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Décisions

CA Angers, ch. prud'homale, 25 janvier 2024, n° 21/00195

ANGERS

Arrêt

Autre

CA Angers n° 21/00195

25 janvier 2024

COUR D'APPEL

d'ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N°

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00195 - N° Portalis DBVP-V-B7F-EZUQ.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 26 Mars 2021, enregistrée sous le n° 20/00112

ARRÊT DU 25 Janvier 2024

APPELANT :

Monsieur [T] [N]

[Adresse 5]

[Localité 4]

représenté par Me Jean-Philippe PELTIER de la SCP PELTIER & CALDERERO, avocat au barreau du MANS - N° du dossier 20276

INTIMEES :

CGEA DE [Localité 3]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Luc LALANNE de la SCP LALANNE - GODARD - HERON - BOUTARD - SIMON, avocat au barreau du MANS

S.E.L.A.R.L. SBC MANDATAIRES JUDICIAIRES Prise en la personne de Maître [O] [W] ès-qualité de Mandataire Liquidateur de la Société ENVIR

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Maître Gildas BONRAISIN, avocat au barreau du MANS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Septembre 2023 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame TRIQUIGNEAUX-MAUGARS, conseiller chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Clarisse PORTMANN

Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS

Conseiller : Madame Rose CHAMBEAUD

Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN

ARRÊT :

prononcé le 25 Janvier 2024, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Clarisse PORTMANN, président, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE

La société Envir, gérée par M. [F], était spécialisée dans le domaine des travaux d'isolation d'immeubles.

M. [T] [N] a été engagé par la société Envir dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er février 2019 en qualité de directeur général, en contrepartie d'une rémunération mensuelle brute de 4 971 euros.

Sa rémunération mensuelle brute a été portée à 11 000 euros par avenant du 1er avril 2019, puis à 16 000 euros par un second avenant du 1er juin 2019, et enfin à 5 130 euros brut par un troisième avenant du 1er août 2019.

Sur requête du procureur de la République, par ordonnance du 10 février 2020, le tribunal de commerce du Mans a dessaisi M. [F] de la gestion de la société Envir, et désigné la Selarl Ajassociés en qualité d'administrateur provisoire. Ce dessaisissement faisait suite à plusieurs enquêtes diligentées par la collectivité, la gendarmerie et la DDPP ayant notamment mis en exergue la pratique de faits d'escroquerie, d'abus de bien social, de tromperie commerciale, et de mise en oeuvre de pratiques commerciales agressives.

Par jugement du 10 mars 2020 du tribunal de commerce du Mans, la société Envir a été placée en liquidation judiciaire, et la Selarl SBCMJ prise en la personne de Me [O] [W], a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Par courrier du 11 mars 2020, Me [W] ès-qualités a convoqué M. [N] à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique. Ce dernier, avisé, n'a pas réclamé ce courrier.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 16 mars 2020, Me [W] ès-qualités a notifié à M. [N] son licenciement pour motif économique en lui transmettant le contrat de sécurisation professionnelle avec un délai de réflexion expirant le 7 avril 2020. Une nouvelle fois, M. [N] en a été avisé, mais n'a pas réclamé ce courrier.

M. [N] en a demandé la copie par mail du 24 mars 2020. Celle-ci lui a été adressée par mail du même jour ainsi que les documents relatifs au contrat de sécurisation professionnelle, avec prolongation du délai de réflexion au 14 avril 2020.

Puis, par lettre du 2 avril 2020, Me [W] ès-qualités a informé M. [N] qu'elle estimait qu'il n'était en aucun cas engagé par la société Envir dans le cadre d'un contrat de travail et qu'il ne pouvait prétendre, d'une part faire l'objet d'une procédure de licenciement, et d'autre part recevoir les droits attachés à la rupture de son contrat de travail.

Par requête du 28 mai 2020, M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes du Mans afin que celui-ci constate l'existence d'un contrat de travail le liant à la société Envir et analyse la rupture de celui-ci en un licenciement pour motif économique. Il sollicitait en conséquence la condamnation de la Selarl SBCMJ, prise en la personne de Me [W], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Envir, à lui verser des dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement, une indemnité légale de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés, des dommages et intérêts pour préjudice moral, des dommages et intérêts pour résistance abusive ainsi qu'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La Selarl SBCMJ, prise en la personne de Me [W], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Envir, et l'association UNEDIC délégation AGS-CGEA de [Localité 3] se sont opposées aux prétentions de M. [N] et ont sollicité sa condamnation au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 26 mars 2021, le conseil de prud'hommes du Mans a :

- dit que M. [N] n'était pas salarié de la société Envir et que l'existence du contrat de travail n'est pas prouvée ;

- débouté en conséquence M. [N] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires y afférentes ;

- débouté également M. [N] du surplus de ses demandes ;

- condamné M. [N] au paiement d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de Me [W], ès-qualités de mandataire liquidateur de la société Envir ;

- condamné M. [N] au paiement d'une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice du CGEA UNEDIC/AGS [Localité 3] ;

- déclaré le jugement opposable au CGEA UNEDIC/AGS [Localité 3] ;

- condamné M. [N] aux entiers dépens.

M. [N] a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 29 mars 2021, son appel portant sur tous les chefs lui faisant grief ainsi que ceux qui en dépendent et qu'il énonce dans sa déclaration.

L'association UNEDIC délégation AGS-CGEA de [Localité 3] a constitué avocat en qualité d'intimée le 1er avril 2021 et la Selarl SBCMJ, prise en la personne de Me [W], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Envir le 2 avril 2021.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 30 août 2023 et le dossier a été fixé à l'audience du conseiller rapporteur de la chambre sociale de la cour d'appel d'Angers du 19 septembre 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

M. [N], dans ses dernières conclusions, adressées au greffe le 18 juin 2021, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

- dire que ses demandes sont recevables et bien fondées ;

Y faisant droit,

- réformer le jugement du conseil de prud'hommes du Mans du 26 mars 2021;

Et statuant à nouveau en toutes ses dispositions contraires à ses demandes :

- fixer au passif de la société Envir et condamner l'association UNEDIC délégation AGS-CGEA de [Localité 3] au paiement des sommes suivantes :

- 30 979,80 euros au titre de l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement ;

- 3 872,47 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

- 15 489,90 euros au titre de l'indemnité de préavis ;

- 1 548,99 euros au titre des congés payés sur préavis ;

- 5 000 euros au titre du préjudice moral ;

- 2 000 euros au titre de la résistance abusive ;

- 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Me [W], en sa qualité de représentant de la liquidation judiciaire de la société Envir, à supporter la charge des entiers dépens de l'instance.

M. [N] soutient qu'il était lié à la société Envir par un contrat de travail. Il estime prouver l'existence de celui-ci en produisant le contrat de travail du 1er février 2019, plusieurs avenants et ses bulletins de paie. Il affirme que Me [W] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Envir, ne remet pas utilement en cause la réalité du travail réalisé pour la société Envir. À cet égard, il indique qu'il était en charge de la gestion des sous-traitants, des flux financiers entre les clients et le pôle administratif de la société, de la flotte des véhicules, et du personnel. Il ajoute que ces missions n'étaient pas de la compétence du responsable technique, lequel n'était en tout état de cause pas en poste lors de son recrutement par la société Envir. Il affirme également que les prétendues infractions reprochées ne permettent pas d'établir l'inexistence de son contrat de travail.

M. [N] prétend par ailleurs que Me [W], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Envir, fait preuve de résistance abusive en tentant d'imposer des affirmations fausses et non fondées à l'aide d'un dossier sans aucun élément.

Enfin, M. [N] observe que Me [W], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Envir, n'a pas respecté la procédure de licenciement économique en ne procédant ni à l'entretien préalable ni à la recherche de reclassement et en ne lui envoyant aucune lettre de licenciement.

*

La Selarl SBCMJ, prise en la personne de Me [W], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Envir, dans ses dernières conclusions, adressées au greffe le 16 juillet 2021, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

- débouter M. [N] de l'intégralité de ses demandes formulées en cause d'appel à son encontre ;

- en conséquence, confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes du Mans le 26 mars 2021 ;

- condamner M. [N] à hauteur de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à son bénéfice ;

- condamner M. [N] aux entiers dépens ;

- déclarer l'arrêt à intervenir opposable à l'association UNEDIC délégation AGS-CGEA de [Localité 3].

Me [W] ès-qualités conteste l'existence d'un contrat de travail liant M. [N] à la société Envir et rappelle qu'il revient à celui qui se prévaut de l'existence d'un contrat de travail d'en rapporter la preuve en démontrant l'existence d'une prestation de travail, d'une rémunération en contrepartie de cette prestation, et d'un lien de subordination.

S'agissant de la prestation de travail, Me [W] ès-qualités fait valoir que M. [N] ne justifie pas des attributions qui auraient été les siennes en sa qualité de directeur général de la société Envir. À cet égard, elle indique que M. [N] s'est vu confier les tâches relatives à la partie technique opérationnelle de la société alors que ces missions étaient réalisées par le responsable technique de la société, M. [I], dès le 4 mars 2019. Elle s'étonne alors du recrutement de M. [I] quelques semaines après l'embauche de M. [N] pour réaliser des missions similaires et en déduit qu'il n'effectuait pas réellement les missions contractuellement prévues. Elle souligne également l'absence d'élément produit par M. [N] quant à son activité professionnelle tel que son agenda ou encore son emploi du temps.

Me [W] ès-qualités affirme ensuite que M. [N] ne démontre pas l'existence d'un lien de subordination dès lors qu'il ne communique aucun élément permettant de justifier l'exercice d'une prestation de travail sous l'autorité de la société Envir et de M. [F] dont il était l'alter ego.

Elle soulève par ailleurs un déséquilibre flagrant entre la prestation de travail non justifiée de M. [N] et sa rémunération annuelle brute s'élevant à plus de 132 000 euros pour l'année 2019 dont une prime de 35 000 euros trois semaines seulement avant que la société Envir ne soit placée en cessation de paiement. Elle estime alors que cette rémunération élevée a contribué aux difficultés économiques de la société Envir.

Me [W] ès-qualités soutient encore que M. [N] avait une double casquette dans la mesure où il était l'associé unique de la société [N] Réseau tout en étant rémunéré par la société Envir sans prestation de travail avérée, et ce alors qu'il facturait des prestations administratives auprès de la société Envir par l'intermédiaire de sa société.

Enfin, Me [W] ès-qualités conteste tout manquement à la procédure de licenciement. Elle assure ainsi avoir convoqué M. [N] à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement fixé le 19 mars 2020 par courrier du 11 mars 2020, avoir recherché des postes de reclassement auprès des sociétés du groupe auquel était intégrée la société Envir ainsi qu'en externe, avoir notifié à M. [N] son licenciement pour motif économique par courrier du 16 mars 2020 et avoir transmis le contrat de sécurisation professionnelle avec un délai de réflexion venant à terme le 7 avril 2020. Elle précise qu'elle a dû anticiper l'envoi du courrier de notification de licenciement au 16 mars 2020, date de la mise en oeuvre du confinement national dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid 19, soulignant que ce courrier n'a pas pu être délivré à M. [N] dans la mesure où il n'était pas confiné à son domicile, et qu'elle lui a par conséquent transmis une copie de ce courrier par mail du 24 mars 2020 en prolongeant le délai de réflexion quant au contrat de sécurisation professionnelle jusqu'au 14 avril 2020.

*

L'association UNEDIC délégation AGS-CGEA de [Localité 3], dans ses conclusions, régulièrement communiquées, adressées au greffe le 23 août 2021, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, demande à la cour de :

- donner acte à l'AGS de son intervention par le CGEA de [Localité 3] ;

- à titre principal, confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes du Mans du 26 mars 2021 et notifié le 29 mars 2021 ;

- par voie de conséquence, dire et juger que M. [N] n'était pas salarié de la société Envir et le débouter de l'ensemble de ses demandes indemnitaires y afférentes ;

- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où une créance serait fixée au profit de M. [N] à l'encontre des organes de la procédure collective de la société Envir, dire et juger que cette créance ne sera garantie par le CGEA de [Localité 3] que dans les limites prévues par l'article L.3253-8 du code du travail et les plafonds prévus aux articles L.3253-17 et D.3253-5 du même code et que sont notamment exclus de la garantie :

- les charges sociales patronales et les charges sociales qui ne seraient pas d'origine légale ou conventionnelle imposée par la loi ;

- les frais divers de gestion et d'équipement des entreprises avancés par les salariés (achat de petit matériel, de fournitures diverses, etc') ;

- les créances des dirigeants et mandataires sociaux ;

- les créances résultant de l'exécution des décisions de justice et non du contrat de travail (frais de justice, article 700 du code de procédure civile, astreinte, dommages et intérêts pour résistance abusive, etc') ;

- les créances résultant d'une action dirigée contre l'employeur et non de l'exécution du contrat de travail (cotisations retraite, mutuelle, diverses prestations sociales reversées par l'employeur) ;

- en l'absence de liquidation judiciaire, les salaires et accessoires de salaires nés après la date de jugement prononçant le redressement judiciaire (article L.3253-8 1er alinéa du code du travail) ;

- les indemnités de rupture des salariés licenciés hors des différentes périodes légales de garantie (article L.3253-8 2ème alinéa du code du travail) ;

- en cas de liquidation judiciaire, les salaires et accessoires de salaires de poursuite d'exploitation dépassant la limite de garantie fixée en durée et en montant à 1,5 mois des salaires habituels bruts, et à 3 fois le plafond mensuel de la sécurité sociale (article L.3253-8 5ème alinéa et D.3253-2 du code du travail) ;

- les créances dépassant, par salarié, toutes créances confondues le montant général des avances fixé aux articles L.3253-17 et D.3253-5 du code du travail. La garantie de l'AGS est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis à l'article D.3253-5 du code du travail ;

* le plafond de garantie applicable aux faits de l'espèce est le plafond 5 soit 68 560 euros, sachant que le contentieux relève de l'article L.625-1 ;

- il y a lieu de rappeler que le CGEA ne pourra en tous les cas être condamné à verser les bulletins de salaires, les relevés de congés payés, le certificat de travail ou l'attestation d'employeur destinée à Pôle emploi.

- à titre reconventionnel, condamner M. [N] au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'association UNEDIC délégation AGS-CGEA de [Localité 3] fait valoir que M. [N] ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un contrat de travail. Elle indique d'une part que M. [N] ne produit aucun élément de nature à démontrer la réalisation d'une prestation de travail pour la société Envir. Elle souligne d'autre part que la rémunération perçue par M. [N] n'est pas un élément suffisant pour démontrer l'existence d'un contrat de travail dans la mesure où celle-ci doit être la contrepartie de la prestation de travail. Enfin, elle souligne l'absence de lien de subordination entre M. [N] et M. [F], président de la société Envir.

Le CGEA de [Localité 3] fait ensuite valoir que la procédure de licenciement pour motif économique n'avait pas à s'appliquer compte tenu de l'absence de qualité de salarié de M. [N] au sein de la société Envir.

Enfin, il indique que M. [N] ne produit aucun élément permettant d'attester la réalité de préjudice moral invoqué.

MOTIVATION

Sur l'existence d'un contrat de travail

Il résulte des articles L.1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d'autrui moyennant rémunération. Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles la prestation de travail s'est exécutée.

En présence d'un contrat de travail écrit ou apparent, il appartient à la partie qui entend en contester l'existence de rapporter la preuve de son caractère fictif ou de démontrer qu'au-delà de la dénomination donnée à ce contrat, les conditions de fait dans lesquelles une prestation a pu être accomplie ne correspondaient pas à l'exécution d'un contrat de travail.

Les juges du fond apprécient souverainement les éléments de nature à caractériser le caractère fictif du contrat de travail et notamment l'existence d'un lien de subordination.

En l'espèce, M. [N] communique un contrat de travail à durée indéterminée signé le 1er février 2019 aux termes duquel il est engagé en qualité de directeur général chargé de gérer la partie technique opérationnelle de l'entreprise. Suit ensuite la liste de ses missions : 'planifier les poses, encadrer les SAV, recruter les techniciens et gérer les absences, gérer avec les fournisseurs, optimiser les trajets kilométriques, prendre sous sa responsabilité les chefs de camion et responsables techniques, intervenir en appoint sur les chantiers au besoin, contrôler la qualité des travaux chez les particuliers.'

Il produit ensuite deux avenants au contrat de travail modifiant sa rémunération au 1er avril 2019 et au 1er juin 2019.

Il justifie en outre de bulletins de salaire à compter de son embauche et sur toute la période de travail, lesquels mentionnent un emploi de directeur général, position A, et font apparaître les cotisations réglementaires, notamment à l'assurance chômage.

Il verse enfin aux débats, un document de travail relatif au remodelage de la cellule technique.

Ainsi, l'ensemble de ces éléments conduit à retenir l'existence d'un contrat de travail apparent, étant précisé que M. [N] ne figurait pas sur l'extrait Kbis de la société Envir en qualité de directeur général.

Par suite, il appartient à Me [W] ès-qualités et au CGEA de [Localité 3] qui contestent l'existence de ce contrat de travail, d'en démontrer le caractère fictif.

Pour justifier de l'absence de lien de subordination, Me [W] ès-qualités verse aux débats la déclaration de cessation des paiements de la société Envir laquelle a été fixée au 22 janvier 2020 par le tribunal de commerce, de laquelle il ressort que celle-ci est à l'arrêt sans perspective de redressement suite à plusieurs enquêtes la concernant ainsi que les deux autres sociétés du groupe dirigées par M. [F] consécutives à des plaintes de clients estimant avoir été abusés. Ces enquêtes ont donné lieu à la mise en oeuvre d'une procédure pénale lors de laquelle M. [N] a été attrait

personnellement ainsi qu'en qualité de gérant de la société [N] Réseau, distincte des sociétés du groupe [F], et à un jugement du tribunal correctionnel du Mans le 31 août 2020.

Ce jugement mentionne, certes, que l'intéressé est 'l'alter ego' de M. [F]. Il n'explicite cependant pas plus avant cette formule et fait également état de sa qualité de salarié de la société Envir. En outre, s'il apparaît que M. [N] a été reconnu coupable de certaines infractions, il doit être relevé que ce jugement n'est pas définitif en ce qu'il en a interjeté appel.

Le liquidateur affirme ensuite que les fonctions qui lui étaient attribuées étaient en réalité exercée par le responsable technique, M. [I]. Or, il ressort du contrat de travail de M. [I] que ce dernier a été embauché le 4 mars 2019, soit après M. [N], et que ses missions étaient les suivantes :'contrôler les camions le vendredi et s'assurer de leur bon rangement intérieur et de leur propreté extérieure, s'assurer que les directives de présentation en clientèle soient bien respectées par chaque technicien, s'assurer que les camions restent bien au dépôt chaque soir, gérer le pointage horaire de chaque technicien, atteindre les objectifs fixés par la direction, gérer le SAV+stock, gérer le planning de pose, organiser des activités de groupe trimestriel, recruter à la demande de la direction, poser mensuellement une somme de chantier dont la valeur excède 60 K€'.

Il en résulte que si la gestion du SAV et du planning de pose relevaient également des fonctions de M. [N], M. [I] n'était chargé ni de la gestion des absences du personnel, ni de la gestion des fournisseurs, ni du contrôle de la qualité des travaux, qu'il ne pouvait recruter qu'à la demande de la direction, qu'il était chargé de tâches non imparties à M. [N], et qu'en tout état de cause, au vu de la fiche de poste de ce dernier, il lui était subordonné de même que les chefs de camion sur lesquels il n'avait aucune autorité hiérarchique.

Me [W] ès-qualités observe ensuite que l'embauche d'un directeur général à un tel niveau de rémunération ne se justifiait pas au regard de l'effectif de sept salariés employés par la société Envir. Pour autant, aucun texte n'impose un seuil d'effectif minimum pour l'embauche d'un tel salarié dont le recrutement et la rémunération relèvent de la seule prérogative de l'employeur, étant précisé que la société Envir réalisait un chiffre d'affaires de l'ordre de 8 millions d'euros avant sa mise en liquidation dont la cause originelle ne réside pas dans des difficultés économiques, mais dans les enquêtes diligentées à l'initiative du ministère public, lesquelles ont été transmises le 6 février 2020 et ont entraîné une liquidation quasi-immédiate.

Enfin, Me [W] ès-qualités relève que M. [N] était parallèlement gérant et unique associé de la société [N] Réseau, et affirme que cette société facturait l'intégralité de ses prestations administratives à la société Envir ainsi qu'à une autre société du groupe [F], et que partant, il 'jouait sur les deux tableaux'. Pour autant, cet élément de contexte, si tant est qu'il soit avéré, est inopérant à démontrer le caractère fictif du contrat de travail et ne relève éventuellement que de l'exécution de celui-ci.

Il ressort de ces éléments que Me [W] ès-qualités et le CGEA de [Localité 3] ne démontrent ni l'inexistence d'un lien de subordination, ni l'absence de prestation de travail, et que partant, ils échouent à démontrer le caractère fictif du contrat de travail de M. [N].

Il s'en déduit que M. [N] était lié à la société Envir par un contrat de travail.

Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur les demandes

1. Sur le préavis et l'indemnité de licenciement

L'article R.1234-4 du code du travail dispose que : « Le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :

1° Soit le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement ou lorsque la durée de service du salarié est inférieure à douze mois, la moyenne mensuelle de la rémunération de l'ensemble des mois précédent le licenciement ;

2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion. »

Au vu de ses bulletins de salaire, M. [N] a perçu un salaire moyen de 11 517,69 euros sur les douze derniers mois, et un salaire moyen de 8 935,79 euros sur les trois derniers mois, ce dernier montant étant calculé après avoir pris en compte la prime exceptionnelle de 35 000 euros versée en décembre 2019 à due proportion.

Au vu de son ancienneté, il convient de lui allouer une indemnité compensatrice de préavis de 11 517,69 euros brut correspondant à un mois de salaire, les congés payés afférents d'un montant de 1 151,77 euros brut, et une indemnité de licenciement de 3119,37 euros, lesquelles seront inscrites au passif de la liquidation de la société Envir.

Le jugement est infirmé de ces chefs.

2. Sur le non-respect de la procédure de licenciement

Aux termes de l'article L.1235-2 dernier alinéa du code du travail 'lorsqu'une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d'un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L.1232-2, L.1232-3, L.1232-4, L.1233-11, L.1233-12 et L.1233-13 ait été observée ou sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.'

M. [N] ne remet pas en cause le motif économique de son licenciement, mais se prévaut de l'irrégularité de la procédure en ce que l'entretien préalable n'a pas eu lieu, qu'aucune recherche de reclassement n'est intervenue, et que la lettre de licenciement ne lui a pas été envoyée.

Me [W] ès-qualités fait valoir que la procédure de licenciement a été diligentée alors même que le confinement venait d'être décidé par le président de la République et que face à cet événement exceptionnel, faute de pouvoir tenir l'entretien préalable prévu le 19 mars 2020, elle a anticipé la notification du licenciement par lettre du 16 mars 2020, laquelle a régulièrement été adressée à l'intéressé. Elle affirme ensuite avoir effectué des recherches de reclassement tant au sein du groupe qu'en externe.

Me [W] ès-qualités justifie d'une part, avoir effectué des recherches de reclassement auprès des sociétés du groupe et en externe, dont l'absence n'aurait au demeurant pas eu pour effet de rendre la procédure irrégulière mais le licenciement sans cause réelle et sérieuse, et d'autre part avoir adressé la lettre de licenciement le 16 mars 2020 au domicile de M. [N], lequel en a été avisé et ne l'a pas réclamée faute d'être confiné dans ce lieu. Elle l'en a d'ailleurs informé par mail du 24 mars 2020 et la lui a ré-adressée par mail du même jour

en prolongeant le délai de réflexion relatif au contrat de sécurisation professionnelle.

Il est constant en revanche que l'entretien préalable n'a pas eu lieu, alors que la lettre de convocation à cet entretien du 11 mars 2020 prévoyait que celui-ci se tiendrait le 19 mars 2020.

A cette époque, le pays devait faire face à une situation inédite. Pour autant, si des ordonnances ont été prises en urgence afin de proroger les délais de prescription, aucun texte n'a cependant permis de déroger aux dispositions des articles L.1232-2 et L.1232-3 du code du travail prévoyant que l'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable, et qu'au cours de cet entretien, l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié.

M. [N] en a subi un préjudice que la cour est en mesure d'évaluer à la somme de 1 000 euros, étant rappelé que lui-même n'a pas retiré la lettre de convocation à cet entretien préalable qui a été retournée au liquidateur.

Le jugement est infirmé de ce chef.

3. Sur le préjudice moral et la résistance abusive

M. [N] prétend avoir subi un préjudice moral du fait de l'absence de licenciement et de la contestation par le liquidateur de la réalité de son contrat de travail en ce qu'il a été dans l'impossibilité d'honorer ses impôts.

Il produit à cet égard un avis de rejet de prélèvement d'un montant de 4 778 euros datant du 25 septembre 2020, soit plus de six mois après la rupture de son contrat de travail, sans donner d'élément sur sa situation pendant cette période alors qu'il est établi par ailleurs qu'il est gérant de la société [N] Réseau sur laquelle il ne donne pas davantage d'élément. Partant, le lien de causalité entre la contestation de l'existence de son contrat de travail et les difficultés qu'il invoque n'est pas avéré.

Par ailleurs, il n'est pas établi que Me [W] ès-qualités ait commis une faute en s'opposant aux demandes de M. [N], l'appréciation inexacte de la situation de l'intéressé ne suffisant pas à caractériser l'abus.

Par conséquent, M. [N] doit être débouté de ses demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral et de dommages et intérêts pour résistance abusive.

Le jugement est confirmé de ces chefs.

Sur la garantie du CGEA-AGS de [Localité 3]

Le présent arrêt sera déclaré commun et opposable au CGEA-AGS de [Localité 3] dans les limites et plafonds prévus par la loi.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement est infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile sauf en ce qu'il a débouté M. [N] de ce dernier chef.

L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. [N] qui sera débouté de cette demande présentée en appel.

Me [W] ès-qualités qui succombe à l'instance est condamnée aux dépens de première instance et d'appel, et déboutée de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentées en première instance et en appel.

De la même manière, le CGEA-AGS de [Localité 3] est débouté de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentées en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes du Mans du 26 mars 2021 sauf en ce qu'il a débouté M. [T] [N] de ses demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral et de dommages et intérêts pour résistance abusive ainsi que de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant :

DIT que la relation liant M. [T] [N] à la Sasu Envir s'analyse en un contrat de travail ;

FIXE la créance de M. [T] [N] au passif de la Sasu Envir aux sommes suivantes :

- 11 517,31 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 1151,73 euros brut à titre de congés payés afférents ;

- 3 119,37 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

- 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement ;

DÉCLARE le présent arrêt commun et opposable au CGEA de [Localité 3], unité déconcentrée de l'UNEDIC, association agissant en qualité de gestionnaire de l'AGS, dans les limites et plafonds prévus par la loi ;

DEBOUTE M. [T] [N] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée en appel ;

DEBOUTE la Selarl SBCMJ, prise en la personne de Me [W], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la Sasu Envir, et le CGEA de [Localité 3], unité déconcentrée de l'UNEDIC, association agissant en qualité de gestionnaire de l'AGS de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentées en première instance et en appel ;

CONDAMNE la Selarl SBCMJ, prise en la personne de Me [W], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la Sasu Envir aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Viviane BODIN Clarisse PORTMANN