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Décisions

CA Angers, ch. prud'homale, 25 janvier 2024, n° 21/00198

ANGERS

Arrêt

Autre

CA Angers n° 21/00198

25 janvier 2024

COUR D'APPEL

d'ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N°

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00198 - N° Portalis DBVP-V-B7F-EZVH.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 24 Février 2021, enregistrée sous le n° 19/00504

ARRÊT DU 25 Janvier 2024

APPELANTE :

S.A.S. ALCURA FRANCE

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Anne-Sophie FINOCCHIARO de la SELAS FIDAL DIRECTION PARIS, avocat au barreau d'ANGERS

INTIME :

Monsieur [D] [S]

[Adresse 3]

[Localité 2]

comparant - assisté de Maître Elisabeth POUPEAU, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 419025

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Septembre 2023 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame TRIQUIGNEAUX-MAUGARS, conseiller chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Clarisse PORTMANN

Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS

Conseiller : Madame Rose CHAMBEAUD

Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN

ARRÊT :

prononcé le 25 Janvier 2024, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Clarisse PORTMANN, président, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE

La Sas Alcura France, anciennement dénommée Locapharm, filiale du groupe Alliance Healthcare, est spécialisée dans le domaine de la location de matériel médical pour le maintien à domicile des personnes âgées et malades. Elle emploie plus de onze salariés et applique la convention collective nationale de négoce et des prestations de services dans les domaines médico-techniques.

M. [D] [S] a été engagé par la société Locapharm en qualité de chauffeur livreur magasiner dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée du 17 juin 1991, renouvelé jusqu'au 18 juin 1992. À compter du 19 juin 1992, la relation de travail s'est poursuivie à durée indéterminée. M. [S] a ensuite été régulièrement promu. Il occupait en dernier lieu, selon avenant du 21 juillet 2017, les fonctions de manager multi-sites sur les établissements d'[Localité 2], de [Localité 6] et de [Localité 5].

M. [S] a été placé en arrêt de travail du 23 août 2017 au 21 janvier 2019, date à laquelle il a repris son poste en mi-temps thérapeutique, le matin.

Par courrier du 20 février 2019, la société Alcura a convoqué M. [S] à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s'est tenu le 12 mars 2019. Elle l'a parallèlement dispensé d'activité.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 9 avril 2019, la société Alcura a notifié à M. [S] son licenciement pour faute grave, lui reprochant en substance, ses méthodes de gestion des salariés placés sous sa responsabilité incluant des pratiques autoritaires, agressives et menaçantes, mettant en péril la santé physique et mentale de ces derniers, et ayant engendré une ambiance délétère au point que certains ont souhaité quitter l'entreprise.

Contestant le bien fondé de son licenciement, M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes d'Angers le 3 juillet 2019 pour obtenir la condamnation de la société Alcura France, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, au paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'une indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, d'une indemnité légale de licenciement et d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Alcura France s'est opposée aux prétentions de M. [S] et a sollicité sa condamnation au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 24 février 2021, le conseil de prud'hommes d'Angers a:

- dit que le licenciement de M. [S] est sans cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société Alcura France à payer à M. [S] les sommes suivantes :

- 66 443 euros net au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 10 491 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 1 049,10 euros au titre des congés payés afférents ;

- 29 433,08 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Alcura France à remettre à M. [S] ses documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour de retard après un délai d'un mois à compter de la notification du jugement ;

- dit que le conseil de prud'hommes se réserve le droit de liquider cette astreinte ;

- ordonné le remboursement par la société Alcura France à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à M. [S], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage ;

- débouté les parties de leurs autres demandes ;

- appelé que le jugement bénéficie de l'exécution provisoire de plein droit conformément aux dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail, seule à retenir et fixé la moyenne des salaires de M. [S] à la somme de 3 947 euros brut ;

- mis les dépens à la charge de la société Alcura France.

La société Alcura France a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 30 mars 2021, son appel portant sur tous les chefs lui faisant grief ainsi que ceux qui en dépendent et qu'elle énonce dans sa déclaration.

M. [S] a constitué avocat en qualité d'intimé le 8 juillet 2021.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 30 août 2023 et le dossier a été fixé à l'audience du conseiller rapporteur de la chambre sociale de la cour d'appel d'Angers du 19 septembre 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La société Alcura France, dans ses dernières conclusions, adressées au greffe le 20 janvier 2022, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

- dire son appel recevable et bien fondé ;

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Angers du 24 février 2021 en ce qu'il :

- a dit que le licenciement de M. [S] est sans cause réelle et sérieuse ;

- l'a condamnée à payer à M. [S] les sommes suivantes :

- 66 443 euros net au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 10 491 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 1 049,10 euros au titre des congés payés afférents ;

- 29 433,08 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- l'a condamnée à remettre à M. [S] ses documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour de retard après un délai d'un mois à compter de la notification du jugement ;

- a dit que le conseil de prud'hommes se réserve le droit de liquider cette astreinte;

- a ordonné le remboursement à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à M. [S], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage ;

- a débouté les parties de leurs autres demandes ;

- a rappelé que le jugement bénéficie de l'exécution provisoire de plein droit conformément aux dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail, seule à retenir et fixé la moyenne des salaires de M. [S] à la somme de 3 947 euros brut ;

- a mis les dépens à sa charge ;

Et statuant à nouveau :

- dire que le licenciement de M. [S] repose sur une faute grave ;

- débouter M. [S] de ses demandes, fins et prétentions ;

- condamner M. [S] à lui verser la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [S] aux entiers dépens.

La société Alcura France fait valoir que le licenciement de M. [S] est justifié par le fait d'avoir mis en péril la santé physique et mentale de ses collaborateurs, soulignant que certains d'entre eux ont envisagé de quitter l'entreprise, et allègue de plusieurs faits en attestant. En premier lieu, elle lui reproche d'avoir imposé à un livreur installateur conseil (LIC) trois reprises de lit le dimanche 20 août 2017 alors que cette intervention ne revêtait aucun caractère d'urgence et n'entrait pas dans le cadre de l'astreinte dominicale.

En second lieu, elle soutient que M. [S] a organisé les tournées des LIC de manière incohérente sans respecter les temps de trajet et les pauses déjeuner ce qui est contraire aux règles d'hygiène, de sécurité et environnementales. À ce titre, elle fait observer que M. [S] ne produit pas les plannings des tournées mais de simples récapitulatifs de temps de travail lesquels ne démontrent pas la prise en compte des temps de déplacement, d'installation et d'explication aux patients ou accompagnants. Elle ajoute qu'il prenait des libertés dans l'inscription des durées de travail de ses collaborateurs en reportant les heures supplémentaires d'une semaine sur l'autre sur les plannings de tournées.

La société Alcura France affirme ensuite que M. [S] a refusé d'établir une déclaration d'accident de travail suite au malaise de M. [B] et qu'il n'a pas respecté la procédure d'évacuation de ce dernier. À cet égard, elle observe que c'est la femme de M. [B] qui est venue le chercher sur son lieu de travail et non une ambulance comme cela est prévu par la procédure 'sécurité -gestion des accidents du travail', alors que l'intéressé présentait des symptômes laissant craindre un AVC, soit une urgence médicale nécessitant une prise en charge immédiate.

Elle reproche également à M. [S] d'avoir surveillé les déplacements des salariés placés sous sa subordination pendant son arrêt maladie et d'avoir sollicité des explications sur leurs déplacements auprès du logisticien, M. [B]. Elle soutient encore qu'il a volontairement évité les échanges avec M. [L] lequel s'est senti mis à l'écart, qu'il a refusé d'accorder une journée 'enfant malade' à M. [R] sans justification, et qu'il a accusé injustement M. [M] d'un vol de batteries.

La société Alcura France affirme enfin que M. [S] a imposé à certains salariés de récupérer des heures supplémentaires sous peine d'annulation, ce alors qu'il aurait dû leur laisser la possibilité de choisir entre la récupération de ces heures, leur rémunération ou encore le versement de celles-ci sur un compte épargne-temps.

*

M. [S], dans ses dernières conclusions, adressées au greffe le 4 avril 2023, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société Alcura France à lui payer les sommes suivantes :

- 66 443 euros net au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 10 491 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 1 049,10 euros au titre des congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 29 433,08 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Alcura France à lui remettre ses documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour de retard après un délai d'un mois à compter de la notification du jugement ;

- dit que le conseil de prud'hommes se réserve le droit de liquider cette astreinte;

- ordonné le remboursement par la société Alcura France à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à M. [S], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage ;

En outre,

- condamner la société Alcura France aux entiers dépens ;

- la condamner au paiement d'une indemnité de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.

À titre liminaire, M. [S] reprend le contexte dans lequel est intervenu son licenciement. Il indique que celui-ci est intervenu dans le cadre d'un plan social du groupe Alliance Healthcare (AH) ayant entraîné la fermeture de nombreux établissements dans l'ouest et le remplacement de plusieurs cadres de la société Alcura France par les cadres du groupe AH et qu'il n'a pas été remplacé à son poste de manager multi-sites par une nouvelle embauche suite à son licenciement. Il rappelle également qu'il a été placé en arrêt maladie du 23 août 2017 au 20 janvier 2019 de sorte qu'aucun salarié n'a pu subir de comportement déplacé de sa part pendant la suspension de son contrat de travail. Enfin, il fait observer que la procédure de licenciement a été engagée avant la réalisation d'une enquête et avant que les salariés placés sous sa subordination n'aient été interrogés quant à son comportement, soulignant qu'il n'a pu se défendre sur certains faits évoqués dans la lettre de licenciement.

M. [S] soulève ensuite la prescription des faits invoqués par la société Alcura France à l'appui de son licenciement soulignant que ceux-ci datent pour la plupart de 2017 et que ses supérieurs hiérarchiques en avaient connaissance dès cette date.

Il conteste en outre l'ensemble des griefs énoncés dans la lettre de licenciement. En premier lieu, il estime que la société Alcura France ne démontre aucune mise en péril de la santé physique et mentale des salariés placés sous sa subordination, et note qu'aucun de ceux-ci n'a été placé en arrêt de travail en lien avec ses prétendus agissements. Il ajoute que ce grief n'est pas sérieux dans la mesure où son employeur n'apporte aucune précision quant à la nature des faits, leur date ou encore les salariés éventuellement concernés. Il précise encore que la société Alcura France ne peut lui reprocher des méthodes de gestion inappropriées sur la base d'un mois de travail à mi-temps dans la mesure où il n'a repris son poste que le 21 janvier 2019 et a été dispensé d'activité à compter du 20 février 2019.

En second lieu, M. [S] conteste avoir organisé des tournées de LIC de manière incohérente et sans respecter les temps de trajet et les pauses déjeuner et affirme que l'organisation des tournées ne relève pas des fonctions du manager mais de celles des logisticiens. Il ajoute que les plannings étaient systématiquement vérifiés par le responsable des ressources humaines, qu'aucun dépassement de la durée de travail n'a été dénoncé et que toutes les heures supplémentaires ont été payées ou récupérées. Il souligne encore qu'aucun salarié n'a été contraint de travailler dans des conditions l'exposant à un danger s'agissant de la durée du travail ou des temps de repos. En tout état de cause, il invoque la prescription de ces faits dans la mesure où ils datent d'avant le mois d'août 2017.

S'agissant du grief relatif à la reprise de trois lits le dimanche 20 août 2017, il soulève encore une fois la prescription et conteste fermement être à l'origine de cette tournée assurant que celle-ci a été organisée par M. [W], logisticien, sans aucune intervention de sa part.

M. [S] conteste également avoir refusé d'établir une déclaration d'accident de travail suite au malaise de M. [B], affirmant qu'elle a été réalisée le jour même par M. [N]. Il s'oppose également aux manquements reprochés concernant la procédure d'évacuation dans la mesure où il a proposé à M. [B] d'appeler les pompiers mais que celui-ci a fermement refusé et sollicité que sa femme vienne le chercher pour l'emmener aux urgences.

Il affirme par ailleurs qu'il n'a jamais mis en place de surveillance des membres de son équipe pendant son arrêt maladie. À cet égard, il indique avoir été informé fortuitement par son fils de la présence de M. [L] sur son temps de travail et à des fins personnelles au SDIS 49. Il ajoute que les traceurs sur les véhicules utilisés par les salariés ont été mis en place par la société Alcura France et non par lui.

M. [S] soutient encore que le grief relatif au refus d'accorder une journée 'enfant malade' à M. [R] est prescrit. En tout état de cause, il justifie ce refus par l'absence de justificatif fourni par M. [R].

Le salarié conteste également avoir mis à l'écart M. [L] et accusé M. [M] d'un vol de batteries.

Enfin, il affirme n'avoir jamais imposé à ses subordonnés de récupérer des heures supplémentaires mais avoir simplement suivi les consignes du service des ressources humaines.

M. [S] conclut que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse dans la mesure où la société Alcura France a monté un dossier de toutes pièces alors qu'elle ne disposait d'aucun élément au moment de la convocation à l'entretien préalable, en invoquant des griefs non fondés, imprécis et pour la plupart prescrits, et que le vrai motif de son licenciement est économique dans la mesure où le groupe Alliance Healthcare a mis en place un plan social et où il n'a pas été remplacé.

MOTIVATION

Sur le licenciement pour faute grave

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l'entreprise.

En cas de faute grave, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs.

La charge de la preuve de la faute grave pèse sur l'employeur. S'il subsiste un doute, celui-ci doit profiter au salarié.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 9 avril 2019 qui fixe les limites du litige se décline sur cinq pages et est motivée par '(ses) méthodes de gestion des salariés placés sous sa responsabilité qui incluent des pratiques autoritaires, et même agressives et menaçantes', 'mettant en péril la santé physique et mentale de ces derniers', ayant 'fragilisé certains collaborateurs de l'entreprise' et 'engendré une ambiance délétère au sein de cette dernière au point que certaines personnes ne voient pas d'autre issue que de quitter (les) effectifs', notamment :

- une organisation des tournées des LIC de manière incohérente, malgré les objections de ces derniers, sans tenir compte des temps de trajet ni de la pause déjeuner, ce qui conduit certains d'entre eux à faire 'journée continue' et les expose à un risque routier accru afin de respecter les rendez-vous fixés, ce par crainte de 'se voir prendre une lettre' ;

- le fait d'avoir imposé un dimanche matin, le 20 août 2017, à un LIC, trois reprises de lit qui ne revêtaient pas un caractère d'urgence, ce sans justification ;

- le 29 janvier 2019, le fait d'avoir dissimulé le malaise de M. [B], de n'avoir réalisé aucune déclaration d'accident du travail, et de n'avoir pas respecté la procédure d'évacuation des collaborateurs victimes d'un accident du travail ;

- le fait d'avoir organisé une surveillance des déplacements de ses subordonnés pendant son arrêt maladie et sollicité des explications sur leurs déplacements auprès de son collègue logisticien d'[Localité 2], créant un climat de surveillance qualifié de 'flicage' par plusieurs de ses collègues ;

- le fait, suite à un entretien entre le directeur régional et M. [L], d'avoir clairement évité tout échange avec ce dernier, entraînant de sa part un sentiment de mise à l'écart ;

- le fait d'avoir refusé une journée 'enfant malade' à M. [R] malgré le justificatif fourni ;

- le fait d'avoir injustement accusé M. [M] d'un vol de batteries ;

- le fait d'avoir imposé à certains subordonnés de récupérer leurs heures supplémentaires, à défaut de quoi, elles seraient purement et simplement annulées ;

- le fait de ne pas apporter de réponses techniques aux questions de ses subordonnés en prétextant ne pas avoir le temps, certains indiquant qu'il leur parlait 'comme à des chiens' ou qu'il les traitait 'comme des chiens'.

A titre liminaire, il sera observé que la circonstance que certains griefs évoqués dans la lettre de licenciement n'aient pas été indiqués au salarié lors de l'entretien préalable, comme tel est le cas en l'espèce dans la mesure où les illustrations ci-dessus visées résultent d'une enquête effectuée par le CHSCT sur le secteur de [Localité 6] le 8 mars 2019, mais aussi d'une enquête du CSSCT de l'agence d'[Localité 2] et d'une enquête interne de l'entreprise effectuées le 25 mars 2019, caractérise une irrégularité de forme dont il sera relevé que M. [S] n'en demande pas réparation, qui n'empêche pas le juge de décider que ce grief peut constituer une faute grave ou une cause réelle et sérieuse de licenciement (Soc 28 juin 2000, n°98-43070).

Il sera en outre rappelé qu'en matière prud'homale, la preuve est libre, et qu'il appartient au juge d'apprécier la portée des éléments qui lui sont soumis, étant précisé que le fait que des témoignages soient rédigés postérieurement au licenciement, voire en cause d'appel, n'enlève rien de ce seul fait, à leur légitimité.

1. Sur la prescription

M. [S] soulève la prescription des reproches allégués, soulignant que qu'à l'exception d'un seul intervenu le 29 janvier 2019, ils se réfèrent à une période antérieure à son arrêt de travail du 23 août 2017 et que la société Alcura France en avait nécessairement connaissance. Il se prévaut à cet égard des propos des salariés qui attestent

avoir alerté son supérieur hiérarchique de l'époque, M. [E], directeur régional des opérations (DRO).

La société Alcura France soutient avoir découvert l'ampleur des agissements de M. [S] lors de son retour en 2019 dans la mesure où ses collaborateurs se taisaient par peur des représailles. Elle ajoute que leurs tentatives pour faire remonter leurs difficultés se sont arrêtées à M. [E] qui protégeait M. [S] et qui n'a jamais transmis ces informations.

Aux termes des dispositions de l'article L.1332-4 du code du travail, 'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même temps à l'exercice de poursuites pénales'.

Dès lors que les faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de ces poursuites.

Ainsi, ce n'est pas la date des faits qui constitue le point de départ du délai de prescription mais celle de la connaissance par l'employeur des faits reprochés, étant précisé que lorsque les faits sont connus du supérieur hiérarchique, c'est à partir de la date à laquelle ils sont révélés à lui que court le délai de deux mois. Cette connaissance par l'employeur s'entend d'une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits.

La prise en compte d'un fait antérieur à deux mois peut cependant intervenir pour fonder la lettre de licenciement si le comportement fautif du salarié s'est poursuivi ou a été réitéré dans ce délai et s'il s'agit de faits de même nature.

Il est établi que M. [E] a été le supérieur hiérarchique de M. [S] de 2010 à 2017 (pièce 55 salarié) et qu'il a été remplacé par M. [K] à compter du 21 août 2017 (pièce 97 salarié).

Il ressort des attestations de M. [M] et M. [R] que M. [E] a été alerté sur la pression morale et verbale subie de la part de M. [S], et qu'il n'y a pas donné suite car il le protégeait (pièce 14, 6 employeur). Ces alertes ont donc été formulées avant le 21 août 2017.

Pour autant, il ressort de la lettre de licenciement que l'un des faits reprochés date du 29 janvier 2019 et se réfère à la santé d'un salarié, que le grief relatif à la surveillance des déplacements des salariés est situé pendant l'arrêt de travail de M. [S] soit postérieurement au 21 août 2017 et a été révélé par l'enquête menée par la société Alcura France le 25 mars 2019, et que le sentiment de mise à l'écart de M. [L] fait suite à un entretien avec M. [K], donc postérieur au 21 août 2017, M. [L] précisant qu' 'à son retour' M. [S] ne le regardait pas et ne souhaitait plus échanger avec lui, cette précision permettant de dater la mise à l'écart alléguée à compter du 21 janvier 2019.

Ces derniers faits ne sont pas prescrits et sont susceptibles, comme ceux datant de 2017, de mettre en cause la santé physique et mentale des salariés, de fragiliser les subordonnés de M. [S] et d'engendrer une ambiance délétère. Il apparaît dès lors que les agissements reprochés à M. [S], si tant est qu'ils soient établis, se sont poursuivis par des faits de même nature et que le moyen tiré de la prescription doit être rejeté.

2. Sur les motifs de licenciement

Au vu de ce qui précède, il convient d'examiner en premier lieu, les griefs dont l'employeur a eu connaissance moins de deux mois avant l'introduction de la procédure de licenciement.

- Sur l'accident du travail du 29 janvier 2019

La société Alcura France prétend que M. [S] a sciemment dissimulé le malaise dont a été victime M. [B] le 29 janvier 2019, qu'il a refusé d'établir une déclaration d'accident du travail et qu'il n'a pas respecté la procédure d'évacuation des accidentés du travail dans la mesure où son épouse est venue le chercher pour l'amener aux urgences.

M. [S] réplique qu'à 12h58, il a appelé M. [N] qui le remplaçait sur son mi-temps thérapeutique, lequel lui a indiqué qu'il s'occupait de la déclaration d'accident du travail, et que celle-ci a été effectuée le jour-même. Il ajoute que c'est M. [B] lui-même qui a insisté pour que ce soit sa femme qui l'emmène aux urgences.

Il résulte des attestations de M. [R] et de M. [M], témoins du malaise de M. [B], que celui-ci avait du mal à s'exprimer et avait la mâchoire déformée, qu'ils ont eu peur, et que M. [S] a insisté pour que sa femme vienne le chercher plutôt que d'appeler les secours alors que l'intéressé n'a pas évoqué ce souhait, M. [M] précisant que M. [S] leur a dit de n'en parler à personne 'car si ça revient aux oreilles d'Alliance, je vais avoir des problèmes' (pièces 14,17 et18 employeur).

Il ressort ensuite de la procédure de gestion des accidents du travail que si l'accident nécessite l'accompagnement du salarié à son domicile ou chez un médecin, il faut impérativement affréter une ambulance et que le salarié doit partir avec le document Cerfa 'feuille d'accident du travail' qui lui permet de recevoir des soins sans faire l'avance des frais pièce 10 employeur).

M. [S] ne communique aucun élément de nature à contredire le fait qu'il a souhaité dissimuler l'accident du travail de M. [B] qui s'est produit à 9h30, qu'il n'a pas fait la déclaration d'accident du travail alors qu'il travaillait le matin, et qu'il n'a pas respecté la procédure d'évacuation de ce dernier.

S'il est exact qu'il a appelé M. [N], ce n'est qu'à 12h58 (pièce 69 salarié). Celui-ci lui a alors indiqué que n'étant pas présent sur le site au moment de l'accident, il n'avait pas les éléments factuels pour réaliser la déclaration, qu'étant manager intérimaire, sa responsabilité s'exerçait lorsque M. [S] était strictement absent et qu'il incombait à ce dernier de faire cette démarche administrative (pièce 9 employeur).

Partant, ce grief est matériellement établi, peu important que M. [N] ait ultérieurement effectué la déclaration d'accident du travail, étant précisé que ce n'est pas M. [S] qui a spontanément demandé des nouvelles du salarié accidenté par la suite, mais M. [B] qui lui en a donné (pièce 71 salarié).

- Sur la surveillance des déplacements des salariés pendant l'arrêt de travail

La société Alcura France reproche à M. [S] d'avoir mis en place une surveillance des déplacements de ses collègues à sa seule initiative, pendant son arrêt de travail alors que son contrat de travail était suspendu, et sollicité des explications sur ces déplacements auprès du logisticien, créant un climat de surveillance excessive particulièrement néfaste qualifié de 'flicage' par plusieurs de ses collègues.

M. [S] conteste toute surveillance de sa part. Il fait valoir que les traceurs ont été mis en place par la société et non par lui-même, et indique avoir appris fortuitement par son fils qu'un salarié effectuait des démarches personnelles sur son temps de travail, ce qui est contraire à la règle.

M. [L] atteste de ce que M. [S] l'a 'fliqué pendant son arrêt maladie grâce au traceur'. Il ajoute que ce dernier a demandé au logisticien pourquoi il était passé à la pharmacie, puis une autre fois à la caserne des pompiers alors qu'il avait sollicité l'autorisation de M. [B], son supérieur hiérarchique direct, d'y déposer des affaires, précisant que le fils de M. [S] étant lui-même pompier l'y a vu et a appelé son père pour lui demander si c'était normal. Il souligne que cette démarche l'a déstabilisé puisqu'il savait déjà que ce dernier suivait tous ses trajets grâce aux traceurs (pièces 2 et16 employeur). M. [S] fils confirme avoir constaté que le 8 juin 2018, M. [L] était présent au service habillement du SDIS pour la restitution de son paquetage (pièce 76 salarié).

M. [B] atteste de la même manière que M. [S] l'appelait tous les jours au début de son arrêt maladie pour lui donner des consignes, qu'il contrôlait les traceurs des livreurs et l'a appelé pour lui demander ce que M. [L] faisait chez les pompiers (pièce 3 employeur).

Enfin, M. [R] indique que 'pendant son arrêt maladie, il consultait le traceur et appelait le logisticien pour faire des remontrances' (pièce 6).

Il résulte de ces éléments que M. [S] a organisé pendant son arrêt de travail une surveillance des déplacements des salariés, étant précisé qu'il ne lui est pas reproché d'avoir mis les traceurs en place mais de les avoir consultés, et que s'il a pu être informé par son fils du passage de M. [L] au SDIS, il n'avait en tout état de cause pas à s'enquérir de la raison pour laquelle ce dernier s'y trouvait alors que son contrat de travail était suspendu.

Par conséquent, ce grief est matériellement établi.

- Sur le fait d'éviter les échanges avec M. [L], créant un sentiment de mise à l'écart

M. [L] atteste de ce que depuis son retour, M. [S] ne le regardait pas du fait d'un échange qu'il avait eu avec M. [K] sur ses horaires dans la mesure où il le trouvait peu présent, que M. [S] l'a su, qu'il évitait d'échanger avec lui, que ce dernier lui répondait quand il n'avait pas le choix 'mais jamais en (le) regardant afin de (l')ignorer', et qu'il s'est senti mis à l'écart. (pièces 2, 16). M. [B] ajoute que M. [S] en voulait à M. [L] d'avoir échangé avec M. [K] sur ses horaires de travail (pièce 3).

M. [S] soutient que ce grief est fantaisiste en ce qu'il n'a que très peu croisé M. [K], et souligne que M. [L] indique dans ses propres déclarations que c'est lui qui évitait tout échange.

Ces derniers éléments, au demeurant exacts, ne sont cependant pas opérants à contredire les propos concordants de M. [L] et M. [B], dans la mesure où M. [S] a travaillé sous les ordres de M. [K], même brièvement, et que si M. [L] a cherché à limiter au maximum les échanges, il n'a pu s'en dispenser totalement dans la mesure où M. [S] était son supérieur hiérarchique duquel il recevait ses instructions.

Ce grief doit donc être considéré comme matériellement établi.

Les trois griefs non prescrits ayant été retenus, il convient dès lors d'examiner en second lieu, ceux intervenus avant l'arrêt maladie de M. [S].

- Sur la reprise de lits le dimanche 20 août 2017

Il ressort des propos de M. [L] que M. [S] lui a imposé de reprendre 4 lits le dimanche 20 août 2017 dans le cadre d'une astreinte en lui disant qu' 'il n'avait pas le choix' (pièces 2 et 16).

Pour autant, aucun élément ne détermine les tâches exclusivement attachées aux astreintes, et si contrairement à ses affirmations, M. [S] a bien validé cette astreinte et l'a organisée dans la mesure où il en a été informé par le logisticien qui lui est subordonné (pièce 65 salarié), il apparaît que ce retrait de lits un dimanche était une exigence du client sous peine de ne pas se voir attribuer le contrat. Il apparaît enfin que M. [L] qui n'était initialement pas d'astreinte ce jour là s'est porté volontaire.

Partant, cette exigence matériellement établie de la part de M. [S] ne saurait lui être reprochée.

- Sur l'organisation des tournées sans respecter les temps de trajet et les pauses déjeuner

M. [S] affirme que l'organisation des tournées ne relevait pas de ses attributions, mais de celles des logisticiens puis était validée par le service des ressources humaines, que lui-même ne faisait que saisir les heures de son équipe sur le logiciel adéquat, et que les plannings qu'il verse aux débats ne démontrent aucune incohérence ni de dépassement de la durée du travail.

S'il est exact que l'organisation des tournées devait être effectuée par les logisticiens (pièce 58 salarié), on rappellera que ceux-ci étaient subordonnés à M. [S] et que lors de l'enquête du CHSCT réalisée le 8 mars 2019, il a été indiqué à l'enquêteur que M. [S] voulait 'tellement tout gérer qu'il gérait même les tournées des LIC', que la tournée d'un LIC était tellement chargée qu'elle était irréalisable dans le temps imparti, que le LIC concerné n'a pas déjeuné et a roulé hors limite toute la journée pour être de retour à l'heure indiquée de peur de se 'voir prendre une lettre', et 'comme il est revenu à temps pour débaucher, M. [S] avait forcément raison une fois de plus', précisant 'on se fout de savoir s'il n'a pas mangé à midi parce qu'il n'avait pas le temps de faire sa pause, ni qu'il n'a pas respecté la vitesse pour y arriver'. L'enquêteur poursuit en constatant que bien que cela lui ait été signalé, M. [S] n'a rien changé 'puisqu'il faut faire comme il dit', qu''il met des tournées irréalisables pour pouvoir virer les LIC' et que 'personne ne dit rien car il y aura des conséquences derrière et personne ne veut les subir'. L'enquêteur précise qu'aucun des collaborateurs n'a souhaité voir son nom mentionné au rapport par peur des représailles (pièces 11 et 15 employeur).

M. [R] atteste ensuite que lorsque M. [S] était en poste, les tournées étaient mal gérées et chargées, qu'il a dû faire des excès de vitesse pour respecter les rendez-vous, et que les plannings ne permettaient pas de prendre les pauses déjeuner bien qu'elles soient déclarées dans le système de gestion des temps (pièces 6 et 17).

M. [S] communique de son côté un témoignage de M. [T] (pièce 56) attestant de ce qu''ils' devaient demander au logisticien de revoir les tournées jugées irréalisables et de ce qu''ils' avaient la possibilité de faire la pause déjeuner, un témoignage de M. [Y], lui-même manager multi-sites, attestant de ce que les tournées étaient planifiées par les pôles téléphoniques puis par les logisticiens (pièce 108), ainsi que des relevés d'heures (pièces 62 à 64).

Pour autant, il sera relevé que M. [T] a travaillé avec M. [S] jusqu'en 2013, soit plusieurs années avant les faits reprochés, étant précisé que M. [R] a été engagé en 2014, que si la procédure prévoit que les tournées ne sont pas planifiées par le manager multi-sites, il apparaît que M. [S] est néanmoins intervenu dans celles-ci, l'intégralité des salariés attestant que son management était autoritaire, qu'il décidait seul et sans discussion possible, que ces tournées prévoyaient une charge de travail telle qu'elle était irréalisable dans le temps imparti sans contrevenir au code de la route ou à la durée du travail par la suppression de la pause déjeuner, et que le temps de travail a de surcroît été reporté par M. [S] de manière erronée sur les relevés d'heures.

Il s'en suit que ce grief est matériellement établi.

- Sur la menace d'annulation des heures supplémentaires

M. [R] atteste que chaque fois qu'il faisait des heures supplémentaires, M. [S] lui imposait de récupérer ces heures 'sous peine d'annulation' (pièce 6), ainsi que les dates de récupération (pièce 17).

M. [S] réplique qu'il n'a fait qu'appliquer les consignes de la DRH du 11 décembre 2017 demandant aux managers, au vu du nombre d'heures supplémentaires réalisées au 30 novembre 2017, de s'organiser afin que celles-ci soient récupérées avant le 31 décembre 2017 (pièce 72), et que les salariés ont le choix de les récupérer, de se les faire payer ou de les mettre sur un compte épargne temps (pièce 73).

Il sera relevé cette dernière procédure est confirmée par la société Alcura France, et qu'il est précisément reproché à M. [S] de ne pas avoir laissé ce choix à ses collaborateurs, cette absence de choix étant établie par la menace de voir annuler les heures supplémentaires non récupérées, ce qui n'est nullement prévu par la DRH et au demeurant illégal. Il sera en outre précisé que contrairement à ses affirmations, le salarié n'a pu appliquer ces consignes dans la mesure où elles ont été édictées le 11 décembre 2017 pour le 31 décembre 2017, qu'il était en arrêt de travail depuis le 23 août 2017 et que son contrat de travail a été suspendu jusqu'au 20 janvier 2019.

Partant, ce grief est matériellement établi

- Sur le refus d'accorder une journée 'enfant malade' à M. [R]

M. [R] atteste (pièce 17) de ce que M. [S] a refusé qu'il s'absente pour s'occuper de son enfant malade et M. [L] qu'il en a été le témoin (pièce 16), ces deux salariés précisant que l'intéressé a été appelé par l'école pour venir chercher son fils et qu'il a dû appeler son père pour s'en occuper.

M. [S] affirme sans en justifier, que l'assistante maternelle du fils de M. [R] lui a fait faux bond, que M. [R] n'a présenté aucun justificatif médical, et qu'il n'avait donc aucune obligation de l'autoriser à s'absenter.

Il ressort de ces éléments que l'enfant ne pouvait être maintenu à l'école, qu'il fallait trouver une solution en urgence, et que M. [S] ne peut valablement justifier son refus par l'absence de justificatif médical dans la mesure où, au moment de la demande, M. [R] venait d'être prévenu de la maladie de son fils et était dans l'impossibilité matérielle de présenter un tel document. Celui-ci ne pouvait en effet être établi que suite à la visite de l'enfant chez le médecin, soit a posteriori, et s'est avéré ensuite inutile dans la mesure où M. [R] a poursuivi sa journée de travail.

Par conséquent, ce grief est matériellement établi.

- Sur les accusations sans preuve de vol de batteries à l'égard de M. [M]

Ces accusations résultent des attestations de M. [B] (pièce 3), de M. [R] (pièce 17) et M. [M] (pièce 18), ce dernier précisant qu'il était en congés lors des faits.

M. [S] assure que ces accusations sont fantaisistes et que les faits rapportés par les témoins sont contradictoires.

Il ressort cependant de manière non contradictoire des pièces précitées que M. [S] a accusé M. [M] de vol de batteries auprès de M. [B] et de M. [R], lesquels ont rapporté ces propos à M. [M] sans que M. [S] ne s'en ouvre directement auprès de lui, étant précisé qu'il n'est pas établi que M. [M] ait volé quoi que ce soit.

Partant, ce grief est matériellement établi, peu importe que M. [M] ait été indirectement informé de ces accusations.

Il résulte de ce qui précède qu'à l'exception du retrait de quatre lits le dimanche 20 août 2017, les griefs allégués doivent être retenus.

La gravité de la faute s'apprécie en tenant compte du contexte des faits, de l'ancienneté du salarié, des conséquences de ses agissements et de l'existence ou de l'absence de sanction antérieure.

M. [S] avait 27 ans d'ancienneté, il a bénéficié de promotions régulières et n'a jamais fait l'objet de sanction disciplinaire. Ses évaluations professionnelles sont élogieuses et aux termes de la dernière réalisée en mai 2017 (pièce 89 salarié), il est noté qu'il 'sait gérer les conflits avec tact', sait 'se rendre abordable pour les clients et les collègues de travail et est à l'écoute de leurs besoins'. Il sera toutefois relevé que cette évaluation a été effectuée par M. [E], lequel était au courant des doléances de ses subordonnés et n'a rien fait, ces derniers assurant qu'il protégeait M. [S].

Il ressort ensuite des différentes attestations précitées et des enquêtes réalisées par le CHSCT, le CSSCT et l'entreprise, que le management de M. [S] était autoritaire, générateur de stress, d'angoisse et d'un mauvais climat, qu'il trouve son essence dans la peur et la culpabilité des collaborateurs mettant à mal leur santé physique et mentale, que certains s'estiment victimes de harcèlement moral et venaient travailler 'la peur au ventre', que son retour était craint, et que tous les salariés de l'agence d'[Localité 2] ont envisagé de quitter la société 'tant le niveau de souffrance (a) atteint son paroxysme'.

Il sera enfin relevé qu'alors que le licenciement repose sur des griefs objectifs et établis, la seule concomitance de la procédure de licenciement et de la négociation d'un plan de sauvegarde de l'emploi au sein du groupe Alliance Healthcare ne suffit pas à établir que le véritable motif du licenciement est d'ordre économique, étant précisé que le poste de M. [S] n'a pas été supprimé et que s'il n'a pas été remplacé par une nouvelle embauche, il a toutefois été remplacé par M. [N], salarié AH ayant assuré sa suppléance dans le cadre de son arrêt de travail et de son mi-temps thérapeutique.

Au vu de ce qui précède, il apparaît que la faute grave est caractérisée, que le licenciement pour faute grave est fondé et que M. [S] doit être débouté de ses demandes de de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité de licenciement et de remise de documents de fin de contrat rectifiés.

Il apparaît en outre qu'il n'y a pas lieu d'ordonner le remboursement par la société Alcura France à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à M. [S].

Le jugement est infirmé de ces chefs.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement doit être infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile sauf en ce qu'il a débouté la société Alcura France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est équitable de laisser à la société Alcura France ses frais irrépétibles d'appel.

M. [S] qui succombe à l'instance, doit être condamné aux dépens de première instance et d'appel, et débouté de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentées en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Angers du 24 février 2021sauf en ce qu'il a débouté la société Alcura France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

DIT que le licenciement est fondé sur une faute grave ;

DEBOUTE M.[D] [S] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité de licenciement et de remise de documents de fin de contrat rectifiés ;

DIT n'y avoir lieu d'ordonner le remboursement par la Sas Alcura France à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à M. [D] [S] ;

DEBOUTE M. [D] [S] de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentées en première instance et en appel ;

DEBOUTE la Sas Alcura France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée en appel ;

CONDAMNE M. [D] [S] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Viviane BODIN Clarisse PORTMANN