travail, sans justifier en parallèle de mesures concrètes mises en oeuvre, et notamment un plan d'accompagnement de Mme [I] suite aux difficultés signalées et dont la matérialité est, au moins en partie, établie.

S'il n'est pas discutable que le rapport de la commission d'enquête du CHSCT/ représentants de la direction du 11 juin 2018, dont le caractère sérieux n'est au demeurant pas utilement contredit par la salariée, conclut, après avoir auditionné 20 salariés du centre de tri outre les deux protagonistes, à l'absence de harcèlement moral, il n'en demeure pas moins qu'il appartenait à l'employeur de prendre en compte la situation de risque pour la salariée et de mettre en place des mesures concrètes pour y remédier.

En effet, la société ne pouvait valablement arguer de difficultés de Mme [I] pour respecter l'autorité hiérarchique de M. [P] et la replacer dans la même situation que préalablement à son alerte, sans n'y avoir apporté de solutions, et ce d'autant que le rapport de la commission d'enquête relevait que les altercations entre M. [P] et Mme [I] résultait certes de la confrontation de deux fortes personnalités mais également d'un problème de fonctionnement interne. Le médecin du travail préconisait quant à lui qu'un adjoint au chef d'équipe puisse l'aider dans certaines tâches, que le responsable de service accompagne davantage son chef d'équipe et que, de manière générale, il fallait sensibiliser les salariés aux mots employés et à la manière dont ils étaient dit.

Il s'ensuit que l'inaptitude telle que constatée par le médecin du travail était au moins partiellement la conséquence de ce manquement de l'employeur. Le licenciement est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse, par infirmation du jugement.

Mme [I] peut ainsi prétendre à l'indemnité compensatrice de préavis évaluée à la somme de 3 876,14 euros à titre, outre 387,61 euros de congés payés y afférents.

S'agissant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en vertu de l'article L 1235-3 du code du travail, si le licenciement survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité comprise entre un montant minimal et un montant maximal figurant dans un tableau.

Au jour de la notification du licenciement, Mme [I] avait une ancienneté de 16 ans.

Née le 7 juin 1975, elle était âgée de 44 ans lors du licenciement.

Elle a perçu l'aide au retour à l'emploi entre le mois de décembre 2019 et le mois de décembre 2021. Elle ne justifie pas de sa situation postérieurement à décembre 2021.

Selon le tableau, pour un salarié ayant 16 années entières d'ancienneté au jour de la notification du licenciement, dans une entreprise comprenant au moins 11 salariés, l'indemnité est comprise entre 3 et 13,5 mois de salaire brut.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il sera alloué à Mme [I] des dommages et intérêts à hauteur de 15 000 euros.

En application de l'article L 1235-4 du code du travail, si le licenciement du salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, et si le salarié a une ancienneté d'au moins 2 ans dans une entreprise d'au moins 11 salariés, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié du jour de son licenciement au jour du jugement, dans la limite de 6 mois d'indemnités. Il sera fait application d'office de cette disposition dans la limite de 6 mois.

S'agissant de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, Mme [I] ne justifie pas de l'existence d'un préjudice distinct de celui né de la rupture réparé ci-dessus, de sorte qu'elle sera déboutée de sa demande à ce titre, par confirmation du jugement de conseil de prud'hommes.

Sur l'obligation d'adaptation

Aux termes de l'article L 6321-1 du code du travail, l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail.

Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.

Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, y compris numériques, ainsi qu'à la lutte contre l'illettrisme, notamment des actions d'évaluation et de formation permettant l'accès au socle de connaissances et de compétences défini par décret.

Les actions de formation mises en oeuvre à ces fins sont prévues, le cas échéant, par le plan de développement des compétences mentionné au 1° de l'article L. 6312-1. Elles peuvent permettre d'obtenir une partie identifiée de certification professionnelle, classée au sein du répertoire national des certifications professionnelles et visant à l'acquisition d'un bloc de compétences.

Cette obligation relève de l'initiative de l'employeur et n'est pas subordonnée à une demande de formation émise par le salarié au cours de l'exécution de son contrat.

Mme [I] fait valoir que durant ses 16 années au sein de la société, elle n'a bénéficié que de formations peu efficientes qui ne lui ont pas permis d'acquérir des compétences nouvelles. Elle estime que son préjudice est constitué dans la mesure où, n'ayant pas d'autres compétences que le tri, elle n'a pu être reclassée.

Or, l'employeur qui conteste avoir manqué à son obligation d'adaptation de la salariée, justifie que celle-ci a suivi plusieurs formations entre 2010 et 2017. Si certaines étaient en lien avec ses fonctions d'agent de tri (gestes et postures, sensibilisation au bruit), d'autres portaient sur des thèmes pertinents et diversifiés. Ainsi est-il de la formation à la pesée et au standard d'une durée de 83 heures et de la formation en informatique (excel débutant) d'une durée de 14 heures.

Il s'ensuit que, à l'instar de ce que le conseil de prud'hommes a jugé, la cour retient que l'employeur a satisfait à son obligation d'adaptation.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

L'action comme l'appel étant bien fondés, la société DRIMM supportera ses propres frais irrépétibles ainsi que les dépens de première instance et d'appel.

La société DRIMM sera condamnée à payer à Mme [I] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Déclare recevable la demande de Mme [W] [I] à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

Infirme le jugement, sauf en ce qu'il a débouté Mme [W] [I] de sa demande de nullité du licenciement pour harcèlement moral ainsi que de ses demandes de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité et à l'obligation d'adaptation, ces dispositions étant confirmées,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le licenciement de Mme [W] [I] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la SASU Déchets Récupération Industriels et Ménagers de Montech à payer à Mme [W] [I] les sommes suivantes :

- 3 876,14 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 387,61 euros de congés payés y afférents ;

- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Ordonne le remboursement par la SASU Déchets Récupération Industriels et Ménagers de Montech à Pôle Emploi des indemnités chômage versées à Mme [W] [I] du jour du licenciement au jour du jugement dans la limite de 6 mois,

Déboute Mme [W] [I] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

Déboute la SASU Déchets Récupération Industriels et Ménagers de Montech de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SASU Déchets Récupération Industriels et Ménagers de Montech aux dépens de première instance et d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Catherine Brisset, présidente, et par Arielle Raveane, greffière.

La greffière La présidente

A. Raveane C. Brisset

.