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Décisions

CA Bordeaux, ch. soc. B, 18 janvier 2024, n° 23/00171

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 23/00171

18 janvier 2024

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION B

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ARRÊT DU : 18 JANVIER 2024

SÉCURITÉ SOCIALE

N° RG 23/00171 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NCDP

Société [4]

c/

CPAM DE PAU

Monsieur [X] [U]

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier).

Certifié par le Directeur des services de greffe judiciaires,

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 janvier 2017 (R.G. n°14-2017) par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PAU, suivant déclaration de saisine du 10 janvier 2023 suite cassation par arrêt en date du 1er décembre 2022 de la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation de l'arrêt rendu par la chambre sociale de la cour d'appel de PAU le 19 novembre 2020 (RG17/00637)

APPELANTE :

Société [4] prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 1]

représentée par Me Sébastien MILLET de la SELARL ELLIPSE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

CPAM DE PAU prise en la personne de son directeur domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 3]

dispensée de comparution

Monsieur [X] [U]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Frédéric LONNE de la SELARL HEUTY LONNE CANLORBE, avocat au barreau de DAX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 octobre 2023, en audience publique, devant Madame Marie-Paule Menu, présidente chargée d'instruire l'affaire, et madame Sophie Lésineau, conseillère qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Eric Veyssière, président

Madame Marie-Paule Menu, présidente

Madame Sophie Lésineau, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.

EXPOSE DU LITIGE

Le 4 octobre 2011, [X] [U], technicien salarié de la société [4], qui intervenait en binôme sur une opération de maintenance sur une pompe d'ammoniac, a été blessé par une fuite d'ammoniac provenant d'une vanne d'aspiration située dans l'entourage immédiat de la pompe. Il a subi une incapacité temporaire de travail de 60 jours.

Le 10 novembre 2011, la caisse primaire d'assurance maladie de Pau ( la caisse en suivant) a reconnu le caractère professionnel de l'accident.

Par décision du 26 novembre 2013, le tribunal de l'incapacité a jugé que l'état de santé de M. [U] ne justifiait pas la fixation d'un taux d'IPP.

Par jugement du 24 juin 2014, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Pau, saisi le 3 octobre 2013 d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, après avoir retenu que ' le défaut de condamnation de la vanne d'aspiration de la pompe, défaut de condamnation qui a rendu possible son ouverture inopinée et l'atteinte à l'intégrité physique deM. [U] par le fuite d'ammoniac, ne pouvait être méconnu de l'employeur, qui aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait ses salariés en ne prenant pas les mesures de sécurisation nécessaires', a dit la faute inexcusable de l'employeur dans la survenance de l'accident établie, condamné l'employeur à rembourser à la caisse l'intégralité des conséquences financières imputables à la reconnaissance de la faute inexcusable, condamné la caisse au versement d'une provision, dit que la société en devra le remboursement à la caisse, débouté le salarié de sa demande de majoration de rente, ordonné avant dire-droit une expertise médicale aux frais avancés de la caisse, réservé les dépens.

Par jugement du 9 janvier 2015, devenu définitif, le tribunal de police de Pau a relaxé l'employeur et le directeur de l'établissement du chef de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité de travail n'excédant pas trois mois dans le cadre du travail.

Par arrêt du 19 novembre 2020, sur l'appel interjeté par la société [4], la cour d'appel de Pau a confirmé le jugement rendu le 24 juin 2014 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Pau en toutes ses dispositions et condamné l'employeur aux dépens et aux frais irrépétibles.

Par arrêt du 1er décembre 2022, rendu sur le pourvoi formé par la société [4], la Cour de cassation, deuxième chambre civile, a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 19 novembre 2020 par la cour d'appel de Pau, remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la présente cour, qui a été saisie le 11 janvier 2023.

La Cour de cassation:

- après avoir rappelé que si l'article 4-1 du code de procédure pénale permet au juge civil, en l'absence de faute pénale non intentionnelle, de retenir une faute inexcusable en application de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil reste attachée à ce qui a été définitivement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune du l'action civile et l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité ou l'innocence de celui à qui le fait est imputé,

- puis observé que pour dire la faute inexcusable établie, l'arrêt relève que selon l'enquête, malgré un travail préalable d'isolement de la pompe que les salariés s'apprêtaient à démonter, un jet d'ammoniac a surgi brutalement de la conduite et les a aspergés, brûlant gravement la victime, et que la fuite a été causée par l'ouverture inopinée de la vanne située entre la pompe et le stockage d'ammoniac et retient que quelle que soit la cause de l'ouverture de la vanne, le dispositif de sécurité était inadéquat et que l'employeur connaissait ou aurait dû connaître le fait que cette vanne n'était munie d'aucun dispositif de verrouillage en position fermée, contrairement aux règles de sécurité applicables en la matière,

- répond qu'en statuant ainsi, alors que pour prononcer la relaxe de l'employeur des poursuites du chef de blessures involontaires, par un motif qui était le soutien nécessaire de sa décision, la juridiction pénale, après avoir relevé que les causes de l'ouverture de la vanne étaient indéterminées, a écarté un manquement aux règles de sécurité lié à l'absence de double vanne ou d'un système de verrouillage de la vanne nécessitant un outil spécifique, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

A l'audience du 25 octobre 2023, la société [4], s'en remettant à ses conclusions transmises par voie électronique le 19 octobre 2023, demande à la cour de:

- infirmer le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociales de Pau le 9 janvier 2017 en toutes ses dispositions; statuant de nouveau,

- à titre principal,

* faire siens les motifs retenus par le tribunal de police de Pau comme soutient nécessaire à la relaxe de la société

* juger qu'aucun manquement à l'obligation de sécurité ni aucune faute inexcusable n'est imputable à la société [4] en lien avec l'accident

* déclarer l'arrêt opposable à la caisse

* rejeter toute demande de la caisse aux fins de remboursement

* juger que l'instance en réparation des préjudices pendante devant la cour d'appel de Pau sous le numéro RG 22/00217 est dépourvue d'objet

* condamner M. [U] à lui verser la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- à titre subsidiaire,

* confirmer le jugement entrepris sur l'expertise

* juger que l'indemnisation de M. [F] interviendra dans le cadre de l'instance pendante devant la cour d'appel de Pau

* confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [U] de sa demande de doublement des indemnités de sécurité sociale

* infirmer le jugement déféré en ce qu'il a accordé une provision de 5000 euros à M. [U], débouter M. [U] de sa demande à ce titre et juger que cette mesure ne lui sera pas déclarée opposable.

A l'audience du 25 octobre 2023, M.[U], s'en remettant à ses conclusions transmises par voie électronique le 09 octobre 2023, demande à la cour de:

- reconnaître le faute inexcusable de l'employeur,

- ordonner le doublement des prestations de sécurité sociale,

- désigner tel expert avec missions de décrire et quantifier les séquelles au titre du DFP, du DFT, des souffrances endurées, du préjudice esthétique temporaire et du préjudice esthétique permanent, du préjudice sexuel et de la perte de chance professionnelle,

- lui allouer une provision de 5000 euros,

- lui allouer une somme de 4000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Dispensée de comparution, la caisse primaire d'assurance maladie de Pau, s'en remettant à ses conclusions transmises par courrier le 19 octobre 2023, indique s'en remettre à justice pour statuer ce que de droit sur la faute inexcusable, de condamner la société [4] à lui reverser les sommes dont elle aura à faire l'avance, avec intérêts au taux légal à compter du jour de leur règlement.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se référer aux conclusions écrites, soutenues oralement à l'audience.

MOTIFS DE LA DECISION

I- Sur l'existence d'une faute inexcusable

Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ( Civ.2ième , 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-25.021 ; Civ.2ième, 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-26.677). Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie survenue au salarié mais qu'il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage (Cass. Ass plen, 24 juin 2005, pourvoi n°03-30.038).

Il incombe au salarié qui invoque la faute inexcusable de son employeur de rapporter la preuve de ce que celui-ci avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et de ce qu'il n'avait pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Aux termes de l'article 4-1 du code de procédure pénale,' L'absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l'article 121-3 du code pénal ne fait pas obstacle à l'exercice d'une action devant les juridictions civiles afin d'obtenir la réparation d'un dommage sur le fondement de l'article 1383 du code civil si l'existence de la faute civile prévue par cet article est établie ou en application de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale si l'existence de la faute inexcusable prévue par cet article est établie.'

Il appartient alors à la juridiction de sécurité sociale de rechercher si les éléments du dossier permettent de retenir la faute inexcusable de l'employeur laquelle s'apprécie de façon distincte des éléments constitutifs de l'infraction d'homicide involontaire et /ou de blessures involontaires.

La dualité de la faute pénale non intentionnelle et de la faute inexcusable ne fait toutefois pas obstacle à l'application du principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil.

L'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil reste attachée à ce qui a été définitivement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité ou l'innocence de celui à qui le fait est imputé.

Sur la conscience du danger

En l'espèce, il ressort des pièces produites que M. [U] était occupé à démonter la pompe n° 5524C sur une installation d'ammoniac quand il a été aspergé par un jet d'ammoniac qui s'est échappé d'une vanne de sectionnement située entre la cuve d'ammoniac et la pompe. L'enquête a permis d'établir que la fuite a été provoquée par l'ouverture inopinée de ladite vanne, laquelle n'a pas permis de procéder à la seconde des deux étapes de l'opération de consignation à laquelle M. [U] était affecté, singulièrement la condamnation.

Il n'est pas discutable que l'ammoniac est un produit classé dangereux, car toxique par inhalation, inflammable et corrosif.

La société [4] avait connaissance des risques liés à la présence d'ammoniac auxquels ses salariés affectés au démontage de la pompe étaient exposés.

Sur les mesures prises

En l'espèce, le tribunal de police de Pau a prononcé la relaxe de l'employeur du chef de blessures involontaires après avoir relevé que les causes de l'ouverture de la vanne étaient indéterminées; il a précisé, de première part que la manipulation du levier de la vanne d'aspiration n'avait pas permis de relever un défaut de fonctionnement, de deuxième part que si un système de double vanne permettant de rendre inopérante l'ouverture d'une seule vanne est de nature à prévenir une ouverture involontaire ou pallier une défaillance matérielle il n'est toutefois imposé par aucune norme ni même spécifiquement recommandé pour ce type d'installation de sorte que son absence ne peut être imputé à l'employeur à titre de faute, de troisième part que si l'utilisation d'un outil spécifique tel un verrouillage par une clé dont le seul salarié exposé au risque est porteur peut le préserver d'un geste fatal d'un tiers son absence ne peut pas plus être imputée à l'employeur à titre de faute; ce dont il résulte qu'il a écarté tout manquement aux régles de sécurité lié à l'absence de double vanne ou d'un système de verrouillage spécifique.

Le moyen tenant à l'absence d'une double vanne et aux sécurités étant le soutien nécessaire de sa décision, les développements de M. [U] de ces chefs sont inopérants, ceux tenant à l'absence de combinaisons étanches, dont M. [U] précise d'ailleurs qu'il ne la revendique pas comme source d'une faute inexcusable de la société [4], également.

L'obligation de sécurité impose à l'employeur de prendre l'ensemble des mesures nécessaires pour préserver son salarié du risque auquel il est susceptible d'être exposé, ce dont il résulte que les évènements postérieurs à l'accident ne participent pas des éléments constitutifs de la faute inexcusable. C'est en conséquence vainement que M. [U] se prévaut de la panne affectant la douche de sécurité de l'ammoniac agricole.

La preuve d'une faute inexcusable de la société [4] dans la survenance de l'accident du travail dont il a été victime le 4 octobre 2011 n'étant ainsi pas rapportée, M. [U] doit être débouté de l'ensemble de ses demandes à ce titre et le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Pau le 09 janvier 2017 être infirmé en conséquence.

II - Sur les frais du procès

M. [U], qui succombe, doit supporter les dépens de première instance et les dépens d'appel, au paiement desquels il est condamné en même temps qu'il est débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de laisser à la société [4] la charge de ses frais irrépétibles. Elle est déboutée de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Pau le 09 janvier 2017 en toutes ses dispositions;

Y ajoutant,

Déboute Monsieur [U] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur

Condamne M. [U] aux dépens de première instance et aux dépens d'appel;

Déboute M. [U] et la sas [4] de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Déclare la présente décision opposable à la caisse primaire d'assurance maladie de Pau.

Signé par Madame Marie-Paule Menu, présidente,et par Madame Sylvaine Déchamps, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps MP. Menu