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Décisions

CA Paris, Pôle 4 - ch. 10, 1 février 2024, n° 21/16166

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 21/16166

1 février 2024

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 10

ARRÊT DU 01 FÉVRIER 2024

(n° , 7 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/16166 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEKKZ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Mai 2021 - Tribunal judiciaire de MEAUX RG n° 19/03922

APPELANT

Monsieur [H] [C]

né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 9] (99)

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représenté et assisté par Me Arthur COEUDEVEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : J069

INTIMÉS

Monsieur [Z] [O]

né le [Date naissance 2] 1984 à [Localité 12] (93)

[Adresse 4]

[Localité 8]

ET

Madame [J] [S] épouse [O]

née le [Date naissance 5] 1986 à [Localité 10] (93)

[Adresse 4]

[Localité 8]

Représentés et assistés à l'audience de par Me Hakim ZIANE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0498

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été appelée le 07 Décembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Florence PAPIN, Présidente

Mme Valérie MORLET, Conseillère

Madame Anne ZYSMAN, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Florence PAPIN, Présidente dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Ekaterina RAZMAKHNINA

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Florence PAPIN, Présidente et par Ekaterina RAZMAKHNINA, greffier, présent lors de la mise à disposition.

***

Résumé des faits et de la procédure

Faisant valoir que Monsieur [H] [C] ne leur aurait pas remboursé une somme prêtée de 5.300.000 dirhams marocains, Monsieur [Z] [O] et Madame [J] épouse [O] l'ont assigné, par acte d'huissier du 18 octobre 2019, devant le tribunal de grande instance de Meaux en responsabilité aux fins de réparation de leurs différents préjudices.

Par jugement en date du 4 mai 2021, le tribunal judiciaire de Meaux a :

- Rejeté la demande de Monsieur [C] tendant à « dire le tribunal judiciaire de Meaux incompétent au profit du tribunal de première instance de Casablanca déjà saisi sur le fondement de l'article 100 du code de procédure civile » ;

- Rejeté la demande reconventionnelle de sursis à statuer de Monsieur [C] ;

- Condamné Monsieur [C] à payer aux époux [O] la somme de 488.102,82 euros en réparation de leur préjudice matériel, avec intérêts au taux légal à compter du 22 mai 2015, et avec astreinte provisoire de 500,00 euros par jour de retard pendant 100 jours passé un délai de trois mois à compter du présent jugement ;

- Condamné Monsieur [C] à payer aux époux [O] la somme de 5.000,00 euros en réparation de leur préjudice moral, avec astreinte provisoire de 500,00 euros par jour de retard pendant 100 jours passé un délai de trois mois à compter du présent jugement ;

- Condamné Monsieur [C] à payer la somme de 2.500,00 euros aux époux [O] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rejeté la demande Monsieur [C] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné Monsieur [C] aux dépens de l'instance ;

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.

Monsieur [C] a interjeté appel du jugement susmentionné par déclaration en date du 5 septembre 2021.

Par conclusions signifiées par voie électronique (RPVA) le 5 avril 2022, Monsieur [C] demande à la cour de :

Vu les articles 100, 378 et suivants et 700 du Code de procédure civile ;

A titre principal : in limine litis,

- Déclarer la juridiction française incompétente au profit du tribunal de première instance de Casablanca déjà saisi sur le fondement de l'article 100 du code de procédure civile ;

A titre subsidiaire :

- Nommer tel expert qu'il plaira pour procédure à une expertise en écritures sur les pièces produites par les parties ;

A titre infiniment subsidiaire :

- Constater que la reconnaissance de dette est un faux ;

- Constater que les époux [O] ne rapportent ni la preuve de l'origine des fonds ni de la remise de la somme de 5.250.000 dirhams en espèce à Monsieur [C] ;

En conséquence :

- Infirmer en tous points le jugement rendu le 04 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Meaux

- Condamner les époux [O] à payer à Monsieur [C] la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner les époux [O] aux entiers dépens.

Par conclusions signifiées par voie électronique (RPVA) le 1er février 2022, les époux [O] demandent à la cour de :

Vu les anciens articles 1134, 1135, 1147, 1153, 1171 et 1315 du code civil,

Vu les articles 1103, 1104,1193, 1217, 1231-1 1231-6, 1344-1 et 1231-7 nouveaux du code civil,

Vu l'article 4 du code de procédure pénale,

Vu les articles 73, 74, 100, 700, 789 et 909 du code de procédure civile,

Vu l'article L.131-1 du code des procédures civiles d'exécution,

- Dire et juger Monsieur [C] mal fondé en son appel ;

Ce faisant,

- Débouter Monsieur [C] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Meaux le 4 mai 2021 sauf concernant le montant alloué de 488.102,82 euros à titre de réparation du préjudice matériel en raison de l'évolution du taux de change ;

Statuant à nouveau à titre incident,

- Condamner Monsieur [C] à payer aux époux [O] la somme 497.244,36 euros à titre de réparation de leur préjudice matériel, avec intérêts au taux légal à compter du 22 mai 2015, date de la première mise en demeure.

En tout état de cause,

- Condamner Monsieur [C] à payer aux époux [O] la somme 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 29 novembre 2023 et l'affaire renvoyée pour être plaidée le 7 décembre 2023.

MOTIFS

Sur la compétence

Monsieur [C] fait valoir que la juridiction française est incompétente au profit du tribunal de première instance de Casablanca déjà saisi:

- d'une plainte qu'il a déposée le 9 octobre 2014 pour vol de chèques (dont le chèque présenté par Monsieur [O] au paiement revenu impayé),

-de plaintes de ce dernier en date du 7 avril 2015 pour chèque sans provision et en date du 18 septembre 2020 pour falsification du visa sur son passeport et qu'il existe donc une litispendance internationale, les parties étant de nationalité marocaine et ayant élu leur domicile à Casablanca.

En réplique, les époux [O] soutiennent que Monsieur [C] est irrecevable à soulever cette exception de procédure devant la juridiction alors qu'elle relève de la compétence du juge de la mise en état. En tout état de cause, ils font valoir sur les fondements de l'article 14 du code civil et de l'article 42 du code de procédure civile que le litige relève des juridictions françaises, le domicile des parties étant en France et la reconnaissance de dette établie sur le territoire français.

Ils rajoutent que les conditions d'une litispendance ne sont pas réunies, en l'absence d'identité d'objet et de tribunaux saisis de même degré.

Sur ce,

Monsieur [C] se fonde sur les dispositions de l'article 100 du code de procédure civile aux termes desquelles si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l'autre si l'une des parties le demande. A défaut, elle peut le faire d'office.

S'agissant d'une exception de procédure, la litispendance relève de la compétence exclusive du juge de la mise en état en application des dispositions de l'article 771 (en vigueur lorsque l'assignation a été délivrée) devenu l'article 789 du code de procédure civile et le premier juge a dit, à juste titre, dans le corps de sa décision que Monsieur [C] était irrecevable à soulever devant lui cette exception, qui n'est pas survenue ni a été révélée postérieurement au dessaisissement du juge de la mise en état.

Le dispositif sera infirmé en ce qu'il a rejeté cette demande et Monsieur [C] sera déclaré irrecevable en sa demande.

Sur le fond

Monsieur [C] soutient que la preuve n'est pas rapportée de la remise de l'argent et de son engagement de le restituer, que la reconnaissance de dette en date du 30 mai 2014 est un faux grossier comme cela résulte de l'expertise graphologique privée qu'il a fait réaliser, qu'à titre subsidiaire, il sollicite une expertise graphologique judiciaire, que le chèque de 5.250.000 dirhams lui a été volé et qu'il a déposé plainte.

Les époux [O] font valoir que les termes de la reconnaissance de dette n'ont pas été respectés, qu'un chèque sans provision a été établi, chèque qui n'a jamais été volé, mais remis pour garantir le paiement de la reconnaissance de dette, que la plainte est de circonstance, que l'argent prêté provenait en partie du père de l'époux et en partie de leurs économies et que la demande d'expertise graphologique est dilatoire.

Sur ce,

En application de l'article 1315 ancien, devenu l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

En matière de prêt, la preuve doit être rapportée, par celui qui en réclame le remboursement, de la remise des sommes et de l'obligation de restitution. La remise de fonds à une personne ne suffit pas à justifier l'obligation de celui qui les a reçus à les restituer.

L'article 1341 ancien du code civil, applicable en l'espèce au regard de la date du prêt évoqué, antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016, prévoit que : « Il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret, même pour dépôts volontaires, et il n'est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu'il s'agisse d'une somme ou valeur moindre. » (La valeur fixée par décret du 20/8/2004 est de 1.500 euros).

Selon l'article 1326 ancien du code civil, "l'acte juridique par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, l'acte sous seing privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres."

Les époux [O], qui ont formé une demande de dommages et intérêts pour manquement par Monsieur [C] à ses obligations contractuelles, expliquent que la somme de 5.300.000 dirhams marocains a été remise à ce dernier entre 2011 et 2013 afin de constituer une société de droit marocain, d'acheter un terrain pour y construire une usine et d'acquérir des matériaux et matières premières, opérations qu'il n'a jamais été effectuées.

Ils produisent en pièce 13 une reconnaissance de dette dactylographiée en date du 30 mai 2014 portant sur la somme de 5.300.000 dirhams devant être remboursée avant le 1er mars 2015 que Monsieur [C] conteste avoir signée.

Ce dernier produit, à hauteur de cour, une expertise amiable de Madame [M], graphologue, experte en écritures près la cour d'appel de Paris, en date du 14 octobre 2021 qui relève 'une ressemblance et de nombreuses différences graphiques' entre la signature manuscrite figurant sur ce document et les documents de comparaison produits parmi lesquels figurent plusieurs documents administratifs (récépissés de demande de carte de séjour, permis de conduire et passeport marocain) et conclut que Monsieur [C] n'est pas l'auteur de la signature apposée sur la reconnaissance de dette du 30 mai 2014.

En pièce 35, les époux [O] produisent l'attestation de Monsieur [X], cadre dans la grande distribution, qui énonce qu'au cours d'un rendez-vous ayant eu lieu en sa présence à [Localité 11] (dont la date n'est pas mentionnée), Monsieur [C] se serait engagé à remettre un chèque et une reconnaissance de dette à Monsieur [O] portant sur la somme de 5.300.000 dirhams.

Ils ont également fait réaliser une expertise graphologique amiable en date du 26 janvier 2022 par Madame [R], experte en écritures près la cour d'appel de Paris, à partir des signatures de l'appelant figurant sur différents actes, qui conclut, après avoir qualifié les différences relevées comme insuffisamment significatives, que Monsieur [C] est l'auteur de la signature figurant sur la reconnaissance de dette en date du 30 mai 2014.

Ils versent également aux débats la copie d'un chèque bancaire en date du 15 juillet 2014 au nom de Monsieur [C] et à l'ordre de Monsieur [O] pour un montant de 5.250.000 dirhams.

L'appelant fait valoir que ce chèque signé et destiné à son épouse lui aurait été volé produisant le dépôt de sa plainte, traduite en français, devant le procureur du Roi près le tribunal de première instance de Casablanca en date du 9 octobre 2014 (sans mentionner ni justifier de la suite qui y a été donnée).

Devant les divergences entre les deux expertises amiables, la cour ordonne avant dire droit une expertise graphologique confiée à Madame [N] [Y], [Adresse 6] avec la mission de dire si Monsieur [C] est ou non l'auteur de la signature apposée sur la reconnaissance de dette du 30 mai 2014.

PAR CES MOTIFS

Infirme partiellement la décision déférée en ce qu'elle a rejeté l'exception de litispendance,

Statuant à nouveau de ce chef,

Déclare Monsieur [C] irrecevable à soulever devant la juridiction statuant au fond une exception de litispendance,

Sursoit à statuer sur les demandes,

Avant dire droit,

Ordonne une expertise,

Commet pour y procéder Madame [N] [Y], [Adresse 6], et lui confie la mission suivante :

Dire si Monsieur [C] est l'auteur de la signature apposée sur la reconnaissance de dette en date du 30 mai 2014,

Prendre en considération les observations des parties ou de leurs conseils, et dire la suite qui leur a été donnée.

Dit que l'expert a la faculté de s'adjoindre tous spécialistes utiles de son choix, à charge de joindre leur avis à son rapport,

Dit que l'expert pourra se faire communiquer tous les documents qu'il jugerait utiles aux opérations d'expertise,

Dit que l'expert devra adresser aux parties un document de synthèse, ou pré-rapport :

- fixant, sauf circonstances particulières, la date ultime de dépôt des dernières observations des parties sur le document de synthèse, lesquelles disposeront d'un délai de 4 à 5 semaines à compter de la transmission du rapport ;

- rappelant aux parties, au visa de l'article 276 alinéa 2 du code de procédure civile, qu'il n'est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au-delà du terme qu'il fixe ;

Dit que l'expert répondra de manière précise et circonstanciée à ces dernières observations ou réclamations qui devront être annexées au rapport définitif dans lequel devront figurer, la liste exhaustive des pièces par lui consultées, le nom des personnes convoquées aux opérations d'expertise en précisant la date d'envoi et la forme de leur convocation, le nom des personnes présentes à chacune des réunions d'expertise, les déclarations des tiers entendus par lui, en mentionnant leur identité complète, leur qualité et leurs liens éventuels avec les parties et le cas échéant, l'identité de ou des techniciens dont il s'est adjoint le concours, ainsi que les documents et avis de celui- ci ou de ceux-ci ;

Dit que l'original du rapport définitif sera déposé en double exemplaire au greffe de la cour tandis que l'expert en adressera un exemplaire aux parties et à leur conseil, avant le 31 décembre 2024 sauf prorogation expresse ;

Fixe à la somme de 3 000 euros le montant de la provision à valoir sur les frais d'expertise qui devra être consignée par Monsieur [C] à la régie d'avances et de recettes de la cour avant le 1er mars 2024 et dit que faute de consignation dans ce délai impératif, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet,

Renvoie à l'audience de mise en état du 27 mars 2024 pour vérification du versement de la consignation,

Sursoit à statuer sur les dépens.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,