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Décisions

CA Paris, Pôle 4 - ch. 13, 23 janvier 2024, n° 20/18215

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 20/18215

23 janvier 2024

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRET DU 23 JANVIER 2024

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/18215

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Novembre 2020 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS - RG n° 19/04021

APPELANT

Monsieur [L] [W]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me William WORD, avocat au barreau de PARIS, toque : C1992

INTIMES

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par Me Anne-laure ARCHAMBAULT de la SELAS MATHIEU ET ASSOCIE, avocat au barreau de PARIS, toque : R079

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Novembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, chargée du rapport, et devant Mme Estelle MOREAU, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffière, lors des débats : Mme Florence GREGORI

MINISTERE PUBLIC : L'affaire a été communiquée au ministère public le 03 novembre 2022, qui a fait connaître son avis le 02 octobre 2023.

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 23 janvier 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Florence GREGORI, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

M. [L] [W], né le [Date naissance 1] 1950, est avocat au barreau de Grenoble.

Il a fait l'objet d'un blâme prononcé par arrêt de la cour d'appel de Grenoble le 15 mai 2009, d'un avertissement prononcé par le conseil régional de discipline le 21 décembre 2010 et d'une interdiction d'exercer d'une durée d'un an prononcée par la cour d'appel de Grenoble le 2 décembre 2013.

Le 20 mars 2015, le procureur général près de la cour d'appel de Grenoble a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Grenoble aux fins d'engagement d'une procédure disciplinaire à l'égard de M. [W].

Le 14 septembre 2015, le bâtonnier a saisi le conseil régional de discipline pour différents manquements aux obligations déontologiques résultant de faits s'étant déroulés les 15 juin et 10 septembre 2014 (intervention devant la cour d'assises du Var et de la Drôme alors qu'il était sous le coup d'une interdiction temporaire d'exercer d'un an prononcée par la cour d'appel de Grenoble le 2 décembre 2013), le 12 décembre 2014 (introduction d'un téléphone portable au centre pénitentiaire de [Localité 6] puis courrier adressé au directeur de ce centre), et du 2 au 15 mars 2015 (propos tenus devant la cour d'assises de Grenoble).

Le 4 février 2016, la cour d'appel de Grenoble a prononcé à l'encontre de M. [W] sur le fondement de l'article 24 de la loi du 31 décembre 1971 une suspension provisoire d'exercice pour une durée de quatre mois.

Le 11 mai 2016, le conseil régional de discipline a relaxé M. [W] des fins de la poursuite.

Sur appel du ministère public, le 12 mai 2016, la cour d'appel de Grenoble, considérant du fait de ce recours, que l'action disciplinaire engagée contre M. [W] n'était pas éteinte, a ordonné la prolongation de la suspension provisoire d'exercer jusqu'au 30 juin 2016.

Selon arrêts avant dire droit du 9 juin 2016 puis du 23 juin 2016, la cour d'appel de Grenoble, se prononçant sur l'appel de la décision du 11 mai 2016 a relaxé M. [W] pour les propos qui auraient été tenus à l'encontre d'un de ses confrères lors de l'audience de la cour d'assises de l'Isère en mars 2015, dit que les autres faits, commis devant les cours d'assises du Var et de la Drôme les 15 juin et 10 septembre 2014, les écrits adressés le 30 décembre 2014 au directeur du Centre pénitentiaire de [Localité 6] et les propos tenus lors de l'audience de la cour d'assises de l'Isère du 2 au 10 mars 2015 à l'encontre du président de cette cour, constituent des fautes disciplinaires et prononcé une sanction d'interdiction temporaire d'exercer pour une durée de trois ans dont un an assorti du sursis.

M. [W] ayant formé un pourvoi contre les arrêts de la cour d'appel de Grenoble des 4 février 2016 et 12 mai 2016, relatifs au prononcé et à la prolongation de la suspension provisoire d'exercice et des 9 juin et 23 juin 2016 statuant sur les faits objets de la poursuite disciplinaire, la Cour de cassation, par trois arrêts du 8 février 2017, a :

- cassé sans renvoi l'arrêt du 4 février 2016 au motif que cet arrêt mentionne que le procureur général a conclu oralement sans préciser si le ministère public avait déposé des conclusions écrites préalablement et le cas échéant, si M. [W] en avait reçu communication,

- cassé en conséquence la décision du 12 mai 2016 prononçant la prolongation de la suspension provisoire de M. [W],

- cassé sans renvoi l'arrêt du 23 juin 2016 considérant que le recours formé par le procureur général contre la décision du 11 mai 2016 était irrecevable au motif qu'il ne répondait pas aux exigences de forme,

- constaté par suite le caractère irrévocable de la décision du conseil de discipline du 11 mai 2016.

En parallèle, une enquête de flagrance a été ouverte par le parquet de Grenoble à l'encontre de M. [W] pour des faits commis le 13 mai 2016 de menaces de mort ou d'atteinte aux biens dangereux pour les personnes à l'encontre d'un magistrat.

Faute de s'être présenté à l'audition à laquelle il avait été convoqué, le 20 mai 2016, M. [W] a été interpellé et placé en garde à vue le 23 mai 2016.

Le jour même, après l'examen médical, le préfet de l'Isère a pris un arrêté portant admission de M. [W] en soins psychiatriques.

Le 25 mai 2016, il a été mis fin à cette mesure.

Le 30 mai 2016, l'enquête visant M. [W] a été classée sans suite au motif qu'il ne jouissait pas, au moment des faits de toutes ses facultés.

C'est dans ce contexte que par acte du 11 mars 2019, M. [W] a assigné l'agent judiciaire de l'Etat devant le tribunal judiciaire de Paris sur le fondement de l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire pour fonctionnement défectueux du service public de la justice.

Par jugement rendu le 4 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :

- rejeté les demandes,

- condamné M. [W] aux dépens qui pourront être recouvrés selon les modalités prévues par l'article 699 du code de procédure civile,

- débouté l'agent judiciaire de l'Etat de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 14 décembre 2020, M. [W] a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 28 mars 2022, M. [L] [W] demande à la cour de :

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris,

statuant à nouveau

- dire que le service public de la justice a gravement dysfonctionné le concernant du fait des fautes extrêmement lourdes commises par la première chambre civile de la cour d'appel de Grenoble et le procureur général [P] près cette cour, des dénis de justice perpétrés par cette même cour ainsi que du fait des fautes lourdes commises par le procureur de la République, près le tribunal judiciaire de Grenoble, M. [N],

- dire que ces dysfonctionnements lui ont causé un sérieux préjudice,

en conséquence,

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui payer la somme de 230 000 euros au titre de son préjudice matériel,

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui payer la somme de 350 000 euros au titre de son préjudice professionnel,

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui payer la somme de 550 000 euros au titre de son préjudice moral,

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat au titre des dépens de première instance et d'appel.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 11 juin 2021, l'agent judiciaire de l'Etat demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- condamner M. [W] à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [W] aux dépens, dont distraction faite au profit de Me Anne-Laure Archambault, avocat, comme il est dit à l'article 699 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire, si par extraordinaire le 'tribunal' retenait une faute à son encontre,

- constater l'absence de démonstration des préjudices résultant des fautes alléguées,

- réduire à de plus justes proportions les sommes réclamées par M. [W].

Selon avis notifié le 2 octobre 2023, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 3 octobre 2023.

SUR CE

Sur la responsabilité de l'Etat

Pour rejeter les demandes formées par M. [W], le tribunal a retenu :

- s'agissant du grief tiré des irrégularités de forme et de fond affectant les procédures devant la cour d'appel de Grenoble que les décisions critiquées ont été cassées et que la décision définitive subsistant étant une décision de relaxe du conseil régional de discipline du 11 mai 2016 favorable à M. [W], la responsabilité de l'Etat ne pouvait pas être retenue de ce chef,

- s'agissant du grief tiré de la volonté de lui nuire de certains magistrats de la cour d'appel de Grenoble que les éléments produits sont insuffisants pour démontrer le comportement hostile et malintentionné des magistrats mis en cause et corroborer l'existence d'un complot dont il serait la victime,

- sur l'irrégularité de son interpellation et de son placement en garde à vue qu'à défaut d'élément produit par le demandeur, à l'exception de la notification au parquet de l'incompatibilité de son état de santé, il n'était pas en mesure d'apprécier le bien fondé des demandes formées à ce titre.

M. [W] critique le jugement qui, selon lui, aurait refusé de faire application de l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire et soutient être victime de fautes lourdes et de dénis de justice, consistant pour l'essentiel en des violations volontaires de la loi commises par la cour d'appel de Grenoble et le procureur général près de celle-ci lors des procédures disciplinaires et en l'illégalité de son arrestation et de son placement en garde à vue.

Selon l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire, l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.

La faute lourde se définit comme toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.

Aux termes de l'article L.141-3, alinéa 4, du même code, 'il y a déni de justice lorsque les juges refusent de répondre aux requêtes ou négligent de juger les affaires en état et en tour d'être jugées'.

Le déni de justice s'entend non seulement comme le refus de répondre aux requêtes ou le fait de négliger les affaires en l'état d'être jugées mais aussi plus largement, comme tout manquement de l'Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l'individu qui comprend le droit pour le justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable. Il s'apprécie à la lumière des circonstances propres à chaque espèce en prenant en considération la nature de l'affaire, son degré de complexité, le comportement de la partie qui se plaint de la durée de la procédure et les mesures prises par les autorités compétentes.

* Sur les procédures disciplinaires

M. [W] invoque :

- concernant la procédure ayant abouti à l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 4 février 2016,

l'absence de référence à l'urgence ou à la nécessité de protection du public susceptibles de justifier sa suspension dans l'acte de saisine du bâtonnier par le procureur général près de la cour d'appel de Grenoble et la violation de l'article 24 de la loi du 31 décembre 1971,

l'existence de fausses déclarations faites par le procureur général relativement à l'incident s'étant déroulé au centre pénitentiaire de [Localité 6],

l'acte de saisine de la cour d'appel est 'étrange' et viole les articles 23-2 et 23-3 de l'ordonnance du 7 novembre 1958,

les conclusions du procureur général du 6 janvier 2016 se livrent à une réécriture de l'article 23.3 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et non de la loi du 10 décembre 2009,

la qualification mensongère de contradictoire de l'arrêt dès lors qu'il était absent à l'audience du 28 janvier 2016 et par suite la violation du principe du contradictoire et des articles 5 et '6' du code de procédure civile,

la reprise par la cour de la violation des articles 5, 15 et 16 du code de procédure civile, 23-2 et 23-3 de l'ordonnance du 27 novembre 1958, 24 de la loi du 31 décembre 1971,

- concernant la procédure ayant abouti à l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 12 mai 2016,

l'existence d'inexactitudes juridiques grossières dans la citation du 29 avril 2016,

la saisine par le procureur général d'une juridiction incompétente pour se prononcer sur la prolongation de la mesure de suspension, seul le conseil de l'ordre étant compétent pour se prononcer sur la prolongation d'une suspension provisoire même non prononcée par lui en application de l'article 24 de la loi du 31 décembre 1971 et l'acceptation de la cour de statuer sur cette demande alors qu'elle était incompétente pour le faire et en connaissance de sa caducité,

la production par le procureur général lors de l'audience du 12 mai 2016, à laquelle lui-même n'a pas voulu assister, de nouvelles pièces non contradictoires qui ont été reçues par la cour, en violation des articles 15 du code de procédure civile par le procureur général et 16 du même code par la cour,

le fait que la cour a statué ultra petita sur des demandes formulées oralement et non contradictoirement,

la reprise par la cour de la violation des articles 5, 7,15 et 16 du code de procédure civile, 24 de la loi du 31 décembre 1971,

- concernant la procédure ayant abouti à l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 23 juin 2016,

la violation des dispositions de l'article 16 du décret du 27 novembre 1991 par l'acte d'appel du procureur général et sa tentative de régularisation,

la reprise par la cour dans son arrêt des mensonges proférés par le procureur général,

la violation des droits de la défense par la cour qui a décidé dans son arrêt avant dire droit du 9 juin 2016 de joindre les incidents au fond,

l'irrecevabilité de l'acte d'appel et de sa régularisation pourtant acceptés par la cour.

L'agent judiciaire de l'Etat répond que la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée en ce que :

- une décision juridictionnelle ne peut être critiquée dans ses motifs ou dans son dispositif que par le seul exercice des voies de recours prévues par la loi et il n'est pas possible de se fonder sur l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire pour prétendre voir rejuger une décision juridictionnelle définitive,

- M. [W] critique le contenu des arrêts qui ont été cassés en suite de l'exercice des voies de recours qui lui étaient ouvertes, en sorte que les dysfonctionnements allégués ont été réparés, peu important que la Cour de cassation ne se soit pas prononcée sur tous les moyens soulevés par M. [W].

Le ministère public, qui relève que l'action a exclusivement pour objet de remettre en cause l'appréciation des juges de la Cour de cassation afin que les irrégularités de procédure définitivement jugées soient à nouveau soumises à un juge, estime que M. [W] échoue à démontrer l'existence d'une faute lourde ou d'un déni de justice susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat, dès lors que les éventuels dysfonctionnements du service public de la justice dont M. [W] se prétend victime ont été définitivement corrigés à l'occasion du recours exercé devant la Cour de cassation, précisant que la seule circonstance que les décisions judiciaires aient été censurées par la Cour de cassation n'est pas de nature à établir l'existence d'une faute lourde de la part des magistrats les ayant rendues.

Seule l'inaptitude du service public de la justice à remplir sa mission qui n'a pas pu être corrigée par les voies de recours permet d'engager la responsabilité de l'Etat. A l'inverse, lorsque les voies de recours ont permis de corriger les déficiences du service public de la justice, alors la faute lourde de ce service n'est pas caractérisée.

En l'espèce, les décisions critiquées par M. [W] ont toutes été cassées, de sorte que seule la décision du conseil régional de discipline du 11 mai 2016, qui, le relaxant, lui est favorable, subsiste.

Il n'y a donc ni faute lourde ni déni de justice susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat, nonobstant le fait qu'en exécution de ces décisions critiquées M. [W] a été empêché d'exercer entre la mise à exécution de la mesure de suspension provisoire et son annulation par la Cour de cassation.

* Sur l'impartialité du personnel judiciaire

M. [W] prétend rapporter la preuve de l'animosité, la malveillance ou la malfaisance personnelle des magistrats de la cour d'appel de Grenoble et du procureur général près celle-ci à son endroit ainsi que de la commission par ceux-ci de nombreuses violations volontaires de la loi civile et disciplinaire, mensonges, abus de pouvoir et de droit commis dans l'unique dessein de lui nuire, ce qui constitue une faute lourde.

L'agent judiciaire de l'Etat, qui relève que M. [W] désigne nommément des magistrats, fait valoir que l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire n'a pas vocation à entraîner le constat d'une faute personnelle d'un magistrat mais exclusivement le dysfonctionnement du service public de la justice judiciaire de sorte qu'il ne peut engager la responsabilité de l'Etat pour faute lourde afin de voir régler des différents personnels qu'il estime avoir avec certains magistrats.

Le ministère public soutient que M. [W] ne produit aucun élément de preuve soutenant le défaut d'impartialité du personnel judiciaire ayant eu à connaître de sa procédure.

Les différentes pièces produites par M. [W], notamment les interrogations par le procureur général près la cour d'appel de Grenoble du bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Grenoble sur les suites envisagées après l'incident dénoncé par le directeur du centre pénitentiaire de [Localité 6] quant à la tentative d'introduction par M. [W] dans l'établissement d'un téléphone et les outrages proférés envers les fonctionnaires de l'administration pénitentiaire, la demande du procureur général près la cour d'appel de Grenoble auprès du même bâtonnier d'engager une procédure disciplinaire à l'encontre de M. [W] à la suite d'incidents s'étant déroulés lors d'une session d'assises et les différents actes de procédure, qui traduisent l'exercice par les magistrats du siège et du parquet de la cour d'appel de Grenoble de leurs fonctions, n'établissent pas le caractère abusif de l'action engagée ou l'existence d'une volonté de nuire à l'endroit de M. [W].

En outre ce dernier ne rapporte pas la preuve des violations de la loi civile alléguées dans l'intention de lui porter préjudice. Ainsi notamment la qualification de contradictoire de l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 4 février 2016 est régulière puisque ce dernier était représenté à l'audience par son conseil, M. Pascal, avocat au barreau de Chambery et la procédure étant orale en matière disciplinaire, la cour a pu statuer contradictoirement sur les demandes qui lui ont été présentées oralement. Par ailleurs, les documents produits n'établissent pas que la même cour, dans son arrêt du 12 mai 2016, aurait statué au vu de pièces qui n'auraient pas été préalablement communiquées à M. [W], étant rappelé en tout état de cause que cet arrêt a été cassé. La décision de cette cour dans son arrêt avant dire droit du 9 juin 2016 de joindre les incidents au fond ne peut pas plus être caractérisée de fautive au vu des huit incidents de procédure, dont plusieurs requêtes aux fins de récusation et de suspicion légitime, formés par M. [W] et sa défense au cours des audiences des 2 et 9 juin 2016. Enfin, l'appréciation erronée de la cour de Grenoble sur la recevabilité de l'appel du procureur général n'est pas en soi constitutive d'une faute.

Il n'y a donc ni faute lourde ni déni de justice susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat, à ce titre.

* Sur l'interpellation et le placement en garde à vue de M. [W]

M. [W] soutient que la garde à vue et l'arrestation violente qu'il a subies étaient illégales, car réalisées en violation des articles 62 et 62-1 du code de procédure pénale voire constitutives du délit d'abus d'autorité, ce qui caractérise une faute lourde et un dysfonctionnement certain du service public de la justice. Il estime que n'ayant pas trouvé de 'magistrat assez lâche pour l'emprisonner', le procureur de la République a opté, avec 'la complicité' d'un psychiatre, pour un 'internement abusif à la mode soviétique des années 1980' alors qu'il n'avait ni commis ni tenté de commettre une infraction ce qui a été reconnu par la décision de classement sans suite prise le 30 mai 2016.

L'agent judiciaire de l'Etat répond que toutes les pièces apportées au débat témoignent de la légalité de l'interpellation et de la garde à vue qui se sont déroulées conformément aux prescriptions légales, soulignant que M. [W] avait refusé de se présenter à la convocation qui lui avait été adressée.

Le ministère public estime qu'aucune faute lourde n'est démontrée puisque :

- l'interpellation et la garde à vue subséquente de M. [W] du 23 mai 2016 ont été ordonnées dans le cadre d'une enquête de flagrance ouverte le 14 mai 2016 à son encontre pour des faits de menaces à l'encontre d'un magistrat, dénoncés par la victime, de sorte qu'il existait bien au moment des faits une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'il ait commis ou tenté de commettre un délit puni d'une peine d'emprisonnement,

- une décision de classement sans suite prononcée postérieurement à une garde à vue ne saurait, en elle-même, fonder l'illégalité de cette mesure puisque celle-ci s'apprécie au moment de la réalisation de la mesure au regard de l'existence de « raisons plausibles de soupçonner » que le gardé à vue a commis un crime ou un délit puni d'emprisonnement.

Si la responsabilité de l'Etat peut être recherchée pour faute lourde, notamment à raison de l'usage de la contrainte lors d'une convocation devant un officier de police judiciaire ou à l'occasion d'un placement en garde à vue, il appartient à celui qui l'invoque de justifier des griefs caractérisant selon lui l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi dans ces circonstances.

Il est établi que le 14 mai 2016 le procureur de la République adjoint du tribunal judiciaire de Grenoble a donné comme instructions aux services de police de mener une enquête, sous le régime de la flagrance, du chef de menace de mort ou d'atteinte aux biens dangereuse pour les personnes à l'encontre d'un magistrat, devenu acte d'intimidation commis sur un magistrat, à l'encontre de M. [W] ; que ce dernier n'ayant pas déféré à la convocation qui lui avait été adressée pour le 20 mai 2016 a été interpellé le 23 mai 2016 à son domicile, les policiers étant contraints d'utiliser la force en raison de son refus, réitéré plusieurs fois, de les suivre au commissariat ; qu'il a été placé en garde à vue le même jour à 8h35 ; qu'au cours de celle-ci, il a été entendu avec son accord et examiné à sa demande par un médecin, requis en application de l'article 63-3 du code de procédure pénale, lequel a conclu que son état de santé n'était pas compatible avec la mesure de garde à vue dans les locaux de l'hôtel de police, soulignant la nécessité d'une hospitalisation ; qu'un arrêté portant admission en soins psychiatriques a été pris par le Préfet de l'Isère le 23 mai 2016 et qu'il a été mis fin à cette mesure le 25 mai suivant.

Ainsi contrairement à ce qui est soutenu par M. [W], son interpellation et l'usage de la contrainte, rendus nécessaires par son refus de se rendre à la convocation qu'il avait reçue puis de suivre les services de police, et la mesure de garde à vue prise pour permettre l'exécution des investigations impliquant sa participation, ont été prises conformément aux articles 62-2 à 63-4-3 et 75 et suivants du code de procédure pénale, et le fait que la procédure a donné lieu à une décision de classement est sans conséquence à cet égard.

Il n'y a donc ni faute lourde ni déni de justice susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat, à ce titre.

Il y a lieu, par conséquent, confirmant le jugement en toutes ses dispositions, de débouter M. [W] de l'ensemble de ses demandes.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Condamne M. [L] [W] aux dépens d'appel,

Déboute l'agent judiciaire de l'Etat de sa demande d'indemnité procédurale.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,