Décisions
CA Paris, Pôle 4 - ch. 13, 23 janvier 2024, n° 23/05339
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
ARRET DU 23 JANVIER 2024
(n° , 2 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/05339
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 05 Décembre 2022 - Juge de la mise en état de PARIS - RG n° 22/00362
APPELANT
Monsieur [J] [P]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Ayant pour avocat plostulant Me Françoise ROZELAAR VIGIER, avocat au barreau de PARIS, toque: A0079
Ayant pour avocat plaidant Me Rémi ALBERTO, avocat au barreau de Lyon
INTIME
AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Benoît CHABERT, avocat au barreau de PARIS, toque : A0039, substitué par Me Romy LORENT, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Novembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, et devant Mme Estelle MOREAN, Conseillère chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre
Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
Mme Estelle MOREAU, Conseillère
Greffière, lors des débats : Mme Florence GREGORI
MINISTERE PUBLIC : L'affaire a été communiquée au ministère public le 20 avril 2023, qui a fait connaître son avis le 02 octobre 2023.
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 23 janvier 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Florence GREGORI, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
M. [J] [P] a acquis l'étude notariale de M. [D] dont il a pris la succession en 1992.
En premier lieu, par acte du 25 janvier 1994, M. [P] a assigné M. [D] devant le tribunal de grande instance de Mâcon aux fins de voir ordonner une expertise sur le prix de vente de l'étude notariale.
Par jugement du 25 janvier 1999, le tribunal de grande instance de Mâcon a condamné M. [D] à payer à M. [P] la somme de 470 000 francs au titre de la réduction du prix de cession de l'étude notariale et la somme de 120 000 francs en réparation du préjudice financier subi.
Par arrêt du 25 janvier 2000, la cour d'appel de Dijon a infirmé partiellement le jugement du 25 janvier 1999 et limité à 300 000 francs la réduction du prix.
Cet arrêt a été cassé par arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002 opérant un revirement de jurisprudence, considérant désormais que seule la démonstration d'une fraude ou d'un vice du consentement permettait d'opérer la réduction du prix.
Par arrêt du 3 novembre 2003, la cour d'appel de Dijon saisie sur renvoi a sursis à statuer dans l'attente qu'une décision définitive soit rendue dans l'instance pénale engagée à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par M. [P] le 13 juin 2002.
Cette plainte ayant fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction le 4 juillet 2007, l'instance a été reprise et par arrêt du 16 avril 2009, la cour d'appel de Dijon a débouté M. [P] de ses demandes au motif qu'il ne rapportait pas la preuve d'une tromperie ou d'une dissimulation ayant vicié son consentement.
Par décision du 26 janvier 2012, la Cour de cassation a déclaré non admis le pourvoi interjeté par M. [P] à l'encontre de cet arrêt.
En second lieu, par actes des 23 août et 3 septembre 2002, M. [P] a assigné le conseil régional des notaires de la cour d'appel de Dijon et la chambre des notaires de Saône et Loire devant le tribunal de grande instance de Dijon aux fins de voir engager leur responsabilité au titre de l'acquisition de l'étude de M. [D].
Par jugement du 5 décembre 2011, le tribunal de grande instance de Dijon a condamné solidairement le conseil régional des notaires de la cour d'appel de Dijon et la chambre des notaires de Saône et Loire payer à M. [P] la somme de 182 449,36 euros en réparation de son préjudice.
Ce jugement a été infirmé par arrêt de la cour d'appel de Dijon du 3 mai 2016, qui a rejeté l'ensemble des demandes de M. [P].
Parallèlement, par lettre du 23 décembre 2020, M. [P] a vainement sollicité du ministère de la Justice l'indemnisation amiable du préjudice qu'il prétend avoir subi en raison d'une faute lourde et d'un déni de justice.
C'est dans ces circonstances que par acte du 23 décembre 2021, M. [P] a assigné l'agent judicaire de l'Etat devant le tribunal judicaire de Paris en responsabilité de l'Etat pour faute lourde en raison du revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation le 10 juillet 2002 et du déni de justice lié à la durée excessive des procédures qu'il a engagées devant le juge d'instruction et les instances professionnelles du notariat.
Par ordonnance du 5 décembre 2022, le juge de la mise en état du tribunal judicaire de Paris a déclaré irrecevables comme prescrites les demandes de M. [P] relatives à la critique de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002 et à la critique de la durée de la procédure introduite le 25 janvier 1994 à l'encontre de M. [D] et achevée par arrêt du 26 janvier 2012, invité les parties à conclure s'agissant de la procédure engagée à l'encontre du conseil général des notaires de la cour d'appel de Dijon et de la chambre des notaires de Saône-et-Loire et réservé les frais et dépens de l'instance.
Par déclaration du 16 mars 2023, M. [P] a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 13 octobre 2023, M. [J] [P] demande à la cour de :
- réformer l'ordonnance en ce qu'elle a retenu la fin de non-recevoir tirée de la prescription partielle de ses demandes,
- rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription partielle de ses demandes.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 22 mai 2023, l'Etat pris en la personne de l'agent judicaire de l'Etat demande à la cour de :
- confirmer l'ordonnance,
partant,
- juger acquise la prescription de l'action de M. [P] relative à la critique de l'arrêt du 10 juillet 2002 de la Cour de cassation,
- juger acquise la prescription de l'action de M. [P] relative à la critique de la durée de la procédure introduite le 25 janvier 1994 à l'encontre de M. [D] et achevée par arrêt du 26 janvier 2012,
en conséquence,
- juger son action partiellement irrecevable,
- renvoyer l'affaire au tribunal judiciaire de Paris pour échange de conclusions au fond relatives à la seule critique de la durée de la procédure à l'encontre du conseil régional des notaires de la cour d'appel de Dijon et la chambre des notaires de Saône et Loire.
Selon avis notifié le 2 octobre 2023, le ministère public, concluant à la confirmation de l'ordonnance, fait valoir l'irrecevabilité, en raison de la prescription, de l'action de M. [P] à l'encontre de l'agent judiciaire de l'Etat concernant l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002 et la procédure introduite le 25 janvier 1994 à l'encontre de M. [D] et achevée par arrêt du 26 janvier 2012.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 17 octobre 2023.
SUR CE
Sur la prescription de l'action :
Le juge de la mise en état a retenu que les demandes de M. [P] relatives à la critique de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002 et à la critique de la durée de la procédure introduite le 25 janvier 1994 à l'encontre de M. [D] et achevée par arrêt du 26 janvier 2012 sont irrecevables comme prescrites en ce que :
- le fait générateur de la faute lourde invoquée par le demandeur, tirée du revirement de jurisprudence se situe au 10 juillet 2002, date de l'arrêt critiqué,
- le fait générateur du déni de justice allégué concernant la durée de la procédure introduite le 25 janvier 1994 à l'encontre de M. [D], se situe au 26 janvier 2012, date du rejet du pourvoi en cassation mettant fin à la procédure,
- M. [P] ne justifie pas d'une des causes d'interruption de la prescription prévues à l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968, les courriers qu'il a adressés au garde des Sceaux étant sans rapport avec les manquements de l'Etat invoqués à la présente instance,
- en conséquence, la prescription quadriennale était acquise antérieurement aux réclamations amiables du demandeur et à la délivrance de l'assignation du 23 décembre 2021.
M. [P] soutient que :
- le point de départ du délai de prescription est fixé au début de l'exercice qui suit celui au cours duquel la créance est devenue certaine et exigible, ce qui ne correspond pas nécessairement à la date de survenance du dommage,
- une créance qui n'a pas été reconnue par une décision de justice ou qui n'a pas été reconnue par le débiteur et n'a pas été évaluée ne saurait se voir opposer la prescription,
- les conséquences préjudiciables de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002 opérant un revirement de jurisprudence, n'ont pu être prescrites au 1er janvier 2007 et ce n'est qu'à compter de la seconde décision de la Cour de cassation du 26 janvier 2012, rejetant le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de renvoi, que le préjudice a pu acquérir un caractère certain et exigible,
- à la date du rejet de son pourvoi du 26 janvier 2012, mettant définitivement un terme à la première procédure engagée contre M. [D] qui a révélé une faute dans l'exercice du service public de la justice en raison du revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation, il avait obtenu, au moins partiellement, une indemnisation de ses préjudices,
- ainsi, à ce stade, une procédure en réparation engagée contre l'Etat aurait visé à réparer un préjudice dont il venait d'obtenir réparation et dans ces conditions il peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance à l'égard de l'Etat au sens des dispositions de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968,
- le jugement du 5 décembre 2011 n'ayant jamais acquis de caractère définitif en raison de l'appel formé par les instances ordinales, il n'a pu estimer l'étendue de ses préjudices causés par le revirement de la Cour de cassation et les décisions judiciaires successives avalisant ce revirement (arrêt de la cour d'appel de Dijon du 16 avril 2009 et arrêt de la Cour de cassation du 26 janvier 2012) avant que la procédure engagée à l'encontre des instances ordinales ne soit définitivement close par l'arrêt de la cour d'appel de Dijon du 3 mai 2016, en sorte que la prescription quadriennale n'a pu courir avant cette date.
Il fait valoir :
- l'interruption de la prescription quadriennale à l'égard de cette créance et ce jusqu'au premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision mettant fin est passée en force de chose jugée en ce que :
- par actes des 23 août et 3 septembre 2002, il a assigné devant le tribunal de grande instance de Dijon, le conseil régional des notaires de la cour d'appel de Dijon et la chambre des notaires de Saône et Loire aux fins d'engager leurs responsabilités respectives et les voir condamner à l'indemniser de son préjudice financier,
- ledit préjudice est le même que celui demandé dans le cadre de l'instance engagée contre l'agent judiciaire de l'Etat, à savoir la différence entre les prix d'acquisition de l'étude de notaire et son prix réel comme il en ressort de l'expertise judiciaire de M. [I],
- il doit donc être regardé comme ayant formé un recours devant une juridiction 'relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance' dont il demande aujourd'hui réparation à l'Etat,
- la prescription quadriennale a ainsi été interrompue à l'égard de cette créance et ce jusqu'au premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision du 26 janvier 2012 mettant fin à l'instance est passée en force de chose jugée,
- l'effet interruptif de prescription des courriers concernant les procédures civiles engagées contre M. [D] puis les instances ordinales qu'il a adressés entre le 26 janvier 2012 et la date à laquelle il a formé une demande indemnitaire préalable, ainsi que l'effet interruptif de prescription des différents recours exercés,
- le caractère indivisible du préjudice moral causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice en raison du revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation et dont l'étendue n'a pu être révélée qu'au terme de la mise en oeuvre de l'ensemble des voies de droit.
L'agent judiciaire de l'Etat répond que :
- la faute étant alléguée au titre du revirement de jurisprudence par arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002, la prescription quadriennale a commencé à courir au 1er janvier 2003 et a donc expiré au 31 décembre 2006,
- s'agissant des dénis de justice allégués au titre de la durée de procédure concernant M. [D],
- ladite procédure s'est achevée par décision du 26 janvier 2012, en sorte que la prescription quadriennale a couru à compter du 1er janvier 2013 et était acquise à la date du courrier de demande amiable de M. [P] du 23 décembre 2020, - aucun des actes et courriers allégués par M. [P] ne sont interruptifs de la prescription,
- l'action introduite le 23 décembre 2021 est donc prescrite.
Le ministère public conclut que :
- concernant le revirement de jurisprudence, le fait générateur du dommage allégué est la date de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002 et la prescription quadriennale a commencé à courir le 1er janvier 2003 pour expirer au 31 décembre 2006 et en application de la loi du 31 décembre 1968, la prescription était acquise au jour où le courrier de réclamation du 23 décembre 2020 a été adressé au ministre de la Justice, et, de surcroît, de l'assignation de l'agent judiciaire de l'Etat devant le tribunal judiciaire de Paris en date du 23 décembre 2021,
- s'agissant du grief lié à la durée de la procédure, celle-ci ayant débuté le 25 janvier 1994 et s'étant achevée par la décision du 26 janvier 2012, la prescription quadriennale a expiré le 31 décembre 2016.
L'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics dispose que sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis.
Il résulte de cet article que le point de départ de la prescription quadriennale est le premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle s'est produit le fait générateur du dommage allégué.
L'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 prévoit que la prescription est interrompue par:
- toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement ;
- tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance.
Il précise également qu'un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption.
Selon l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968, la prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement.
Le facteur déclenchant la prescription est fixé au jour où la créance indemnitaire est réputée acquise en son principe sauf ignorance légitime de son titulaire.
Sur la prescription de l'action fondée sur la faute lourde de l'Etat au titre de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002 opérant un revirement de jurisprudence :
L'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002 constitue le fait générateur du dommage allégué puisque M. [P] fait valoir une faute lourde en raison du revirement de jurisprudence opéré par cet arrêt.
M. [P] ayant connaissance de cet arrêt du 10 juillet 2002 constituant le fait générateur de sa créance, ne peut être regardé comme étant resté légitimement dans l'ignorance de l'existence de sa créance envers l'Etat, qui diffère du montant des dommages et intérêts qu'il aurait pu demander en réparation de son préjudice et dont il fait valoir n'avoir eu connaissance qu'à l'occasion de l'arrêt de la cour d'appel de Dijon du 3 mai 2016. Rien ne l'empêchait d'exercer une action en responsabilité de l'Etat dès l'arrêt rendu par la Cour de cassation et de solliciter un sursis à statuer dans l'attente des décisions rendues à l'issue de cet arrêt, ou encore dans l'attente de l'issue de la procédure qu'il indique avoir engagée contre le conseil régional des notaires de la cour d'appel de Dijon et la chambre des notaires de Saône et Loire, aux fins d'indemnisation du même préjudice.
Le délai de la prescription quadriennale a donc commencé à courir le 1er janvier 2003.
La procédure qui s'est poursuivie, en suite de la cassation prononcée par arrêt du 10 juillet 2002, devant la cour d'appel de renvoi de Dijon ayant rendu son arrêt du 16 avril 2009 et qui s'est achevée par la décision de non admission du pourvoi du 26 janvier 2012, a eu un effet interruptif de prescription.
De même, la procédure diligentée par actes des 23 août et 3 septembre 2002 à l'égard du conseil régional des notaires de la cour d'appel de Dijon et la chambre des notaires de Saône et Loire aux fins d'indemnisation du même préjudice, à savoir la surévaluation du prix de la cession de l'office notarial, et qui s'est achevée par l'arrêt de la cour d'appel de Dijon du 3 mai 2016, a interrompu la prescription, en sorte qu'un nouveau délai de prescription quadriennale a couru à compter du 1er janvier 2017.
Ce délai a de nouveau été interrompu par le courrier du 23 décembre 2020 que M. [P] a adressé au ministère de la Justice aux fins d'indemnisation de son préjudice à raison de la faute lourde alléguée.
Un nouveau délai de prescription ayant couru à compter du 1er janvier 2021, l'action introduite par acte du acte du 23 décembre 2021 n'est pas prescrite, en infirmation de la décision.
Sur la prescription de l'action engagée au titre du déni de justice :
M. [P] faisant valoir un déni de justice au titre de la durée excessive de la procédure introduite le 25 janvier 1994 à l'encontre de M. [D] et qui s'est achevée par la décision de non admission du pourvoi du 26 janvier 2012, cette décision constitue le fait générateur de la créance, faisant courir la prescription quadriennale à compter du 1er janvier 2013.
Aucune des procédures diligentées ni aucun courrier antérieur au courrier adressé au garde des Sceaux le 23 décembre 2020 n'étant interruptifs de prescription en ce qu'ils n'ont pas trait au déni de justice allégué, celle-ci est acquise depuis le 1er janvier 2017.
C'est donc pertinemment que le premier juge a jugé l'action engagée le 23 décembre 2021 au titre de ce déni de justice prescrite.
Sur les dépens :
L'agent judiciaire de l'Etat échouant en ses prétentions, est condamné aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans la limite de sa saisine,
Confirme l'ordonnance en ses dispositions sauf en ce qu'elle a déclaré irrecevables comme prescrites les demandes de M. [P] relatives à la critique de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002,
Statuant de nouveau,
Dit recevable l'action en responsabilité de l'Etat fondée sur la faute lourde en raison du revirement de jurisprudence opéré par l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002,
Condamne l'agent judiciaire de l'Etat aux dépens d'appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
ARRET DU 23 JANVIER 2024
(n° , 2 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/05339
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 05 Décembre 2022 - Juge de la mise en état de PARIS - RG n° 22/00362
APPELANT
Monsieur [J] [P]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Ayant pour avocat plostulant Me Françoise ROZELAAR VIGIER, avocat au barreau de PARIS, toque: A0079
Ayant pour avocat plaidant Me Rémi ALBERTO, avocat au barreau de Lyon
INTIME
AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Benoît CHABERT, avocat au barreau de PARIS, toque : A0039, substitué par Me Romy LORENT, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Novembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, et devant Mme Estelle MOREAN, Conseillère chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre
Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
Mme Estelle MOREAU, Conseillère
Greffière, lors des débats : Mme Florence GREGORI
MINISTERE PUBLIC : L'affaire a été communiquée au ministère public le 20 avril 2023, qui a fait connaître son avis le 02 octobre 2023.
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 23 janvier 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Florence GREGORI, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
M. [J] [P] a acquis l'étude notariale de M. [D] dont il a pris la succession en 1992.
En premier lieu, par acte du 25 janvier 1994, M. [P] a assigné M. [D] devant le tribunal de grande instance de Mâcon aux fins de voir ordonner une expertise sur le prix de vente de l'étude notariale.
Par jugement du 25 janvier 1999, le tribunal de grande instance de Mâcon a condamné M. [D] à payer à M. [P] la somme de 470 000 francs au titre de la réduction du prix de cession de l'étude notariale et la somme de 120 000 francs en réparation du préjudice financier subi.
Par arrêt du 25 janvier 2000, la cour d'appel de Dijon a infirmé partiellement le jugement du 25 janvier 1999 et limité à 300 000 francs la réduction du prix.
Cet arrêt a été cassé par arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002 opérant un revirement de jurisprudence, considérant désormais que seule la démonstration d'une fraude ou d'un vice du consentement permettait d'opérer la réduction du prix.
Par arrêt du 3 novembre 2003, la cour d'appel de Dijon saisie sur renvoi a sursis à statuer dans l'attente qu'une décision définitive soit rendue dans l'instance pénale engagée à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par M. [P] le 13 juin 2002.
Cette plainte ayant fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction le 4 juillet 2007, l'instance a été reprise et par arrêt du 16 avril 2009, la cour d'appel de Dijon a débouté M. [P] de ses demandes au motif qu'il ne rapportait pas la preuve d'une tromperie ou d'une dissimulation ayant vicié son consentement.
Par décision du 26 janvier 2012, la Cour de cassation a déclaré non admis le pourvoi interjeté par M. [P] à l'encontre de cet arrêt.
En second lieu, par actes des 23 août et 3 septembre 2002, M. [P] a assigné le conseil régional des notaires de la cour d'appel de Dijon et la chambre des notaires de Saône et Loire devant le tribunal de grande instance de Dijon aux fins de voir engager leur responsabilité au titre de l'acquisition de l'étude de M. [D].
Par jugement du 5 décembre 2011, le tribunal de grande instance de Dijon a condamné solidairement le conseil régional des notaires de la cour d'appel de Dijon et la chambre des notaires de Saône et Loire payer à M. [P] la somme de 182 449,36 euros en réparation de son préjudice.
Ce jugement a été infirmé par arrêt de la cour d'appel de Dijon du 3 mai 2016, qui a rejeté l'ensemble des demandes de M. [P].
Parallèlement, par lettre du 23 décembre 2020, M. [P] a vainement sollicité du ministère de la Justice l'indemnisation amiable du préjudice qu'il prétend avoir subi en raison d'une faute lourde et d'un déni de justice.
C'est dans ces circonstances que par acte du 23 décembre 2021, M. [P] a assigné l'agent judicaire de l'Etat devant le tribunal judicaire de Paris en responsabilité de l'Etat pour faute lourde en raison du revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation le 10 juillet 2002 et du déni de justice lié à la durée excessive des procédures qu'il a engagées devant le juge d'instruction et les instances professionnelles du notariat.
Par ordonnance du 5 décembre 2022, le juge de la mise en état du tribunal judicaire de Paris a déclaré irrecevables comme prescrites les demandes de M. [P] relatives à la critique de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002 et à la critique de la durée de la procédure introduite le 25 janvier 1994 à l'encontre de M. [D] et achevée par arrêt du 26 janvier 2012, invité les parties à conclure s'agissant de la procédure engagée à l'encontre du conseil général des notaires de la cour d'appel de Dijon et de la chambre des notaires de Saône-et-Loire et réservé les frais et dépens de l'instance.
Par déclaration du 16 mars 2023, M. [P] a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 13 octobre 2023, M. [J] [P] demande à la cour de :
- réformer l'ordonnance en ce qu'elle a retenu la fin de non-recevoir tirée de la prescription partielle de ses demandes,
- rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription partielle de ses demandes.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 22 mai 2023, l'Etat pris en la personne de l'agent judicaire de l'Etat demande à la cour de :
- confirmer l'ordonnance,
partant,
- juger acquise la prescription de l'action de M. [P] relative à la critique de l'arrêt du 10 juillet 2002 de la Cour de cassation,
- juger acquise la prescription de l'action de M. [P] relative à la critique de la durée de la procédure introduite le 25 janvier 1994 à l'encontre de M. [D] et achevée par arrêt du 26 janvier 2012,
en conséquence,
- juger son action partiellement irrecevable,
- renvoyer l'affaire au tribunal judiciaire de Paris pour échange de conclusions au fond relatives à la seule critique de la durée de la procédure à l'encontre du conseil régional des notaires de la cour d'appel de Dijon et la chambre des notaires de Saône et Loire.
Selon avis notifié le 2 octobre 2023, le ministère public, concluant à la confirmation de l'ordonnance, fait valoir l'irrecevabilité, en raison de la prescription, de l'action de M. [P] à l'encontre de l'agent judiciaire de l'Etat concernant l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002 et la procédure introduite le 25 janvier 1994 à l'encontre de M. [D] et achevée par arrêt du 26 janvier 2012.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 17 octobre 2023.
SUR CE
Sur la prescription de l'action :
Le juge de la mise en état a retenu que les demandes de M. [P] relatives à la critique de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002 et à la critique de la durée de la procédure introduite le 25 janvier 1994 à l'encontre de M. [D] et achevée par arrêt du 26 janvier 2012 sont irrecevables comme prescrites en ce que :
- le fait générateur de la faute lourde invoquée par le demandeur, tirée du revirement de jurisprudence se situe au 10 juillet 2002, date de l'arrêt critiqué,
- le fait générateur du déni de justice allégué concernant la durée de la procédure introduite le 25 janvier 1994 à l'encontre de M. [D], se situe au 26 janvier 2012, date du rejet du pourvoi en cassation mettant fin à la procédure,
- M. [P] ne justifie pas d'une des causes d'interruption de la prescription prévues à l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968, les courriers qu'il a adressés au garde des Sceaux étant sans rapport avec les manquements de l'Etat invoqués à la présente instance,
- en conséquence, la prescription quadriennale était acquise antérieurement aux réclamations amiables du demandeur et à la délivrance de l'assignation du 23 décembre 2021.
M. [P] soutient que :
- le point de départ du délai de prescription est fixé au début de l'exercice qui suit celui au cours duquel la créance est devenue certaine et exigible, ce qui ne correspond pas nécessairement à la date de survenance du dommage,
- une créance qui n'a pas été reconnue par une décision de justice ou qui n'a pas été reconnue par le débiteur et n'a pas été évaluée ne saurait se voir opposer la prescription,
- les conséquences préjudiciables de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002 opérant un revirement de jurisprudence, n'ont pu être prescrites au 1er janvier 2007 et ce n'est qu'à compter de la seconde décision de la Cour de cassation du 26 janvier 2012, rejetant le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de renvoi, que le préjudice a pu acquérir un caractère certain et exigible,
- à la date du rejet de son pourvoi du 26 janvier 2012, mettant définitivement un terme à la première procédure engagée contre M. [D] qui a révélé une faute dans l'exercice du service public de la justice en raison du revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation, il avait obtenu, au moins partiellement, une indemnisation de ses préjudices,
- ainsi, à ce stade, une procédure en réparation engagée contre l'Etat aurait visé à réparer un préjudice dont il venait d'obtenir réparation et dans ces conditions il peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance à l'égard de l'Etat au sens des dispositions de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968,
- le jugement du 5 décembre 2011 n'ayant jamais acquis de caractère définitif en raison de l'appel formé par les instances ordinales, il n'a pu estimer l'étendue de ses préjudices causés par le revirement de la Cour de cassation et les décisions judiciaires successives avalisant ce revirement (arrêt de la cour d'appel de Dijon du 16 avril 2009 et arrêt de la Cour de cassation du 26 janvier 2012) avant que la procédure engagée à l'encontre des instances ordinales ne soit définitivement close par l'arrêt de la cour d'appel de Dijon du 3 mai 2016, en sorte que la prescription quadriennale n'a pu courir avant cette date.
Il fait valoir :
- l'interruption de la prescription quadriennale à l'égard de cette créance et ce jusqu'au premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision mettant fin est passée en force de chose jugée en ce que :
- par actes des 23 août et 3 septembre 2002, il a assigné devant le tribunal de grande instance de Dijon, le conseil régional des notaires de la cour d'appel de Dijon et la chambre des notaires de Saône et Loire aux fins d'engager leurs responsabilités respectives et les voir condamner à l'indemniser de son préjudice financier,
- ledit préjudice est le même que celui demandé dans le cadre de l'instance engagée contre l'agent judiciaire de l'Etat, à savoir la différence entre les prix d'acquisition de l'étude de notaire et son prix réel comme il en ressort de l'expertise judiciaire de M. [I],
- il doit donc être regardé comme ayant formé un recours devant une juridiction 'relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance' dont il demande aujourd'hui réparation à l'Etat,
- la prescription quadriennale a ainsi été interrompue à l'égard de cette créance et ce jusqu'au premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision du 26 janvier 2012 mettant fin à l'instance est passée en force de chose jugée,
- l'effet interruptif de prescription des courriers concernant les procédures civiles engagées contre M. [D] puis les instances ordinales qu'il a adressés entre le 26 janvier 2012 et la date à laquelle il a formé une demande indemnitaire préalable, ainsi que l'effet interruptif de prescription des différents recours exercés,
- le caractère indivisible du préjudice moral causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice en raison du revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation et dont l'étendue n'a pu être révélée qu'au terme de la mise en oeuvre de l'ensemble des voies de droit.
L'agent judiciaire de l'Etat répond que :
- la faute étant alléguée au titre du revirement de jurisprudence par arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002, la prescription quadriennale a commencé à courir au 1er janvier 2003 et a donc expiré au 31 décembre 2006,
- s'agissant des dénis de justice allégués au titre de la durée de procédure concernant M. [D],
- ladite procédure s'est achevée par décision du 26 janvier 2012, en sorte que la prescription quadriennale a couru à compter du 1er janvier 2013 et était acquise à la date du courrier de demande amiable de M. [P] du 23 décembre 2020, - aucun des actes et courriers allégués par M. [P] ne sont interruptifs de la prescription,
- l'action introduite le 23 décembre 2021 est donc prescrite.
Le ministère public conclut que :
- concernant le revirement de jurisprudence, le fait générateur du dommage allégué est la date de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002 et la prescription quadriennale a commencé à courir le 1er janvier 2003 pour expirer au 31 décembre 2006 et en application de la loi du 31 décembre 1968, la prescription était acquise au jour où le courrier de réclamation du 23 décembre 2020 a été adressé au ministre de la Justice, et, de surcroît, de l'assignation de l'agent judiciaire de l'Etat devant le tribunal judiciaire de Paris en date du 23 décembre 2021,
- s'agissant du grief lié à la durée de la procédure, celle-ci ayant débuté le 25 janvier 1994 et s'étant achevée par la décision du 26 janvier 2012, la prescription quadriennale a expiré le 31 décembre 2016.
L'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics dispose que sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis.
Il résulte de cet article que le point de départ de la prescription quadriennale est le premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle s'est produit le fait générateur du dommage allégué.
L'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 prévoit que la prescription est interrompue par:
- toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement ;
- tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance.
Il précise également qu'un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption.
Selon l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968, la prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement.
Le facteur déclenchant la prescription est fixé au jour où la créance indemnitaire est réputée acquise en son principe sauf ignorance légitime de son titulaire.
Sur la prescription de l'action fondée sur la faute lourde de l'Etat au titre de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002 opérant un revirement de jurisprudence :
L'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002 constitue le fait générateur du dommage allégué puisque M. [P] fait valoir une faute lourde en raison du revirement de jurisprudence opéré par cet arrêt.
M. [P] ayant connaissance de cet arrêt du 10 juillet 2002 constituant le fait générateur de sa créance, ne peut être regardé comme étant resté légitimement dans l'ignorance de l'existence de sa créance envers l'Etat, qui diffère du montant des dommages et intérêts qu'il aurait pu demander en réparation de son préjudice et dont il fait valoir n'avoir eu connaissance qu'à l'occasion de l'arrêt de la cour d'appel de Dijon du 3 mai 2016. Rien ne l'empêchait d'exercer une action en responsabilité de l'Etat dès l'arrêt rendu par la Cour de cassation et de solliciter un sursis à statuer dans l'attente des décisions rendues à l'issue de cet arrêt, ou encore dans l'attente de l'issue de la procédure qu'il indique avoir engagée contre le conseil régional des notaires de la cour d'appel de Dijon et la chambre des notaires de Saône et Loire, aux fins d'indemnisation du même préjudice.
Le délai de la prescription quadriennale a donc commencé à courir le 1er janvier 2003.
La procédure qui s'est poursuivie, en suite de la cassation prononcée par arrêt du 10 juillet 2002, devant la cour d'appel de renvoi de Dijon ayant rendu son arrêt du 16 avril 2009 et qui s'est achevée par la décision de non admission du pourvoi du 26 janvier 2012, a eu un effet interruptif de prescription.
De même, la procédure diligentée par actes des 23 août et 3 septembre 2002 à l'égard du conseil régional des notaires de la cour d'appel de Dijon et la chambre des notaires de Saône et Loire aux fins d'indemnisation du même préjudice, à savoir la surévaluation du prix de la cession de l'office notarial, et qui s'est achevée par l'arrêt de la cour d'appel de Dijon du 3 mai 2016, a interrompu la prescription, en sorte qu'un nouveau délai de prescription quadriennale a couru à compter du 1er janvier 2017.
Ce délai a de nouveau été interrompu par le courrier du 23 décembre 2020 que M. [P] a adressé au ministère de la Justice aux fins d'indemnisation de son préjudice à raison de la faute lourde alléguée.
Un nouveau délai de prescription ayant couru à compter du 1er janvier 2021, l'action introduite par acte du acte du 23 décembre 2021 n'est pas prescrite, en infirmation de la décision.
Sur la prescription de l'action engagée au titre du déni de justice :
M. [P] faisant valoir un déni de justice au titre de la durée excessive de la procédure introduite le 25 janvier 1994 à l'encontre de M. [D] et qui s'est achevée par la décision de non admission du pourvoi du 26 janvier 2012, cette décision constitue le fait générateur de la créance, faisant courir la prescription quadriennale à compter du 1er janvier 2013.
Aucune des procédures diligentées ni aucun courrier antérieur au courrier adressé au garde des Sceaux le 23 décembre 2020 n'étant interruptifs de prescription en ce qu'ils n'ont pas trait au déni de justice allégué, celle-ci est acquise depuis le 1er janvier 2017.
C'est donc pertinemment que le premier juge a jugé l'action engagée le 23 décembre 2021 au titre de ce déni de justice prescrite.
Sur les dépens :
L'agent judiciaire de l'Etat échouant en ses prétentions, est condamné aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans la limite de sa saisine,
Confirme l'ordonnance en ses dispositions sauf en ce qu'elle a déclaré irrecevables comme prescrites les demandes de M. [P] relatives à la critique de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002,
Statuant de nouveau,
Dit recevable l'action en responsabilité de l'Etat fondée sur la faute lourde en raison du revirement de jurisprudence opéré par l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2002,
Condamne l'agent judiciaire de l'Etat aux dépens d'appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,