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Décisions

CA Riom, ch. com., 17 janvier 2024, n° 22/01200

RIOM

Arrêt

Autre

CA Riom n° 22/01200

17 janvier 2024

COUR D'APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale

ARRET N°20

DU : 17 Janvier 2024

N° RG 22/01200 - N° Portalis DBVU-V-B7G-F2M7

VTD

Arrêt rendu le dix sept Janvier deux mille vingt quatre

Sur APPEL d'une décision rendue le 06 mai 2022 par le Tribunal judiciaire de MONTLUCON (N°RG 20/00705)

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

Madame Virginie DUFAYET, Conseiller

En présence de :Mme Nadia BELAROUI, Greffier, lors de l'appel des causes et Mme Cécile CHEBANCE, Greffier, lors du prononcé

ENTRE :

M. [P] [U]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentant : Me Anicet LECATRE, avocat au barreau de MOULINS

APPELANT

ET :

Mme [L] [A]

Lariot

[Localité 1]

Représentant : Me François RAYNAUD de la SELARL BERNARDET-RAYNAUD, avocat au barreau de MOULINS

M. [H] [A]

Lariot

[Localité 1]

Représentant : Me François RAYNAUD de la SELARL BERNARDET-RAYNAUD, avocat au barreau de MOULINS

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU PUY DE DOME

agissant pour le compte de la CPAM de l'Allier dont le siège est sis [Adresse 5]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentant : Me Philippe BOISSIER de la SCP BOISSIER, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTIMÉS

DÉBATS :

Après avoir entendu en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, à l'audience publique du 16 Novembre 2023, sans opposition de leur part, les avocats des parties, Madame THEUIL-DIF, magistrat chargé du rapport, en a rendu compte à la Cour dans son délibéré.

ARRET :

Prononcé publiquement le 17 Janvier 2024 par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [H] [A] occupe le poste de désosseur-pareur au sein de la société Socopa Viandes à [Localité 1] depuis le 1er juillet 2010.

Le 27 novembre 2017, M. [P] [U], un de ses collègues, s'est servi d'un nerf de boeuf pour frapper le mollet de M. [H] [A] qui a alors lâché son couteau de cuisine, lui occasionnant une blessure importante.

M. [U] ayant reconnu les faits qui lui étaient reprochés, une composition pénale a été proposée. Toutefois, la victime n'a pas donné son accord quant au montant de l'indemnisation proposée, faisant valoir la gravité des séquelles subies.

Les époux [A] ont sollicité du juge des référés l'organisation d'une expertise judiciaire. Il a été fait droit à cette demande et le docteur [T] a rendu son rapport le 25 novembre 2019.

Puis, par actes d'huissier des 4 et 13 novembre 2021, M. [H] [A] et Mme [L] [A] ont fait assigner devant le tribunal judiciaire de Montluçon M. [P] [U] et la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) de l'Allier aux fins de voir :

- dire et juger M. [U] entièrement responsable de l'accident subi par M. [A] le 27 novembre 2017 ;

- condamner M. [U] à payer à M. [A] les sommes suivantes :

400 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total ;

3 630 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire à 50 % ;

1 525 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire à 25 % ;

3 040 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire à 10 % ;

6 000 euros au titre des souffrances endurées ;

3 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;

2 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;

5 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

3 000 euros au titre de l'assistance à tierce personne ;

3 500 euros au titre du préjudice d'agrément ;

981,81 euros au titre de la perte de gains professionnels ;

2 000 euros au titre des frais divers ;

- dire et juger M. [U] entièrement responsable du préjudice subi par Mme [A];

- condamner M. [U] à payer à Mme [L] [A] la somme de 3 000 euros au titre de son préjudice moral ;

- dire et juger le jugement à intervenir commun et opposable à la CPAM de l'Allier ;

- condamner M. [U] à leur payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions d'incident du 31 mai 2021, M. [U] a soulevé l'incompétence du tribunal judiciaire au profit du pôle social.

Par ordonnance du 28 juillet 2021, le juge de la mise en état a rejeté l'exception d'incompétence.

Par jugement du 6 mai 2022, le tribunal a :

- condamné M. [U] à payer à M. [H] [A] les sommes suivantes en réparation de son préjudice corporel :

2 757,60 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

6 000 euros au titre des souffrances endurées ;

1 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;

1 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;

4 830 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;

- débouté M. [H] [A] de ses demandes plus amples ;

- condamné M. [U] à payer à la CPAM de l'Allier une somme de 28 334,18 euros au titre de sa créance définitive, ainsi que la somme forfaitaire de 1 091 euros prévue à l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale ;

- débouté Mme [L] [A] de ses demandes indemnitaires ;

- condamné M. [U] à payer M. [H] [A] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [U] à payer à la CPAM de l'Allier la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [U] aux dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire ;

- dit n'y avoir lieu à déroger aux règles relatives à l'exécution provisoire.

Le tribunal a notamment énoncé qu'il était établi par le récit des faits, non contesté, du 27 novembre 2017 que M. [U] en était entièrement responsable et qu'il lui incombait d'en réparer les conséquences.

S'agissant notamment de la demande d'indemnisation présentée par Mme [L] [A] qui alléguait la nécessité pour elle d'un arrêt maladie et qui invoquait des troubles du sommeil, le tribunal a considéré qu'aucun lien de causalité ne pouvait être nettement établi entre l'accident et l'arrêt maladie de madame, et qu'en outre, elle ne versait aucune pièce de nature à démontrer les incidences de cet accident sur son état de santé, notamment sur son moral ou sur son sommeil.

Suivant déclaration électronique reçue au greffe de la cour en date du 13 juin 2022, M. [P] [U] a interjeté appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées en date du 10 mars 2023, l'appelant demande à la cour, au visa des articles L.451-1, L.452-1 à 452-5 du code de la sécurité sociale, de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [L] [A] de ses demandes ;

- l'infirmer pour le surplus et statuant à nouveau :

- débouter M. et Mme [A] de l'intégralité de leurs demandes ;

- débouter la CPAM de l'Allier de ses demandes au titre de sa qualité de tiers-payeur;

- condamner les époux [A] et la CPAM in solidum à payer et porter à M. [U] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens.

Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées en date du 12 décembre 2022, M. [H] [A] et Mme [L] [A] demandent à la cour, au visa des articles 1240 et suivants du code civil, 564 et suivants du code de procédure civile, de :

- déclarer irrecevables les demandes de M. [U] ;

- confirmer purement et simplement le jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme [L] [A] de ses demandes ;

- condamner M. [U] à payer à Mme [A] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- condamner M. [U] à leur verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées en date du 1er décembre 2022, la CPAM du Puy-de-Dôme agissant pour le compte de la CPAM de l'Allier, demande à la cour, au visa des articles L.454-1, R.315-2 du code de la sécurité sociale, l'article 1231 du code civil, l'article 1 de l'arrêté du 14 décembre 2021 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L.376-1 et L.454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2022, l'article 566 du code de procédure civile, de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf à porter l'indemnité forfaitaire à 1 114 euros par application du barème 2022 à la charge de M. [U], et à fixer le point de départ des intérêts légaux à compter du jugement du 6 mai 2022 ;

- condamner M. [U] à lui payer en cause d'appel la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties, à leurs dernières conclusions.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 septembre 2023.

MOTIFS

- Sur la recevabilité des demandes de M. [U]

Selon l'article 564 du code de procédure civile, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

M. et Mme [A] sollicitent de déclarer irrecevable la demande de M. [U] aux fins de 'débouter' dirigée contre M. [A]. Ils soutiennent que devant le premier juge, M. [U] s'est contenté de solliciter une réduction des demandes indemnitaires et que pour la première fois en cause d'appel, il sollicite le rejet pur et simple des demandes ; que ces demandes ne tendent pas 'aux mêmes fins' que celles invoquées en première instance et que les exceptions des articles 565 et suivants du code de procédure civile ne pourront pas trouver application.

Toutefois, le dispositif des conclusions de M. [U] est le suivant :

'- dire et juger recevable et bien fondé l'appel de M. [U];

- vu les articles L.451-1, L.452-1 à L.452-5 du code de la sécurité sociale,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [A] [L] de ses demandes ;

- l'infirmer pour le surplus ;

- statuant à nouveau,

- débouter M. et Mme [A] de l'intégralité de leurs demandes ;

- débouter la CPAM de ses demandes au titre de sa qualité de tiers payeur ;'.

Conclure au débouté des demandes n'entraîne pas la sanction de l'irrecevabilité des prétentions nouvelles dès lors que la prétention tend seulement à faire écarter les prétentions de M. et Mme [A], ainsi celles de la CPAM.

Cette demande d'irrecevabilité sera donc rejetée.

- Sur la responsabilité civile de M. [U]

M. [U] soutient que l'action des époux [A] sur le fondement quasi délictuel est infondée en l'absence de démonstration d'une faute intentionnelle de sa part ; que M. [A] a été victime d'un accident survenu au temps et au lieu de travail, qu'il a été pris en charge à ce titre par la CPAM de sorte que son indemnisation relève du livre IV du code de la sécurité sociale ; qu'un accidenté du travail ne peut pas, par principe, en application de l'article L.451-1 du code du travail, être indemnisé dans le cadre d'une action de droit commun ; qu'à titre d'exception au principe, l'article L.452-5 prévoit que dans le seul et unique cas d'une faute intentionnelle de l'employeur ou de l'un de ses préposés, la victime conserve une possibilité d'agir et d'être indemnisée dans le cadre du droit commun ; qu'à défaut de démontrer une faute intentionnelle, la possibilité de l'assigner en responsabilité est exclue.

Il ajoute que l'ordonnance du juge de la mise en état a tranché la problématique de la compétence juridictionnelle, mais n'a pas statué sur le régime juridique applicable à la demande d'indemnisation des époux [A].

En première instance, par conclusions d'incident, M. [U] avait soulevé l'incompétence du tribunal judiciaire au profit du pôle social, faisant valoir que les circonstances dans lesquelles était intervenue la blessure, relevaient d'un accident du travail de sorte qu'était seul compétent pour en liquider les conséquences, le pôle social en application combinée des articles L.451-1 et L.452-4 du code de la sécurité sociale.

Par ordonnance du 28 juillet 2021, le juge de la mise en état a rejeté l'exception d'incompétence, retenant que M. [A] avait choisi de former son action, non contre son employeur dans le cadre de la législation relative aux accidents du travail, mais contre le salarié à l'origine du fait dommageable, dans le cadre de la responsabilité quasi-délictuelle de droit commun.

Cette ordonnance n'a pas fait l'objet de voie de recours de la part de M. [U].

Il est versé par ailleurs aux débats le procès-verbal de proposition de composition pénale en date du 24 janvier 2018, signé par le délégué du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Montluçon et par M. [U], dans lequel ce dernier a reconnu avoir commis des violences volontaires aggravées (usage d'une arme) sans ITT le 27 novembre 2017 à [Localité 1] au préjudice de M. [H] [A].

Il est en outre produit le procès-verbal d'audition de M. [U] par les services d'enquête en date du 26 décembre 2017 au cours de laquelle l'intéressé a reconnu avoir frappé M. [H] [A] derrière la cuisse avec un nerf de vache d'environ 60 à 70 centimètres : 'Je suis arrivé derrière lui avec le nerf. Quand je lui ai porté le coup, il s'est retourné, le couteau à la main. Je pense qu'il voulait éviter le coup de nerf. C'est à ce moment qu'il s'est sectionné le mollet'.

Dans ces circonstances, M. [H] [A] est parfaitement fondé à agir contre l'auteur des violences ayant causé les blessures sur le fondement du droit commun, à savoir l'article 1240 du code civil.

M. [U] doit être déclaré responsable des conséquences des faits du 27 novembre 2017 à l'origine des blessures subies par M. [H] [A].

Ce dernier n'a pas formé d'appel incident sur les quantum des préjudices octroyés par le tribunal. Les condamnations seront ainsi confirmées.

Il en ira de même des condamnations prononcées au profit de la CPAM, sauf à actualiser l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale à 1114 euros .

- Sur la demande d'indemnisation de Mme [L] [A]

Il ne peut être sollicité des dommages et intérêts toutes causes de préjudice confondues et le préjudice ne peut être fixé à une somme forfaitaire.

Mme [A] sollicite une somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts, faisant valoir qu'elle a été contrainte de :

- s'absenter de son travail ce qui a engendré une perte de revenus ;

- mettre sa vie sociale entre parenthèse pour se consacrer à son époux ;

Elle soutient en outre être toujours bouleversée près de cinq ans après les faits.

La perte de revenus n'est pas démontrée puisque Mme [A] a certes été absente, mais en arrêt maladie comme elle-même le reconnaît. Elle ne justifie pas de l'existence d'une perte, l'arrêt maladie générant des indemnités journalières.

Toutefois, le préjudice moral ne peut sérieusement être contesté au vu de la gravité des blessures subies par son mari et le bouleversement engendré dans leur vie quotidienne, préjudice qui sera réparé par l'allocation d'une indemnité de 800 euros. Le jugement sera infirmé sur ce point.

- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Succombant à l'instance, M. [U] sera condamné aux dépens d'appel et à payer à M. et Mme [A] une indemnité de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

Toutefois, l'équité commande de ne pas faire droit à la demande de la CPAM au titre dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, après en avoir délibéré, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;

Déboute Mme [L] [A] et à M. [H] [A] de leur demande visant à voir déclarer irrecevables les demandes de M. [P] [U] ;

Infirme le jugement en ce qu'il a :

débouté Mme [L] [A] de ses demandes indemnitaires ;

condamné M. [P] [U] à payer à la CPAM de l'Allier une somme de forfaitaire de 1 091 euros prévue par l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale ;

Statuant à nouveau sur ces points :

Condamne M. [P] [U] à payer à Mme [L] [A] la somme de 800 euros à titre de dommages et intérêts ;

Condamne M. [P] [U] à payer à la CPAM du Puy-de-Dôme agissant pour le compte de la CPAM de l'Allier une somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale ;

Condamne M. [P] [U] à payer à Mme [L] [A] et à M. [H] [A] une indemnité de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la CPAM du Puy-de-Dôme agissant pour le compte de la CPAM de l'Allier;

Confirme le surplus des dispositions du jugement ;

Condamne M. [P] [U] aux dépens d'appel.

Le Greffier La Présidente