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Décisions

CA Riom, ch. soc., 30 janvier 2024, n° 21/02032

RIOM

Autre

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CA Riom n° 21/02032

30 janvier 2024

30 JANVIER 2024

Arrêt n°

ChR/NB/NS

Dossier N° RG 21/02032 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FVWW

S.A.R.L. [I] & [G]

/

[H] [L]

jugement au fond, origine conseil de prud'hommes - formation paritaire de riom, décision attaquée en date du 08 septembre 2021, enregistrée sous le n° f 20/00036

Arrêt rendu ce TRENTE JANVIER DEUX MILLE VINGT QUATRE par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :

M. Christophe RUIN, Président

Mme Frédérique DALLE, Conseiller

Mme Karine VALLEE, Conseiller

En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des débats et du prononcé

ENTRE :

S.A.R.L. [I] & [G]

prise en la personne de son représentant légal en exercice agissant en cette qualité au siège social sis

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Anne LAURENT-FLEURAT de la SELARL AUVERJURIS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

APPELANTE

ET :

M. [H] [L]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par M. [J], défenseur syndical CGT muni d'un pouvoir de représentation du 06 octobre 2021

INTIME

M. RUIN, Président en son rapport, après avoir entendu, à l'audience publique du 23 octobre 2023, tenue en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans qu'ils ne s'y soient opposés, les représentants des parties en leurs explications, en a rendu compte à la Cour dans son délibéré après avoir informé les parties que l'arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [H] [L], né le 22 avril 1969, a été embauché le 3 octobre 2018 par la SARL [I] & [G] ( RCS CLERMONT-FERRAND 792 230 781 / siège social à [Localité 3] / gérante : Madame [Y] [I]), suivant un contrat de travail à durée indéterminée, à temps complet, en qualité de chef d'équipe (niveau III, position 2, coefficient 230, de la convention collective nationale des ouvriers du bâtiment du 7 mars 2018).

Par courrier recommandé (avec avis de réception) daté du 16 mars 2020, la SARL [I] & [G] a convoqué Monsieur [H] [L] à un entretien préalable (fixé au 31 mars suivant) à une éventuelle mesure de licenciement et lui a confirmé une mise à pied à titre conservatoire notifiée oralement ce jour.

Par lettre remise en main propre le 17 mars 2020, la gérante de la société [I] & [G] a confirmé à Monsieur [H] [L] sa mise à pied conservatoire en lui demandant de ne plus se présenter dans les locaux de l'entreprise.

Par courrier recommandé (avec avis de réception) daté du 25 mars 2020, Monsieur [H] [L] a accusé réception de sa convocation à un entretien préalable en demandant à la SARL [I] & [G] de reporter cet entretien compte tenu de la crise sanitaire.

Par courriers recommandés (avec avis de réception) datés des 28 mars et 2 avril 2020, la SARL [I] & [G] a accepté de reporter la date de l'entretien préalable au 21 avril suivant, et ce en maintenant la mesure de mise à pied conservatoire. Monsieur [H] [L] en a pris acte par courrier en réponse daté du 5 avril 2020.

Par courrier recommandé (avec avis de réception) daté du 24 avril 2020, vu l'absence du salarié à l'entretien préalable en raison de la crise sanitaire, la SARL [I] & [G] a communiqué à Monsieur [H] [L] l'exposé des griefs que l'employeur avait à son encontre et pour lesquels il attendait les éventuelles commentaires du salarié. Par courrier recommandé (avec avis de réception) en réponse daté du 30 avril 2020, Monsieur [H] [L] a adressé à l'employeur ses observations sur les griefs notifiés.

Par courrier recommandé (avec avis de réception) daté du 7 mai 2020, la SARL [I] & [G] a notifié à Monsieur [H] [L] son licenciement.

Le courrier de notification du licenciement est ainsi libellé :

'Monsieur [L],

Nous avons été conduits à vous exposer par écrit le 24 avril 2020 les griefs que nous portions à votre égard et qui justifiaient votre mise à pied à titre conservatoire en attente de notre décision définitive qui pouvait aller jusqu'au licenciement pour faute grave.

Nous accusons bonne réception de votre courriel du 2 mai 2026 dans lequel vous répondez aux griefs que nous avons formulés à votre encontre.

Avant d'en venir à votre réponse et à notre décision, nous nous permettons de rappeler les circonstances nous avant conduit à vous présenter nos griefs par courrier.

C'est bien pour respecter au maximum l'ensemble de vos droits, notamment celui d'être assisté, que nous vous avons proposé des solutions alternatives et avons accepté de reporter par deux fois la date de l'entretien.

Vous en convenez, rien ne garantit que les conditions optimales seront réunies à partir du 11 mai pour réaliser cet entretien préalable. En conséquence de quoi nous ne pouvions reporter la date de cet entretien une nouvelle fois.

Pour rappel, voici la chronologie des étapes qui nous ont conduit à vous notifier nos griefs par écrit et à vous demander de vous en expliquer par retour.

Le 16 mars 2020, nous vous informions en lettre recommandée avec accusé de réception, que nous étions amenés à envisager à votre égard une sanction pouvant aller jusqu'à un licenciement pour faute grave et vous confirmions votre mise à pied à titre conservatoire se poursuivant jusqu'à la décision définitive qui découlerait de l'entretien.

Nous vous convoquions à un entretien préalable qui devait se tenir le 31 mars 2020. Vous demandiez le report de cet entretien car vous vouliez être accompagné par un conseiller du salarié et qu'il était, selon vous; impossible à celui-ci d'assurer- sa mission.

Nous vous répondions que, puisque nous avions dû prononcer à votre égard une mise à pied à titre conservatoire, le report de l'entretien nous semblait être contre votre intérêt. Nous vous proposions, de manière alternative, de réaliser cet entretien en visioconférence ou conférence téléphonique pour que vous puissiez être épaule par le conseiller du salarié sans que personne ne se déplace. Nous ajoutions que nous avions contacté la Direccte qui réfutait avoir donné la moindre consigne ordonnant qu'aucun déplacement pour entretien préalable ne soit effectué. Enfin nous précisions que le Code du travail vous autorise à être accompagné par un conseiller du salarié ou par un salarié de l'entreprise.

Malgré toutes ces propositions, vous nous avez confirmez par mail du 30 mars 2020 que vous demandiez le report de l'entretien à une date ultérieure à la date de fin de confinement connue à ce moment-là, soit le 14 avril 2020.

En conséquence et à votre demande, nous reportions la date de l'entretien préalable au mardi 21 avril 2020 à 9h00. Nous vous rappelons que la mise à pied prononcée à titre conservatoire qui vous avait été notifiée le 16 mars 2020 se poursuivait jusqu'à la décision définitive qui découlerait de l'entretien. Nous maintenions être prêts à envisager avec vous toutes les solutions alternatives pour que cet entretien puisse se faire à distance si vous le souhaitiez.

Or, le 20 avril 2020, la veille de l'entretien, vous nous avez adressé une nouvelle demande de report d'entretien, indiquant que votre conseiller du salarié ne pouvait toujours pas assister à cet entretien. Vous précisiez en outre que compte tenu du déconfinement prévu le 11 mai 2020, vous étiez contraint d'attendre que la crise sanitaire vous permette de réaliser i'entretien préalable dans les meilleures conditions.

Nous vous écrivions alors que rien ne garantissait que les conditions que vous souhaitiez pour la tenue de cet entretien préalable seraient réunies à partir du 11 mai 2020. Or cet entretien ne pouvait être reporté indéfiniment notamment au regard de la mise à pied conservatoire prononcée à votre encontre.

Nous rappelons que le Code du travail n'impose pas le report de l'entretien préalable et l'employeur peut prononcer sa décision à l'issue du délai de réflexion.

Toutefois et afin de vous permettre d'assurer votre défense contradictoire, nous vous avons exposé les griefs que nous avons à votre encontre par courrier du 24 avril 2020 et vous proposions de formuler vos réponses avant le vendredi 8 mai 2020. Nous avions joins à ce courrier une instruction de la DIRECCTE Auvergne Rhône Alpes datée du 24 mars 2020 relative aux missions du conseiller du salarié en cette période de Covid-19.

Après réflexion, nous avons le regret de vous informer de notre décision de procéder à votre licenciement pour faute grave pour les motifs à suivre. Faits que nous avons découvert dans le cadre notre enquête interne conduite à partir du 13 mars 2020. Vous n'apportez pas dans votre réponse d'éléments nous conduisant à penser que vous n'auriez pas été l'auteur des propos et agissements qui nous ont été rapportés.

Le jeudi 12 mars 2020, vers 11h00, sur le chantier Aménagement des abords de la Tour Sapis à [Localité 5], vous vous en êtes pris verbalement à votre équipier, Monsieur [C] [E] qui, s'est trouvé dans une détresse telle qu'il n'a eu d'autre solution que de quitter le chantier. il ne pouvait plus supporter que vous lui « gueuliez '' dessus en permanence et sans aucune raison légitime.

Voici comment nous avons pris connaissance de ces événements. Alors que j'étais hospitalisée, vous avez averti vers 15h M. [I], associé de l'entreprise [I] et [G], que votre équipier avait quitté le chantier vers 11h00 et qu'il vous fallait quelqu'un pour le remplacer. M. [I] a alors essayé de joindre votre équipier pour connaître les raisons de son départ du chantier et a conduit un autre équipier auprès de vous.

Nous n'avons pas pu joindre Monsieur [C] [E] le jeudi 12 mars 2020. Le vendredi 13 mars 2020, nous avons enfin réussi à avoir un échange téléphonique avec lui. il m'a alors clairement indiqué qu'il ne pouvait pas revenir travailler avec vous et qu'il préférait perdre son salaire que de subir vos agissements à son encontre, saillies verbales, insultes, réprimandes, pressions, commentaires ironiques. Je lui ai alors proposé de le recevoir en entretien, ce qui s'est fait le jour même à 14h, en présence de M. [I].

Durant cet entretien, Monsieur [C] [E] a alors indiqué les faits suivants :

Le 12 mars 2020, alors que vous étiez tous deux en train de réaliser des travaux de rejointement de façade en pierre et de projection d'enduit, la machine à crépir qui fonctionnait jusque-là sans problème comme en a attesté votre co-équipier, s'est bloquée. Les sacs d'enduits qui avaient été mis dans la cuve de malaxage ne sortaient pas par la lance de projection. Vous avez alors poussé la manette de l'accélérateur de la machine à fond, mettant ainsi à mal le mécanisme de la machine. votre coéquipier vous a alerté qu'une odeur de « cramé '' se dégageait de la machine et que la machine ne « tournait '' pas comme d'habitude. Vous avez alors forcé la machine si bien que de l'enduit à la chaux présent dans la cuve de malaxage a été projetée au visage de votre co-équipier, risquant de le blesser en particulier aux yeux. Ceci implique donc que vous avez enfreint les règles les plus élémentaires de sécurité, alors même

que votre coéquipier vous alertait et avez mis en danger son intégrité physique, sa santé et sa sécurité.

En outre, cette manipulation forcée et volontaire constitue une utilisation inappropriée au risque d'en casser la mécanique.

Lorsque votre équipier vous a suggéré que quelque chose ne fonctionnait pas normalement et plutôt que de tenir compte de son avis, vous lui avez crié dessus en lui disant « qu'il n'v connaissait rien il et l'auriez insulté en le traitant de « burro '' (âne, voire crétin, con, connard en portugais).

Votre équipier a alors baissé la manette de i'accélérateur de la machine pour supprimer la mauvaise utilisation que vous en aviez faite. Vous lui avez de nouveau crié dessus en lui répétant qu'il n'v connaissait rien. Excédé par les expressions permanentes de votre mépris pour son travail la tu n'y connais rien, c'est pas comme ça qu'il faut faire ''...), poussé à bout par vos agissements à son encontre, votre pression, votre manque de respect, vos reproches infondés, mais aussi face à la mise en danger de sa sécurité, votre équipier n'a eu d'autre solution que de quitter le chantier. Lors de l'entretien, votre équipier nous a dit que son départ du chantier était l'expression de son incapacité à poursuivre plus avant la collaboration avec vous compte tenu de l'humiliation quotidienne que vous lui imposiez.

Dans votre courrier vous ne contestez pas ces faits que nous vous avons clairement exposés. Vous n'en faites tout simplement pas mention. Vous évoquez cet incident de machine sans relever ces détails pour suggérer que votre équipier aurait abandonné son poste '' pour une raison qui vous est totalement étrangère et qui tiendrait de son manque d'ardeur au travail. Même si ce n'est pas du tout l'objet, nous réfutons que les chantiers sur lesquels vous avez été affectés aient été sous dimensionnés en moyens humains ou en matériel. D'ailleurs ce n'est pas votre propos, mais celui que vous attribue à votre équipier pour expliquer son départ.

Or ce n'est pas du tout ce qui nous a été rapporté. Vous occultez notamment avoir forcé la machine, qu'ainsi votre équipier a subi une projection de matière en plein visage.

Vous ne dites rien de la nature de vos relations avec lui si ce n'est pour l'accuser de ne pas faire son travail, de s'être énervé. Vous laissez entendre que cette colère serait liée à sa lassitude de l'entreprise. votre défense consiste à le dénigrer et à formuler des reproches infondés sur son implication au travail.

Vous éludez totalement l'avoir appelé « burro ''. Mais vous ne le niez pas.

En outre, vous mettez en avant le fait que vous nous avez informé du départ de votre équipier 4 heures après. Ceci alors même que vous aviez constaté sa détresse même si nous ne nous entendons pas sur les causes de celle-ci. Ainsi, malgré votre rôle de chef d'équipe, vous ne nous avez pas alertés immédiatement de cette situation. D'après vos mots, votre signalement n'était pas fait pour que nous nous inquiétions du sort de [C] [E], mais parce que vous vouliez quelqu'un pour le remplacer.

Votre ligne de conduite comme vous la nommer empreinte de « bienveillance '' s'accorde bien mal de votre réaction en la circonstance. Vous êtes chef d'équipe. Dans la circonstance, vous auriez dû vous préoccuper de i'état de santé de votre équipier et réagir immédiatement en nous faisant remonter cet incident. Vous montrez ici que votre attention était centrée sur vous-même, bien loin du souci de la santé et de la sécurité de votre équipier. Et vos explications ne sont pas du tout de nature à nous convaincre de leur sincérité.

Le 13 mars 2020 lors de l'entretien au siège social de l'entreprise, votre équipier nous a informé que votre véhémence à son égard et la façon dégradante que vous adoptez pour vous adresser à lui n'étaient pas un fait isolé mais que vous les répétiez depuis plusieurs mois. Ainsi, vous utilisez l'insulte «burro'' au quotidien au lieu de l'appeler par son prénom. Vous dites pourtant de manière angélique ne l'avoir jamais insulté. Toutefois vous ne niez pas avoir renommé votre équipier ainsi. Il va sans dire que ce surnom est humiliant. Appeler un collègue, d'autant plus une personne dont on est le supérieur hiérarchique « burro ' (âne, voire crétin, imbécile, con en portugais) est bien une insulte.

Vous vous permettez de l'utiliser en permanence à l'encontre de votre équipier y compris devant d'autres collaborateurs. Or les actes commis devant témoins en renforcent le caractère humiliant. En revanche, parfaitement conscient de la faute que i'utilisation de ce terme recouvre, vous vous êtes gardé de l'utiliser en ma présence.

L'utilisation répétée, systématique de cette insulte 'burro' est en elle-même suffisamment grave en ce qu'elle porte atteinte à la dignité de votre équipier et caractérise votre intention de le rabaisser, de vous moquer de lui, pour Justifier la sanction que nous prenons à votre égard.

Mais ce n'est pas tout, d'autres éléments viennent étayer votre comportement nuisible.

Votre coéquipier nous a aussi précisé que vous dévalorisiez en permanence son travail, remettiez en cause ses compétences et bridiez chacune de ses initiatives. il s'entendrait ainsi dire à longueur de journée « ce n'est pas comme ça qu'il faut faire '', «tu n'y connais rien ''. Ce sont des sentences que vous destinez également à d'autres collaborateurs. En outre, il nous est rapporté que vous agissez comme un dominant qui laisse faire certaines tâches les plus fatigantes sans v participer pour vous en attribuer ensuite le résultat.

Suite aux propos de votre équipier et découvrant ainsi malheureusement une situation inacceptable, nous avons enquêté auprès des collaborateurs de l'entreprise sur votre attitude. Ce que nous avons découvert est édifiant. il nous a été confirmé par plusieurs d'entre eux que vous aviez renommé votre équipier « burro '' depuis longtemps déjà.

Ces mêmes collaborateurs vous avaient alerté que c'était tout autant incorrect qu'insultant. C'est aussi en échangeant avec d'autres collaborateurs, que votre équipier qui ne parle pas portugais, a découvert la nature de l'insulte que vous utilisiez pour l'appeler. Des collaborateurs nous précisant qu'ils avaient constaté ces faits, sans nous les faire remonter, lors de travaux collectifs sur le chantier de la tour Sapis en décembre 2019 et janvier 2020. L'un d'eux nous a aussi indiqué que Monsieur [C] [E] lui avait fait part en décembre de son souhait de changer d'équipe voire quitter l'entreprise ne supportant plus votre attitude méprisante, et avant découvert la traduction du sobriquet de « burro ''.

Nous avons également découvert lors de cette enquête tout le mépris que vous exprimiez envers les autres collaborateurs jugeant leur façon de travailler incorrecte mais aussi envers la direction, la dénigrant en permanence. Ainsi un collaborateur m'a dit que le vendredi 13/12/2019 en fin de journée, alors que plusieurs collaborateurs étaient dans le bungalow de chantier de la tour Sapis à [Localité 5], vous m'avez personnellement dénigrée, en disant que je ne connaissais rien à la maçonnerie, que j'étais « bonne à être au bureau et à être une secrétaire''. Il s'agit d'une remarque dont le sexisme est parfaitement inacceptable. En outre elle revêt un caractère de défiance et de dénigrement envers votre employeur en totale opposition avec la réserve qu'implique notre relation contractuelle. il est intolérable, déloyal, que vous vous permettiez de dévaloriser le travail de votre employeur et diffusiez une image d'incompétence

dans votre environnement professionnel.

Le 16/03/2020, j'ai directement subi votre mépris. Alors que vous veniez chercher du matériel au siège social de l'entreprise, vous avez trouvé de bon ton de vous moquer de moi en m'imitant en train de me déplacer avec des béquilles. Vous pensiez que je ne pouvais pas vous voir mais i'al malheureusement assisté à cette mascarade et ce manque de respect. Si tant est que l'on puisse rire d'une situation de handicap, on ne peut pas vous accorder le bénéfice d'avoir voulu faire de i'humour dès lors que votre intention était de le faire derrière mon dos.

Enfin le 17/03/2020, alors que votre mise à pied à titre conservatoire vous avait été signifiée la veille, vous ne l'avez pas respectée et êtes malgré tout venu au siège social de l'entreprise à l'heure d'embauche.

Vous avez refusé de quitter les locaux malgré l'ordre que je vous ai alors donné. Vous avez exigé que je vous donne un justificatif écrit de votre mise à pied a titre conservatoire. le vous ai indiqué que le courrier de mise à pied vous avez été adressé la veille et que vous alliez le recevoir parla poste. Face à votre entêtement et vos propos virulents vis-à-vis de I'entreprise tels que « avec d'autres collaborateurs, on va vous attaquer au tribunal '', « j'ai pas peur de vous '' « je ne partirai pas tant que j'ai pas de document écrit '' et dans une volonté d'apaisement, ]'ai alors accepté de vous remettre un double du courrier confirmant votre mise à pied à titre conservatoire ainsi qu'un courrier de remise en main propre. Vous m'avez alors dit que vous ne signeriez rien et que vous alliez rester là. Ce n'est qu'en fin de matinée, alors

que le confinement national entrait en vigueur que vous avez quitté l'entreprise.

L'enquête conduite en interne nous amène donc à la conclusion que le départ précipité de votre co-équipier le jeudi 12 mars 2020 correspondait à une volonté manifeste de ce dernier de se protéger d'un comportement nuisible de votre part à son encontre et totalement inacceptable dans une communauté de travail. Plus particulièrement, vos agissements vis-à-vis de votre équipier Monsieur [C] [E], l'insulte « burro '' que vous commettez quotidiennement, les réprimandes que vous vous permettez, le dénigrement du travail de votre équipier sont intolérables, irréparables, d'une extrême gravité et tiennent de ce qui confine à du harcèlement moral au regard de leur nature, de leur récurrence et des souffrances psychologiques qu'ils engendrent. Vos mots, vos agissements écrasent cette personne, bride ses initiatives. Ils font de lui votre souffre-douleur et ont dégradé ses conditions de travail de telle mesure qu'il a quitté son poste de travail et envisagé de partir de l'entreprise pour ne plus subir vos propos et agissements. Des collaborateurs nous rapportent que vous avez adopté à leur encontre des attitudes similaires à celle que vous avez vis-à-vis de Monsieur [C] [E]. Cela démontre la brutalité inacceptable dont vous faites preuve .dans vos relations de travail. Votre manque de respect a été exprimé par plusieurs de vos collègues. votre absence d'écoute et de prise en compte de l'avis des autres caractérisent votre mépris de vos équipiers.

Dans votre réponse, vous éludez totalement les faits précis qui vous sont reprochés. Vous vous présentez comme quelqu'un de vertueux animé par des sentiments d'humilité et de bienveillance. Mais vous ne répondez absolument pas aux faits. Vous ne niez pas avoir renommé [C] « burro ». Vos dénégations laconiques et autocentrées ne sont pas du tout de nature à nous convaincre. Que vous fassiez preuve d'insincérité ou que vous ne vous rendiez pas compte de la dangerosité de vos paroles, de vos actes vis-à-vis de vos collaborateurs, votre comportement intimidant, hostile, dégradant, humiliant à leur égard est inacceptable en ce qu'il porte atteinte à leur intégrité morale ainsi qu'à leur dignité. Votre fonction de chef d'équipe implique que vous donniez l'exemple, et comme vous le soulignez dans votre courrier du 30 avril 2020 que vous fassiez preuve de bienveillance, sachiez accompagner vos équipiers, génériez chez eux de l'enthousiasme, soyez moteur dans le respect des règles de sécurité, de votre hiérarchie, de l'entreprise. Vous avez un devoir d'exemplarité dans votre comportement, dans vos mots.

Or les faits corroborés par plusieurs témoignages sont en totale opposition avec les fondements de votre fonction. Nous sommes donc contraints de prendre cette mesure de licenciement à votre encontre pour protéger les collaborateurs de l'entreprise de votre comportement.

Nous vous reprochons également une situation au cours de laquelle vous avez mis en danger la santé et la sécurité de votre équipier, son intégrité physique, en forçant le mécanisme d une machine ce qui a eu pour conséquence de projeter de la matière contenant de la chaux à son visage.

Enfin vous avez dénigré l'entreprise et moi-même.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l'entreprise est impossible. votre licenciement prend donc effet immédiatement à la date du 7 mai 2020 sans indemnité de préavis ni de licenciement.

Nous vous rappelons que vous faites i'objet d'une mise à pied à titre conservatoire. Par conséquent, la période non travaillée du 16 mars 2020 au 7 mai 2020 nécessaire pour effectuer la procédure de licenciement, ne sera pas rémunérée.

A l'expiration de votre contrat de travail, nous tiendrons à votre disposition votre certificat de travail, de congés payés, votre reçu pour solde de tout compte et votre attestation Pôle emploi.

Vous pouvez faire une demande de précision des motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre, dans les quinze jours suivant sa notification par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Nous avons la faculté d'y donner suite dans un délai de quinze jours après réception de votre demande, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Nous pouvons également, le cas échéant et dans les mêmes formes, prendre l'initiative d'apporter des précisions à ces motifs dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement.

Veuillez agréer, M. [L], l'expression de nos sentiments distingués'.

Par requête réceptionnée le 17 juin 2020, Monsieur [H] [L] a saisi le conseil de prud'hommes de RIOM aux fins notamment de voir juger sans cause réelle et sérieuse son licenciement, d'obtenir les indemnités de rupture afférentes ainsi que l'indemnisation du préjudice subi, notamment à raison des circonstances vexatoires entourant la rupture du contrat de travail, ainsi qu'un rappel de salaire sur mise à pied conservatoire.

La première audience devant le bureau de conciliation et d'orientation a été fixée au 10 septembre 2020 (convocation du défendeur le 23 juin 2020) et, comme suite au constat de l'absence de conciliation, l'affaire été renvoyée devant le bureau de jugement.

Par jugement rendu contradictoirement le 8 septembre 2021 (audience du 28 avril 2021), le conseil de prud'hommes de RIOM a :

- jugé recevables et bien fondées les demandes de Monsieur [H] [L] ;

- constaté l'absence de faute grave de Monsieur [H] [L] ;

En conséquence,

- condamné la SARL [I] & [G] à payer à Monsieur [H] [L] les sommes de :

*1.005,24 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

* 5.089,98 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 509 euros au titre des congés payés afférents,

* 3.285,36 euros au titre du paiement de la mise à pied conservatoire, outre 328,53 euros au titre des congés payés afférents,

* 5.089,88 euros net au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire,

* 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la société [I] & [G] de l'ensemble de ses demandes ;

- laissé les dépens à la charge de chacune des parties.

Le 29 septembre 2021, la SARL [I] & [G] a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié à sa personne morale le 9 septembre 2021.

Vu les conclusions notifiées à la cour le 8 juillet 2022 par Monsieur [H] [L],

Vu les conclusions notifiées à la cour le 30 juillet 2022 par la SARL [I] & [G],

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 25 septembre 2023.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières écritures, la société [I] & [G] conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour, statuant à nouveau, de :

- juger le licenciement de Monsieur [L] reposant sur une faute grave ;

En conséquence,

- débouter Monsieur [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions .

En tout état de cause,

- condamner Monsieur [L] à lui verser une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La SARL [I] & [G] expose, à titre liminaire, qu'en sa qualité de chef d'équipe, Niveau III, Position 2, coefficient 230 de la Convention collective des Ouvriers du Bâtiments des entreprises employant plus de dix salariés, il incombait à Monsieur [L], dans l'exercice de ses fonctions, d'assurer la responsabilité technique et managériale des personnes qu'il pouvait être amené à encadrer, soit en l'espèce Monsieur [C] [E]. Le salarié devait par ailleurs veiller à la bonne utilisation des matériels et engins dont il à l'usage et respecter, et faire respecter, l'ensemble des règles et consignes de sécurité prescrites par la réglementation en vigueur.

L'appelante que, comme cela s'infère de la lecture du courrier de notification du licenciement pour faute grave de Monsieur [L] , qu'il est fait grief au salarié :

* d'avoir, le jeudi 12 mars 2020 sur le chantier Aménagement des abords de la Tour Sapis à [Localité 5], été verbalement agressif envers son équipier, Monsieur [C] [E] ;

* d'avoir ce même jour enfreint les règles de sécurité régissant l'utilisation de la machine à crépir en ayant poussé la manette d'accélération à fond et en ignorant l'alerte donnée par son coéquipier quant à la présence d'une odeur de brûlé et d'avoir subséquemment mis en danger l'intégrité physique de ce dernier ;

* d'avoir insulté à plusieurs reprises Monsieur [C] [E], notamment en l'appelant par le surnom 'burro' ;

* de remettre systématiquement en cause le travail et les compétences de Monsieur [E], ainsi que de 'brider ses initiatives' ;

* de s'être attribué le profit de certaines tâches fatigantes réalisées par d'autres salariés et auxquelles il n'a pourtant pas participé personnellement ;

* d'avoir dénigré ses collaborateurs ainsi que l'entreprise ;

* d'être venu au siège social de l'entreprise le 17 mars 2020 alors même qu'une mise à pied à titre conservatoire lui avait été signifiée la veille, outre d'avoir refusé de quitter les locaux en dépit de l'ordre qui lui avait été donné en ce sens.

La société [I] & [G] considère que ces manquements sont constitutifs de faits laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral à l'encontre de la personne de Monsieur [C] [E], en sorte que, conformément à l'obligation de sécurité qui pèse sur elle, elle se devait de prendre l'ensemble des mesures utiles à préserver la santé et l'intégrité physique de ce salarié.

Elle en déduit que l'ensemble des fautes imputées à Monsieur [L] sont d'une gravité telle qu'elles ont rendu à l'évidence impossible la poursuite du contrat de travail du salarié, en ce compris la période de préavis et de mise à pied à titre conservatoire.

Elle en conclut que le licenciement notifié au salarié pour faute grave est présentement bien fondé et sollicite qu'il soit débouté de l'ensemble des demandes qu'il formule au titre de la rupture du contrat de travail et de la mise à pied à titre conservatoire qu'il estime subséquemment bien fondée.

Dans ses dernières écritures, Monsieur [H] [L] conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et y ajoutant, demande à la cour de débouter la SARL [I] & [G] de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 1.600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Monsieur [H] [L] objecte, au soutien de sa contestation du bien fondé de son licenciement :

* s'agissant du grief afférent à son prétendu comportement inapproprié et dangereux envers ses collègues de travail, que le départ anticipé de Monsieur [E] le 12 mars 2020 n'est pas lié à un comportement ou des propos déplacés qu'il aurait pu avoir, mais à raison de la blessure dont son collègue a été victime à raison d'une machine défectueuse mise à disposition par l'employeur. Il réfute ainsi avoir mis en danger la sécurité de son coéquipier et précise avoir immédiatement informé la direction de l'entreprise de cet incident et avoir sollicité le remplacement sur son poste de travail de Monsieur [E] ;

* s'agissant du harcèlement moral à l'encontre de Monsieur [E], il relève que l'employeur a reçu ce salarié en entretien le 13 mars 2020 sans qu'il n'ait été convié à celui-ci alors même qu'il incombait à l'employeur, afin de satisfaire le principe du contradictoire, de recueillir ses explications à cette occasion ;

* il ajoute que les propos qui lui sont prêtés au cours du mois de décembre 2019 et janvier 2020, outre qu'il en réfute la matérialité, ne peuvent lui être opposés dans le cadre du présent litige puisqu'antérieurs à plus de deux mois à l'engagement de la procédure disciplinaire et en conséquence prescrits ;

* s'agissant du dénigrement public de l'employeur, Monsieur [L] fait valoir que les propos qu'il aurait tenus le 16 mars 2020 à l'encontre de Madame [G], outre qu'il en conteste la matérialité, n'ont donné lieu à aucune sanction immédiate de la part de l'employeur et que s'agissant de ceux daté du 13 décembre 2019 ils ne peuvent en tout état de cause pas être mobilisés dans le cadre du présent litige car prescrits ;

* quant à sa présence dans les locaux de l'entreprise alors qu'il était mis à pied à titre conservatoire, Monsieur [L] explique que cette sanction lui a été notifiée oralement le 16 mars 2020 par l'employeur en sorte qu'il s'est effectivement rendu le lendemain sur son lieu de travail afin d'en recevoir la notification écrite. Il réfute en revanche avoir tenu des propos virulents à cette occasion.

L'intimé déduit de l'ensemble de ces circonstances que l'employeur échoue à rapporter la preuve du bien fondé des griefs de licenciement et subséquemment qu'il aurait commis de quelconques manquements d'une gravité telle qu'ils auraient rendu impossible la poursuite du contrat de travail. Il réclame la condamnation de l'employeur au paiement des indemnités de rupture ainsi qu'à l'indemnisation du préjudice qu'il indique avoir subi à raison de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.

Monsieur [H] [L] réclame également un rappel de salaire sur mise à pied conservatoire qu'il estime subséquemment injustifiée. Il considère son licenciement est intervenu dans des circonstances vexatoires puisqu'en dépit de ses explications, l'employeur a poursuivi la procédure de licenciement en se fondant sur des griefs parfaitement infondés et ce alors même qu'il ne justifie d'aucun passif disciplinaire antérieur.

Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.

MOTIFS

- Sur le licenciement -

Le licenciement correspond à une rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige sur la cause du licenciement, ce qui interdit à l'employeur d'invoquer de nouveaux ou d'autres motifs ou griefs par rapport à ceux mentionnés dans la lettre de licenciement.

Pour que la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur soit justifiée ou fondée, en tout cas non abusive, la cause du licenciement doit être réelle (faits objectifs, c'est-à-dire précis et matériellement vérifiables, dont l'existence ou matérialité est établie et qui constituent la véritable raison du licenciement), mais également sérieuse, c'est-à-dire que les faits invoqués par l'employeur, ou griefs articulés par celui-ci, doivent être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement.

Le licenciement pour motif personnel est celui qui est inhérent à la personne du salarié. Un licenciement pour motif personnel peut être décidé pour un motif disciplinaire, c'est-à-dire en raison d'une faute du salarié, ou en dehors de tout comportement fautif du salarié (motif personnel non disciplinaire). Il ne doit pas être discriminatoire.

Si l'employeur peut sanctionner par un licenciement un acte ou une attitude du salarié qu'il considère comme fautif, il doit s'agir d'un comportement volontaire (action ou omission). À défaut, l'employeur ne peut pas se placer sur le terrain disciplinaire. La faute du salarié correspond en général à un manquement aux obligations découlant du contrat de travail. Elle ne doit pas être prescrite, ni avoir déjà été sanctionnée. Les faits reprochés au salarié doivent lui être personnellement imputables. Un salarié ne peut pas être licencié pour des faits imputables à d'autres personnes, même proches.

En cas de licenciement disciplinaire, le juge doit vérifier que le motif allégué constitue une faute. Selon sa gravité, la faute commise par le salarié emporte des conséquences plus ou moins importantes. Si les faits invoqués, bien qu'établis, ne sont pas fautifs ou constituent une faute légère mais non sérieuse, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. En cas de licenciement fondé sur une faute constituant une cause réelle et sérieuse, le salarié a droit au règlement de l'indemnité compensatrice de congés payés, de l'indemnité de licenciement, du préavis ou de l'indemnité compensatrice de préavis (outre les congés payés afférents).Le licenciement pour faute grave entraîne la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement. Le licenciement pour faute lourde, celle commise par le salarié avec l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise, entraîne également pour le salarié la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement, avec possibilité pour l'employeur de réclamer le cas échéant au salarié réparation du préjudice qu'il a subi (dommages-intérêts). Dans tous les cas, l'indemnité compensatrice de congés payés reste due.

La sanction disciplinaire prononcée par l'employeur, y compris une mesure de licenciement, ne pas doit être disproportionnée mais doit être proportionnelle à la gravité de la faute commise par le salarié. Le juge exerce un contrôle de proportionnalité en matière de sanction disciplinaire et vérifie en conséquence que la sanction prononcée par l'employeur à l'encontre du salarié n'est pas trop sévère compte tenu des faits reprochés.

La Cour de cassation juge qu'en matière de licenciement disciplinaire, si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l'encontre du salarié et les conséquences que l'employeur entend en tirer quant aux modalités de rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués. En conséquence, si un employeur procède à un licenciement pour faute lourde, il appartient au juge qui écarte cette faute, de rechercher si les faits commis par le salarié constituent quand même une faute grave ou, à défaut, une cause réelle et sérieuse de licenciement. Si un employeur procède à un licenciement pour faute grave, il appartient au juge qui écarte cette faute, de rechercher si les faits commis par le salarié constituent quand même une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Le code du travail ne donne aucune définition de la faute grave. Selon la jurisprudence, la faute grave se définit comme étant celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, constituant une violation des obligations qui résultent du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et la poursuite du contrat de travail pendant la durée du préavis.

La faute grave suppose une action délibérée ou une impéritie grave, la simple erreur d'appréciation ou l'insuffisance professionnelle ne pouvant ouvrir droit à une sanction disciplinaire. La gravité d'une faute n'est pas nécessairement fonction du préjudice qui en est résulté. La commission d'un fait isolé peut justifier un licenciement disciplinaire, y compris pour faute grave, sans qu'il soit nécessaire qu'il ait donné lieu à avertissement préalable.

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail sans préavis, en tout cas une rupture immédiate du contrat de travail avec dispense d'exécution du préavis. Elle peut justifier une mise à pied conservatoire, mais le prononcé d'une telle mesure n'est pas obligatoire. La faute grave ne saurait être admise lorsque l'employeur a laissé le salarié exécuter son préavis au salarié. En revanche, il importe peu que l'employeur ait versé au salarié des sommes auxquelles il n'aurait pu prétendre en raison de cette faute, notamment l'indemnité compensatrice de préavis ou les salaires correspondant à une mise à pied conservatoire.

En cas de faute grave, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs, mais le maintien du salarié dans l'entreprise est possible pendant le temps nécessaire pour apprécier le degré de gravité des fautes commises.

Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement ne pèse pas plus particulièrement sur l'employeur (la Cour de cassation juge que la preuve du caractère réel et sérieux du motif de licenciement n'incombe spécialement à aucune des parties), il incombe à l'employeur, en revanche, d'établir la faute grave ou lourde. Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Dans tous les cas, en matière de bien-fondé du licenciement disciplinaire, le doute doit profiter au salarié.

Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : 'Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.'.

Aux termes de l'article L. 1332-5 du code du travail : 'Aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l'engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l'appui d'une nouvelle sanction.'.

Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires (date de convocation à l'entretien préalable ou de prononcé d'une mise à pied conservatoire / date de présentation de la lettre recommandée ou de remise de la lettre simple pour une sanction ne nécessitant pas un entretien préalable) au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié.

Si un fait fautif ne peut plus donner lieu à lui seul à une sanction disciplinaire au-delà du délai de deux mois, ces dispositions ne font pas obstacle à la prise en considération de faits antérieurs à deux mois dès lors que le comportement du salarié s'est poursuivi ou s'est réitéré dans ce délai, l'employeur pouvant ainsi invoquer une faute prescrite lorsqu'un nouveau fait fautif est constaté, à condition toutefois que les deux fautes procèdent d'un comportement identique. Toutefois, aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l'engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l'appui d'une nouvelle sanction. Si des manquements antérieurs sanctionnés en leur temps peuvent être retenus pour caractériser une faute grave à la suite d'un nouveau manquement professionnel du salarié, c'est à la condition que ces faits ne soient pas antérieurs de plus de 3 ans à l'engagement de nouvelles poursuites disciplinaires.

En l'espèce, Monsieur [H] [L] a fait l'objet le 7 mai 2020 d'un licenciement pour motif disciplinaire de la part de la SARL [I] & [G] qui a retenu l'existence d'une faute grave du salarié en visant les griefs suivants :

1/ le manquement à l'obligation de sécurité commis le jeudi 12 mars 2020 sur le chantier aménagement des abords de la Tour Sapis à [Localité 5] :

Alors que vous étiez tous deux en train de réaliser des travaux de rejointement de façade en pierre et de projection d'enduit, la machine à crépir qui fonctionnait jusque-là sans problème comme en a attesté votre co-équipier, s'est bloquée. Les sacs d'enduits qui avaient été mis dans la cuve de malaxage ne sortaient pas par la lance de projection. Vous avez alors poussé la manette de l'accélérateur de la machine à fond, mettant ainsi à mal le mécanisme de la machine. votre coéquipier vous a alerté qu'une odeur de « cramé '' se dégageait de la machine et que la machine ne « tournait '' pas comme d'habitude. Vous avez alors forcé la machine si bien que de l'enduit à la chaux présent dans la cuve de malaxage a été projetée au visage de votre co-équipier, risquant de le blesser en particulier aux yeux. Ceci implique donc que vous avez enfreint les règles les plus élémentaires de sécurité, alors même que votre coéquipier vous alertait et avez mis en danger son intégrité physique, sa santé et sa sécurité. En outre, cette manipulation forcée et volontaire constitue une utilisation inappropriée au risque d'en casser la mécanique.

Lorsque votre équipier vous a suggéré que quelque chose ne fonctionnait pas normalement et plutôt que de tenir compte de son avis, vous lui avez crié dessus en lui disant « qu'il n'v connaissait rien il et l'auriez insulté en le traitant de « burro '' (âne, voire crétin, con, connard en portugais). Votre équipier a alors baissé la manette de i'accélérateur de la machine pour supprimer la mauvaise utilisation que vous en aviez faite. Vous lui avez de nouveau crié dessus en lui répétant qu'il n'v connaissait rien. Excédé par les expressions permanentes de votre mépris pour son travail la tu n'y connais rien, c'est pas comme ça qu'il faut faire ''...), poussé à bout par vos agissements à son encontre, votre pression, votre manque de respect, vos reproches infondés, mais aussi face à la mise en danger de sa sécurité, votre équipier n'a eu d'autre solution que de quitter le chantier. Lors de l'entretien, votre équipier nous a dit que son départ du chantier était l'expression de son incapacité à poursuivre plus avant la collaboration avec vous compte tenu de l'humiliation quotidienne que vous lui imposiez.

2/ le comportement inadapté et intolérable à l'encontre de son collègue de travail [C] [E] :

Le jeudi 12 mars 2020 sur le chantier Aménagement des abords de la Tour Sapis à [Localité 5], lorsque votre équipier vous a suggéré que quelque chose ne fonctionnait pas normalement et plutôt que de tenir compte de son avis, vous lui avez crié dessus en lui disant « qu'il n'v connaissait rien il et l'auriez insulté en le traitant de « burro '' (âne, voire crétin, con, connard en portugais).

Vous vous en êtes pris verbalement à votre équipier, Monsieur [C] [E] qui, s'est trouvé dans une détresse telle qu'il n'a eu d'autre solution que de quitter le chantier. il ne pouvait plus supporter que vous lui « gueuliez '' dessus en permanence et sans aucune raison légitime.

Le 13 mars 2020 lors de l'entretien au siège social de l'entreprise, votre équipier nous a informé que votre véhémence à son égard et la façon dégradante que vous adoptez pour vous adresser à lui n'étaient pas un fait isolé mais que vous les répétiez depuis plusieurs mois. Ainsi, vous utilisez l'insulte «burro'' au quotidien au lieu de l'appeler par son prénom. Vous dites pourtant de manière angélique ne l'avoir jamais insulté. Toutefois vous ne niez pas avoir renommé votre équipier ainsi. Il va sans dire que ce surnom est humiliant. Appeler un collègue, d'autant plus une personne dont on est le supérieur hiérarchique « burro ' (âne, voire crétin, imbécile, con en portugais) est bien une insulte.

Vous vous permettez de l'utiliser en permanence à l'encontre de votre équipier y compris devant d'autres collaborateurs. Or les actes commis devant témoins en renforcent le caractère humiliant. En revanche, parfaitement conscient de la faute que i'utilisation de ce terme recouvre, vous vous êtes gardé de l'utiliser en ma présence.

Votre coéquipier nous a aussi précisé que vous dévalorisiez en permanence son travail, remettiez en cause ses compétences et bridiez chacune de ses initiatives. il s'entendrait ainsi dire à longueur de journée « ce n'est pas comme ça qu'il faut faire '', «tu n'y connais rien ''. Ce sont des sentences que vous destinez également à d'autres collaborateurs. En outre, il nous est rapporté que vous agissez comme un dominant qui laisse faire certaines tâches les plus fatigantes sans v participer pour vous en attribuer ensuite le résultat.

3/ le dénigrement des collaborateurs, de la direction et de l'employeur :

Des collaborateurs nous rapportent que vous avez adopté à leur encontre des attitudes similaires à celle que vous avez vis-à-vis de Monsieur [C] [E]. Cela démontre la brutalité inacceptable dont vous faites preuve.

Nous avons également découvert lors de l'enquête tout le mépris que vous exprimiez envers les autres collaborateurs jugeant leur façon de travailler incorrecte mais aussi envers la direction, la dénigrant en permanence. Ainsi un collaborateur m'a dit que le vendredi 13/12/2019 en fin de journée, alors que plusieurs collaborateurs étaient dans le bungalow de chantier de la tour Sapis à [Localité 5], vous m'avez personnellement dénigrée, en disant que je ne connaissais rien à la maçonnerie, que j'étais « bonne à être au bureau et à être une secrétaire''.

Le 16/03/2020, j'ai directement subi votre mépris. Alors que vous veniez chercher du matériel au siège social de l'entreprise, vous avez trouvé de bon ton de vous moquer de moi en m'imitant en train de me déplacer avec des béquilles. Vous pensiez que je ne pouvais pas vous voir mais i'al malheureusement assisté à cette mascarade et ce manque de respect.

4/ le refus de la mise à pied conservatoire :

Le 17/03/2020, alors que votre mise à pied à titre conservatoire vous avait été signifiée la veille, vous ne l'avez pas respectée et êtes malgré tout venu au siège social de l'entreprise à l'heure d'embauche. Vous avez refusé de quitter les locaux malgré l'ordre que je vous ai alors donné. Vous avez exigé que je vous donne un justificatif écrit de votre mise à pied a titre conservatoire. le vous ai indiqué que le courrier de mise à pied vous avez été adressé la veille et que vous alliez le recevoir parla poste. Face à votre entêtement et vos propos virulents vis-à-vis de I'entreprise tels que « avec d'autres collaborateurs, on va vous attaquer au tribunal '', « j'ai pas peur de vous '' « je ne partirai pas tant que j'ai pas de document écrit '' et dans une volonté d'apaisement, ]'ai alors accepté de vous remettre un double du courrier confirmant votre mise à pied à titre conservatoire ainsi qu'un courrier de remise en main propre. Vous m'avez alors dit que vous ne signeriez rien et que vous alliez rester là. Ce n'est qu'en fin de matinée, alors que le confinement national entrait en vigueur que vous avez quitté l'entreprise.

L'employeur a engagé une procédure de licenciement pour motif disciplinaire à l'encontre de Monsieur [H] [L] le 16 mars 2020 et le licenciement pour faute grave a finalement été prononcé par la SARL [I] & [G] le 7 mai 2020, après un report de l'entretien préalable puis, celui-ci ne pouvant se tenir dans des conditions normales, une demande d'observations sur les griefs adressée par l'employeur au salarié avant prise de décision. Cette procédure un peu atypique s'explique par l'existence d'une crise sanitaire COVID avec une première période de confinement du 17 mars 2020 au 11 mai 2020. L'employeur, vu les circonstances particulières de l'espèce, a fait preuve de bonne foi et respecté le principe du contradictoire dans le déroulement de la procédure disciplinaire. En tout état de cause, la régularité de la procédure de licenciement pour motif disciplinaire n'est pas contestée par Monsieur [H] [L].

Le contrat de travail à durée indéterminée du 3 octobre 2018 comme les bulletins de paie mentionnent que Monsieur [H] [L] a été employé en permanence par la SARL [I] & [G] en qualité de chef d'équipe (niveau III, position 2, coefficient 230, de la convention collective nationale des ouvriers du bâtiment du 7 mars 2018), et non en qualité de chef d'atelier.

Les parties s'accordent pour dire que la rémunération mensuelle brute moyenne de Monsieur [H] [L] était de 2.544,94 euros.

La convention collective nationale des ouvriers du bâtiment prévoit la classification suivante en quatre niveaux :

- niveau I : ouvriers d'exécution,

- niveau II : ouvriers professionnels,

- niveau III : compagnons professionnels,

- niveau IV : maîtres ouvriers ou chefs d'équipe.

Si Monsieur [H] [L] a été employé par la SARL [I] & [G] en qualité de chef d'équipe, sa classification correspond à un compagnon professionnel du niveau III position 2 décrite ainsi par la convention collective : 'Les ouvriers de niveau III/2 exécutent les travaux délicats de leur métier, à partir d'instructions générales et sous contrôle de bonne fin. Dans ce cadre, ils disposent d'une certaine autonomie et sont à même de prendre des initiatives se rapportant à la réalisation des travaux qui leur sont confiés. Ils possèdent et mettent en oeuvre de très bonnes connaissances professionnelles acquises par formation professionnelle, initiale ou continue, et/ou une expérience équivalente. Ils peuvent être appelés à transmettre leur expérience et, éventuellement, à assurer le tutorat des apprentis et des nouveaux embauchés (1), au besoin à l'aide d'une formation pédagogique.'

À l'appui des griefs invoqués dans la lettre de licenciement, la société [I] & [G] produit quatre attestations correspondant à des témoignages directs:

- Monsieur [C] [E], aide-maçon dans l'entreprise, relate que Monsieur [H] [L] a tenu à son égard des propos indécents, le traitant de 'burro' en portugais, soit bourricot en français, à maintes reprises. Il ajoute que Monsieur [H] [L] l'a mis en danger, sans se soucier des conséquences, lorsqu'ils travaillaient sur une machine à projeter, qu'il a demandé en vain à Monsieur [H] [L] de bien la régler pour ne pas que la machine projette sur lui, mais en vain, qu'il a alors appliqué son droit de retrait du chantier ;

- Monsieur [M] [T], aide-maçon dans l'entreprise, relate que devant lui, à plusieurs reprises, Monsieur [H] [L] a insulté Monsieur [C] [E] en le traitant de 'burro', et ce tous les jours. Il ajoute que Monsieur [H] [L] s'en est pris à deux reprises à la gérante, Madame [I], à [Localité 5] et à [Localité 6] ;

- Monsieur [A] [P], maçon dans l'entreprise, relate qu'il a été le témoin du fait que Monsieur [H] [L] a insulté Monsieur [C] [E] en le traitant de 'burro' à plusieurs reprises. Bien qu'il ait signalé à Monsieur [H] [L] le caractère insultant de ce traitement, celui-ci a continué et a même utilisé le terme 'burro' avec d'autres collaborateurs, y compris à son encontre;

- Monsieur [U] [R], chauffeur dans l'entreprise, relate qu'il a été étonné de trouver Monsieur [H] [L] dans la cour de l'entreprise le 17 mars 2020 alors que la gérante, Madame [I], lui avait signifié préalablement qu'il était mis à pied. Il indique que Monsieur [H] [L] a refusé d'obéir à Madame [I] en restant dans la cour jusqu'à la fin de la matinée. Il ajoute qu'il a été témoin du manque de respect et des surnoms humiliants ('burro') que Monsieur [H] [L] a utilisé à plusieurs reprises à l'encontre de Monsieur [C] [E], et même à l'encontre de plusieurs personnes de l'entreprise.

L'appelante produit également l'attestation de Monsieur [V] [D], chargé d'affaire de la société KALIT, qui indique que Monsieur [H] [L] a travaille dans leur entreprise du 22 février au 4 mai 2021, que ce salarié présentait des difficultés d'organisation personnelle et de coopération avec ses collègues, que son état d'esprit était en décalage avec celui des équipes en place.

Monsieur [H] [L] produit les attestations suivantes :

- Monsieur [O] [K], maçon dans l'entreprise depuis 2014, indique qu'il a collaboré en parfaite entente de travail avec Monsieur [H] [L] et qu'en sa présence de dernier n'a commis aucun acte de malveillance envers ses collègues ;

- Monsieur [F] [X], gérant de la société CONSTRUCTIONS [X], relate qu'il a employé Monsieur [H] [L] du 2 février 2015 au 2 octobre 2018 et qu'il n'a eu aucun problème avec ce salarié, ni au niveau comportement ni au niveau travail, une très bonne entente et un respect mutuel étant instaurés entre Monsieur [H] [L] et ses collègues.

Les éléments d'appréciation objectifs versés aux débats sont insuffisants pour considérer que Monsieur [H] [L] aurait manqué à l'obligation de sécurité le jeudi 12 mars 2020 sur le chantier aménagement des abords de la Tour Sapis à [Localité 5], ou qu'il aurait dénigré la direction de l'entreprise [I] & [G] ou l'employeur.

Par contre, il est établi que Monsieur [H] [L] a, d'une part, manqué de respect à l'égard de ses collègues de travail (Monsieur [C] [E] particulièrement) et fait preuve d'insubordination en refusant d'exécuter la mesure de mise à pied conservatoire notifiée par l'employeur.

Selon des témoignages concordants, Monsieur [H] [L] traitait régulièrement ses collègues de travail de 'burro'. S'agissant de Monsieur [C] [E], qui lui était subordonné sur les chantiers et relevait d'une classification conventionnelle inférieure, ce comportement méprisant, dénigrant et insultant était si fréquent qu'il relève d'une véritable maltraitance, voire d'un harcèlement moral, à l'égard d'un collègue de travail. Si Monsieur [H] [L] nie avoir traité ses collègues de 'burro', il ne conteste pas le caractère insultant de ce terme dont la traduction commune la plus courante en français est âne, bourricot, idiot, con, bête, stupide, débile ou abruti. L'intimé ne prétend pas qu'il aurait pu utiliser le terme 'burro' dans un sens positif ou bienveillant.

Monsieur [H] [L] reconnaît que le 16 mars 2020 la gérante de l'entreprise [I] & [G], Madame [Y] [I], lui a notifié oralement, de façon claire, une mise à pied à titre conservatoire en lui indiquant qu'il recevrait bientôt un courrier de convocation à en entretien préalable à un éventuel licenciement. Pourtant, Monsieur [H] [L] s'est présenté délibérément le lendemain dans l'entreprise à son heure habituelle d'embauche et n'a pas voulu quitter les lieux avant la fin de la matinée, exigeant la remise immédiate d'un écrit de mise à pied de la part de la gérante.

Il n'est pas fait état d'un passé disciplinaire de Monsieur [H] [L] au sein de l'entreprise [I] & [G].

Ces agissements fautifs de Monsieur [H] [L] constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement, mais pas une faute grave au sens des principes susvisés.

C'est le jour où l'employeur, ou le supérieur hiérarchique direct du salarié, a connaissance du fait fautif qui marque le point de départ du délai de deux mois. Le point de départ du délai est constitué par le jour où l'agissement fautif est clairement identifié, c'est-à-dire au jour où l'employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié. Lorsqu'une enquête interne est diligentée, c'est la date à laquelle les résultats de l'enquête sont connus qui marque le point de départ du délai de deux mois.

Les faits fautifs commis par Monsieur [H] [L] ne sont pas prescrits sur le plan disciplinaire car l'employeur n'a été informé d'un problème que suite au droit de retrait exercé par Monsieur [C] [E] sur un chantier le 12 mars 2020. L'employeur n'a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés à Monsieur [H] [L] qu'après avoir entendu Monsieur [C] [E] le 13 mars 2020 ainsi que les autres salariés dans les jours ayant suivi l'incident du 12 mars 2020. Il a fait diligence en engageant la procédure disciplinaire dès le 16 mars 2020.

Lorsque l'employeur est informé de faits, commis à l'occasion du travail, pouvant constituer des agissements de harcèlement moral (ou sexuel) dont un ou plusieurs de ses salariés seraient victimes, il a l'obligation de procéder, dans les meilleurs délais, à une enquête interne (permettant de connaître la réalité des faits de manière objective, la nature de ces faits, l'ampleur et les répercussions des faits), et ce alors qu'il est tenu envers tous ses salariés d'une obligation de sécurité lui imposant de prendre toutes dispositions nécessaires en vue d'y mettre fin et de sanctionner leur auteur. Les modalités de cette enquête n'étant pas définies par le code du travail, c'est la jurisprudence qui est venue les encadrer. Le principe étant celui de la liberté de la preuve en matière prud'homale, l'employeur définit librement les modalités de son enquête sous réserve de ne pas procéder à des investigations illicites. L'enquête diligentée par l'employeur doit être menée de manière objective, sérieuse, loyale, impartiale, et, dans la mesure du possible vu l'exigence de célérité procédurale comme de protection des autres salariés (obligation de sécurité), de façon contradictoire et exhaustive. Ainsi, la jurisprudence donne la possibilité à l'employeur de n'entendre dans le cadre d'une enquête interne qu'une partie des salariés, notamment ceux potentiellement victimes du harcèlement, si les éléments d'information recueillis dans ce cadre sont suffisants pour mettre en oeuvre la procédure disciplinaire et dès lors que ces éléments n'ont pas été obtenus frauduleusement ou de façon déloyale. Elle donne également la possibilité à l'employeur de mener une enquête sans prévenir ni entendre préalablement ou concomitamment le salarié mis en cause par un ou des témoins, et ce afin d'assurer l'efficacité de l'enquête, et sans confronter ensuite le salarié mis en cause à ceux qui ont dénoncé son comportement, alors qu'une telle confrontation, génératrice d'une situation de stress, serait incompatible avec la prévention des risques psycho-sociaux qui incombe à l'employeur (obligation de sécurité).Il revient finalement aux juges du fond d'apprécier la valeur probante de l'enquête diligentée par l'employeur.

En l'espèce, à partir du 12 mars 2020, la société [I] & [G] a procédé rapidement à une enquête interne qui a été menée de façon objective et loyale sans recourir à des investigations illicites. Il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir procédé à une confrontation entre Monsieur [H] [L] et Monsieur [C] [E], ou avec les autres salariés ayant dénoncé le comportement de l'intimé. Le principe du contradictoire a été respecté dans la mesure où, vu les difficultés pour organiser un entretien préalable de façon physique pendant une période de confinement strict pour cause de crise sanitaire, la société [I] & [G] a communiqué à Monsieur [H] [L] l'ensemble des éléments d'appréciation résultant de son enquête interne, et ce par courrier recommandé daté du 24 avril 2020, en demandant à l'intimé de bien vouloir lui adresser en réponse ses éventuelles commentaires , ce que Monsieur [H] [L] a fait par courrier recommandé daté du 30 avril 2020.

La cour juge le licenciement de Monsieur [H] [L] fondé sur une cause réelle et sérieuse mais pas sur une faute grave.

Monsieur [H] [L] conserve le droit à un rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire ainsi qu'aux indemnités de rupture dont les montants arrêtés par le premier juge dont les montants arrêtés par le premier juge ne sont pas discutés par les parties (1.005,24 euros au titre de l'indemnité de licenciement ; 5.089,98 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 509 euros au titre des congés payés afférents ; 3.285,36 euros au titre du paiement de la mise à pied conservatoire, outre 328,53 euros au titre des congés payés afférents), mais il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi à raison d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou abusif, ainsi que de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire.

Le jugement sera réformé en ce sens.

- Sur les dépens et frais irrépétibles -

Le jugement sera confirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et dépens de première instance.

La société [I] & [G] sera condamnée aux dépens d'appel.

En équité, il n'y a pas lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et les parties seront déboutées de leurs demandes à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

- Infirme le jugement en ce que le conseil de prud'hommes a dit que le licenciement notifié à Monsieur [H] [L] est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et, statuant à nouveau de ce chef, juge le licenciement pour motif disciplinaire de Monsieur [H] [L] fondé sur une cause réelle et sérieuse mais pas sur une faute grave ;

- Infirme le jugement en ce que le conseil de prud'hommes a condamné la société [I] & [G] à payer à Monsieur [H] [L] une somme de 5.089,88 euros à titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et une somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire, et, statuant à nouveau de ces chefs, déboute Monsieur [H] [L] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire ;

- Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions non contraires ;

- Condamne la société [I] & [G] aux dépens d'appel ;

- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

Le greffier, Le Président,

N. BELAROUI C. RUIN