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Décisions

CA Colmar, ch. 4 a, 19 janvier 2024, n° 22/00628

COLMAR

Arrêt

Autre

CA Colmar n° 22/00628

19 janvier 2024

EP/KG

MINUTE N° 24/123

Copie exécutoire

aux avocats

Copie à Pôle emploi

Grand Est

le

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

ARRET DU 19 JANVIER 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 22/00628

N° Portalis DBVW-V-B7G-HYSI

Décision déférée à la Cour : 25 Janvier 2022 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MULHOUSE

APPELANT :

Monsieur [K] [W]

[Adresse 1]

Représenté par Me Stéphane THOMANN, avocat au barreau de MULHOUSE

INTIMEE :

S.A.S. L'ECLAT D'ALSACE

prise en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 504 809 757 00017

[Adresse 2]

Représentée par Me Jean-Luc ROSSELOT, avocat au barreau de MULHOUSE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Novembre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. PALLIERES, Conseiller, en l'absence du Président de Chambre, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme DORSCH, Président de Chambre

M. PALLIERES, Conseiller

M. LE QUINQUIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme THOMAS

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe par M. PALLIERES, Conseiller, en l'absence du Président empêché,

- signé par M. PALLIERES, Conseiller et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Selon contrat à durée indéterminée du 25 janvier 2016, la Sas L'Eclat d'Alsace a engagé Monsieur [K] [W], en qualité de responsable du développement, agent de maîtrise, niveau Mp1, pour une durée mensuelle de travail de 169 heures.

La convention collective nationale applicable est celle des entreprises de propreté.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 11 avril 2019, Monsieur [K] [W] a été convoqué à un entretien préalable à une mesure éventuelle de licenciement, une mise à pied à titre conservatoire lui étant alors notifiée.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 avril 2019, la Sas L'Eclat d'Alsace lui a notifié son licenciement pour faute grave.

Par requête du 18 juin 2019, Monsieur [K] [W] a saisi le Conseil de prud'hommes de Mulhouse de demandes de contestation de son licenciement, et aux fins d'indemnisations subséquentes, outre de rappels de salaires au titre de la période de mise à pied à titre conservatoire.

Par jugement du 25 janvier 2022, le Conseil de prud'hommes, section commerce, a :

- dit que la demande est recevable mais mal fondée,

- dit et jugé que le licenciement repose sur une faute grave,

- débouté Monsieur [K] [W] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné Monsieur [K] [W] à payer à la Sas L'Eclat d'Alsace la somme de 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et les dépens.

Par déclaration du 9 février 2022, Monsieur [K] [W] a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions.

Par écritures transmises par voie électronique le 6 mai 2022, Monsieur [K] [W] sollicite l'infirmation du jugement entrepris sur les mêmes bases, et que la Cour, statuant à nouveau :

- dise et juge que son licenciement ne repose ni sur une faute grave, ni sur une cause réelle et sérieuse ;

- condamne la Sas L'Eclat d'Alsace à lui payer les sommes suivantes :

* 1 833,46 euros bruts au titre de la période mise à pied conservatoire,

* 83,35 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

* 8 405,39 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 840,54 euros bruts au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis,

* 3 589,80 euros nets à titre d'indemnité de licenciement,

le tout avec intérêts au taux légal à compter du 11 juin 2019,

* 37 824,21 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, subsidiairement, 16 810,76 euros nets,

* 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

le tout avec intérêts au taux légal à compter du jour de l'arrêt à intervenir,

outre les dépens d'appel et de première instance.

Par écritures transmises par voie électronique le 7 juin 2022, la Sas L'Eclat d'Alsace sollicite la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et la condamnation de Monsieur [K] [W] à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

L'ordonnance de clôture de l'instruction a été rendue le 27 juin 2023.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère aux conclusions susvisées pour plus amples exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS

I. Sur le licenciement pour faute grave

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

La charge de l'administration de la preuve de la faute grave repose sur l'employeur (dans le même sens, notamment, Cass. Soc 20 mars 2019 n° 17-22.068).

En l'espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les débats, comporte comme motifs:

- un désengagement, depuis quelques mois, qui a entraîné :

* des résiliations de contrats commerciaux avec trois clients ( McDonald à [Localité 5], McDonald à [Localité 4], et Intermarché à [Localité 3]),

* de multiples réclamations par des clients historiques (la lettre comporte une série d'exemples détaillés),

- des plaintes de salariés sur le comportement de Monsieur [K] [W] à leur égard : manque de respect ou de dédain, mais également le fait que les salariés n'arrivaient pas à joindre Monsieur [K] [W] et que ce dernier ne répondait pas leurs messages professionnels,

le manque d'implication et de temps passé à remplir les obligations professionnelles pouvant s'expliquer (selon l'employeur) par l'entretien d'une relation amoureuse avec une des collègues de travail et, ce également, pendant les heures de travail.

- de nombreux sms d'ordre privé, sur le téléphone professionnel, indiquant que Monsieur [K] [W] passait un temps très important à d'autres activités que celles pour lesquelles il était rémunéré : covoiturage des enfants pour des activités scolaires et sportives, ainsi que pour son épouse, courses et emplettes diverses durant la journée, rendez-vous avec son épouse dans des organismes divers (Cci'),

- un dénigrement de l'activité de la société pour dissuader un candidat au poste de chef d'agence, Monsieur [C] [T],

- la violation des obligations professionnelles, prévues au contrat de travail à l'article 9, en divulguant à des tiers, la société Saines Euroclean, des renseignements recueillis du fait de sa fonction, ainsi que de l'obligation de loyauté.

A/ Sur la prescription

Selon l'article L 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Monsieur [K] [W] invoque la prescription des faits fautifs, visés dans la lettre de licenciement au motif que les faits ne sont pas datés.

Une faute, de plus de 2 mois depuis l'engagement des poursuites, peut faire l'objet d'une sanction, si elle s'inscrit dans un phénomène répétitif, et qu'un des faits de même nature a été commis depuis moins de 2 mois de l'engagement de la procédure de licenciement.

Or, alors que l'engagement de la procédure de licenciement date du 11 avril 2019, l'employeur a visé, notamment, des faits de désengagement, du salarié, dans ses fonctions de responsabilité, qui se sont déroulés au mois de mars 2019 ((lettre recommandée du 15 mars 2019 de la société Kalliste (MacDonald's de [Localité 4]) ; courriel du 21 mars 2019 de la société Kappa Consultants), dès lors les faits fautifs, de même nature, antérieurs au 11 février 2019, s'inscrivent dans un phénomène répétitif, et ne sont pas prescrits.

B/ Sur les faits fautifs constitutifs d'une faute grave

Selon le contrat de travail, Monsieur [K] [W] avait, notamment, pour missions :

- véhiculer une image positive de la société,

- animer son portefeuille de clients par des relances régulières afin d'assurer un suivi technique et commercial efficace et de fidéliser les clients,

- assurer un soutien aux clients, intervenir sur tous les problèmes rencontrés par le client, le conseiller dans ses choix,

- gérer les plannings des agents de service en tenant compte des demandes du client,

- contrôler le travail des agents de service et s'assurer que tous les salariés respectent les consignes de sécurité qui leur ont été données et utilisent les équipements mis à leur disposition,

- mettre le personnel en place, organiser, structurer, assurer les remplacements des salariés absents (maladie, congés' ) dans les plus brefs délais,

- assurer la liaison administrative entre la Direction et les chantiers placés sous sa responsabilité.

L'employeur produit, notamment, :

1. une attestation de témoin du 27 novembre 2019 de Madame [U] [E], salariée de l'entreprise, selon laquelle ayant cédée aux avances (de nature sexuelle) de Monsieur [K] [W], pendant deux mois et demi, avec Monsieur [K] [W], ils se retrouvaient l'après-midi, après la fin des contrôles de Madame [E] sur les hôtels, durant les heures de travail de Monsieur [K] [W].

Pour contester la force probante de cette attestation de témoin, Monsieur [K] [W], qui reconnaît une relation consentie avec Madame [E], fait valoir que cette dernière est toujours salariée de la Sas L'Eclat d'Alsace et que Madame [E] a été victime de l'attitude pressante et oppressante de Monsieur [G], directeur général de la société L'Eclat d'Alsace.

Or, d'une part, la seule qualité de salarié d'une des parties n'apparaît pas suffisante pour que soit écartée la force probante de l'attestation dudit salarié, et d'autre part, par une seconde attestation de témoin, Madame [E] a contesté l'affirmation de Monsieur [K] [W] relative à des pressions de Monsieur [G], faisant état, au contraire, de pressions de Monsieur [K] [W] pour l'amener à revenir sur ses déclarations et d'un harcèlement moral de Monsieur [K] [W] sur sa personne ; harcèlement moral, pour lequel il est un fait constant, Monsieur [K] [W] a été condamné par un tribunal correctionnel.

Dès lors, il n'y a pas lieu d'écarter la force probante de l'attestation de témoin, du 27 novembre 2019, de Madame [E].

Constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail et des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, le fait pour un salarié, assumant des fonctions de responsable de développement, astreint à une durée de travail de 169 heures, d'entretenir, pendant plusieurs semaines, une relation amoureuse pendant ses horaires de travail, montrant ainsi un désengagement dans ses fonctions de responsabilité, et une volonté de ne pas respecter son obligation contractuelle essentielle de fournir la prestation de travail pour laquelle il est rémunéré.

2. une attestation de témoin de Monsieur [C] [T], selon laquelle, le 29 mars 2019, affirmant avoir été informé de sa venue au poste de chef d'agence, au sein de la Sas L'Eclat d'Alsace, Monsieur [K] [W] l'avait appelé téléphoniquement et avait essayé de le dissuader de prendre ce poste en noircissant et en critiquant la société, notamment en indiquant " les chantiers sont ingérables et en particulier les hôtels, les McDonald et tout le reste ".

Monsieur [T] ajoute que Monsieur [K] [W] lui a demandé pour quelles raisons il venait prendre son poste.

Dans sa première attestation de témoin, précitée, Madame [E] ajoute que Monsieur [K] [W] dénigrait constamment Monsieur [G] car il voulait le poste de chef d'agence que Monsieur [G] ne voulait pas lui donner.

Pour contester la force probante de l'attestation de témoin de Monsieur [T], Monsieur [K] [W] fait valoir que ses propos ont été déformés, qu'il ne s'agit que du ressenti de Monsieur [T] et qu'il ne pouvait s'enthousiasmer de la venue d'un nouveau chef d'agence, alors que ce poste lui avait été promis par l'employeur.

Or, il résulte, clairement, de l'attestation de témoin de Monsieur [T] que Monsieur [K] [W] a tenu des propos dénigrants à l'égard de son employeur, et, ce, afin de dissuader Monsieur [T], qui avait été choisi par Monsieur [G], directeur général, d'occuper un poste de chef d'agence, Monsieur [K] [W] estimant, comme précisé par Madame [E] et confirmé par les écritures de Monsieur [W], que ce poste devait lui revenir.

Constitue, également, une violation des obligations découlant du contrat de travail et des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, le fait pour un salarié de dénigrer son employeur auprès d'un candidat, retenu par l'employeur pour occuper des fonctions de responsabilité, pour dissuader ce candidat de prendre le poste souhaité par ce salarié, un tel comportement étant constitutif d'un manquement à l'obligation de loyauté attachée au contrat de travail.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit que le licenciement de Monsieur [K] [W] reposait sur une faute grave, et en ce qu'il a débouté, ce dernier, de ses demandes d'indemnisations subséquentes (indemnité de licenciement, indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis, dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse), et de rappel de salaires au titre de la période de mise à pied à titre conservatoire, outre congés payés y afférents.

II. Sur les demandes annexes

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

En application de l'article 696 du code de procédure civile, Monsieur [K] [W] sera condamné aux dépens d'appel.

Sa demande, au titre des frais irrépétibles exposés à hauteur d'appel, sera rejetée, et il sera condamné à payer à la Sas L'Eclat d'Alsace, à ce titre, la somme de 1 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

CONFIRME, en toutes ses dispositions, le jugement du 25 janvier 2022 du Conseil de prud'hommes de Mulhouse ;

Y ajoutant,

DEBOUTE Monsieur [K] [W] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés à hauteur d'appel ;

CONDAMNE Monsieur [K] [W] à payer à la Sas L'Eclat d'Alsace la somme de 1 000 euros (mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés à hauteur d'appel ;

CONDAMNE Monsieur [K] [W] aux dépens d'appel.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 19 janier 2024, signé par M. Edgard Pallières, Conseiller en l'absence du Président de Chambre empêché, et Madame Martine Thomas, Greffier.

Le Greffier, Le Conseiller,