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Décisions

CA Amiens, 5e ch. prud'homale, 7 février 2024, n° 23/00264

AMIENS

Arrêt

Autre

CA Amiens n° 23/00264

7 février 2024

ARRET



[U]

C/

S.A. SIP D'HLM

copie exécutoire

le 07 février 2024

à

Me MARRAS

Me HY-DENTIN

EG/IL/

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 07 FEVRIER 2024

*************************************************************

N° RG 23/00264 - N° Portalis DBV4-V-B7H-IUW4

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AMIENS DU 19 DECEMBRE 2022 (référence dossier N° RG 21/00148)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [I] [U]

né le 30 Octobre 1971 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 3]

représenté et concluant par Me Giuseppina MARRAS de la SCP DELARUE VARELA MARRAS, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me François-Julien SCHULLER, avocat au barreau d'AMIENS

ET :

INTIMEE

S.A. SIP D'HLM agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée et concluant par Me Florence HY-DENTIN de la SELAS FIDAL, avocat au barreau d'AMIENS,

représenté par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Alexis DAVID, avocat au barreau d'AMIENS, avocat postulant

DEBATS :

A l'audience publique du 13 décembre 2023, devant Mme Eva GIUDICELLI, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Mme [G] [K] indique que l'arrêt sera prononcé le 07 février 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme [G] [K] en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 07 février 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [U], né le 30 octobre 1971, a été embauché à compter du 2 septembre 1996 dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée transformé en contrat de travail à durée indéterminée par la société SIP d'HLM (la société ou l'employeur), en qualité d'assistant au contrôleur de gestion.

Au dernier état de la relation contractuelle, il exerçait les fonctions d'auditeur interne.

La société SIP d'HLM compte plus de 10 salariés. La convention collective applicable est celle des personnels des sociétés anonymes et fondations d'HLM.

M. [U] a été placé en arrêt-maladie à compter du 8 mars 2021.

Par courrier du 21 avril 2021, il a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire et a été convoqué à un entretien préalable fixé au 30 avril 2021.

Il a saisi le conseil de prud'hommes d'Amiens le 28 avril 2021 d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Par courrier du 5 mai 2021, il a été licencié pour faute grave.

Contestant la licéité et la légitimité de son licenciement, M. [U] a de nouveau saisi le conseil de prud'hommes d'Amiens le 4 juin 2021.

Par jugement du 19 décembre 2022, le conseil a :

ordonné la jonction des deux affaires F21/00148 et F21/00210 sous le numéro de répertoire général F 21/00148 ;

dit n'y avoir lieu à prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [U];

dit et jugé qu'aucun élément ne permettait de présumer et caractériser une situation de harcèlement moral ;

débouté M. [U] de sa demande tendant à prononcer la nullité du licenciement intervenu et de sa demande de dommages et intérêts ;

dit que les faits reprochés à M. [U] n'étaient pas prescrits ;

dit que les éléments incriminants avaient été obtenus de manière régulière et licite;

dit que le licenciement de M. [U] reposait bien sur une faute grave ;

débouté M. [U] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires et accessoires

dit que la procédure initiée par M. [U] ne revêtait pas un caractère abusif et débouté la société SIP d'HLM de sa demande de dommages et intérêts fondée sur les dispositions de l'article 32-1 du code de procédure civile et 1240 du code civil

condamné M. [U] à payer à la société SIP d'HLM la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

M. [U], régulièrement appelant de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 août 2023, demande à la cour de :

infirmer la décision en ce qu'elle a :

- dit n'y avoir lieu à prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail

- dit et jugé qu'aucun élément ne permettait de présumer et caractériser une situation de harcèlement moral ;

- l'a débouté de sa demande tendant à prononcer la nullité du licenciement intervenu et de sa demande de dommages et intérêts ;

- dit que les faits qui lui sont reprochés n'étaient pas prescrits ;

- dit que les éléments incriminants avaient été obtenus de manière régulière et licite ;

- dit que son licenciement reposait bien sur une faute grave ;

- l'a débouté de l'intégralité de ses demandes indemnitaires et accessoires ;

- l'a condamné à payer à la société SIP d'HLM la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Et statuant à nouveau,

Sur la résiliation judiciaire à titre principal :

constater les manquements graves imputables à l'employeur de nature à entraîner la résiliation judiciaire du contrat de travail.

En conséquence,

constater que la résiliation judiciaire produira les effets d'un licenciement nul et à titre subsidiaire dénué de cause réelle et sérieuse ;

condamner l'employeur au paiement des sommes suivantes :

- 91 512 euros au titre de la nullité de la rupture ;

- 67 042,50 euros net de toutes charges sociales au titre des dommages et intérêts au visa de l'article L.1235-3 du code du travail sur la résiliation produisant les effets d'un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;

Sur la demande d'invalidation du licenciement à titre subsidiaire :

- constater le harcèlement moral imputable à l'employeur de nature à entrainer la nullité du licenciement pour faute grave ;

- constater que les faits visés à la lettre de licenciement sont prescrits ;

- constater que les procédés utilisés à l'appui des griefs évoqués dans la lettre de licenciement sont illicites ;

- constater que le licenciement pour faute grave intervient dans le cadre de la dénonciation des faits de harcèlement moral subis par le salarié dans le contexte d'une grande souffrance au travail de ce dernier ;

- constater qu'aucun abus de droit n'étant caractérisé, les griefs contenus à la lettre de licenciement portent atteinte à la liberté d'expression du salarié de sorte que le licenciement prononcé en violation de cette liberté fondamentale est nul par application des dispositions de l'article L.1121- un du code du travail ;

En conséquence,

- annuler le licenciement notifié le 5 mai 2021 lequel produira les effets d'un licenciement nul ;

- condamner l'employeur à verser la somme de 91 512 euros au titre de la nullité du licenciement ;

- à titre subsidiaire, requalifier le licenciement comme étant un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié n'ayant commis aucune faute ;

- condamner en conséquence l'employeur au paiement de la somme de 67 042,50 euros net de toutes charges sociales au titre des dommages et intérêts au visa de l'article L.1235-3 du code du travail ;

- à titre infiniment subsidiaire, requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;

Et, en tout état de cause,

condamner l'employeur au paiement des sommes suivantes :

- 38 310 euros à titre des dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi ;

- 11 493 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 1 149,30 euros au titre des congés payés sur préavis ;

- 37 352,25 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;

- 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

dire et juger que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine de la juridiction prud'homale ;

condamner l'employeur aux entiers dépens, en ce compris les frais liés à l'exécution de la décision ;

confirmer la décision pour le surplus.

La société SIP d'HLM, par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 septembre 2023, demande à la cour de :

confirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit qu'il n'y avait pas lieu à prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [U] aux torts de l'employeur faute d'éléments probants sur les manquements qui lui sont reprochés ;

- dit et jugé qu'aucun élément ne permettait de présumer et caractériser une situation de harcèlement moral ;

- dit et jugé que le licenciement de M. [U] était bien justifié par une faute grave ;

- débouté M. [U] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

- condamné M. [U] à lui verser 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et préjudice moral ;

condamner M. [U] à lui verser les sommes suivantes :

- 10 000 euros au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile et 1240 du code civil ;

- 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et le condamner aux entiers dépens.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS

1/ Sur l'existence d'un harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L.1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que, sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

M. [U] s'estime victime d'un harcèlement moral, ayant porté atteinte à sa santé, caractérisé par :

- sa mise à l'écart manifestée par son exclusion de la formation de management fin 2020, du COPIL et des réunions importantes, l'absence d'examen et de prise en compte de ses rapports d'audit ou de ses propositions d'audit, l'absence d'information sur le suivi des rapports d'audit,

- une volonté de le rabaisser par une attitude dénigrante de son supérieur hiérarchique et l'embauche envisagée d'une qualiticienne à un niveau de salaire supérieur au sien,

- un manque de considération par l'absence d'augmentation de son salaire malgré une nouvelle tâche de formation et d'encadrement du qualiticien nouvellement embauché, son changement de direction sans information préalable dans un organigramme diffusé lors d'une présentation publique,

- son isolement du fait de son changement de bureau,

- l'envoi de messages religieux par son employeur.

L'employeur oppose l'absence d'élément probant laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral et souligne le caractère mensonger de l'attestation de M. [A], collègue de M. [U] licencié concomitamment pour des raisons similaires.

Au vu de la lettre de licenciement de M. [A] du 9 avril 2021 qui recoupe certains griefs reprochés à M. [U] lors de son propre licenciement quant au dénigrement de certains salariés et notamment du directeur général, l'attestation de celui-ci en faveur de M. [U], qui reste générale et interprétative sur sa mise à l'écart et l'attitude humiliante de sa hiérarchie, ne présente pas les garanties d'objectivité requises pour valoir force probante.

Il convient donc de se fonder sur d'autres éléments pour vérifier la matérialité des faits invoqués.

Si M. [U] fait effectivement référence dans son courrier de demande de rupture conventionnelle du 10 mars 2021 à une dégradation progressive de sa situation professionnelle, et détaille dans un courrier à l'inspection du travail du 30 mars 2021 une liste de griefs, force est de constater que ces allégations ne sont pas corroborées par les comptes-rendus d'entretien d'évaluation annuelle et de bilan professionnel produits par l'employeur pour la période de 2013 à 2020, qui signalent une certaine démotivation à partir de 2018 par manque de temps pour faire le travail et envie de gagner en responsabilités mais ne formulent aucune plainte précise.

Il convient d'ailleurs de noter qu'il a été entendu dans sa demande de soutien et d'évolution de ses missions puisqu'un qualiticien a été recruté courant octobre 2020 et placé sous sa responsabilité.

Le fait qu'il ait répondu le 11 août 2020 lors de son entretien d'évaluation « s'être senti (') à l'écart en 2019 » au sein de la société à la question sur le caractère satisfaisant de l'ambiance et des relations humaines alors qu'il ne mentionne aucune difficulté à son poste de travail et dans son service n'est pas suffisamment explicite pour l'interpréter dans le sens allégué, son exclusion à titre personnel des réunions importantes et du COPIL ainsi que l'absence de prise en considération de son travail par sa hiérarchie n'étant étayées par aucune pièce probante.

Il en va de même pour l'allégation de l'existence d'une attitude dénigrante de son supérieur hiérarchique qui s'accommode mal des termes « autonomie et confiance » qu'il utilise dans les comptes-rendus d'évaluation pour décrire la relation de travail avec ce dernier.

Il ne justifie pas plus avoir fait la demande d'une formation au management et d'une augmentation de salaire qui lui auraient été refusées au vu de sa nouvelle mission de formation et d'encadrement du chargé de mission qualité recruté en octobre 2020, ni qu'une décision de le rattacher au directeur ressources et performance et non plus au directeur général avait été prise alors que l'organigramme officiellement diffusé le 26 janvier 2021 montre le contraire et qu'il n'apporte aucun élément permettant d'établir qu'un revirement à ce sujet a eu lieu du fait de son intervention.

L'existence d'une mise à l'écart, d'une attitude dénigrante de son supérieur hiérarchique et d'un manque de considération ne sont donc pas matériellement établis.

En revanche, M. [U] produit un message contenant effectivement une phrase à connotation religieuse adressé à l'ensemble du personnel par le directeur général le 18 décembre 2020.

Il est, par ailleurs, constant que courant 2020, il a été envisagé d'embaucher une qualiticienne à un salaire supérieur au sien alors qu'il devait être son supérieur hiérarchique et qu'il a changé de bureau.

Ces faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Il appartient, dès lors, à l'employeur de combattre cette présomption en prouvant qu'ils étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L'employeur se prévaut du caractère bienveillant du message adressé à l'ensemble des salariés le 18 décembre 2020, explique que M. [U] a été associé au recrutement de la qualiticienne et affirme que le changement de bureau visait à le rapprocher de la direction générale à laquelle il était rattaché.

Concernant le premier point, la volonté d'adresser à l'ensemble des salariés des v'ux particulièrement réconfortants l'année de la pandémie de covid-19 apparaissant clairement dans le message du 18 décembre 2020, l'insertion d'une image sur la nativité et d'une phrase à connotation religieuse n'apparait pas déplacée.

Concernant le point suivant, il ressort des échanges de courriels produits que le niveau de salaire envisagé correspondait aux desiderata de la candidate particulièrement qualifiée et non à une proposition de la société, que M. [U] a été associé à ce recrutement et qu'au vu de sa remarque sur la difficulté qu'il aurait à encadrer une personne mieux rémunérée que lui, la solution de la rattacher directement au directeur général avait été trouvée sans qu'il signale une quelconque difficulté quant à ce choix d'organisation.

Dès lors, l'employeur, qui a un intérêt certain à recruter du personnel qualifié et a pris en compte les craintes exprimées par M. [U], prouve que les conditions de ce recrutement étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Concernant le dernier point, le changement de bureau du salarié étant cohérent avec son rattachement à la direction générale, qu'il revendique par ailleurs, et le témoignage de M. [D], qualiticien attaché au même service, démentant toute situation d'isolement, l'employeur prouve donc également que cette décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au vu de ces éléments, l'existence d'agissements répétés de harcèlement moral ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel n'est pas établie.

C'est donc à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande de dommages et intérêts de M. [U] pour harcèlement moral.

2/ Sur la rupture du contrat de travail

2-1/ sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail

Dans le cadre de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, M. [U] invoque les faits présentés au soutien de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

L'employeur conteste l'existence d'un harcèlement moral.

La voie de la résiliation judiciaire est ouverte au salarié qui invoque que l'employeur a gravement manqué à son égard à ses obligations contractuelles, légales ou conventionnelles.

Lorsque les manquements de l'employeur à ses obligations légales, conventionnelles ou contractuelles sont établis, ont revêtu une gravité suffisante et empêchent la poursuite du contrat de travail, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail doit être accueillie et produit, tous les effets attachés à un licenciement prononcé sans cause réelle et sérieuse ou nul, avec effet à la date du licenciement intervenu en cours de procédure.

En l'espèce, il résulte des développements précédents que la réalité ou le caractère fautif des griefs invoqués par le salarié ne sont pas établis.

Il convient donc de rejeter la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail par confirmation du jugement entrepris.

2-2/ sur la demande de nullité du licenciement

M. [U] soutient que son licenciement est intervenu alors que l'employeur s'est rendu fautif de harcèlement moral à son encontre et qu'il a invoqué des motifs attentatoires à sa liberté d'expression qu'il a exercée sans abus.

L'employeur répond que les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont sans lien avec le harcèlement dénoncé par le salarié qui n'est de toute façon pas établi, et souligne que la saisine du conseil des prud'hommes en résiliation judiciaire du contrat de travail est postérieure à la convocation à l'entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement pour faute grave.

Est nul le licenciement d'un salarié à raison de son témoignage sur un harcèlement moral ou parce qu'il a subi ou refusé de subir un harcèlement moral, ou prononcé en violation de sa liberté d'expression à condition qu'elle ne dégénère pas en abus.

En l'espèce, M. [U] dans ses développements concernant la demande en nullité du licenciement indique uniquement « en l'espèce, il n'échappera pas au Conseil de Prud'hommes que la SIP s'est rendue fautive de harcèlement moral à l'encontre du salarié ».

La cour constate donc que le moyen de nullité est fondé sur sa qualité de victime d'un harcèlement moral et non pour avoir dénoncé un tel harcèlement.

L'existence d'un harcèlement moral n'ayant pas été retenue, la cause de nullité du licenciement invoquée à ce titre ne peut prospérer.

Concernant l'atteinte à la liberté d'expression, le grief de dénigrement et discrimination de certains salariés de la société dont le directeur général visé dans la lettre de licenciement s'appuie sur des échanges de courriels entre M. [U] et M. [A], collègues de travail, tels que :

Email du 21/3/2019 de [H] [A] « laisse toi charmer » avec le texte suivant : « la recrue corbéenne !! [F] [S] conseillère logement » et vous répondez : « tu n'as pas assez de recul pour prendre la bête en entier ' » ; il s'agit d'une conseillère logement, embauché le 18/3/2019.

Email du 12/3/2019 de [H] [A] intitulé « découvre mon job », avec le texte suivant : « dis moi si c'est ok pour découvrir ton taf par [W] [C] mardi 2 » et vous répondez : « ok, je mets un slip propre ' »

Email du 23/3/2016 de [H] [A] intitulé « bah voui », qui vous adresse une photo d'une salariée SIP, nouvellement embauchée sur Etouvie, avec le texte suivant : « Mme... Ca va faire drôle sur le quartier !! » et vous répondez : « Elle est livrée avec le sopalin ' ».

Email du 3/2/2016 de [H] [A] intitulé « pour nympho... », qui vous adresse une photo d'une salariée SIP, nouvellement embauchée, sur [Localité 4] avec le texte suivant : « Mme... 30 ans ([Localité 5]) » et vous répondez : « la photo est coupée, on ne voit pas le bas... c'est normal ' »

Ces propos de M. [U] ayant un caractère sexiste et dégradant pour l'image des personnes concernées, ce dernier ne saurait prétendre qu'ils ne relèvent pas d'un abus de sa liberté d'expression.

Au vu de ces éléments, cette cause de nullité du licenciement ne peut pas plus être retenue.

Le jugement entrepris est donc confirmé de ce chef.

2-3/ sur le bien-fondé du licenciement pour faute grave

La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux qu'elle énonce.

En l'espèce, la lettre de licenciement est motivée comme suit :

« Nous vous informons par la présente que nous avons pris la décision de vous notifier votre licenciement pour faute grave, sans indemnité ni préavis, pour les faits et motifs suivants.

Le départ de Monsieur [A], ancien Responsable de la Communication de la SIP récemment licencié pour faute grave, aura permis de comprendre la situation car nous avons pu prendre connaissance de vos échanges d'emails et de textos sur les ordinateur et téléphone portables professionnels de ce dernier et votre ordinateur.

Depuis votre arrêt de travail, nous avons également pu prendre connaissance de fichiers contenus sur votre ordinateur professionnel.

Nous n'avons trouvé aucun email/texto/fichier informatique portant la mention « privé » ou « personnel » sur votre ordinateur professionnel, ni sur les ordinateur et téléphone portables professionnels de Monsieur [A].

Les constats que nous avons faits sont édifiants :

1/ Comportement non-conforme à vos obligations contractuelles et professionnelles

1.1 Vous participez au dénigrement et à la discrimination de certains salariés de la SIP dont le Directeur Général ce qui participe à la propagation d'une ambiance délétère au sein de la SIP

A titre d'exemples : (')

Vous imaginez bien qu'un tel comportement n'est pas admissible : outre le fait que vous entretenez une conversation non professionnelle sur votre temps de travail, vous vous permettez d'adopter un comportement moqueur, dénigrant, sexiste, discriminatoire et misogyne à l'égard de collègues dont le Directeur Général de la SIP.

A noter qu'en outre, comme rappelé ci-dessous, votre comportement est en totale contradiction avec votre qualification de Cadre (vous êtes tenu de montrer l'exemple) et pire encore, avec votre qualité de Référent Incivilité de la SIP puisqu'il ressort de ces échanges qu'il ne vous est pas possible de mener à bien cette mission dès lors que vous adoptez vous-même un comportement contraire à l'éthique... Vous violez également notre charte informatique et notre règlement intérieur que vous avez signés.

1.2 Demande de travail personnel à un collègue SIP sur son lieu et temps de travail

A titre d'exemples : (')

1.3. Non respect de vos horaires de travail en période de télétravail :

(')

1.4 Vous profitez de votre situation professionnelle à la SIP pour obtenir des avantages privés auprès de fournisseurs :

A titre d'exemples : (')

2/Pire, vous avez adopté un comportement qui va à l'encontre des intérêts de la SIP et ce, en totale contradiction avec votre obligation de loyauté à l'égard de votre employeur.

2.1 Non formation du collaborateur dont vous avez réclamé la responsabilité

(')

2.2. Destruction intentionnelle de fichiers informatiques propriété de la SIP

(')

2.3 Exercice d'une profession concurrente à la SIP

(')

3. Vous avez mis en place un stratagème pour tenter de contraindre votre employeur à vous octroyer la mise en œuvre d'une rupture conventionnelle de votre contrat de travail

(') »

M. [U] invoque la prescription des faits fautifs allégués, l'absence de déclenchement de la procédure de licenciement dans un délai restreint, le caractère déloyal et attentatoire à sa vie privée de l'obtention des preuves utilisées contre lui par l'employeur sans consultation préalable du CSE, et conteste la réalité (non-formation d'un collaborateur, destruction de fichiers, non-respect des horaires de travail) ou le caractère fautif (demande de rupture conventionnelle, transfert de fichiers professionnels, autre activité professionnelle, dénigrement de la direction et de certains salariés, demande de travail personnel à un collègue et utilisation de sa situation professionnelle pour obtenir des avantages privés) des griefs qui lui sont reprochés.

Concernant la destruction de fichiers, il précise que les fichiers en cause se trouvaient également sur le serveur de la société ; concernant l'exercice d'une autre activité professionnelle, il soutient que l'employeur en avait connaissance depuis 2019 ; concernant le dénigrement de la direction et de certains salariés, il rappelle que les propos en cause n'ont pas été tenus publiquement, sont essentiellement le fait de M. [A], que les personnes concernées ne sont pas identifiables et qu'il n'a fait qu'user de sa liberté d'expression sans abus à l'instar d'autres cadres de la société.

L'employeur fait valoir qu'il n'a eu connaissance des faits fautifs qu'à partir de mars 2021 lors de la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire à l'égard de M. [A] pour n'en être pleinement informé qu'à la mi-avril, et que les fichiers récupérés et ouverts sur l'ordinateur professionnel de M. [U] n'étaient pas identifiés comme personnels.

Concernant les griefs reprochés, l'employeur se prévaut des courriels produits constitutifs de manquements à la charte informatique, et au règlement intérieur de la société ; il conteste, par ailleurs, toute possibilité de récupération sur le serveur des fichiers professionnels supprimés, et souligne le comportement déloyal du salarié qui a développé une activité concurrente et a monté un stratagème afin de quitter la société dans les meilleures conditions.

Sur la prescription des faits fautifs

L'article L. 1332-4 du code du travail dispose qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à un engagement de poursuite disciplinaire au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

En l'espèce, la procédure de licenciement a été engagée le 21 avril 2021 par la convocation de M. [U] a un entretien préalable avec mise à pied conservatoire.

Si les griefs liés à un comportement non-conforme aux obligations contractuelles et professionnelles du salarié et à la mise en place d'un stratagème pour obtenir la rupture conventionnelle du contrat de travail visés dans la lettre de licenciement s'appuient sur des échanges de courriels antérieurs au 21 février 2021, il ressort du courriel de M. [X], responsable des systèmes d'information, du 2 avril 2021 que l'employeur n'a pris connaissance du contenu de la boîte électronique professionnelle de M. [U] qu'à l'occasion de son arrêt-maladie débuté le 8 mars 2021.

De même, seule l'exploitation par M. [X] du contenu de l'ordinateur portable professionnel de M. [U] courant mars 2021 a permis de fonder le grief de destruction de fichiers.

Concernant le grief lié à la non-formation d'un collaborateur, la défaillance de ce dernier n'est apparue que lors d'un échange de courriels des 16 et 17 mars 2021 rendu nécessaire par l'absence pour maladie de M. [U].

Concernant le grief lié à l'exercice d'une activité professionnelle concurrente, la date de mise à jour le 1er mars 2021 du document consulté par l'employeur pour obtenir des informations sur cette activité et l'attestation de M. [J], directeur du patrimoine, expliquant que l'échange de courriel peu explicite du 2 décembre 2019 ne concernait que les investissements de M. [U] et non son activité d'agent immobilier démontrent que l'employeur n'a eu connaissance de ce fait que postérieurement au 21 février 2021.

Au vu de ces éléments, le moyen tiré de la prescription des faits fautifs est inopérant.

Sur le délai restreint

En cas de licenciement pour faute grave, la mise en œuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués et dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire.

En l'espèce, l'essentiel des griefs reprochés à M. [U] sont fondés sur l'exploitation des 260 fichiers récupérés par M. [X] le 22 mars 2021 dans son ordinateur portable professionnel.

La pleine connaissance des faits fautifs par l'employeur n'étant intervenue qu'à l'issue de cette exploitation d'un nombre de documents conséquent, la mise en œuvre de la procédure de licenciement le 21 avril 2021 n'apparaît pas tardive.

Ce moyen est donc également inopérant.

Sur la licéité du mode de preuve

Un juste équilibre devant être recherché entre le respect de la vie privée et des correspondances du salarié et l'intérêt de l'employeur, ce dernier peut accéder aux fichiers non identifiés comme personnels créés par le salarié à l'aide de l'outil informatique qu'il lui met à disposition pour les besoins de son travail. Soc. 18/10/2006 n°0448025

En l'espèce, la consultation du CSE n'étant requise que préalablement à la décision de mise en œuvre dans l'entreprise de moyens ou techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés, l'employeur pouvait prendre connaissance des fichiers non personnels contenus dans l'ordinateur portable professionnel de M. [U] sans avoir recours à cette formalité.

L'origine du fichier concernant des arguments à présenter à la CPAM n'étant pas explicite alors qu'il concerne manifestement des données personnelles sur l'état de santé du salarié, ce document ne peut servir de preuve pour étayer le grief qu'il sert à l'encontre de M. [U].

En revanche, il ressort des pièces produites que l'ensemble des courriels visés dans la lettre de licenciement se trouvaient mêlés aux courriels professionnels du salarié sans indication de leur caractère personnel dans leur objet.

L'employeur, qui les a récupérés sur le matériel professionnel mis à la disposition de M. [U], était donc en droit d'en prendre connaissance et de s'en servir pour caractériser la faute grave du salarié.

Sur la réalité et le caractère fautif des griefs invoqués

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

C'est à l'employeur qui invoque la faute grave et s'est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu'ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail.

En l'espèce, le règlement intérieur de la société prévoit que les agissements sexistes de quelque nature qu'ils soient sont passibles d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement pour faute grave.

La charte informatique de la société notifiée à M. [U] le 25 février 2013, à laquelle le règlement intérieur fait référence pour prévoir que tout abus en la matière pourra être sanctionné, interdit d'envoyer des messages à caractère injurieux, dénigrant, diffamatoire ou dégradant, et impose en cas de réception de les supprimer dans les meilleurs délais, après avoir informé la direction des systèmes d'information.

Il ressort des courriels précédemment exposés que M. [U] a participé à des échanges électroniques impliquant des jeunes femmes nouvellement recrutées au sein de la société en commentant par des propos sexistes leur photographie récupérée à leur insu par son collègue, directeur de la communication.

Le courriel du 9 décembre 2017, également visé dans la lettre de licenciement comme suit :

Email du 9/11/2017 de [H] [A] à l'ensemble des managers en vue des préparatifs de co-voiturage pour le séminaire des cadres intitulé « séminaire du 29 novembre 2017», avec la conversation suivante : [B] [J] (directeur du patrimoine) : «comme d'hab, je vous prends les filles» Vous à [B] [J] : « je prends la palette de capotes pour les activités ' » [B] [J] à vous : « tu sais ce qu'on fait comme activité ' » Vous à [B] [J] : « non... mais sur un malentendu... »

montre que cet état d'esprit déjà présent en 2017 n'était pas réservé à des échanges duels.

S'agissant de manquements à des dispositions précises du règlement intérieur et de la charte informatique à laquelle ce dernier se réfère en matière d'utilisation des outils de communication mis à disposition des salariés, susceptibles de sanctions disciplinaires, leur caractère fautif ne peut qu'être retenu.

Au regard des fonctions de cadre de M. [U], notamment en charge de la collecte des statistiques sur les incivilités au sein de la société, et dont l'ancienneté aurait dû conduire à plus de retenue, un tel comportement est constitutif d'une faute grave rendant impossible son maintien dans la société, nonobstant l'absence de précédent disciplinaire, sans qu'il apparaisse nécessaire d'examiner les autres griefs invoqués dans la lettre de licenciement.

C'est donc à bon droit que les premiers juges ont dit le licenciement pour faute grave de M. [U] justifié.

3/ Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

L'employeur invoque la mauvaise foi du salarié qui a maintenu sa procédure prud'homale alors qu'il avait adopté un comportement particulièrement déloyal à son encontre.

M. [U] oppose l'absence de preuve de l'existence d'une faute de sa part ayant causé un préjudice à l'employeur, insistant sur son ancienneté dans l'entreprise.

L'article 32-1 du code de procédure civil dispose que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

En l'espèce, bien que M. [U] succombe intégralement en ses demandes, il convient de noter que certains faits invoqués au titre de l'existence d'un harcèlement moral ont nécessité que l'employeur s'explique sur les raisons objectives étrangères à tout harcèlement les ayant justifiés.

La mauvaise foi du salarié n'étant pas démontrée, il convient de rejeter la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive par confirmation du jugement entrepris.

4/ Sur les demandes accessoires

Le salarié succombant en ses demandes, il convient de confirmer le jugement entrepris quant aux dépens, de rejeter sa demande au titre des frais irrépétibles et de mettre les dépens d'appel à sa charge.

L'équité commande de confirmer le jugement entrepris quant aux frais irrépétibles et de condamner le salarié à payer à l'employeur 500 euros à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Condamne M. [I] [U] à payer à la société SIP d'HLM 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [I] [U] aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE