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Décisions

CA Nîmes, 5e ch. Pôle soc., 1 février 2024, n° 21/03255

NÎMES

Arrêt

Autre

CA Nîmes n° 21/03255

1 février 2024

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 21/03255 - N° Portalis DBVH-V-B7F-IFFB

YRD/DO

POLE SOCIAL DU TJ DE PRIVAS

22 juillet 2021

RG:20/00141

S.A.S. [6]

C/

[D]

CPAM DE L'ARDECHE

Grosse délivrée le 01 FEVRIER 2024 à :

- Me MANTE-SAROLI

- Me ANDREU

- CPAM ARDECHE

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE SOCIALE

5e chambre Pole social

ARRÊT DU 01 FEVRIER 2024

Décision déférée à la Cour : Jugement du Pole social du TJ de PRIVAS en date du 22 Juillet 2021, N°20/00141

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président,

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère,

Madame Leila REMILI, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier lors des débats et Madame Delphine OLLMANN, Greffière lors du prononcé de la décision.

DÉBATS :

A l'audience publique du 06 Décembre 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 01 Février 2024.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

S.A.S. [6]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Marie-christine MANTE-SAROLI de la SELARL MANTE SAROLI AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

INTIMÉS :

Monsieur [G] [D]

né le 22 Janvier 1964

[Adresse 7]

[Localité 3]

Représenté par Me Julie ANDREU de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

CPAM DE L'ARDECHE

Service des affaires juridiques

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représenté par M. [Y] en vertu d'un pouvoir spécial

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 01 Février 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour.

FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [G] [D] a été engagé par la société [6] du 23 janvier 2012 au 13 janvier 2018 suivant contrat de travail à durée indéterminée, en qualité d'opérateur.

M. [G] [D] a été victime d'un accident de travail survenu le 20 juillet 2017 dans les circonstances suivantes telles que décrites sur la déclaration d'accident du travail : ' l'employé effectuait un dévoilage pour un réglage de train avant. La victime a coincé sa main entre la roue et l'amortisseur'.

Le certificat médical initial établi le 20 juillet 2017 fait état d'une ' plaie D3 et D4 de la main droite'.

Par notification du 02 août 2017, le caractère professionnel de l'accident a été reconnu par la Caisse primaire d'assurance maladie de (CPAM) de l'Ardèche.

L'état de santé de M. [G] [D] a été déclaré consolidé au 15 juillet 2019.

Par décision en date du 09 août 2019, la CPAM de l'Ardèche a notifié à M. [G] [D] l'attribution d'une rente à compter du 16 juillet 2019, pour un taux d'incapacité permanente fixé à 15 %.

Sollicitant la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur dans l'accident dont il a été victime, le 28 février 2018, M. [G] [D] a saisi la CPAM de l'Ardèche pour mettre en oeuvre la procédure de conciliation.

Après échec de cette procédure concrétisé par la signature d'un procès-verbal de non-conciliation le 28 janvier 2020, M. [G] [D] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Privas par requête du 17 juillet 2020, aux mêmes fins.

Par jugement du 22 juillet 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Privas a :

- dit que l'accident du travail survenu le 20 juillet 2017 dont a été victime M. [G] [D] est imputable à la faute inexcusable de la SAS [6] et que la responsabilité de celle-ci est engagée sur le fondement de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale,

- ordonné la majoration de la rente versée à M. [G] [D] à son taux maximum, celle-ci devant suivre l'évolution du taux d'incapacité permanente en cas d'aggravation,

- dit que le montant de la majoration sera récupéré par la caisse auprès de l'employeur, sur la base d'un taux d'incapacité permanente partielle de 15 %,

- enjoint la SAS [6] à communiquer à la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Ardèche les coordonnées de son assureur ;

Avant dire droit sur la liquidation des préjudices,

- ordonné une mesure d'expertise médicale de M. [G] [D], expertise confiée au Docteur [W] [O] selon les chefs de mission habituels,

- fixé à 700 euros le montant de la provision à valoir sur les honoraires de l'expert, qui sera versé par la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Ardèche à la régie d'avances et de recettes de ce tribunal, dans le délai d'un mois à compter de la réception de la présente décision, à peine de caducité de la décision d'expertise, à charge pour elle d'en récupérer le montant auprès

de l'employeur en application de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale,

- accordé à M. [G] [D] une provision de 5 000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale, qui sera versée par la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Ardèche, à charge pour elle d'en récupérer le montant auprès de l'employeur en application de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale,

- désigné le Président de la juridiction de céans en qualité de magistrat chargé du contrôle de l'expertise conformément à l'article 155 du code de procédure civile,

- renvoyé la cause et les parties à l'audience de mise en état dé matérialisée, sans comparution des parties, du 16 décembre 2021 à 9 heures, permettant aux parties de conclure après dépôt du rapport d'expertise,

- condamné la SAS [6] à payer à M. [G] [D] la somme de 750 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- réservé les dépens,

- rappelé que la décision est assortie de l'exécution provisoire.

Par lettre recommandée du 19 août 2021 reçue à la cour le 20 août 2021, la SAS [6] a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Par conclusions écrites, déposées et développées oralement à l'audience, la SAS [6] demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu le 22 juillet 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de privas en ce qu'il a :

* dit que l'accident du travail survenu le 20 juillet 2017 dont a été victime M. [G] [D] est imputable à la faute inexcusable de la SAS [6] et que la responsabilité de celle-ci est engagée sur le fondement de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale,

* ordonné la majoration de la rente versée à M. [G] [D] à son taux maximum, celle-ci devant suivre l'évolution du taux d'incapacité permanente en cas d'aggravation,

* dit que le montant de la majoration sera récupéré par la caisse auprès de l'employeur, sur la base d'un taux d'incapacité permanente partielle de 15 %,

* enjoint la SAS [6] à communiquer à la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Ardèche les coordonnées de son assureur ;

Avant dire droit sur la liquidation des préjudices,

* ordonné une mesure d'expertise médicale de M. [G] [D], expertise confiée au Docteur [W] [O] selon les chefs de mission habituels,

* accordé à M. [G] [D] une provision de 5 000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale, qui sera versée par la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Ardèche, à charge pour elle d'en récupérer le montant auprès de l'employeur en application de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale,

* renvoyé la cause et les parties à l'audience de mise en état dématérialisée, sans comparution des parties, du 16 décembre 2021 à 9 heures, permettant aux parties de conclure après dépôt du rapport d'expertise,

* condamné la SAS [6] à payer à M. [G] [D] la somme de 750 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* réservé les dépens,

* rappelé que la présente décision est assortie de l'exécution provisoire,

Et, statuant à nouveau :

- juger que l'accident dont a été victime M. [G] [D] le 20 juillet 2017 n'est pas consécutif à la faute inexcusable de son employeur,

- débouter M. [D] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner M. [D] au paiement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- déclarer l'arrêt à intervenir commun et opposable à la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Ardèche.

Elle soutient que :

- elle a été poursuivie devant le tribunal correctionnel de Privas, lequel l'a relaxée des chefs de mise à disposition d'un équipement de travail, ne permettant pas de préserver la sécurité du travailleur ; de blessures involontaires; d'emploi d'un travailleur sans action de formation aux risques et sans information sur l'utilisation des équipements de travail,

- la cour est tenue par la qualification retenue par le juge pénal, qui a exclu d'une part que l'équipement de travail mis à disposition de M. [D], plus particulièrement le pont élévateur, n'ait pas permis d'assurer la sécurité du salarié et d'autre part que l'employeur ait manqué à une obligation de prudence ou de sécurité à l'origine de l'accident du 20 juillet 2017,

- en tout état de cause, M. [D] n'établit pas que l'accident dont il a été victime soit imputable à une faute inexcusable de sa part,

- les circonstances de l'accident, telles que décrites par M. [D], ne sont nullement établies,

- n'étant pas directement témoin des faits, elle n'a pu indiquer dans la déclaration d'accident du travail que les seuls éléments qui ont pu être objectivement constatés,

- aucune investigation n'a jamais été menée sur la crédibilité du scénario de l'accident présenté par M. [D],

- M. [D] ne rapporte pas la preuve d'un quelconque manquement de sa part en lien avec son accident,

- M. [D] ne peut lui reprocher de ne pas lui avoir fait bénéficier de formation alors qu'il a admis lui-même bénéficier d'une ancienneté de 21 ans dans le secteur de la mécanique,

- les conclusions du rapport de l'inspection du travail dont se prévaut M. [D] pour soutenir que le pont élévateur mis à sa disposition aurait été inadapté sont insuffisantes et manifestement erronées,

- M. [D] ne rapporte donc pas la preuve de l'inadaptation du pont élévateur au véhicule type Peugeot 807 qu'il avait pour tâche de réparer,

- l'absence de vérification du pont élévateur n'a aucun lien avec l'accident du travail et ne saurait caractériser l'existence d'une faute inexcusable.

Par conclusions écrites, déposées et développées oralement à l'audience, M. [G] [D] demande à la cour de :

- débouter la société [6] de toutes ses demandes.

- confirmer le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Privas du 22 juillet 2021 en ce qu'il a :

' * dit que l'accident du travail survenu le 20 juillet 2017 dont a été victime M. [G] [D] est imputable à la faute inexcusable de la SAS [6] et que la responsabilité de celle-ci est engagée sur le fondement de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale,

* ordonné la majoration de la rente versée à M. [G] [D] à son taux maximum, celle-ci devant suivre l'évolution du taux d'incapacité permanente en cas d'aggravation,

*dit que le montant de la majoration sera récupéré par la caisse auprès de l'employeur,

sur la base d'un taux d'incapacité permanente partielle de 15 %,

* enjoint la SAS [6] à communiquer à la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Ardèche les coordonnées de son assureur ;

Avant dire droit sur la liquidation des préjudices,

* ordonné une mesure d'expertise médicale de M. [G] [D],

* commis pour y procéder le docteur [W] [O] (...),

* procéder, en présence des médecins mandatés par les parties avec l'assentiment de la victime, à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime ;

1) Souffrances physiques et morales (...)

2) Préjudice esthétique (...)

3) Préjudice d'agrément (...)

4) Perte ou diminution de promotion professionnelle (...)

5) Déficit fonctionnel temporaire avant consolidation (...)

6)Tierce personne avant consolidation (...)

7) Frais de logement et/ou de véhicule adaptés (...)

8) Préjudice sexuel (...)

9) Préjudice d'établissement (...)

10) Préjudice exceptionnel (...)

* fixé à 700 euros le montant de la provision à valoir sur les honoraires de l'expert, qui sera versé par la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Ardèche à la régie d'avances et de recettes de ce tribunal, dans le délai d'un mois à compter de la réception de la présente décision, à peine de caducité de la décision d'expertise, à charge pour elle d'en récupérer le montant auprès de l'employeur en application de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale,

* accordé à M. [G] [D] une provision de 5 000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale, qui sera versée par la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Ardèche, à charge pour elle d'en récupérer le montant auprès de l'employeur en application de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale,

* désigné le Président de la juridiction de céans en qualité de magistrat chargé du contrôle de l'expertise conformément à l'article 155 du code de procédure civile,

* renvoyé la cause et les parties à l'audience de mise en état dé matérialisée, sans com

parution des parties, du 16 décembre 2021 à 9 heures, permettant aux parties de conclure après dépôt du rapport d'expertise,

* condamné la SAS [6] à payer à M. [G] [D] la somme de 750 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* réservé les dépens,

* rappelé que la présente décision est assortie de l'exécution provisoire'

- le renvoyer devant le pôle social du tribunal judiciaire aux fins de réalisation de l'expertise ordonnée et d'évaluation de ses préjudices, afin qu'il puisse bénéficier, dans un soucis d'équité, d'un double degré de juridiction.

- condamner la partie succombante à lui verser la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel, ainsi qu'aux dépens.

Il fait valoir que :

- en application des dispositions de l'article 4-1 du code de procédure pénale la relaxe pénale n'empêche pas la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ; en effet selon une jurisprudence bien établie le juge civil a la possibilité de retenir la faute inexcusable de l'employeur en l'absence de faute pénale non intentionnelle, précisant que les éléments constitutifs de la faute inexcusable et de l'infraction non intentionnelle doivent s'apprécier de façon distincte,

- le 20 juillet 2017, il a dû positionner le véhicule de type 807 Peugeot sur un pont élévateur afin de procéder à divers travaux, alors qu'il effectuait ses travaux, sa main s'est retrouvée coincée entre le pneu et la coupelle d'amortisseur du véhicule,

- l'accident litigieux est la conséquence du non-respect par son employeur de la réglementation applicable en matière de préservation de la santé et la sécurité de ses salariés,

- la Direccte a relevé pas moins de 8 infractions à l'encontre de la société lors de son inspection du 24 juillet 2017,

- il ressort des comptes-rendus de l'inspection du travail, que la société avait conscience des risques qu'il encourrait sur son poste et n'a pas mis en oeuvre tous les moyens pour éviter qu'ils ne se matérialisent,

- il était amené à travailler avec un équipement ne permettant pas de préserver sa sécurité,

- à son arrivée au sein de la société, il n'a bénéficié d'aucune formation technique ni information technique opérationnelle et de prévention des risques,

- il était seul au moment de l'accident, circonstance qui a été identifiée comme l'une des causes de cet événement,

- contrairement à ce que soutient l'employeur, les circonstances de l'accident dont il a été victime ont été établies et ont été parfaitement identifiées par l'inspection du travail,

- le matériel mis à sa disposition, à savoir le pont-élévateur et les installations électriques, étaient inadaptés et n'avaient fait l'objet d'aucune vérification depuis plus de deux ans,

- le pont-élévateur n'était pas adapté à l'accueil de véhicules larges, du type de celui en cause lors de l'accident du travail dont il a été victime,

- il ressort de ce qui précède que l'accident de travail dont il a été victime est la conséquence de la faute inexcusable de la société [6].

Par conclusions écrites, déposées et développées oralement à l'audience, la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Ardèche demande à la cour de :

- la recevoir en son intervention,

- lui décerner acte de ce qu'elle s'en remet à la sagesse du tribunal sur le point de savoir si l'accident du travail dont a été victime M. [G] [D], le 20 juillet 2017, est imputable ou non à une faute inexcusable de l'employeur,

Dans l'affirmative,

- fixer le montant de la majoration de la rente, et le montant des préjudices extra patrimoniaux selon l'usage en vigueur,

- reconnaître son action récursoire à l'encontre de la société [6].

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures déposées et soutenues oralement lors de l'audience.

L'affaire a été fixée à l'audience du 27 juin 2023 puis renvoyée à l'audience du 6 décembre 2023.

MOTIFS

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Ces critères sont cumulatifs. Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié : il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes ont concouru au dommage. Mais une relation de causalité entre les manquements susceptibles d'être imputés à l'employeur et la survenance de l'accident doit exister à défaut de laquelle la faute inexcusable ne peut être retenue. La faute de la victime n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable.

Il appartient au salarié de prouver que les éléments constitutifs de la faute inexcusable ' conscience du danger et absence de mise en place des mesures nécessaires pour l'en préserver ' sont réunis. Lorsque le salarié ne peut rapporter cette preuve ou même lorsque les circonstances de l'accident demeurent inconnues, la faute inexcusable ne peut être retenue.

En l'espèce, il est constant que M. [D] a été victime d'un accident le 20 juillet 2017 dont le caractère professionnel n'est pas contesté que M. [G] [D] décrit comme suit dans la déclaration d'accident du travail : ' « Activité de la victime lors de l'accident : L'employé effectuait un dévoilage pour un réglage de train avant.

Nature de l'accident : La victime a coincé sa main entre la roue et l'amortisseur.

Objet dont le contact a blessé la victime : L'amortisseur. » '.

Il résulte de l'article 4-1 du code de procédure pénale que la faute pénale non intentionnelle, au sens des dispositions de l'article 121-3 du code pénal, est dissociée de la faute inexcusable au sens des dispositions de l'article L. 452-1 du code de la sécurité. Il appartient dès lors à la juridiction de la sécurité sociale de rechercher si les éléments du dossier permettent de retenir la faute inexcusable de l'employeur, laquelle s'apprécie de façon distincte des éléments constitutifs de l'infraction d'homicide involontaire.

Si la faute inexcusable de l'employeur s'apprécie de façon distincte des éléments constitutifs de l'infraction d'homicide involontaire, dans l'hypothèse où la victime entend établir l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur sur le non respect par l'employeur de dispositions spécifiques relatives à la mise en oeuvre de son obligation de sécurité, la relaxe de l'employeur poursuivi pour avoir enfreint ces dispositions fait obstacle à la recherche de la faute inexcusable de l'employeur sur la base de ces mêmes éléments.

Le principe de l'autorité de chose jugée au pénal sur le civil interdit à une juridiction civile de remettre en question ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par la juridiction répressive statuant sur l'action publique, sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, ainsi que sur sa qualification et les éléments constitutifs de l'infraction.

La SAS [6] fait valoir que, citée devant le tribunal correctionnel de Privas des chefs de :

- mise à disposition d'un équipement de travail ne permettant pas de préserver la sécurité du travailleur

- mise à disposition de travailleurs d'un équipement de travail sans vérification de la conformité

- blessures involontaires ayant causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à trois mois sur la personne de [G] [D]

- emploi d'un travailleur sans action de formation aux risques et sans information sur l'utilisation des équipements de travail

elle a été relaxée le 8 juin 2023 des chefs de :

- mise à disposition d'un équipement de travail, ne permettant pas de préserver la sécurité du travailleur, en l'espèce un pont élévateur inadapté pour le levage de véhicule de type large qui devait être utilisé avec une barre métallique, adaptation de fortune,

- blessures involontaires ayant causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à trois mois sur la personne de [G] [D], dans le cadre d'une relation de travail, par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, en l'espèce en mettant à disposition un pont élévateur inadapté, équipement de travail ne permettant pas de préserver la sécurité des travailleurs,

- emploi d'un travailleur sans action de formation aux risques et sans information sur l'utilisation des équipements de travail, en l'espèce sans avoir dispensé de formation à M. [G] [D], ni aucune formation à la sécurité.

Sa culpabilité a été reconnue pour le chef de prévention suivant : mise à disposition de travailleurs d'un équipement de travail sans vérification de la conformité.

Le tribunal a opéré les constats suivants qui s'imposent à la présente juridiction:

- sur l'utilisation de la barre métallique ne présente pas de lien avec les faits en cause :

« Il n'y a pas lieu d'évoquer la question de ces barres métalliques, dont Monsieur [D] dit d'une part qu'il ne s'en est pas servi au moment des faits, et d'autre part, dont Monsieur [M] et un autre salarié disent qu'elles ne servent que pour les véhicules type 4x4 n'ayant pas de bas de caisse »

- sur les caractéristiques du pont élévateur permettaient de surélever le véhicule Peugeot 807 en toute sécurité :

« Même si la différence entre la largeur entre les ponts intermédiaires une fois les cales mises en place (154cms) et celle du PEUGEOT 807 (150cms) n'est que de 4 cms, celle-ci est a priori suffisante pour pouvoir surélever en toute sécurité le véhicule, l'action de levage se faisant au niveau d'un levier placé sur le côté du pont, permettant de tester le levage et le cas échéant d'ajuster en cas de besoin. »

- sur l'accident ayant pour origine une mauvaise manipulation de M. [D] : « Il a délibérément choisi de faire reculer la voiture avec ses mains, comme il indique d'ailleurs l'avoir fait à plusieurs reprises sur d'autres véhicules. C'est ainsi par sa mauvaise manipulation qu'il a causé lui-même l'accident dont il a été victime. »

Si, comme le rappelle justement M. [D], les infractions constatées par des agents de contrôle de l'inspection du travail par des procès-verbaux font foi jusqu'à preuve du contraire, cette preuve est nécessairement rapportée par la décision du tribunal correctionnel appelé à statuer notamment sur la base du procès-verbal établi par l'inspecteur du travail et écartant l'existence de toute infraction. Dès lors, la cour ne saurait suivre les conclusions de l'inspecteur du travail qui écrit « c'est donc la mise à disposition d'un équipement de travail inadapté par l'employeur qui a conduit à l'accident de travail de M. [D]».

L'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil reste attachée à ce qui a été définitivement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité ou l'innocence de celui à qui le fait est imputé.

Il résulte de ce qui précède que M. [D] est irrecevable à avancer au soutien de son argumentation tendant à établir l'existence de la faute inexcusable de l'employeur que le pont élévateur était inadapté pour l'exécution de la tâche qu'il devait accomplir. Dès lors, l'employeur ne pouvait avoir connaissance des risques de chute de véhicules. De même M. [D] ne peut valablement prétendre qu'il était amené à travailler avec un équipement ne permettant pas de préserver sa sécurité ce qu'a rejeté le tribunal correctionnel.

M. [D] ne peut davantage reprocher à son employeur de l'avoir fait travailler alors qu'il n'était titulaire d'aucun diplôme en matière de mécanique automobile dès lors que l'employeur a été relaxé du chef d'emploi d'un travailleur sans action de formation aux risques et sans information sur l'utilisation des équipements de travail.

La société appelante relève par ailleurs que M. [D] a déclaré à l'inspecteur du travail qu'il bénéficiait d'une ancienneté de vingt-et-un ans dans le secteur de la mécanique étant observé qu'il travaillait au sein de la société appelante depuis cinq ans et que pour la seule année 2016, il avait procédé à 300 réparations sur le système pneumatiques des véhicules.

M. [D] se reporte aux énonciations du procès-verbal établi par l'inspecteur du travail, qui a servi de fondement aux poursuites pénales, selon lesquelles :« Si dans l'organisation du travail, l'employeur avait fait travailler ses salariés en binôme, le véhicule aurait pu être centré correctement et ainsi éviter l'accident. » Or outre que M. [D] ne caractérise pas le manquement de l'employeur au regard d'une norme quelconque, la société employeur a été relaxée en l'absence de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, en sorte que M. [D] ne peut utilement soutenir que ses blessures procéderaient d'un manquement de l'employeur au respect de textes législatifs ou réglementaires.

M. [D] se prévaut par ailleurs d'un procès-verbal ne comportant aucun numéro ( PSV9 de son dossier), ni date ni signature de son auteur faisant état d'autres infractions que celles portées à la connaissance de la juridiction pénale et qualifié de «brouillon» par l'inspectrice du travail lors de son audition devant la juridiction pénale . Or ces autres infractions sont sans aucun rapport avec la survenance de accident :

- emploi de travailleur sans mettre en oeuvre les mesures sur le fondement des principes généraux de prévention (l'inspecteur du travail vise en fait des textes à portée générale : L.4121-2, L.4741-1 du code du travail sans pointer le manquement précis reproché à l'employeur)

- emploi de travailleur à une activité comportant des risques d'exposition d'écrasement par chute de véhicule sans évaluation des risque conforme (en fait l'inspecteur du travail vise les textes relatifs à la tenue du registre unique d'évaluation des risques)

- emploi d'un travailleur sans prendre en compte ses capacités à mettre en oeuvre les précautions nécessaires pour la santé et la sécurité : outre que cette infraction n'a pas été retenue par le procureur de la République, elle est étrangère aux faits de l'espèce, nul ne conteste que M. [D] était rompu à la pratique consistant à effectuer des travaux sur un véhicule se trouvant sur un pont, l'avis émis par l'inspecteur du travail ne repose sur aucun élément sérieux ; au demeurant le tribunal correctionnel a relevé « Monsieur [M] n'a pas dispensé de formation à Monsieur [D], estimant qu'il connaissait son travail pour l'avoir exercé depuis plus de vingt ans, ce que confirme bien Monsieur [D], étant rappelé qu'en outre il travaillait depuis 6 ans au sein de la société prévenue. »

- absence de décompte du temps de travail

- absence d'affichage des heures auxquelles commence et finit le travail ainsi que les heures et la durée des repos.

M. [D] ne peut d'ailleurs soutenir avoir été seul lors de la réalisation des opérations alors que l'employeur produit les attestations de mécaniciens de la société dont rien ne justifie de les écarter notamment au seul constat d'un lien de subordination :

- M. [Z] : « Je certifie que le jour de l'accident de Mr [D] [G], Mr [M] [R] était présent dans le garage et a guidé Mr [D] pour rentrer le véhicule comme à chaque fois que nous rentrons un véhicule sur un pont élévateur. »

- M. [T] : « Le jour de l'accident de M. [D], j'étais présent dans la salle de repos.

J'étais accompagné de M. [Z] [J]. M. [M] [R] et M. [D] [G] étaient présents dans l'atelier. Notre salle de repos a visibilité sur l'atelier et j'ai vu M. [M] guider le véhicule de M. [D] [G]. De toute façon il y a toujours deux personnes présentes dans le centre pendant la pose. Soit M. [M] ou M. [K]. Nous sommes jamais seul et cela depuis toujours. A ce jour nous guidons toujours les véhicules qui rentrent sur les ponts élévateurs pour une question de sécurité. ».

Par ailleurs les circonstances exactes de l'accident ne sont pas établies, M. [D] expliquant qu'il s'est coincé la main entre le pneu et la coupelle d'amortisseur du véhicule sans démontrer la raison de ce sinistre.

La société appelante rappelle sans être utilement démentie que devant le tribunal correctionnel M. [D] n'a pas su expliquer de quelle manière il a pu coincer sa main derrière la coupelle d'amortisseur dans les conditions qu'il décrit.

M. [D] soutient qu'il aurait réalisé la manoeuvre litigieuse alors qu'il était seul quand le tribunal correctionnel relève : « Toutefois, il sera d'abord constaté que les débats ont démontré qu'un véhicule doit être placé sur un pont par deux personnes, précisément pour garantir son

parallélisme avec les lignes du pont. Monsieur [D], disant qu'il était seul, ce qui est contredit par l'intervention d'autres salariés qui étaient à proximité lors des faits, affirme au contraire avoir placé seul le véhicule sur le pont. »

Enfin, si la culpabilité de l'employeur a été retenue pour mise à disposition de travailleurs d'un équipement de travail sans vérification de la conformité, le lien entre cette négligence et la survenance de l'accident a été nécessairement écarté dès lors que l'employeur a été relaxé du chef de blessures involontaires rejetant le grief tiré d'avoir fait travailler le salarié sur un pont élévateur inadapté. Au demeurant, M. [D] ne développe aucune argumentation tendant à établir une relation entre cette négligence et la survenance de l'accident.

Dès lors rien ne permet d'affirmer que le salarié était exposé à un risque particulier pour effectuer une tâche qu'il réalisait depuis plusieurs années dans des conditions de sécurité satisfaisantes.

Dès lors qu'aucune conscience du danger auquel était exposé le salarié n'est retenue, il n'y a pas lieu de rechercher la mise en oeuvre des mesures nécessaires pour l'en préserver.

Le jugement déféré encourt l'infirmation et M. [D] sera débouté de ses prétentions.

L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en l'espèce.

PAR CES MOTIFS

la Cour, statuant publiquement, en matière de sécurité sociale, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;

Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,

Et statuant à nouveau,

Déboute M. [D] de l'ensemble de ses prétentions,

Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [D] aux éventuels dépens de l'instance.

Arrêt signé par le président et par la greffiere.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT