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Décisions

CA Lyon, retentions, 23 janvier 2024, n° 24/00545

LYON

Ordonnance

Autre

CA Lyon n° 24/00545

23 janvier 2024

N°RG 24/00545 - N°Portalis DBVX-V-B7I-PNO4

Nom du ressortissant :

[E] [J]

[J]

C/

PREFET DU [Localité 5]

COUR D'APPEL DE LYON

JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT

ORDONNANCE DU 23 JANVIER 2024

statuant en matière de Rétentions Administratives des Etrangers

Nous, Marianne LA MESTA, conseiller à la cour d'appel de Lyon, déléguée par ordonnance de madame la première présidente de ladite Cour en date du 4 janvier 2024 pour statuer sur les procédures ouvertes en application des articles L.342-7, L. 342-12, L. 743-11 et L. 743-21 du code d'entrée et de séjour des étrangers en France et du droit d'asile,

Assistée de Charlotte COMBAL, greffier,

En l'absence du ministère public,

En audience publique du 23 Janvier 2024 dans la procédure suivie entre :

APPELANT :

M. [E] [J]

né le 25 Septembre 1999 à [Localité 6]

de nationalité tunisienne

Actuellement retenu au centre de rétention administrative de [4]

comparant à l'audience assisté de Me Martine BOUCHET, avocat au barreau de LYON, commis d'office et avec le concours de Madame [K] [F], interpréte en langue arabe, liste CESEDA, ayant prêté serment à l'audience

ET

INTIMEE :

MME LA PREFETE DU [Localité 5]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

non comparante, régulièrement avisée, représentée par Maître Cherryne RENAUD AKNI, avocat au barreau de LYON substituant Me Jean-Paul TOMASI, avocat au barreau de LYON

Avons mis l'affaire en délibéré au 23 Janvier 2024 à 18 heures 55 et à cette date et heure prononcé l'ordonnance dont la teneur suit :

FAITS ET PROCÉDURE

Par arrêt du 3 septembre 2020, la cour d'appel de Lyon a condamné [E] [J], en répression de faits de violence aggravée par deux circonstances suivie d'incapacité supérieure à 8 jours en récidive, à la peine de 3 ans d'emprisonnement avec maintien en détention, ainsi qu'à une peine complémentaire d'interdiction définitive du territoire français.

Le 18 janvier 2024, à l'issue d'une mesure de garde à vue pour des faits de conduite d'un véhicule sans permis, faux et usage de faux et fourniture d'une identité imaginaire, la préfète du [Localité 5] a ordonné le placement de [E] [J] en rétention dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire pour l'exécution de la mesure d'éloignement précitée.

Suivant requête du 19 janvier 2024, reçue le jour-même à 14 heures 50, la préfète du [Localité 5] a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon aux fins de voir ordonner la prolongation de la rétention de [E] [J] pour une durée de vingt-huit jours.

Par requête reçue au greffe le 19 janvier 2024 à 18 heures 09, [E] [J] a contesté la régularité de la décision de placement en rétention administrative.

Le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon, dans son ordonnance du 20 janvier 2024 à 15 heures 14, a :

- ordonné la jonction des procédures,

- déclaré recevable la requête de [E] [J],

- déclaré régulière la décision de placement en rétention,

- rejeté les moyens d'irrecevabilité,

- déclaré recevable la requête en prolongation de la rétention administrative,

- déclaré régulière la procédure diligentée à l'encontre de [E] [J],

- ordonné la prolongation de la rétention de [E] [J] dans les locaux du centre de rétention administrative de [Localité 3] pour une durée de vingt-huit jours.

[E] [J] a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration reçue au greffe le 22 janvier 2024 à 11 heures 08, en excipant du défaut d'examen individuel de sa situation, ainsi que de l'erreur d'appréciation quant à ses garanties de représentation, de l'absence de nécessité et de proportionnalité du placement en rétention et du défaut d'examen réel de la possibilité de l'assigner à résidence.

[E] [J] sollicite en conséquence l'infirmation de l'ordonnance déférée et sa remise en liberté.

Les parties ont régulièrement été convoquées à l'audience du 23 janvier 2024 à 10 heures 30.

[E] [J] a comparu, assisté de son avocat et d'un interprète en langue arabe.

Le conseil de [E] [J], entendu en sa plaidoirie, a repris les termes de la requête d'appel.

La préfète du [Localité 5], représentée par son conseil, a demandé la confirmation de l'ordonnance déférée.

[E] [J], qui a eu la parole en dernier, explique qu'il ne comprend pas pourquoi il est dit qu'il ne justifie pas de son adresse, alors que l'administration la connaît puisqu'elle lui a envoyé des courriers il y a plusieurs mois. Il ajoute qu'il a fait des démarches pour régulariser sa situation, en formant une demande de relèvement de l'interdiction du territoire dont il ne sait pas encore quand elle sera examinée. Il dit avoir respecté l'assignation à résidence dont il a fait l'objet à l'issue de son précédent placement au centre de rétention. Il explique être parti en Suisse quelques temps, mais être revenu en France car il a une femme et une vie de famille dans ce pays, son mariage civil étant même prévu en juillet prochain.

MOTIVATION

Sur la recevabilité de l'appel

L'appel de [E] [J], relevé dans les formes et délais légaux prévus par les dispositions des articles L. 743-21, R. 743-10 et R. 743-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), est déclaré recevable.

Sur le moyen pris du défaut d'examen sérieux de la situation individuelle

Il résulte de l'article L.741-6 du CESEDA que la décision de placement en rétention est écrite et motivée.

Cette motivation se doit de retracer les motifs positifs de fait et de droit qui ont guidé l'administration pour prendre sa décision, ce qui signifie que l'autorité administrative n'a pas à énoncer, puis à expliquer pourquoi elle a écarté les éléments favorables à une autre solution que la privation de liberté.

Pour autant, l'arrêté doit expliciter la raison ou les raisons pour lesquelles la personne a été placée en rétention au regard d'éléments factuels pertinents liés à la situation individuelle et personnelle de l'intéressé, et ce au jour où l'autorité administrative prend sa décision, sans avoir à relater avec exhaustivité l'intégralité des allégations de la personne concernée.

En l'espèce, le conseil de [E] [J] estime que la préfète du [Localité 5] n'a pas procédé à un examen sérieux et approfondi de sa situation personnelle, en qu'elle ne tient pas compte de son parcours personnel depuis son arrivée en France à l'âge de 15 ans et de l'adresse qu'il a indiqué dans son audition, à savoir [Adresse 2], alors même qu'elle en avait connaissance comme en atteste la notification de la décision de la cour administrative d'appel de Lyon du 16 octobre 2023.

Il convient d'observer qu'au titre de sa motivation, la préfète du [Localité 5] a retenu :

- que le comportement de [E] [J] est constitutif d'une menace pour l'ordre public, puisqu'il est très défavorablement connu des services de police pour avoir été signalisé à 16 reprises, notamment pour des faits de violence avec arme, violence sur personne dépositaire de l'autorité publique, vol à la tire et recel,

- qu'il a en outre été condamné à 4 ans de prison le 19 mai 2020 par le tribunal judiciaire de Lyon pour des faits de violence aggravée par deux circonstances suivie d'incapacité supérieure à 8 jours,

- qu'il ne peut justifier d'un hébergement stable et établi sur le territoire français, puisqu'il déclare résider au [Adresse 2] chez les parents de sa concubine, sans en rapporter la preuve, ce qui ne constitue de toute façon pas un logement stable et établi sur le territoire,

- qu'il ne justifie pas non plus de ses moyens d'existence effectifs, dans la mesure où il déclare travailler sur des chantiers, sans démontrer le caractère licite de cette activité,

- qu'il indique vivre en concubinage avec Mme [U] [I], dont il ne précise pas plus l'identité, inconnue de l'administration, et être sans enfant,

- que s'il allègue avoir déposé un 'dossier pour le mariage' avec l'aide de son conseil en guise de démarche pour obtenir un titre de séjour, aucune demande en ce sens n'a été enregistrée auprès de la préfecture du [Localité 5],

- que [E] [J] est démuni de tout document d'identité ou de voyage en cours de validité, ce qui l'oblige à effectuer des démarches auprès des autorités algériennes en vue de l'obtention d'un laissez-passer consulaire,

- qu'il a fait l'objet d'une évaluation de son état de vulnérabilité et de la prise en compte d'un handicap éventuel,

- qu'il n'en ressort pas d'élément de vulnérabilité susceptible de faire obstacle à son placement en rétention,

- qu'en tout état de cause, il peut toujours solliciter un examen par un médecin de l'OFII.

La seule lecture des différents items rappelés ci-dessus suffit à établir que l'autorité administrative a examiné avec sérieux la situation administrative, personnelle et médicale de [E] [J] avant d'ordonner son placement en rétention, étant relevé que les informations dont la préfète du [Localité 5] fait état dans son arrêté correspondent à celles qui résultent de l'examen des pièces figurant au dossier administratif et pénal de l'intéressé, telles que portées à sa connaissance lors de l'édiction de la décision.

Les renseignements qui y figurent ne sont pas non plus en contradiction avec les propos tenus par [E] [J] lors de son audition en garde à vue le 17 janvier 2024 à 20 heures par les services de police du commissariat de [Localité 3] (PV n°2024/005952).

Il est ainsi à noter que celui-ci a indiqué aux forces de l'ordre être domicilié au [Adresse 2], dont il est occupant à titre gratuit, et vivre en concubinage avec [U] [I]. Il dit être revenu en France il y a une semaine après avoir séjourné en Suisse pendant 2 mois et être dépourvu de tout document d'identité ou de voyage. Il a encore précisé qu'il ne souhaitait pas repartir en Tunisie. Il a également affirmé que son interdiction du territoire avait été levée suite à un appel de son avocat, mentionnant avoir par ailleurs 'posé un dossier pour le mariage' et être aidé par son avocat pour ces démarches, tout en évoquant avoir déposé une demande d'asile aux Pays-bas où il n'est pas resté car sa requête a été rejetée. Il encore relaté faire des boulots au 'black' sur les chantiers.

Il s'ensuit que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté de placement en rétention de [E] [J] ne peut prospérer, ainsi que l'a justement retenu le premier juge.

Sur les moyens pris de l'erreur d'appréciation quant aux garanties de représentation, de l'absence de nécessité et de proportionnalité de la mesure et du défaut d'examen réel de la possibilité de l'assigner à résidence

L'article L. 741-1 du CESEDA dispose que « l'autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quarante-huit heures, l'étranger qui se trouve dans l'un des cas prévus à l'article L. 731-1 lorsqu'il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision.

Le risque mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l'article L. 612-3.»

Il sera rappelé que la régularité de la décision administrative s'apprécie au jour de son édiction, au regard des éléments de fait connus de l'administration à cette date et l'obligation de motivation ne peut s'étendre au-delà de l'exposé des éléments qui sous-tendent la décision en cause.

Le conseil de [E] [J] estime que l'autorité administrative a commis une erreur manifeste d'appréciation s'agissant de ses garanties de représentation et aurait dû privilégier une assignation à résidence, puisque qu'il justifie d'une adresse stable au [Adresse 2] chez les parents de sa compagne qui l'hébergent, qu'il est marié religieusement avec cette dernière qu'il compte épouser civilement le 6 juillet 2024, une salle étant d'ores et déjà réservée pour les festivités. Il a également formé une demande de relèvement de l'interdiction du territoire, ce qui témoigne de sa volonté de régulariser sa situation et a respecté l'assignation à résidence qui avait été ordonnée à l'issue de son précédent placement en rétention juqu'à son annulation par le tribunal administratif.

Il sera d'abord souligné qu'il ne saurait être grief à l'administration d'avoir considéré que le domicile dont [E] [J] a indiqué qu'il s'agissait de celui des parents de sa compagne qui l'hébergent à titre gratuit ne constitue pas une résidence effective et permanente sur le territoire français, dès lors qu'il découle des informations fournies par l'intéressé lui-même que celui-ci n'a aucun droit personnel sur le logement qui est celui d'un tiers et qu'au demeurant, [E] [J] n'a produit aucun justificatif de nature à en établir le caractère réel et sérieux préalablement à l'édiction de l'arrêté de placement en rétention, l'attestation dont il se prévaut dans le cadre de la présente instance étant d'ailleurs datée du 18 janvier 2024.

Il doit en outre être rappelé que la décision de placement en rétention est également basée sur le fait que [E] [J] admet ne pas disposer d'une source de revenus légales en France, être dépourvu de document de voyage encours de validité et ne pas avoir exécuté la mesure d'éloignement dont il fait l'objet depuis septembre 2020, l'intéressé lui-même reconnaissant vouloir demeurer sur le territoire français pour se marier.

L'autorité administrative a dès lors pu retenir, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation que [E] [J] ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de l'interdiction déinitive du territoire français prononcée à son encontre.

Le moyen tenant à l'erreur manifeste d'appréciation ne pouvait donc pas non plus être accueilli.

A défaut d'autre moyen soulevé, l'ordonnance déférée sera par conséquent confirmée dans son intégralité.

PAR CES MOTIFS

Déclarons recevable l'appel formé par [E] [J],

Confirmons en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée.

Le greffier, Le conseiller délégué,

Charlotte COMBAL Marianne LA MESTA