Décisions
CA Douai, ch. 2 sect. 2, 25 janvier 2024, n° 22/05941
DOUAI
Arrêt
Autre
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 25/01/2024
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N° de MINUTE :
N° RG 22/05941 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UVAY
Jugement (N° 2021003633) rendu le 19 octobre 2022 par le tribunal de commerce de Lille Métropole
APPELANTES
SCP [Y] & Lombrez, légalement représentée par son gérant Monsieur [D] [Y]
ayant son siège social, [Adresse 1]
SARL Européenne de Distribution de Mécanismes de Reliures Régent, légalement représentée par son gérant Monsieur [D] [Y]
ayant son siège social, [Adresse 1]
représentées par Me Thomas Molins, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
assistées de Me Maxime Cordier, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant
INTIMÉE
SA La Société Générale représentée par ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité, venant aux droits et obligations de la banque Crédit du Nord, en suite de l'opération de fusion-absorption devenue définitive en date du 1er janvier 2023
ayant son siège social, [Adresse 2]
représentée par Me Caroline Chambaert, avocat au barreau de Lille substitué par Me Guy Foutry, avocat au barreau de DouaI
DÉBATS à l'audience publique du 21 novembre 2023 tenue par Stéphanie Barbot magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Stéphanie Barbot, présidente de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Agnès Fallenot, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 25 janvier 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Stéphanie Barbot, présidente et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 31 octobre 2023
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La SCP Schmill & Lombret (la SCP), cliente de la société Crédit du Nord, a émis deux chèques d'un montant respectif de 8 640 et 99,48 euros à l'ordre de la société Européenne de distribution de mécanismes de reliures Régent (la société Régent), également cliente de la société Crédit du Nord.
Le 10 décembre 2019, le chèque de 8 640 euros a été débité du compte de la SCP.
En juin 2020, à l'occasion de l'établissement de ses comptes annuels, la société Régent s'est aperçue de ce que ce chèque n'avait pas été crédité sur son compte.
Le 7 juillet 2020, la banque, contactée par la SCP, lui a envoyé une copie de ce chèque encaissé à l'ordre de la société Euro services et a indiqué qu'elle procéderait au rejet du chèque à la condition qu'une plainte soit déposée. Le gérant de la SCP a effectué un dépôt de plainte le même jour.
Le 8 octobre 2020, la banque a informé la SCP de ce qu'elle ne recréditerait pas le compte de celle-ci, les vérifications effectuées sur le chèque n'ayant pas permis d'y détecter une anomalie apparente.
Le 19 mars 2021, la SCP a assigné le Crédit du Nord en paiement de la somme principale de 8 640 euros, en réparation du préjudice résultant du détournement du chèque, outre 3 000 euros de dommages et intérêts.
La société Régent est intervenue volontairement à l'instance en formant les mêmes demandes.
Par un jugement du 19 octobre 2022, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :
- jugé irrecevables les demandes des sociétés [Y] et Régent,
- débouté ces sociétés de l'ensemble de leurs demandes,
- condamné solidairement ces sociétés au paiement d'une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 23 décembre 2022, la SCP et la société Régent ont relevé appel de ce jugement.
PRETENTIONS DES PARTIES :
Par leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 21 mars 2023, la SCP et la société Régent demandent à la cour de :
Vu les articles 138 et suivants du code de procédure civile,
Vu les articles 1103 et suivants et 1937 du code civil,
Vu les articles L. 131-1 et suivants du code monétaire et financier,
' les juger recevables et bien fondées en leur appel et leurs demandes ;
' infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
Ce faisant,
' condamner la société Crédit du Nord à payer directement à la société Régent la somme de 8 640 euros à titre de dommage et intérêts du fait du détournement du chèque, outre les intérêts de droit à compter du « jugement à intervenir » et la capitalisation de ces intérêts dans les conditions de l'article 1342-2 du code civil ;
' condamner la société Crédit du Nord à leur payer, chacune, la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre les intérêts de droit à compter du « jugement à intervenir» et la capitalisation de ces intérêts ;
' condamner la société Crédit du Nord à leur payer, chacune, la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité procédurale ;
' condamner la société Crédit du Nord aux entiers dépens d'instance, en ce compris le droit proportionnel alloué aux huissiers de justice en application de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution, dont distraction au profit de Maître Molins.
D'abord, sur la recevabilité de leurs demandes, les appelantes font valoir que :
- la demande formée à l'occasion d'une intervention volontaire est une demande principale, et non accessoire, si elle diffère de la demande initiale. Dès lors qu'elles formaient des demandes distinctes, il s'ensuit que, même s'il était justifié de déclarer irrecevable la demande formée par la SCP - ce qui est contesté -, la « société Régent » ne pouvait être déclarée irrecevable ;
- en raison des manquements de la banque, le compte de la SCP a été débité de 8 640 euros au profit d'un tiers et la SCP est demeurée débitrice de la société Régent de ce même montant. Par conséquent, la SCP a intérêt à voir la responsabilité de sa banque reconnue, ayant été illégitimement prélevée de la somme de 8 640 euros, tandis que la société Regent a intérêt à agir, dès lors qu'elle a vu sa comptabilité impactée de 8 640 euros au titre d'une facture impayée.
Ensuite, sur le fond, les appelantes soutiennent que :
- le Crédit du Nord a manifestement manqué à son obligation de vigilance, de vérification et de bonne foi à l'égard de ses clientes, le chèque litigieux comportant une anomalie apparente, visible ou perceptible par un employé de banque normalement avisé ;
- l'anomalie concerne l'inscription relative au nom du bénéficiaire ;
- en outre, aucune vérification de l'endos n'a été effectuée, contrairement à ce qu'impose l'article L. 131-38 du code monétaire et financier, alors que la société Régent, bénéficiaire de la somme détournée, a apposé son tampon commercial sur le verso du chèque, donc l'avait endossé. Cela a dû laisser une trace détectable pour un employé de banque normalement diligente ;
- la banque, qui s'obstine à ne produire qu'une copie de mauvaise qualité du recto du chèque, fait preuve de mauvaise foi ;
- la banque s'est totalement abstenue de tout contrôle, en violation de ses obligations légales et contractuelles, ce qui engage sa responsabilité de plein droit.
Concernant les préjudices subis, ils sont ainsi détaillés (p. 6-7) :
- celui de la SCP : son compte a été débité de la somme de 8 640 euros sans raison valable et la banque n'a procédé à aucun rejet du chèque, contrairement à son engagement en ce sens, ni ne s'est constituée partie civile devant le tribunal correctionnel saisi ;
- et celui de la société Régent : le non-réglement de ses deux factures, du fait du vol du chèque, a entraîné un déséquilibre comptable depuis trois ans(p. 6), des difficultés comptables (p. 7 in fine), ce qui constitue un préjudice financier certain et distinct de celui subi par la SCP.
Il est donc demandé la somme de 8 640 euros au profit de la société Régent et 3 000 euros au profit de la SCP, eu égard à la mauvaise foi et au manque de vigilance caractérisés de la banque (p. 7 in fine)
En réponse à l'argumentation adverse opposant les fautes du tiré, les appelantes indiquent que :
- le gérant de la société Régent n'est pas l'un des associés de la SCP et les deux sociétés sont des personnes morales distinctes ;
- reprocher à la SCP un « rapprochement comptable tardif » revient à faire peser sur le tiré, sans fondement légal, la responsabilité de la carence manifeste de la banque dans le contrôle de l'encaissement d'un chèque falsifié ;
- est également invoquée la faute de tiers non appelés en la cause, notamment le Crédit lyonnais, cocontractante du Crédit du Nord avec lequel elles, appelantes, n'ont aucun lien de droit ;
- contrairement à ce qu'a considéré le tribunal, il n'appartenait pas à la société Régent de faire opposition, seul l'émetteur du titre étant en mesure de le faire.
Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 16 juin 2023, la Société générale demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris ;
- à titre principal, juger irrecevables les demandes des sociétés appelantes ;
- à titre subsidiaire, débouter les appelantes de l'ensemble de leurs demandes ;
- y ajoutant, les condamner aux entiers dépens d'appel et au paiement, chacune, d'une indemnité procédurale de 3 000 euros.
A titre liminaire, la Société générale soutient que les demandes de condamnations formées contre elle sont irrecevables, pour plusieurs raisons distinctes :
- d'abord, ces demandes sont dirigées contre le Crédit du Nord, entité qui n'existe plus depuis sa fusion-absorption par la Société générale, le 1er janvier 2023. D'ailleurs, l'appel a été formé contre cette dernière ;
- ensuite, la SCP n'a ni qualité ni intérêt à agir. En effet, si un préjudice existe, c'est la société Régent qui l'a subi en tant que victime du détournement de chèque que lui avait dûment remis la SCP en paiement, ainsi qu'il résulte du bordereau de remise de chèques établi par la première. La SCP n'a pas payé la société Régent, le deuxième chèque établi par la première n'ayant pas été encaissé par la seconde. C'est d'ailleurs la société Régent qui demande le paiement du chèque litigieux. Le fait, pour la société [Y], de demander des dommages et intérêts sans fondement ne peut être un moyen de rendre « une procédure » recevable, ni ne permet de prétendre qu'une intervention volontaire est principale, et non accessoire, car les demandes sont différentes ;
- enfin, il convient de confirmer l'irrecevabilité de la demande de la société Régent puisque son intervention volontaire est accessoire à celle de la SPC, dont la demande principale est irrecevable.
Subsidiairement, sur le fond, la Société générale fait valoir ces éléments :
' d'abord, il n'y a pas de préjudice (pp. 9 et 10). En effet :
- la SCP soutient que son préjudice consiste dans la faute, confondant ce faisant les notions de faute et de conséquence. Quant à la société Régent, elle ne peut soutenir subir un préjudice, dès lors qu'elle s'abstient volontairement d'encaisser le second chèque émis par la SCP, ce qui est son fait, non celui du Crédit du Nord ;
- surabondamment, le préjudice n'est pas certain, mais hypothétique, puisqu'il pourrait être réparé par la société Euro services qui a encaissé les fonds. Le non-remboursement n'est donc pas encore certain. Il ne semble pas que la société Régent ait demandé le remboursement du chèque à cette société Euro services ou à son gérant. En ne se constituant pas partie civile pour récupérer son dû, la société Régent a fait perdre à la banque le pouvoir d'être subrogée dans ses droits vis-à-vis de la société Euro services ou de son gérant ;
- actuellement, aucun préjudice certain, définitif, n'est établi, puisque la SCP n'a pas payé une deuxième fois la société Régent, tandis que celle-ci dispose d'un deuxième chèque du même montant qu'elle s'abstient d'encaisser ; si elle encaisse ce chèque, il n'y aura pas de préjudice ;
- la société Régent est fautive de ne pas s'être constituée partie civile pour permettre au Crédit du Nord une subrogation s'il y a lieu. N'étant pas elle-même victime, la banque, qui n'avait aucune créance à faire valoir, n'avait pas à se constituer partie civile ;
' ensuite, elle n'a pas commis de faute (pp. 10 à 12) ;
- depuis un règlement de 2001, la présentation du chèque au paiement se fait sous forme dématérialisée, la compensation inter-bancaire des chèques s'opérant par la voie électronique sur « Core », via un EIC (échange d'image chèque) : le client remet physiquement son chèque à sa banque, qui crée ensuite une image de chaque chèque (IC) à partir de la ligne magnétique et du montant, puis envoie à la banque tirée, par la voie électronique, toutes les informations nécessaires pour imputer le chèque au compte de l'émetteur ;
- en l'espèce, le chèque litigieux a été remis par la SCP à la société Régent, laquelle l'a adressé, a priori par la poste, à l'agence du Crédit du Nord, avec un bordereau de remise. Cet envoi n'est jamais parvenu à son destinataire, mais le chèque a été présenté au Crédit lyonnais. C'est donc cette banque, banque du remettant, la société Régent, qui dispose de l'original du chèque et a seulement transmis au Crédit du Nord une image de ce chèque, produite aux débats ;
- il n'apparaît pas, sur cette image/photocopie, une falsification grossière et apparente susceptible d'engager la responsabilité du Crédit du Nord. Dès lors, aucune faute ne peut lui être reprochée ;
- s'il y a faute, il appartient « au demandeur initial » de s'adresser à la société Régent ou aux deux appelantes de s'adresser aux auteurs du détournement, ou encore à la banque présentatrice du chèque litigieux, seule en mesure de déceler d'éventuelles anomalies figurant sur le support papier qu'elle a reçu. C'est à cette banque qu'il incombait de vérifier en premier la régularité formelle des chèques avant d'en demander le paiement au Crédit du Nord par transmission d'une image du chèque ;
- les demandeurs sont eux-mêmes fautifs et gravement négligents. En effet, alors que le chèque a été débité du compte de la SCP en décembre 2019, il n'a pas été crédité sur le compte de la société Régent, qui a son siège social à la même adresse que la SCP et qui, ayant reçu le chèque en novembre, n'a pas jamais réagi ; c'est la SCP qui l'a fait dans un premier temps, plus de six mois après le débit du chèque.
Or, le rejet « d'image chèque » est au maximum de 60 jours calendaires suivant l'échange de cette image, le banquier remettant devant, pendant ce délai, tenir l'original du chèque à la disposition du banquier tiré s'il en fait la demande. Après ce délai, les chèques « non circulants », qui ne sont plus conservés, ne peuvent donc plus être remis au banquier du tiré. Passé ce délai, le rejet d'une « image chèque » doit faire l'objet d'une demande de remboursement au banquier remettant (procédure de rejet dite « hors Core »), qui peut la refuser.
En l'espèce, le délai de 60 jours était largement dépassé lorsque la SCP a envoyé sa contestation au Crédit du Nord, et le Crédit lyonnais, contacté par le premier, n'a pas répondu favorablement à la demande.
La société Régent a commis une faute engageant sa responsabilité en ne réagissant pas rapidement, dans le délai de 60 jours, à la falsification dont elle a été victime, et en émettant une contestation tardive, fin juin 2020, non pas auprès de la banque, mais du tireur, la SCP.
En ne surveillant pas suffisamment ses comptes et en émettant une contestation hors délai, la société Régent, « et au-delà d'elle la SCP » (p. 12, avant-dernier §), est à l'origine du préjudice qu'elle allègue. Le Crédit du Nord est étranger à ce préjudice.
***
Au vu de la première fin de non-recevoir soulevée par Société générale, la cour a, par une note en délibéré notifiée aux parties par la voie électronique le 4 décembre 2023 :
- rappelé que, selon la jurisprudence, il résulte des articles L. 123-9, L. 237-2 et R. 123-69 qu'en cas de fusion-absorption, la dissolution de la société absorbée n'est opposable aux tiers que par sa mention au registre du commerce et des sociétés avec l'indication de sa cause, ainsi que celle de la raison sociale ou dénomination, de la forme juridique et du siège des personnes morales ayant participé à l'opération (v. not. en ce sens Com. 23 janv. 2007, n° 05-16460 ; Com. 31 mars 2015, n° 14-10120), et ce peu important que le tiers ait eu personnellement connaissance de la dissolution de la société absorbée ;
- et, en conséquence, invité :
' la Société générale à produire l'extrait du RCS relatif au Crédit du Nord mentionnant la fusion-absorption de ce dernier par elle-même ;
' et les parties à s'expliquer sur le caractère complet des mentions figurant sur cet extrait de RCS au regard de la jurisprudence ci-dessus rappelée, et sur les effets de ces mentions sur la recevabilité des demandes formées par les sociétés appelantes à l'égard du Crédit du Nord, société absorbée ayant perdu sa personnalité morale.
La Société générale a déféré à cette note le 8 décembre 2023. Elle fait notamment valoir qu'il ressort des extraits K bis qu'elle produit que :
- à partir du 28 mars 2023, la disparition de la personne morale du Crédit du Nord était opposable à l'appelant ;
- les conclusions d'intimé régularisées le 16 juin 2023 devaient l'être à son nom à elle (Société générale), la dernière assemblée générale ayant approuvé la fusion-absorption datant du 1er janvier 2023.
Les société [Y] et Régent ont répondu à cette note le 10 décembre 2023, en soutenant notamment que :
- au vu de sa note en délibéré, la Société générale renonce expressément à l'irrecevabilité soulevée, leurs conclusions d'appelantes étant antérieures à la publication de l'opération de radiation pour fusion-absorption ;
- de plus, l'assignation délivrée à l'égard d'une société dissoute mais dont la dissolution n'a pas encore été publiée au RCS reste recevable (Com. 20 sept. 2011, n° 10-15.068), de sorte que leurs conclusions du 21 mars 2023 sont recevables.
MOTIFS :
1°- Sur la recevabilité des demandes formées par les sociétés appelantes
- Sur la fin de non-recevoir tirée de la fusion-absorption de la société Crédit du Nord par la Société générale :
A titre liminaire, la cour n'interprète pas la note en délibéré de la Société générale comme signifiant que cette dernière aurait renoncé à la fin de non-recevoir tirée de ce que les demandes des appelantes sont dirigées contre le Crédit du Nord, lequel n'existe plus depuis sa fusion absorption. La cour s'estimant, dès lors, toujours saisie de cette fin de non-recevoir, elle y répondra.
En droit, l'existence d'un intérêt à agir et de la qualité à agir s'apprécient, en appel, au jour de l'appel, c'est-à-dire au jour de la déclaration d'appel, et ne peut dépendre de circonstances postérieures.
Par ailleurs, par l'effet de la fusion-absorption sans création d'une société nouvelle, la société absorbée transmet l'universalité de son patrimoine à la société absorbante et perd sa personnalité morale dès la date de la dernière assemblée générale ayant approuvé la fusion-absorption, peu important la date à laquelle est intervenue sa radiation du registre du commerce et des sociétés (v. not. Civ. 2e, 27 juin 2019, n° 18-18449). Cependant, il résulte des articles L. 123-9, L. 237-2 et R. 123-69 qu'en cas de fusion-absorption, la dissolution de la société absorbée n'est opposable aux tiers que par sa mention au registre du commerce et des sociétés avec l'indication de sa cause, ainsi que celle de la raison sociale ou dénomination, de la forme juridique et du siège des personnes morales ayant participé à l'opération (v. not. en ce sens : Com. 23 janv. 2007, n° 05-16460 ; Com. 15 déc. 2009, n° 09-10687 ; Com. 31 mars 2015, n° 14-10120), et ce peu important que le tiers ait eu personnellement connaissance de la dissolution de la société absorbée (v. Com. 11 sept. 2011, n° 11-11141, publié).
En l'espèce, il résulte de l'extrait Kbis de la société Crédit du Nord versé aux débats que c'est le 27 mars 2023 que la radiation de cette société a été mentionnée, avec l'indication de l'apport de son patrimoine dans le cadre d'une fusion du 27 mars 2023 et d'une fusion-absorption par la Société générale, société anonyme, ayant son siège au [Adresse 2].
Il s'ensuit que la dissolution de la société Crédit du Nord était opposable aux sociétés appelantes uniquement à partir du 27 mars 2023.
Or, les sociétés appelantes ont formé leur appel le 23 décembre 2022, soit avant que la fusion-absorption de la société Crédit du Nord, et donc sa dissolution, ne leur soit opposable - étant relevé que la déclaration d'appel mentionne bien, en qualité d'intimé, le Crédit du Nord, et non la Société générale. Le même constat s'impose, d'ailleurs, concernant les conclusions des appelantes notifiées le 21 mars 2023.
Par conséquent, la fin de non-recevoir soulevée à ce titre par la Société générale ne peut être accueillie.
- Sur la recevabilité de la demande formée par la société [Y] :
En droit, il résulte de l'article 31 du code de procédure civile que le demandeur à l'action doit avoir un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention. L'existence d'un intérêt à agir relève de l'appréciation souveraine des juges du fond.
Par ailleurs, l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action.
En l'espèce, les premiers juges ont estimé que la SCP ne justifiait pas d'un intérêt à agir, faute d'avoir subi un préjudice, puisque, selon eux, seule la société Régent est victime du détournement du chèque litigieux.
En appel, la SCP a implicitement accepté cette analyse en modifiant ses demandes formées en première instance puisque, tandis qu'elle demandait la condamnation de la banque au paiement du montant du chèque détourné (8 640 euros), elle ne demande plus, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, que la somme de 3 000 euros, en faisant état, dans les motifs desdites écritures, de ce que le chèque a été débité de son compte et que, contrairement à l'engagement qu'elle avait pris, la banque, pourtant fautive dans la vérification du chèque, n'a pas procédé au rejet du chèque.
Ces éléments suffisent à établir que la SCP justifie d'un intérêt à agir, de sorte que ses demandes sont recevables.
Par voie de conséquence, est inopérant le moyen, soulevé par la banque, selon lequel les demandes formées par la société Régent seraient irrecevables au motif que l'intervention volontaire de cette société aurait un caractère accessoire.
En tout état de cause, cette intervention volontaire n'était nullement accessoire au sens de l'article 330 du code de procédure civile, mais principale au regard de l'article 329 de ce code, dans la mesure où la société Régent formait - et forme toujours - des demandes personnelles, sans se borner à appuyer les prétentions de la SCP. Par conséquent, le sort de cette intervention volontaire ne dépend pas de celui des demandes principales formées par la SCP.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes formées par la SCP et par la société Régent.
2°- Sur le fond
- Sur la faute alléguée :
En droit, le banquier est tenu à un devoir de vigilance qui lui impose de relever les anomalies apparentes d'un chèque qui lui est présenté. L'anomalie apparente est celle qui ne doit pas échapper au banquier diligent. L'appréciation, sur ce point, doit s'effectuer in concreto. En conséquence, s'il paye un chèque alors que la falsification du titre est apparente, le banquier engage sa responsabilité.
Cette obligation de vigilance s'agissant des chèques s'impose tant à la banque tirée qu'à la banque présentatrice (Com. 9 juill. 2002, n° 00-22788, publié).
Cependant, au plan probatoire, il a été jugé qu'il résulte de la combinaison des articles 9 du code de procédure civile et 1315, alinéa 2, devenu 1353, alinéa 2, du code civil que s'il incombe à l'émetteur d'un chèque d'établir que celui-ci a été falsifié, il revient à la banque tirée, dont la responsabilité est recherchée pour avoir manqué à son obligation de vigilance et qui ne peut représenter l'original de ce chèque, de prouver que celui-ci n'était pas affecté d'une anomalie apparente, à moins que le chèque n'ait été restitué au tireur (Com. 9'nov. 2022, n°'20-20031, publié).
En l'espèce, il ressort des conclusions des parties et des pièces versées aux débats que le chèque litigieux de 8 640 euros, émis par la SCP, a été débité de son compte ouvert au Crédit du Nord et crédité sur le compte ouvert par une société Euroservices dans les livres de la banque Le Crédit lyonnais.
Il résulte de la copie du chèque produite par les sociétés appelantes que le chèque d'origine mentionnait comme bénéficiaire la « SARL Régent », cependant que la copie de ce même chèque remise aux sociétés appelantes après la découverte du détournement du chèque, comporte un autre nom de bénéficiaire : « SASU Euroservices. »
L'existence d'une falsification de ce chèque est, dès lors, démontrée par les sociétés appelantes.
De son côté, la banque ne produit pas l'original de ce chèque ni n'est en mesure de le faire, puisque, tel qu'elle l'expose dans ses conclusions, cette pièce originale n'a pas été conservée.
La banque ne peut échapper à la responsabilité qu'elle encourt en application de la jurisprudence ci-dessus rappelée, en se retranchant derrière les règles interbancaires ayant prévu un échange dématérialisé des chèques, via « l'échange image chèque » créée par la banque présentatrice, ces règles n'étant pas opposables à ses clients.
Au vu de la copie du chèque falsifié versée aux débats, qui est de piètre qualité, la banque, qui ne soutient pas que le chèque original aurait été restitué au tireur, ne démontre pas que ce chèque n'était pas affecté d'une anomalie apparente.
La banque ne peut s'exonérer de sa responsabilité aux motifs, inopérants, qu'il appartiendrait « au demandeur initial de s'adresser à la société Régent », ou encore que les deux sociétés demanderesses devraient s'adresser soit aux auteurs du détournement du chèque, soit à la banque présentatrice qui a reçu le chèque sur support papier (v. p. 11, § 6 de ses conclusions).
Enfin, c'est tout aussi vainement que la banque oppose aux sociétés appelantes leur propre faute de « négligence importante », aux motifs que la société Régent a mis plus de sept mois avant de s'apercevoir que le chèque qu'elle avait remis à l'encaissement n'avait pas été crédité sur son compte, et que la SCP a mis plus de six mois « pour se manifester », ce qui - toujours selon la banque - caractériserait une faute consistant, d'une part, à n'avoir pas réagi dans le délai de 60 jours - ci-après évoqué - à la falsification et donc à avoir émis une contestation « hors délai », d'autre part, à ne pas avoir surveillé suffisamment ses comptes (v. les conclusions de la banque, p. 12, §1). En effet, nonobstant le fait que l'action de la victime est recevable tant que le délai de prescription n'a pas expiré, la cour considère, d'abord, que la banque ne peut opposer à ses clients des règles interbancaires limitant à 60 jours le « délai de rejet d'image chèque » à l'issue duquel les chèques « non circulants » ne sont plus conservés, ensuite et, ensuite, que le comportement des sociétés appelantes ne peut s'analyser en une faute et n'a, en tout état de cause, nullement contribué la réalisation du dommage qu'elles invoquent, fût-ce seulement en partie.
Il résulte de tout ce qui précède que la banque a seule engagé sa responsabilité.
- Sur les préjudices :
En premier lieu, force est de constater que la SCP n'explique nullement en quoi consisterait son préjudice (v. p. 6, point a de ses conclusions), qu'elle évalue pourtant, dans le dispositif de ses conclusions, à la somme de 3 000 euros, et qui ne correspond pas au montant du chèque détourné. En effet, en appel, c'est la société Régent qui demande la condamnation de la banque à lui payer le montant du chèque détourné. La SCP ne produit pas non plus de pièce de nature à étayer ce préjudice de 3 000 euros.
L'existence du préjudice invoqué par la SCP n'étant pas établie, la demande indemnitaire de celle-ci sera rejetée.
En second lieu, la banque reconnaît elle-même que c'est la société Régent qui devrait recevoir l'indemnisation due au titre du chèque détourné (v. ses conclusions, p. 9 in fine).
La banque n'est pas fondée à nier l'existence de ce préjudice aux seuls motifs que la SCP aurait émis un second chèque au profit de la société Régent mais que cette dernière s'abstiendrait volontairement de l'encaisser, dès lors que l'indemnisation réclamée dans la présente instance aurait pour effet de rendre cet encaissement indu.
Par ailleurs, la circonstance que l'auteur du détournement du chèque ou le bénéficiaire effectif de ce chèque pourraient réparer le préjudice résultant de ce détournement n'est aucunement de nature à rendre hypothétique ce préjudice qui, au contraire, est certain, dans la mesure où il est acquis que le chèque a été détourné et son montant crédité sur le compte du mauvais bénéficiaire.
Il ne peut pas davantage être opposé à faute de la société Régent le fait qu'elle ne s'est pas constituée partie civile pour réclamer une indemnisation à l'auteur du détournement (v. la partie des conclusions de la banque relative à la négation de l'existence du préjudice, p. 10), dès lors que la victime dispose d'une option de compétence lui offrant la faculté, et non l'obligation, de se constituer partie civile devant le juge pénal et ne peut être privée de la possibilité de présenter ses demandes de réparation devant le juge civil.
Il s'ensuit que la banque Crédit du Nord a engagé sa responsabilité, de sorte que la Société générale, qui vient aux droits du Crédit du Nord à la suite de la fusion-absorption ci-dessus évoquée, est tenue d'indemniser la société Régent du préjudice par elle subie en raison du détournement du chèque. Ce préjudice équivaut au montant de ce chèque, soit à la somme de 8 640 euros.
Cette somme produira intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code civil (et non 1342-2, comme indiqué dans le dispositif des conclusions des appelantes, à la suite d'une simple erreur matérielle).
En revanche, la société Régent procède par voie d'affirmation non étayée en soutenant que les manquements de la banque, à l'origine du non-paiement des factures devant être honorées au moyen du chèque falsifié et détourné, ont entraîné un « déséquilibre comptable qui dure depuis maintenant trois ans. »
Faute de preuve de ce qu'elle a subi ce préjudice supplémentaire, la société Régent sera déboutée de sa demande indemnitaire correspondante.
3°- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Succombant, la banque sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, et au paiement d'une indemnité de procédure.
Par ailleurs, la succombance de la SCP justifie le rejet de sa demande d'indemnité procédurale.
PAR CES MOTIFS
La cour,
- INFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
Et statuant de nouveau :
- Déclare recevables les demandes formées par la SCP [Y] & Lombret et par la société Européenne de distribution de mécanismes de reliures Régent ;
- Rejette la demande indemnitaire formée par la SCP Schmill & Lombret ;
- Condamne la Société générale, venant aux droits de la société Crédit du Nord, à payer à la société Européenne de distribution de mécanismes de reliures Régent la somme de 8 640 euros en réparation du préjudice résultant de la falsification d'un chèque, cette somme produisant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
- Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;
- Rejette la demande de la société Européenne de distribution de mécanismes de reliures Régent tendant au paiement de la somme de 3 000 euros en réparation d'un préjudice supplémentaire ;
- Condamne la Société générale, venant aux droits de la société Crédit du Nord, aux dépens de première instance et d'appel, et autorise Maître [T] à recouvrer directement ceux des dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision ;
- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes respectivement formées par la Société générale et par la SCP [Y] & Lombret, et condamne Société générale, venant aux droits de la société Crédit du Nord, à payer à la société Européenne de distribution de mécanismes de reliures Régent la somme globale de 3 000 euros ;
Le greffier
Marlène Tocco
La présidente
Stéphanie Barbot
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 25/01/2024
****
N° de MINUTE :
N° RG 22/05941 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UVAY
Jugement (N° 2021003633) rendu le 19 octobre 2022 par le tribunal de commerce de Lille Métropole
APPELANTES
SCP [Y] & Lombrez, légalement représentée par son gérant Monsieur [D] [Y]
ayant son siège social, [Adresse 1]
SARL Européenne de Distribution de Mécanismes de Reliures Régent, légalement représentée par son gérant Monsieur [D] [Y]
ayant son siège social, [Adresse 1]
représentées par Me Thomas Molins, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
assistées de Me Maxime Cordier, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant
INTIMÉE
SA La Société Générale représentée par ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité, venant aux droits et obligations de la banque Crédit du Nord, en suite de l'opération de fusion-absorption devenue définitive en date du 1er janvier 2023
ayant son siège social, [Adresse 2]
représentée par Me Caroline Chambaert, avocat au barreau de Lille substitué par Me Guy Foutry, avocat au barreau de DouaI
DÉBATS à l'audience publique du 21 novembre 2023 tenue par Stéphanie Barbot magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Stéphanie Barbot, présidente de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Agnès Fallenot, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 25 janvier 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Stéphanie Barbot, présidente et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 31 octobre 2023
****
La SCP Schmill & Lombret (la SCP), cliente de la société Crédit du Nord, a émis deux chèques d'un montant respectif de 8 640 et 99,48 euros à l'ordre de la société Européenne de distribution de mécanismes de reliures Régent (la société Régent), également cliente de la société Crédit du Nord.
Le 10 décembre 2019, le chèque de 8 640 euros a été débité du compte de la SCP.
En juin 2020, à l'occasion de l'établissement de ses comptes annuels, la société Régent s'est aperçue de ce que ce chèque n'avait pas été crédité sur son compte.
Le 7 juillet 2020, la banque, contactée par la SCP, lui a envoyé une copie de ce chèque encaissé à l'ordre de la société Euro services et a indiqué qu'elle procéderait au rejet du chèque à la condition qu'une plainte soit déposée. Le gérant de la SCP a effectué un dépôt de plainte le même jour.
Le 8 octobre 2020, la banque a informé la SCP de ce qu'elle ne recréditerait pas le compte de celle-ci, les vérifications effectuées sur le chèque n'ayant pas permis d'y détecter une anomalie apparente.
Le 19 mars 2021, la SCP a assigné le Crédit du Nord en paiement de la somme principale de 8 640 euros, en réparation du préjudice résultant du détournement du chèque, outre 3 000 euros de dommages et intérêts.
La société Régent est intervenue volontairement à l'instance en formant les mêmes demandes.
Par un jugement du 19 octobre 2022, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :
- jugé irrecevables les demandes des sociétés [Y] et Régent,
- débouté ces sociétés de l'ensemble de leurs demandes,
- condamné solidairement ces sociétés au paiement d'une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 23 décembre 2022, la SCP et la société Régent ont relevé appel de ce jugement.
PRETENTIONS DES PARTIES :
Par leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 21 mars 2023, la SCP et la société Régent demandent à la cour de :
Vu les articles 138 et suivants du code de procédure civile,
Vu les articles 1103 et suivants et 1937 du code civil,
Vu les articles L. 131-1 et suivants du code monétaire et financier,
' les juger recevables et bien fondées en leur appel et leurs demandes ;
' infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
Ce faisant,
' condamner la société Crédit du Nord à payer directement à la société Régent la somme de 8 640 euros à titre de dommage et intérêts du fait du détournement du chèque, outre les intérêts de droit à compter du « jugement à intervenir » et la capitalisation de ces intérêts dans les conditions de l'article 1342-2 du code civil ;
' condamner la société Crédit du Nord à leur payer, chacune, la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre les intérêts de droit à compter du « jugement à intervenir» et la capitalisation de ces intérêts ;
' condamner la société Crédit du Nord à leur payer, chacune, la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité procédurale ;
' condamner la société Crédit du Nord aux entiers dépens d'instance, en ce compris le droit proportionnel alloué aux huissiers de justice en application de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution, dont distraction au profit de Maître Molins.
D'abord, sur la recevabilité de leurs demandes, les appelantes font valoir que :
- la demande formée à l'occasion d'une intervention volontaire est une demande principale, et non accessoire, si elle diffère de la demande initiale. Dès lors qu'elles formaient des demandes distinctes, il s'ensuit que, même s'il était justifié de déclarer irrecevable la demande formée par la SCP - ce qui est contesté -, la « société Régent » ne pouvait être déclarée irrecevable ;
- en raison des manquements de la banque, le compte de la SCP a été débité de 8 640 euros au profit d'un tiers et la SCP est demeurée débitrice de la société Régent de ce même montant. Par conséquent, la SCP a intérêt à voir la responsabilité de sa banque reconnue, ayant été illégitimement prélevée de la somme de 8 640 euros, tandis que la société Regent a intérêt à agir, dès lors qu'elle a vu sa comptabilité impactée de 8 640 euros au titre d'une facture impayée.
Ensuite, sur le fond, les appelantes soutiennent que :
- le Crédit du Nord a manifestement manqué à son obligation de vigilance, de vérification et de bonne foi à l'égard de ses clientes, le chèque litigieux comportant une anomalie apparente, visible ou perceptible par un employé de banque normalement avisé ;
- l'anomalie concerne l'inscription relative au nom du bénéficiaire ;
- en outre, aucune vérification de l'endos n'a été effectuée, contrairement à ce qu'impose l'article L. 131-38 du code monétaire et financier, alors que la société Régent, bénéficiaire de la somme détournée, a apposé son tampon commercial sur le verso du chèque, donc l'avait endossé. Cela a dû laisser une trace détectable pour un employé de banque normalement diligente ;
- la banque, qui s'obstine à ne produire qu'une copie de mauvaise qualité du recto du chèque, fait preuve de mauvaise foi ;
- la banque s'est totalement abstenue de tout contrôle, en violation de ses obligations légales et contractuelles, ce qui engage sa responsabilité de plein droit.
Concernant les préjudices subis, ils sont ainsi détaillés (p. 6-7) :
- celui de la SCP : son compte a été débité de la somme de 8 640 euros sans raison valable et la banque n'a procédé à aucun rejet du chèque, contrairement à son engagement en ce sens, ni ne s'est constituée partie civile devant le tribunal correctionnel saisi ;
- et celui de la société Régent : le non-réglement de ses deux factures, du fait du vol du chèque, a entraîné un déséquilibre comptable depuis trois ans(p. 6), des difficultés comptables (p. 7 in fine), ce qui constitue un préjudice financier certain et distinct de celui subi par la SCP.
Il est donc demandé la somme de 8 640 euros au profit de la société Régent et 3 000 euros au profit de la SCP, eu égard à la mauvaise foi et au manque de vigilance caractérisés de la banque (p. 7 in fine)
En réponse à l'argumentation adverse opposant les fautes du tiré, les appelantes indiquent que :
- le gérant de la société Régent n'est pas l'un des associés de la SCP et les deux sociétés sont des personnes morales distinctes ;
- reprocher à la SCP un « rapprochement comptable tardif » revient à faire peser sur le tiré, sans fondement légal, la responsabilité de la carence manifeste de la banque dans le contrôle de l'encaissement d'un chèque falsifié ;
- est également invoquée la faute de tiers non appelés en la cause, notamment le Crédit lyonnais, cocontractante du Crédit du Nord avec lequel elles, appelantes, n'ont aucun lien de droit ;
- contrairement à ce qu'a considéré le tribunal, il n'appartenait pas à la société Régent de faire opposition, seul l'émetteur du titre étant en mesure de le faire.
Par ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 16 juin 2023, la Société générale demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris ;
- à titre principal, juger irrecevables les demandes des sociétés appelantes ;
- à titre subsidiaire, débouter les appelantes de l'ensemble de leurs demandes ;
- y ajoutant, les condamner aux entiers dépens d'appel et au paiement, chacune, d'une indemnité procédurale de 3 000 euros.
A titre liminaire, la Société générale soutient que les demandes de condamnations formées contre elle sont irrecevables, pour plusieurs raisons distinctes :
- d'abord, ces demandes sont dirigées contre le Crédit du Nord, entité qui n'existe plus depuis sa fusion-absorption par la Société générale, le 1er janvier 2023. D'ailleurs, l'appel a été formé contre cette dernière ;
- ensuite, la SCP n'a ni qualité ni intérêt à agir. En effet, si un préjudice existe, c'est la société Régent qui l'a subi en tant que victime du détournement de chèque que lui avait dûment remis la SCP en paiement, ainsi qu'il résulte du bordereau de remise de chèques établi par la première. La SCP n'a pas payé la société Régent, le deuxième chèque établi par la première n'ayant pas été encaissé par la seconde. C'est d'ailleurs la société Régent qui demande le paiement du chèque litigieux. Le fait, pour la société [Y], de demander des dommages et intérêts sans fondement ne peut être un moyen de rendre « une procédure » recevable, ni ne permet de prétendre qu'une intervention volontaire est principale, et non accessoire, car les demandes sont différentes ;
- enfin, il convient de confirmer l'irrecevabilité de la demande de la société Régent puisque son intervention volontaire est accessoire à celle de la SPC, dont la demande principale est irrecevable.
Subsidiairement, sur le fond, la Société générale fait valoir ces éléments :
' d'abord, il n'y a pas de préjudice (pp. 9 et 10). En effet :
- la SCP soutient que son préjudice consiste dans la faute, confondant ce faisant les notions de faute et de conséquence. Quant à la société Régent, elle ne peut soutenir subir un préjudice, dès lors qu'elle s'abstient volontairement d'encaisser le second chèque émis par la SCP, ce qui est son fait, non celui du Crédit du Nord ;
- surabondamment, le préjudice n'est pas certain, mais hypothétique, puisqu'il pourrait être réparé par la société Euro services qui a encaissé les fonds. Le non-remboursement n'est donc pas encore certain. Il ne semble pas que la société Régent ait demandé le remboursement du chèque à cette société Euro services ou à son gérant. En ne se constituant pas partie civile pour récupérer son dû, la société Régent a fait perdre à la banque le pouvoir d'être subrogée dans ses droits vis-à-vis de la société Euro services ou de son gérant ;
- actuellement, aucun préjudice certain, définitif, n'est établi, puisque la SCP n'a pas payé une deuxième fois la société Régent, tandis que celle-ci dispose d'un deuxième chèque du même montant qu'elle s'abstient d'encaisser ; si elle encaisse ce chèque, il n'y aura pas de préjudice ;
- la société Régent est fautive de ne pas s'être constituée partie civile pour permettre au Crédit du Nord une subrogation s'il y a lieu. N'étant pas elle-même victime, la banque, qui n'avait aucune créance à faire valoir, n'avait pas à se constituer partie civile ;
' ensuite, elle n'a pas commis de faute (pp. 10 à 12) ;
- depuis un règlement de 2001, la présentation du chèque au paiement se fait sous forme dématérialisée, la compensation inter-bancaire des chèques s'opérant par la voie électronique sur « Core », via un EIC (échange d'image chèque) : le client remet physiquement son chèque à sa banque, qui crée ensuite une image de chaque chèque (IC) à partir de la ligne magnétique et du montant, puis envoie à la banque tirée, par la voie électronique, toutes les informations nécessaires pour imputer le chèque au compte de l'émetteur ;
- en l'espèce, le chèque litigieux a été remis par la SCP à la société Régent, laquelle l'a adressé, a priori par la poste, à l'agence du Crédit du Nord, avec un bordereau de remise. Cet envoi n'est jamais parvenu à son destinataire, mais le chèque a été présenté au Crédit lyonnais. C'est donc cette banque, banque du remettant, la société Régent, qui dispose de l'original du chèque et a seulement transmis au Crédit du Nord une image de ce chèque, produite aux débats ;
- il n'apparaît pas, sur cette image/photocopie, une falsification grossière et apparente susceptible d'engager la responsabilité du Crédit du Nord. Dès lors, aucune faute ne peut lui être reprochée ;
- s'il y a faute, il appartient « au demandeur initial » de s'adresser à la société Régent ou aux deux appelantes de s'adresser aux auteurs du détournement, ou encore à la banque présentatrice du chèque litigieux, seule en mesure de déceler d'éventuelles anomalies figurant sur le support papier qu'elle a reçu. C'est à cette banque qu'il incombait de vérifier en premier la régularité formelle des chèques avant d'en demander le paiement au Crédit du Nord par transmission d'une image du chèque ;
- les demandeurs sont eux-mêmes fautifs et gravement négligents. En effet, alors que le chèque a été débité du compte de la SCP en décembre 2019, il n'a pas été crédité sur le compte de la société Régent, qui a son siège social à la même adresse que la SCP et qui, ayant reçu le chèque en novembre, n'a pas jamais réagi ; c'est la SCP qui l'a fait dans un premier temps, plus de six mois après le débit du chèque.
Or, le rejet « d'image chèque » est au maximum de 60 jours calendaires suivant l'échange de cette image, le banquier remettant devant, pendant ce délai, tenir l'original du chèque à la disposition du banquier tiré s'il en fait la demande. Après ce délai, les chèques « non circulants », qui ne sont plus conservés, ne peuvent donc plus être remis au banquier du tiré. Passé ce délai, le rejet d'une « image chèque » doit faire l'objet d'une demande de remboursement au banquier remettant (procédure de rejet dite « hors Core »), qui peut la refuser.
En l'espèce, le délai de 60 jours était largement dépassé lorsque la SCP a envoyé sa contestation au Crédit du Nord, et le Crédit lyonnais, contacté par le premier, n'a pas répondu favorablement à la demande.
La société Régent a commis une faute engageant sa responsabilité en ne réagissant pas rapidement, dans le délai de 60 jours, à la falsification dont elle a été victime, et en émettant une contestation tardive, fin juin 2020, non pas auprès de la banque, mais du tireur, la SCP.
En ne surveillant pas suffisamment ses comptes et en émettant une contestation hors délai, la société Régent, « et au-delà d'elle la SCP » (p. 12, avant-dernier §), est à l'origine du préjudice qu'elle allègue. Le Crédit du Nord est étranger à ce préjudice.
***
Au vu de la première fin de non-recevoir soulevée par Société générale, la cour a, par une note en délibéré notifiée aux parties par la voie électronique le 4 décembre 2023 :
- rappelé que, selon la jurisprudence, il résulte des articles L. 123-9, L. 237-2 et R. 123-69 qu'en cas de fusion-absorption, la dissolution de la société absorbée n'est opposable aux tiers que par sa mention au registre du commerce et des sociétés avec l'indication de sa cause, ainsi que celle de la raison sociale ou dénomination, de la forme juridique et du siège des personnes morales ayant participé à l'opération (v. not. en ce sens Com. 23 janv. 2007, n° 05-16460 ; Com. 31 mars 2015, n° 14-10120), et ce peu important que le tiers ait eu personnellement connaissance de la dissolution de la société absorbée ;
- et, en conséquence, invité :
' la Société générale à produire l'extrait du RCS relatif au Crédit du Nord mentionnant la fusion-absorption de ce dernier par elle-même ;
' et les parties à s'expliquer sur le caractère complet des mentions figurant sur cet extrait de RCS au regard de la jurisprudence ci-dessus rappelée, et sur les effets de ces mentions sur la recevabilité des demandes formées par les sociétés appelantes à l'égard du Crédit du Nord, société absorbée ayant perdu sa personnalité morale.
La Société générale a déféré à cette note le 8 décembre 2023. Elle fait notamment valoir qu'il ressort des extraits K bis qu'elle produit que :
- à partir du 28 mars 2023, la disparition de la personne morale du Crédit du Nord était opposable à l'appelant ;
- les conclusions d'intimé régularisées le 16 juin 2023 devaient l'être à son nom à elle (Société générale), la dernière assemblée générale ayant approuvé la fusion-absorption datant du 1er janvier 2023.
Les société [Y] et Régent ont répondu à cette note le 10 décembre 2023, en soutenant notamment que :
- au vu de sa note en délibéré, la Société générale renonce expressément à l'irrecevabilité soulevée, leurs conclusions d'appelantes étant antérieures à la publication de l'opération de radiation pour fusion-absorption ;
- de plus, l'assignation délivrée à l'égard d'une société dissoute mais dont la dissolution n'a pas encore été publiée au RCS reste recevable (Com. 20 sept. 2011, n° 10-15.068), de sorte que leurs conclusions du 21 mars 2023 sont recevables.
MOTIFS :
1°- Sur la recevabilité des demandes formées par les sociétés appelantes
- Sur la fin de non-recevoir tirée de la fusion-absorption de la société Crédit du Nord par la Société générale :
A titre liminaire, la cour n'interprète pas la note en délibéré de la Société générale comme signifiant que cette dernière aurait renoncé à la fin de non-recevoir tirée de ce que les demandes des appelantes sont dirigées contre le Crédit du Nord, lequel n'existe plus depuis sa fusion absorption. La cour s'estimant, dès lors, toujours saisie de cette fin de non-recevoir, elle y répondra.
En droit, l'existence d'un intérêt à agir et de la qualité à agir s'apprécient, en appel, au jour de l'appel, c'est-à-dire au jour de la déclaration d'appel, et ne peut dépendre de circonstances postérieures.
Par ailleurs, par l'effet de la fusion-absorption sans création d'une société nouvelle, la société absorbée transmet l'universalité de son patrimoine à la société absorbante et perd sa personnalité morale dès la date de la dernière assemblée générale ayant approuvé la fusion-absorption, peu important la date à laquelle est intervenue sa radiation du registre du commerce et des sociétés (v. not. Civ. 2e, 27 juin 2019, n° 18-18449). Cependant, il résulte des articles L. 123-9, L. 237-2 et R. 123-69 qu'en cas de fusion-absorption, la dissolution de la société absorbée n'est opposable aux tiers que par sa mention au registre du commerce et des sociétés avec l'indication de sa cause, ainsi que celle de la raison sociale ou dénomination, de la forme juridique et du siège des personnes morales ayant participé à l'opération (v. not. en ce sens : Com. 23 janv. 2007, n° 05-16460 ; Com. 15 déc. 2009, n° 09-10687 ; Com. 31 mars 2015, n° 14-10120), et ce peu important que le tiers ait eu personnellement connaissance de la dissolution de la société absorbée (v. Com. 11 sept. 2011, n° 11-11141, publié).
En l'espèce, il résulte de l'extrait Kbis de la société Crédit du Nord versé aux débats que c'est le 27 mars 2023 que la radiation de cette société a été mentionnée, avec l'indication de l'apport de son patrimoine dans le cadre d'une fusion du 27 mars 2023 et d'une fusion-absorption par la Société générale, société anonyme, ayant son siège au [Adresse 2].
Il s'ensuit que la dissolution de la société Crédit du Nord était opposable aux sociétés appelantes uniquement à partir du 27 mars 2023.
Or, les sociétés appelantes ont formé leur appel le 23 décembre 2022, soit avant que la fusion-absorption de la société Crédit du Nord, et donc sa dissolution, ne leur soit opposable - étant relevé que la déclaration d'appel mentionne bien, en qualité d'intimé, le Crédit du Nord, et non la Société générale. Le même constat s'impose, d'ailleurs, concernant les conclusions des appelantes notifiées le 21 mars 2023.
Par conséquent, la fin de non-recevoir soulevée à ce titre par la Société générale ne peut être accueillie.
- Sur la recevabilité de la demande formée par la société [Y] :
En droit, il résulte de l'article 31 du code de procédure civile que le demandeur à l'action doit avoir un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention. L'existence d'un intérêt à agir relève de l'appréciation souveraine des juges du fond.
Par ailleurs, l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action.
En l'espèce, les premiers juges ont estimé que la SCP ne justifiait pas d'un intérêt à agir, faute d'avoir subi un préjudice, puisque, selon eux, seule la société Régent est victime du détournement du chèque litigieux.
En appel, la SCP a implicitement accepté cette analyse en modifiant ses demandes formées en première instance puisque, tandis qu'elle demandait la condamnation de la banque au paiement du montant du chèque détourné (8 640 euros), elle ne demande plus, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, que la somme de 3 000 euros, en faisant état, dans les motifs desdites écritures, de ce que le chèque a été débité de son compte et que, contrairement à l'engagement qu'elle avait pris, la banque, pourtant fautive dans la vérification du chèque, n'a pas procédé au rejet du chèque.
Ces éléments suffisent à établir que la SCP justifie d'un intérêt à agir, de sorte que ses demandes sont recevables.
Par voie de conséquence, est inopérant le moyen, soulevé par la banque, selon lequel les demandes formées par la société Régent seraient irrecevables au motif que l'intervention volontaire de cette société aurait un caractère accessoire.
En tout état de cause, cette intervention volontaire n'était nullement accessoire au sens de l'article 330 du code de procédure civile, mais principale au regard de l'article 329 de ce code, dans la mesure où la société Régent formait - et forme toujours - des demandes personnelles, sans se borner à appuyer les prétentions de la SCP. Par conséquent, le sort de cette intervention volontaire ne dépend pas de celui des demandes principales formées par la SCP.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes formées par la SCP et par la société Régent.
2°- Sur le fond
- Sur la faute alléguée :
En droit, le banquier est tenu à un devoir de vigilance qui lui impose de relever les anomalies apparentes d'un chèque qui lui est présenté. L'anomalie apparente est celle qui ne doit pas échapper au banquier diligent. L'appréciation, sur ce point, doit s'effectuer in concreto. En conséquence, s'il paye un chèque alors que la falsification du titre est apparente, le banquier engage sa responsabilité.
Cette obligation de vigilance s'agissant des chèques s'impose tant à la banque tirée qu'à la banque présentatrice (Com. 9 juill. 2002, n° 00-22788, publié).
Cependant, au plan probatoire, il a été jugé qu'il résulte de la combinaison des articles 9 du code de procédure civile et 1315, alinéa 2, devenu 1353, alinéa 2, du code civil que s'il incombe à l'émetteur d'un chèque d'établir que celui-ci a été falsifié, il revient à la banque tirée, dont la responsabilité est recherchée pour avoir manqué à son obligation de vigilance et qui ne peut représenter l'original de ce chèque, de prouver que celui-ci n'était pas affecté d'une anomalie apparente, à moins que le chèque n'ait été restitué au tireur (Com. 9'nov. 2022, n°'20-20031, publié).
En l'espèce, il ressort des conclusions des parties et des pièces versées aux débats que le chèque litigieux de 8 640 euros, émis par la SCP, a été débité de son compte ouvert au Crédit du Nord et crédité sur le compte ouvert par une société Euroservices dans les livres de la banque Le Crédit lyonnais.
Il résulte de la copie du chèque produite par les sociétés appelantes que le chèque d'origine mentionnait comme bénéficiaire la « SARL Régent », cependant que la copie de ce même chèque remise aux sociétés appelantes après la découverte du détournement du chèque, comporte un autre nom de bénéficiaire : « SASU Euroservices. »
L'existence d'une falsification de ce chèque est, dès lors, démontrée par les sociétés appelantes.
De son côté, la banque ne produit pas l'original de ce chèque ni n'est en mesure de le faire, puisque, tel qu'elle l'expose dans ses conclusions, cette pièce originale n'a pas été conservée.
La banque ne peut échapper à la responsabilité qu'elle encourt en application de la jurisprudence ci-dessus rappelée, en se retranchant derrière les règles interbancaires ayant prévu un échange dématérialisé des chèques, via « l'échange image chèque » créée par la banque présentatrice, ces règles n'étant pas opposables à ses clients.
Au vu de la copie du chèque falsifié versée aux débats, qui est de piètre qualité, la banque, qui ne soutient pas que le chèque original aurait été restitué au tireur, ne démontre pas que ce chèque n'était pas affecté d'une anomalie apparente.
La banque ne peut s'exonérer de sa responsabilité aux motifs, inopérants, qu'il appartiendrait « au demandeur initial de s'adresser à la société Régent », ou encore que les deux sociétés demanderesses devraient s'adresser soit aux auteurs du détournement du chèque, soit à la banque présentatrice qui a reçu le chèque sur support papier (v. p. 11, § 6 de ses conclusions).
Enfin, c'est tout aussi vainement que la banque oppose aux sociétés appelantes leur propre faute de « négligence importante », aux motifs que la société Régent a mis plus de sept mois avant de s'apercevoir que le chèque qu'elle avait remis à l'encaissement n'avait pas été crédité sur son compte, et que la SCP a mis plus de six mois « pour se manifester », ce qui - toujours selon la banque - caractériserait une faute consistant, d'une part, à n'avoir pas réagi dans le délai de 60 jours - ci-après évoqué - à la falsification et donc à avoir émis une contestation « hors délai », d'autre part, à ne pas avoir surveillé suffisamment ses comptes (v. les conclusions de la banque, p. 12, §1). En effet, nonobstant le fait que l'action de la victime est recevable tant que le délai de prescription n'a pas expiré, la cour considère, d'abord, que la banque ne peut opposer à ses clients des règles interbancaires limitant à 60 jours le « délai de rejet d'image chèque » à l'issue duquel les chèques « non circulants » ne sont plus conservés, ensuite et, ensuite, que le comportement des sociétés appelantes ne peut s'analyser en une faute et n'a, en tout état de cause, nullement contribué la réalisation du dommage qu'elles invoquent, fût-ce seulement en partie.
Il résulte de tout ce qui précède que la banque a seule engagé sa responsabilité.
- Sur les préjudices :
En premier lieu, force est de constater que la SCP n'explique nullement en quoi consisterait son préjudice (v. p. 6, point a de ses conclusions), qu'elle évalue pourtant, dans le dispositif de ses conclusions, à la somme de 3 000 euros, et qui ne correspond pas au montant du chèque détourné. En effet, en appel, c'est la société Régent qui demande la condamnation de la banque à lui payer le montant du chèque détourné. La SCP ne produit pas non plus de pièce de nature à étayer ce préjudice de 3 000 euros.
L'existence du préjudice invoqué par la SCP n'étant pas établie, la demande indemnitaire de celle-ci sera rejetée.
En second lieu, la banque reconnaît elle-même que c'est la société Régent qui devrait recevoir l'indemnisation due au titre du chèque détourné (v. ses conclusions, p. 9 in fine).
La banque n'est pas fondée à nier l'existence de ce préjudice aux seuls motifs que la SCP aurait émis un second chèque au profit de la société Régent mais que cette dernière s'abstiendrait volontairement de l'encaisser, dès lors que l'indemnisation réclamée dans la présente instance aurait pour effet de rendre cet encaissement indu.
Par ailleurs, la circonstance que l'auteur du détournement du chèque ou le bénéficiaire effectif de ce chèque pourraient réparer le préjudice résultant de ce détournement n'est aucunement de nature à rendre hypothétique ce préjudice qui, au contraire, est certain, dans la mesure où il est acquis que le chèque a été détourné et son montant crédité sur le compte du mauvais bénéficiaire.
Il ne peut pas davantage être opposé à faute de la société Régent le fait qu'elle ne s'est pas constituée partie civile pour réclamer une indemnisation à l'auteur du détournement (v. la partie des conclusions de la banque relative à la négation de l'existence du préjudice, p. 10), dès lors que la victime dispose d'une option de compétence lui offrant la faculté, et non l'obligation, de se constituer partie civile devant le juge pénal et ne peut être privée de la possibilité de présenter ses demandes de réparation devant le juge civil.
Il s'ensuit que la banque Crédit du Nord a engagé sa responsabilité, de sorte que la Société générale, qui vient aux droits du Crédit du Nord à la suite de la fusion-absorption ci-dessus évoquée, est tenue d'indemniser la société Régent du préjudice par elle subie en raison du détournement du chèque. Ce préjudice équivaut au montant de ce chèque, soit à la somme de 8 640 euros.
Cette somme produira intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code civil (et non 1342-2, comme indiqué dans le dispositif des conclusions des appelantes, à la suite d'une simple erreur matérielle).
En revanche, la société Régent procède par voie d'affirmation non étayée en soutenant que les manquements de la banque, à l'origine du non-paiement des factures devant être honorées au moyen du chèque falsifié et détourné, ont entraîné un « déséquilibre comptable qui dure depuis maintenant trois ans. »
Faute de preuve de ce qu'elle a subi ce préjudice supplémentaire, la société Régent sera déboutée de sa demande indemnitaire correspondante.
3°- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Succombant, la banque sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, et au paiement d'une indemnité de procédure.
Par ailleurs, la succombance de la SCP justifie le rejet de sa demande d'indemnité procédurale.
PAR CES MOTIFS
La cour,
- INFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
Et statuant de nouveau :
- Déclare recevables les demandes formées par la SCP [Y] & Lombret et par la société Européenne de distribution de mécanismes de reliures Régent ;
- Rejette la demande indemnitaire formée par la SCP Schmill & Lombret ;
- Condamne la Société générale, venant aux droits de la société Crédit du Nord, à payer à la société Européenne de distribution de mécanismes de reliures Régent la somme de 8 640 euros en réparation du préjudice résultant de la falsification d'un chèque, cette somme produisant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
- Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;
- Rejette la demande de la société Européenne de distribution de mécanismes de reliures Régent tendant au paiement de la somme de 3 000 euros en réparation d'un préjudice supplémentaire ;
- Condamne la Société générale, venant aux droits de la société Crédit du Nord, aux dépens de première instance et d'appel, et autorise Maître [T] à recouvrer directement ceux des dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision ;
- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes respectivement formées par la Société générale et par la SCP [Y] & Lombret, et condamne Société générale, venant aux droits de la société Crédit du Nord, à payer à la société Européenne de distribution de mécanismes de reliures Régent la somme globale de 3 000 euros ;
Le greffier
Marlène Tocco
La présidente
Stéphanie Barbot