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Décisions

CA Riom, ch. soc., 23 janvier 2024, n° 21/01060

RIOM

Autre

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CA Riom n° 21/01060

23 janvier 2024

23 JANVIER 2024

Arrêt n°

KV/SB/NS

Dossier N° RG 21/01060 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FTBI

[X] [V] sous curatelle, [O] [K] curatrice de M. [V] [X]

/

S.A.S.U. [15], S.A.R.L. [14] /

CPAM DU PUY DE DOME

jugement au fond, origine pole social du tj de clermont-ferrand, décision attaquée en date du 09 avril 2021, enregistrée sous le n° 18/00645

Arrêt rendu ce VINGT-TROIS JANVIER DEUX MILLE VINGT-QUATRE par la CINQUIEME CHAMBRE CIVILE CHARGEE DU DROIT DE LA SECURITE SOCIALE ET DE L'AIDE SOCIALE de la cour d'appel de RIOM, composée lors du délibéré de :

M.Christophe VIVET, président

Mme Karine VALLEE, conseillère

Mme Sophie NOIR, conseillère

En présence de Mme Séverine BOUDRY, greffier lors des débats et du prononcé

ENTRE :

M.[X] [V]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 9]

assisté de sa curatrice Mme [O] [K]

[Adresse 6]

[Localité 8]

Représenté par Me Gaelle BORDAS de la SCP LAFOND-POGLIANI-BORDAS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

APPELANTS

ET :

S.A.S.U. [15]

[Adresse 2]

[Localité 9]

Représentée par Me Aude BOUDIER-GILLES de la SELARL ADK, avocat au barreau de LYON

S.A.R.L. [14]

immatriculée sous le numéro 452 709 199 du registre du commerce et des sociétés de CLERMONT-FERRAND ayant son siège [Adresse 11]

[Localité 10]

Représentée par Me Anne-Sophie BRUSTEL suppléant Me Jérôme LANGLAIS de la SCP LANGLAIS BRUSTEL LEDOUX & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

CPAM DU PUY DE DOME

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représentée par Me Florence VOUTE suppléant Me Marie-Caroline JOUCLARD, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTIMES

Après avoir entendu Mme VALLEE, conseiller, en son rapport, et les représentants des parties à l'audience publique du 23 octobre 2023, la cour a mis l'affaire en délibéré, le président ayant indiqué aux parties que l'arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE

Le 20 juin 2016, M.[X] [V], salarié de la société de travail temporaire LVA-Recrutement exerçant sous l'enseigne [12], a été victime d'un accident du travail alors qu'il était mis à la disposition de la société [14] ([14]) en qualité de poseur.

Le 26 août 2016, la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme (la CPAM) a admis la prise en charge de cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels.

L'état de santé de M.[V] ayant été déclaré consolidé au l8 octobre 2019 sur avis du médecin conseil, la CPAM lui a reconnu un taux d'incapacité permanente de 40 % à compter de cette date.

Par jugement du 28 juin 2018, le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand a déclaré la société [14] coupable des faits de blessures involontaires par personne morale avec incapacité supérieure à trois mois et manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou les règlements, et l'a condamnée à une amende de 4.000 euros assortie du sursis pour un montant de 2.000 euros.

Par lettre recommandée avec avis de réception reçue au greffe le 5 novembre 2018, M.[V] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale du Puy-de-Dôme d'une action tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

En application de la loi n°2016-1457 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle et du décret n°2018-772 du 4 septembre 2018, les affaires en cours devant le tribunal des affaires de sécurité sociale du Puy-de-Dôme ont été transférées au 1er janvier 2019 au pôle social du tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand, devenu à compter du 1er janvier 2020 le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand par application de l'ordonnance n°2019-964 du 18 septembre 2018 prise en application de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Par jugement contradictoire du 11 mai 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a statué comme suit:

- dit que l'accident du travail dont M.[V] a été victime le 20 juin 2016 procède de la faute inexcusable de son employeur, la société [15] exerçant sous l`enseigne [12], commise par 1'entremise de la société [14],

- fixe au maximum la majoration de rente à laquelle il peut prétendre,

- ordonne, avant dire droit sur les préjudices envisagés par l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale, une expertise médicale,

- commet pour y procéder le docteur [T],

- alloue à la victime une provision de 2.000 euros,

- dit que la CPAM du Puy-de-Dôme fera l'avance de la majoration, de la provision et de la réparation des préjudices extra-patrimoniaux et en récupérera le montant auprès de 1'employeur la société [15], exerçant sous l'enseigne [12],

- condamne la société [14] à garantir la société [15] exerçant sous l'enseigne [12] de l'intégralité des condamnations mises à sa charge,

- déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- réserve les dépens.

L'expert médical a déposé son rapport au greffe le 30 novembre 2020.

Par jugement contradictoire du 9 avril 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a statué comme suit :

- fixe l'indemnisation des préjudices extrapatrimoniaux de M.[V] comme suit:

* 16.140 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

* 25.000 euros au titre des souffrances endurées,

* 1.000 euros au titre du préjudice esthétique,

* 2.724 euros au titre de la tierce personne temporaire,

- dit que la CPAM du Puy-de-Dôme fera l'avance du paiement de cette somme à M.[V] en deniers ou quittances pour tenir compte de la provision éventuellement déjà payée,

- dit que la société [15] devra rembourser à la CPAM du Puy-de-Dôme les sommes avancées au titre de l'indemnisation des préjudices extra-patrimoniaux et celles avancées au titre des expertises médicales,

- dit que la société [15] sera intégralement garantie par la société [14] pour le paiement des indemnités complémentaires allouées à M.[V] ainsi que pour l'indemnité allouée au titre de l`article 700 du code de procédure civile,

- condamne la société [15], garantie par la société [14], à payer à M.[V] une somme de 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- déboute M.[V] de ses autres demandes,

- condamne la société [15], garantie par la société [14], aux dépens,

- ordonne l'exécution provisoire du jugement.

Ce jugement a été notifié le 20 avril 2021 à M.[V] qui en a relevé appel par déclaration reçue au greffe de la cour le 6 mai 2021. Un deuxième exemplaire de la déclaration d'appel a été reçu et enregistré au greffe le 7 mai 2021.

Les deux procédures d'appel ont été jointes sous le numéro de répertoire général 21/01060 par ordonnance du 18 mai 2021.

Les parties ont été convoquées à l'audience du 27 mars 2023, puis, celle-ci ayant été annulée, à l'audience du 23 octobre 2023, à laquelle elles ont été représentées par leur avocat.

DEMANDES DES PARTIES

Par ses dernières conclusions visées par le greffe le 23 octobre 2023 et soutenues oralement à l'audience, M.[V] assisté de sa curatrice présente les demandes suivantes à la cour:

- confirmer les sommes allouées au titre du déficit fonctionnel temporaire, soit la somme totale de 16.140 euros,

- réformer le jugement pour le surplus,

- ordonner un complément d'expertise aux fins de déterminer le déficit fonctionnel permanent subi du fait de son accident du 20 juin 2016,

- condamner la société [14] et la société [15] à lui payer les sommes suivantes :

* 40.000 euros au titre des souffrances endurées,

* 3.000 euros au titre du préjudice esthétique,

* 5.000 euros au titre du préjudice d'agrément,

* 5.000 euros au titre du préjudice sexuel,

* 28.210 euros au titre des frais de tierce-personne,

* 46.368 euros au titre de la perte de salaire,

* 112.608,55 euros au titre de l'incidence sur retraite,

- dire que la CPAM procédera à l'avance de cette même indemnité pour être alors subrogée dans ses droits et en obtenir le remboursement auprès de qui il appartiendra,

- condamner les intimés, outre aux entiers dépens, à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions visées par le greffe le 23 octobre 2023 et soutenues oralement à l'audience, la société [15] présente les demandes suivantes à la cour :

- réparer l'omission de statuer figurant au jugement du 9 avril 2021,

- dire et juger que les conséquences financières de l'accident dont a été victime M.[V] le 20 juin 2016 seront entièrement imputées au compte employeur de la société [14],

- confirmer le jugement en ce qu'il a alloué à M.[V] les sommes de 25.000 euros au titre des souffrances endurées et 1.000 euros au titre du préjudice esthétique, et l'a débouté de ses demandes au titre du préjudice d'agrément, du préjudice sexuel et des répercussions professionnelles,

- infirmer le jugement en ce qui concerne l'assistance par tierce personne et le déficit fonctionnel temporaire,

- débouter M.[V] de sa demande au titre de l'assistance par tierce personne et subsidiairement, confirmer le jugement en ce qu'il lui a alloué la somme de 2.724 euros,

- ramener à de plus justes proportions l'indemnité de M.[V] au titre du déficit fonctionnel temporaire, sans dépasser la somme de 13.440 euros,

- confirmer le jugement pour le surplus,

- condamner M.[V] ou la société [14] à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions visées par le greffe le 23 octobre 2023 et soutenues oralement l'audience, la société [14] présente les demandes suivantes à la cour :

- à titre principal :

* confirmer le jugement en ce qu'il a alloué à M.[V] les sommes de 25.000 euros au titre des souffrances endurées et 1.000 euros au titre du préjudice esthétique permanent, et l'a débouté de ses demandes au titre du préjudice d'agrément, du préjudice sexuel, du préjudice au titre de la perte de salaire et du préjudice au titre de l'incidence sur retraite,

* infirmer le jugement en ce qu'il a alloué à M.[V] la somme de 2.224 euros au titre de l'assistance par tierce personne temporaire, et la somme de 16.140 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, et statuant à nouveau :

* débouter M.[V] de ses demandes indemnitaires au titre de l'assistance par tierce personne temporaire,

* allouer à M.[V] la somme de 13.440 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

- à titre subsidiaire, confirmer le jugement déféré en ce qu'il a alloué à M.[V] les sommes de 25.000 euros au titre des souffrances endurées, 1.000 euros au titre du préjudice esthétique permanent, et 2.224 euros au titre de l'assistance par tierce personne temporaire,

- en tout état de cause :

* ordonner avant dire droit une mesure d'expertise judiciaire et désigner pour y procéder le Dr [T] avec pour mission de chiffrer, par référence au barème indicatif des déficits fonctionnels séquellaires en droit commun, le taux éventuel de déficit fonctionnel permanent imputable au fait dommageable, résultant de l'atteinte permanente d'une ou plusieurs fonctions persistant à la date de la consolidation, le taux de déficit fonctionnel devra prendre en compte, non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime mais aussi les douleurs physiques et morales permanentes qu'elle ressent, la perte de qualité de vie et les troubles dans les conditions d'existence,

* débouter M.[V] de l'ensemble de ses demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamner M.[V] à lui payer et porter la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* statuer ce que de droit sur la demande présentée par la société [15] au titre de l'omission de statuer.

Par ses dernières observations écrites visées par le greffe le 23 octobre 2023 et soutenues oralement à l'audience, la CPAM du Puy-de-Dôme indique s'en remettre à droit sur la fixation des préjudices et la requête en omission de statuer.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures susvisées des parties, soutenues oralement à l'audience, pour l'exposé de leurs moyens.

MOTIFS

Sur l'omission de statuer

- sur la procédure d'omission de statuer

Dans le cadre de la procédure de première instance, la société [15] a demandé au tribunal de dire et juger que les conséquences financières de l'accident dont a été victime M.[V] le 20 juin 2016 seront entièrement imputées au compte employeur de la société [14].

Il est constant que le tribunal n'a pas statué sur cette demande par le jugement critiqué.

Le 28 avril 2021, la société [15] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire d'une requête en omission de statuer sur ce point.

Par jugement du 8 octobre 2021, le tribunal a déclaré recevable la requête en omission de statuer mais l'a rejetée au fond au motif que, du fait de l'appel relevé à l'encontre du jugement, tous les points du litige qui lui avaient été soumis ont été déférés à la connaissance de la cour en vertu de l'effet dévolutif.

Il est constant que, en raison de l'appel relevé à l'encontre du jugement, il appartient à cette cour à laquelle il a été déféré de statuer sur l'omission de statuer dont avait été saisi le tribunal.

- sur le fond de la requête en omission de statuer

L'article L.241-5-1 du code de la sécurité sociale dispose que 'pour tenir compte des risques particuliers encourus par les salariés mis à la disposition d'utilisateurs par les entreprises de travail temporaire, le coût de l'accident et de la maladie professionnelle définis aux articles L.411-1 et L.461-1 est mis, pour partie à la charge de l'entreprise utilisatrice si celle-ci, au moment de l'accident, est soumise au paiement des cotisations mentionnées à l'article L. 241-5. En cas de défaillance de cette dernière, ce coût est supporté intégralement par l'employeur. Ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le juge procède à une répartition différente, en fonction des données de l'espèce.

Les mêmes dispositions s'appliquent lorsque l'entreprise utilisatrice est une collectivité, un établissement ou une entreprise auxquels est accordée l'autorisation d'assumer la charge totale ou partielle de la réparation des accidents du travail en vertu des articles L.413-13 ou L.413-14.

Dans le cas où le salarié intérimaire engage une action en responsabilité fondée sur la faute inexcusable de l'employeur, sans qu'il y ait eu mise en cause de l'entreprise utilisatrice, l'entreprise de travail temporaire est tenue d'appeler en la cause l'entreprise utilisatrice pour qu'il soit statué dans la même instance sur la demande du salarié intérimaire et sur la garantie des conséquences financières d'une reconnaissance éventuelle de faute inexcusable.'

Il résulte de ce texte que l'entreprise de travail temporaire peut exercer une action à l'encontre de l'entreprise utilisatrice pour que le coût de l'accident soit imputé sur le compte de cette dernière.

En l'espèce, les deux tiers du capital représentatif de la rente servie à M.[V] en conséquence de l'accident du travail dont il a été victime ont été imputés au compte employeur de la société [15] pour le calcul de ses cotisations d'accidents du travail.

Il ressort du jugement définitif prononcé le 11 mai 2020 par le tribunal judiciaire que seule la société [14] a été poursuivie pour des manquements à son obligation de sécuritéalors qu'aucun manquement n'a été relevé à l'encontre de la société [15]. La société [14] a été déclarée coupable, de manière définitive, des infractions qui lui étaient reprochées.

Les conséquences financières de l'accident découlant donc exclusivement de la faute sanctionnée pénalement de la société [14], il y a donc lieu de faire droit à la demande de la société [15] tendant à ce que les conséquences financières de l'accident soient imputées en intégralité au compte employeur de la société [14], qui s'en rapporte sur ce point et n'oppose pas d'argumentation à la demande de la société [15].

Sur les préjudices extrapatrimoniaux

Les circonstances de l'accident sont établies de manière non contestée, s'agissant de faits survenus le 20 juin 2016, au cours desquelles M.[V], alors qu'il travaillait comme poseur pour la société [14], a été blessé par la chute d'éléments métalliques, qui ont entraîné des blessures crâniennes.

Il ressort du rapport d'expertise médicale que cet accident a entraîné un traumatisme crânien grave avec perte de connaissance, embarrure et hématome sous-jacent sous dural et intra-cérébral. M.[V] a immédiatement été admis en réanimation neurologique où, devant la gravité de son état, a été pratiquée en urgence une intervention chirurgicale de décompression pour évacuation d'une contusion hémorragique crânienne. Transféré le 2 juillet 2016 en neurochirurgie, il a quitté ce service le 22 août 2016 pour intégrer un centre de rééducation jusqu'au 28 octobre 2016, ayant été l'objet le 6 octobre 2016 d'une cranioplastie réalisée au sein du service neurochirurgie.

* Sur le déficit fonctionnel temporaire

Ce poste de préjudice correspond à l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle subie par la victime jusqu'à sa consolidation, ainsi qu'aux temps d'hospitalisation et aux pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante subies durant sa pathologie traumatique jusqu'à sa consolidation.

En l'espèce, l'expert médical a retenu un déficit fonctionnel temporaire total du 20 juin 2016 au 28 octobre 2016 et un déficit fonctionnel temporaire partiel de 50% du 29 octobre 2016 au 18 octobre 2019, date de la consolidation.

La fixation par le tribunal à hauteur de 24 euros de l'indemnité journalière servant de base de calcul à l'évaluation de ce poste de préjudice apparaît conforme au préjudice subi par M.[V], tel qu'indemnisé dans des cas similaires. L'indemnisation qui est due à ce dernier au titre du déficit fonctionnel temporaire sera donc calculée sur cette base, et non sur la base d'une indemnité journalière de 20 euros comme le proposent les sociétés intimées.

En conséquence, l'indemnité allouée à M.[V] doit être fixée à la somme de16.140 euros, se décomposant comme suit:

* déficit fonctionnel total d'une durée de 130 jours.......................3120 euros (24x130)

* déficit fonctionnel partiel à 50% d'une durée de 1.085 jours...13.020 euros

[(24x50/100)x1085]

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

* Sur les souffrances endurées

Les souffrances physiques et morales endurées par la victime du fait des atteintes à son intégrité, à sa dignité et à son intimité et des traitements, interventions, et hospitalisations qu'elle a subis jusqu'à sa consolidation sont indemnisables lorsqu'elles résultent de la faute inexcusable de l'employeur.

Au vu de l'hospitalisation prolongée que M.[V] a subie du fait d'un traumatisme cranio-cérébral ayant justifié deux interventions chirurgicales, et de la durée de la rééducation, l'expert a fixé à 5 sur une échelle de 7 les souffrances physiques et morales endurées.

M.[V] considère que l'indemnisation allouée par les premiers juges à hauteur de 25.000 euros est sous-estimée, et réclame la somme de 40.000 euros.

L'évaluation retenue par les premiers juges sur la base de l'évaluation de l'expert n'étant pas critiquée utilement de manière étayée par de quelconques éléments, le jugement sera confirmé sur ce point.

* Sur le préjudice esthétique définitif

Ce poste correspond à l'altération définitive de l'apparence physique de la victime.

Pour évaluer ce préjudice à 0,5 sur une échelle de sept, l'expert a retenu l'existence d'une cicatrice au niveau pariéto-occipital, masquée par la chevelure.

M.[V] considère que l'indemnisation allouée par les premiers juges à hauteur de 1.000 euros est sous-estimée et réclame une indemnité de 3.000 euros.

Les premiers juges ayant exactement évalué le préjudice esthétique résultant de cette seule cicatrice, peu apparente, le jugement sera confirmé sur ce point.

* Sur le préjudice sexuel

Un préjudice sexuel est caractérisé dans les trois cas qui suivent:

- il existe un préjudice morphologique lié à l'atteinte aux organes sexuels résultant du dommage subi,

- l'acte sexuel lui-même est rendu impossible, plus difficile ou est altéré en raison de la perte ou de l'affaiblissement du plaisir lié à l'accomplissement de l'acte sexuel, de la perte ou de la diminution de la libido, ou encore de la perte de la capacité physique à le réaliser,

- le fait dommageable a entraîné une impossibilité ou une difficulté à procréer.

Le montant de l'indemnisation doit être modulé en fonction de l'ampleur de l'altération de la fonction sexuelle, de l'âge de la victime, de la nature organique et psychologique des troubles et des possibilités d'amélioration par des traitements thérapeutiques et/ou des moyens palliatifs.

En l'espèce, M.[V] a déclaré à l'expert ne plus avoir d'érection malgré une libido conservée, et a fait état de son activité sexuelle antérieure.

Le tribunal a rejeté sa demande indemnitaire de ce chef en considérant que l'expert s'était borné à mentionner ses doléances.

M.[V] conteste le rejet de sa demande et réclame une indemnité d'un montant de 5.000 euros au titre de son préjudice sexuel, sans expliciter en quoi ce préjudice serait caractérisé et sans critiquer de manière argumentée la motivation retenue par les premiers juges.

Comme le font observer à juste titre les sociétés [15] et [14], ce préjudice ne peut être retenu sur la simple foi des allégations de la victime, en particulier en ce l'expert ne fait pas état de la compatibilité de ces doléances avec l'état de santé séquellaire.

Le préjudice allégué n'étant donc pas démontré, la demande doit être rejetée comme l'a retenu le jugement, qui sera confirmé sur ce point.

* Sur le préjudice d'agrément

Le préjudice d'agrément est caractérisé lorsque la victime, en raison des séquelles qu'elle présente, se trouve dans l'impossibilité de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs qu'elle pratiquait antérieurement au fait dommageable, mais également lorsque ses possibilités à poursuivre ces activités sont restreintes ou rendues difficiles.

En l'espèce, le tribunal a rejeté la demande d'indemnisation du préjudice d'agrément, au motif que M.[V] ne produisait aucun justificatif de ce préjudice.

A l'appui de son appel, M.[V] affirme subir un préjudice d'agrément découlant de la diminution des activités de bricolage et de cuisine qu'il pratiquait avant l'accident. Il explique également qu'il a perdu la mobilité nécessaire pour pratiquer la mécanique, notamment l'entretien de son véhicule, et qu'il ne peut plus se déplacer, ayant perdu l'agrément nécessaire pour le permis de conduire.

Or pas plus qu'en première instance, M.[V] ne démontre l'existence de ces pratiques antérieure régulières.

Les troubles dans les conditions d'existence dont il fait état ne peuvent donc être indemnisés au titre du préjudice d'agrément. En conséquence, le jugement sera confirméen ce qu'il a débouté M.[V] de sa demande de ce chef.

* Sur le déficit fonctionnel permanent

Ajoutant aux demandes soumises au tribunal, M.[V] conclut devant la cour à l'organisation d'une nouvelle expertise aux fins d'évaluation de son déficit fonctionnel permanent, non incluse dans la mission d'expertise confiée au docteur [T] par le pôle social.

Par deux arrêts du 20 janvier 2023, l'assemblée plénière de la Cour de cassation, opérant un revirement de jurisprudence, a jugé que la rente attribuée en cas d'accident du travail ne répare pas le déficit fonctionnel permanent, qui a désormais vocation à être indemnisé selon les règles de droit commun de réparation des préjudices.

Le déficit fonctionnel permanent est défini en droit commun de la réparation du préjudice corporel comme le poste qui tend à indemniser la réduction définitive (c'est-à-dire après consolidation) du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel de la victime, résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique, à laquelle s'ajoutent les souffrances après consolidation et les répercussions psychologiques, et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence personnelles, familiales et sociales, du fait des séquelles physiques que mentales qu'elle conserve.

Ces chefs de préjudice n'ayant pas été recherchés, il y a donc lieu d'ordonner, avant dire droit sur l'évaluation du déficit fonctionnel permanent subi par M.[V], un complément d'expertise sur pièces.

Les conditions et modalités du complément d'expertise seront précisées au dispositif du présent arrêt.

Sur les préjudices patrimoniaux

* Sur l'assistance par tierce personne titre temporaire

Les frais d'assistance par tierce personne à titre temporaire ne sont pas couverts au titre du livre IV du code de la sécurité sociale et doivent être indemnisés, sans être réduits en cas d'assistance d'un membre de la famille, ni subordonnés à la production de justificatifs des dépenses effectives.

Le tribunal a estimé qu'il convenait d'indemniser M. [Z] de ce chef à hauteur de trois heures par semaine pour la période du 29 octobre 2016 au 28 février 2018, soit du lendemain de son retour à domicile après son hospitalisation jusqu'à sa prise en charge par le service d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH), et ce sur la base de13 euros par jour.

L'expert judiciaire a relevé l'absence de mise à disposition d'élément objectif suite au retour à domicile pour établir une quelconque dépendance dans l'accomplissement des actes de la vie quotidienne. Il a également consigné que l'examen faisait apparaître une autonomie pour les actes essentiels de la vie quotidienne.

Les sociétés [15] et [14], n'estimant pas justifiée l'assistance par tierce personne, concluent principalement au rejet de cette demande.

M.[V] soutient que, compte tenu de la dépendance d'origine locomotrice, neurologique et neurocognitive, décrite par l'expert dans son rapport, l'assistance de sa compagne pour gérer au quotidien les actes de la vie courante a été absolument nécessaire. Il considère que durant les trois années qu'a duré son déficit fonctionnel temporaire partiel à 50%, son état a justifié une assistance par tierce personne à hauteur de deux heures par jour.

S'il est exact que l'expert n'a pas retenu ce poste de préjudice, et que le retour à domicile de M.[V] a suivi une période de rééducation destinée à lui permettre de retrouver son autonomie, il doit également être relevé que la maison départementale des personnes handicapée (MDPH) du Puy-de-Dôme lui a reconnu, par décision du 4 décembre 2018, un taux d'incapacité compris entre 50 et 79%, et lui a ouvert le droit de bénéficier du SAMSAH à hauteur de trois heures par semaine.

Selon le guide-barème relatif à l'évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées figurant à l'annexe 2-4 du code de l'action sociale et des familles, un taux d'incapacité compris entre 50 % et 79% correspond à des troubles importants entraînant une gêne notable dans la vie sociale de la personne. L'entrave peut soit être concrètement repérée dans la vie de la personne, soit compensée afin que cette vie sociale soit préservée, mais au prix d'efforts importants ou de la mobilisation d'une compensation spécifique. Toutefois, l'autonomie est conservée pour les actes élémentaires de la vie quotidienne.

Si l'autonomie pour les actes élémentaires de la vie quotidienne a donc été jugée conservée par la MDPH du Puy-de-Dôme, il y a lieu de relever que cette conservation d'autonomie ne porte que sur les actes élémentaires de la vie quotidienne, et non sur les actes, néanmoins nécessaires, relevant de la vie sociale.

Dans le champ de la vie sociale, l'autonomie de M.[V] a été diminuée en raison de la nature et de la gravité des dommages causés par l'accident, comme l'a reconnu la MDPH en l'admettant au bénéfice du SAMSAH à hauteur de trois heures par semaine à compter du 28 février 2018.

A compter de la date à laquelle il a pu bénéficier du SAMSAH, le besoin d'assistance par tierce personne pour l'accomplissement des actes de la vie sociale a pu être comblé. En revanche, pour la période antérieure à l'intervention de ce service, cette assistance a nécessairement été assurée par l'entourage familial, circonstance qui ouvre droit à une indemnisation au titre de l'assistance par tierce personne temporaire.

En conséquence, pour la période comprise entre le 29 octobre 2016 et le 28 février 2018, date correspondant à sa prise en charge par le SAMSAH, un besoin d'assistance par tierce personne doit être reconnu à hauteur de trois heures par semaine, étant observé qu'aucun élément ne permet de remettre en cause l'appréciation par la MDPH du volume d'heures nécessaire pour assurer l'assistance médico-sociale de M.[V].

Sur la base d'un taux horaire de 13 euros, non contesté par l'appelant, il y a lieu de lui allouer la somme arrondie de 2.724 euros, soit [( 489 jours/7) x 3 heures x 13 euros]. Le jugement sera par conséquent confirmé sur ce chef de demande.

* Sur l'incidence professionnelle :

Aux termes de l'article L.434-2 du code de la sécurité sociale, le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité. Lorsque l'incapacité permanente est égale ou supérieure à un taux minimum, la victime a droit à une rente égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité qui peut être réduit ou augmenté en fonction de la gravité de celle-ci.

Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité.

Lorsque l'accident résulte de la faute inexcusable de l'employeur, la victime peut prétendre à une majoration de la rente qui lui est servie par la caisse d'assurance maladie.

En l'espèce, M.[V] demande l'indemnisation de la perte de salaire et de l'incidence défavorable de cette perte sur ses droits à la retraite.

Le tribunal l'a débouté de cette demande en considérant que la rente majorée qui lui est servie indemnise la perte de salaire et de droits à la retraite, et qu'il ne peut demander à nouveau indemnisation.

M.[V] soutient que le montant de la rente majorée est insuffisant pour compenser sa perte de salaire et de droits à la retraite, qu'il chiffre sur la base de la différence de montants qui existe entre le salaire perçu avant l'accident et les revenus inférieurs, perçus après sa survenance.

Le tribunal a de manière exacte rejeté cette demande, en ce que l'indemnisation forfaitaire opérée par le service de la rente majorée couvre les pertes de gains professionnels et la perte de droits à la retraite, et que ces chefs de préjudice ne peuvent en conséquence donner lieu à une indemnisation complémentaire, en conséquence de quoi le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les dépens

En application de l'article 696 du code de procédure civile, le tribunal a condamné la société [15], garantie par la société [14], aux dépens. Cette disposition sera confirmée dès lors que le jugement est confirmé sur le fond. Les dépens d'appel seront réservés.

Sur les demandes présentées en application de l'article 700 du code de procédure civile

L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer:

1° à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens;

2° et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.

Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

Le jugement sera confirmé en sa disposition relative à l'article 700 du code de procédure civile.

Les demandes formées devant la cour au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront réservées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

- Confirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant :

- Dit que les conséquences financières de l'accident du travail seront imputées intégralement sur le compte employeur de l'EURL [14],

- Ordonne, avant dire droit sur l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent de M.[X] [V], un complément d'expertise sur pièces,

- Désigne pour procéder au complément d'expertise sur pièces le docteur [M] [T], [Adresse 1], expert ayant réalisé l'expertise ordonnée par le tribunal, ou en cas d'indisponibilité le docteur [R] [W], CHU [13] [Adresse 5],

-Dit que l'expert devra chiffrer en l'expliquant, par référence au 'barème indicatif des déficits fonctionnels séquellaires en droit commun' le taux éventuel de déficit fonctionnel permanent imputable à l'accident du travail de M.[X] [V], résultant de 1'atteinte permanente d'une ou plusieurs fonctions persistant au moment de la consolidation, le taux de déficit fonctionnel devant prendre en compte, non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime mais aussi les douleurs physiques et morales permanentes qu'elle ressent, la perte de qualité de vie et les troubles dans les conditions d'existence qu'elle rencontre au quotidien après consolidation,

- Dit que l'expert, dans le respect du principe de la contradiction, devra prendre en considération les observations ou réclamations des parties, et lorsqu'elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent,

- Dit que l'expert devra déposer rapport de ses opérations de complément d'expertise au greffe de la cour au plus tard le 15 mai 2024,

- Fixe à 180 euros le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert et dit que cette somme devra être avancée par la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme et consignée au secrétariat-greffe de la cour au plus tard le 15 février 2024,

- Désigne le président de la chambre ayant à connaître de l'affaire pour contrôler les opérations d'expertise ou à défaut, tout conseiller de ladite chambre,

-Renvoie l'examen de l'affaire à l'audience qui se tiendra le 2 septembre 2024 à 14h00,

- Dit que la notification du présent arrêt vaut convocation des parties et de leurs conseils à cette audience de renvoi,

- Invite les parties à échanger leurs conclusions sur l'évaluation du déficit fonctionnel permanent de M. [X] [V] avant l'audience de renvoi,

- Réserve les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Réserve les dépens,

- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Ainsi fait et prononcé le 23 janvier 2024 à Riom.

Le greffier, Le président,

S. BOUDRY C. VIVET