Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 1 - ch. 10, 25 janvier 2024, n° 22/19694

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/19694

25 janvier 2024

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 10

ARRÊT DU 25 JANVIER 2024

(n° 35, 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général

N° RG 22/19694 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGXNX

Décision déférée à la cour

Jugement du 08 novembre 2022-Juge de l'exécution de Sens-RG n° 22/00541

APPELANTS

Madame [X] [G]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Monsieur [Z] [V]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentés par Me Thibault LENTINI de l'AARPI ARENAIRE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : G0252

Ayant pour avocat plaidant Me Thierry BILLION, avocat au barreau de l'AUBE

INTIMÉ

Monsieur [E] [M]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Maryline LUGOSI de la SELARL Selarl MOREAU GERVAIS GUILLOU VERNADE SIMON LUGOSI, avocat au barreau de PARIS, toque : P0073

Ayant pour avocat plaidant Me Quentin TRUCHY, avocat au barreau de DIJON

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 14 décembre 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre

Madame Catherine LEFORT, conseiller

Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Catherine LEFORT, conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER

ARRÊT

-contradictoire

-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Agissant en vertu d'un acte notarié de vente rurale en date du 3 octobre 2014, M. [E] [M] a fait pratiquer, suivant procès-verbal du 23 mars 2022, une saisie-attribution entre les mains de la Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne à l'encontre de M. [Z] [V], pour avoir paiement d'une somme totale de 18.606,90 euros (18.887,96 euros avec les frais futurs de la procédure de saisie-attribution). La saisie, partiellement fructueuse, a été dénoncée au débiteur par acte d'huissier du 28 mars 2022.

Par acte d'huissier en date 7 avril 2022, Mme [X] [G] et de M. [Z] [V] ont fait assigner M. [M] devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Sens aux fins notamment d'annulation et de mainlevée de la saisie-attribution, et subsidiairement de réduction de la clause pénale.

Par jugement en date du 8 novembre 2022, le juge de l'exécution a notamment :

- déclaré recevable la contestation présentée par Mme [G] et M. [V],

- débouté Mme [G] et M. [V] de leurs demandes de nullité et de mainlevée de la saisie-attribution effectuée le 23 mars 2022,

- débouté Mme [G] et M. [V] de leur demande d'indemnisation pour procédure abusive,

- condamné solidairement Mme [G] et M. [V] au paiement de la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Pour statuer ainsi, le juge a considéré que la clause pénale insérée au contrat de bail (sic) rural du 3 octobre 2014 ne prévoyait pas, pour son application, l'envoi d'une mise en demeure préalable, de sorte que le moyen de nullité de la saisie-attribution était sans fondement ; et que M. [M] avait été privé d'une partie de ses ressources pendant trois ans, de sorte que l'indemnité de 10% par échéance en retard n'était pas excessif au regard de la perte de revenus et des difficultés engendrées pour lui.

Par déclaration du 23 novembre 2022, Mme [G] et M. [V] ont fait appel de ce jugement.

Par conclusions du 16 décembre 2022, M. [V] et Mme [G] demandent à la cour de :

infirmer le jugement,

Statuant à nouveau,

juger nulle la procédure de saisie-attribution et en ordonner la mainlevée,

subsidiairement, juger que la clause pénale est excessive, la mettre à néant ou, subsidiairement la ramener à un euro,

juger abusive la procédure de saisie-attribution et condamner l'intimé à leur payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts,

condamner l'intimé au paiement de la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a alloué à l'intimé la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner l'intimé aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Ils exposent que la saisie-attribution ne porte pas sur le paiement des échéances contractuelles mais sur l'application de la clause pénale, qui prévoit une indemnité de 10% par mois de retard, alors qu'elle n'a été précédée d'aucune mise en demeure, telle qu'exigée par la loi dès lors que le contrat n'en dispense pas les parties. Sur la réduction de la clause pénale, ils soutiennent qu'il ne s'agissait pas d'un bail rural mais d'une vente, avec un paiement par annuités ; que l'intimé ne justifie pas des difficultés conséquentes subies par le retard de paiement d'une annuité de 5.604 euros ; que l'indemnité n'est pas de 10% par échéance mais 10% par mois, soit 120% par an, ce qui est assurément excessif.

Par conclusions du 6 janvier 2023, M. [M] demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le juge de l'exécution de Sens,

- condamner solidairement M. [V] et Mme [G] au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Il fait valoir d'une part que l'absence de mise en demeure ne peut entraîner la nullité de la saisie-attribution, d'autre part que les parties ont prévu expressément que le non-paiement d'une échéance à son terme sera de plein droit productive d'une indemnité de retard, en excluant la nécessité d'une mise en demeure préalable de payer l'échéance. Il soutient en outre qu'il est à la retraite, et que M. [V] et Mme [G] ne payant pas leur fermage, ses seules sources de revenus sont les annuités de la vente de sa propriété agricole, de sorte que l'indemnité n'est absolument pas excessive en ce qu'elle vise à réparer son préjudice, à savoir la perte de revenus durant trois ans.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de mainlevée de la saisie-attribution

Aux termes de l'article L.211-1 du code des procédures civiles d'exécution, tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d'argent.

L'article 1230 ancien du code civil (dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 applicable au contrat litigieux) dispose que « soit que l'obligation primitive contienne, soit qu'elle ne contienne pas un terme dans lequel elle doive être accomplie, la peine n'est encourue que lorsque celui qui s'est obligé soit à livrer, soit à prendre, soit à faire, est en demeure. »

Ce texte n'étant pas d'ordre public, les parties peuvent convenir de déroger à l'obligation de mettre en demeure le débiteur pour l'application de la clause pénale, expressément ou tacitement. Les juges du fond apprécient souverainement s'il s'induit des termes de l'acte que les parties ont eu l'intention de dispenser le créancier de l'obligation d'une mise en demeure.

En l'espèce, par acte notarié du 3 octobre 2014, M. [M] a vendu à M. [V] et Mme [G] une propriété agricole au prix de 84.063 euros, payable en quinze échéances annuelles constantes de 5.604,20 euros, la première payable le 24 décembre 2015 et la dernière le 24 décembre 2029, avec intérêts au taux légal courant à compter dudit acte, payables annuellement en même temps que le capital. Cet acte contient, en page 10, une clause intitulée « Conditions du paiement à terme » qui stipule notamment : « En cas de non-paiement d'une somme à échéance, celle-ci sera de plein droit productive d'une indemnité de dix pour cent par mois de retard, tout mois commencé étant dû en entier, cette stipulation d'indemnité ne pouvant jamais être considérée comme valant délai de règlement. »

Il est constant que M. [V] et Mme [G] n'ont payé les échéances annuelles de 2019 et 2020 que le 24 décembre 2021, soit avec un retard de deux ans pour la première et d'un an pour la seconde.

Si M. [M] produit des mises en demeure de payer les fermages (résultant d'un contrat de bail rural du 30 septembre 2014), il ne justifie pas avoir mis en demeure M. [V] et Mme [G] de payer les échéances annuelles de 2019 et 2020 dues en vertu de l'acte de vente. Il ne conteste d'ailleurs pas n'avoir pas envoyé de mises en demeure pour obtenir le paiement de ces échéances.

Il ne résulte pas de l'acte de vente que les débiteurs aient eu l'intention de dispenser M. [M] de la formalité de la mise en demeure pour l'application de la clause pénale, s'agissant d'une pénalité due mensuellement pour un simple retard, qui reviendrait, en l'absence de mise en demeure, à permettre au créancier d'augmenter le montant de la pénalité en laissant courir les mois de retard.

Par conséquent, en l'absence de dérogation convenue aux dispositions de l'article 1230 du code civil, les indemnités de retard n'étaient pas exigibles en l'espèce, faute de mise en demeure d'exécuter l'obligation principale.

Il convient donc d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [V] et Mme [G] de leurs demandes de nullité et de mainlevée de la saisie-attribution du 23 mars 2022, et d'ordonner la mainlevée de cette mesure.

Sur la demande de dommages-intérêts pour saisie abusive

Aux termes de l'article L.121-2 du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d'abus de saisie.

L'abus de saisie s'inscrit dans un contexte fautif relevant de la responsabilité civile. L'exercice d'une mesure d'exécution est en effet un droit qui ne dégénère en abus que s'il est établi que le créancier saisissant a commis soit une faute caractérisant sa mauvaise foi, soit une légèreté blâmable ou une témérité fautive. L'erreur d'appréciation qu'une partie fait de ses droits n'est pas en soi de nature à caractériser une faute.

En l'espèce, M. [M] a pu, de bonne foi, croire qu'il pouvait recouvrer les pénalités de retard. Aucune preuve d'une faute de sa part n'est rapportée par les appelants.

Il convient donc de confirmer, par motifs substitués, le jugement en ce qu'il les a déboutés de leur demande de dommages-intérêts.

Sur les demandes accessoires

L'issue du litige justifie d'infirmer les condamnations accessoires de M. [V] et Mme [G], et de condamner M. [M] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une quelconque des parties.

PAR CES MOTIFS,

INFIRME le jugement rendu le 8 novembre 2022 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Sens en ce qu'il a :

- débouté Mme [X] [G] et M. [Z] [V] de leurs demandes de nullité et de mainlevée de la saisie-attribution effectuée le 23 mars 2022 sur le compte bancaire ouvert auprès de la Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne,

- condamné solidairement Mme [X] [G] et M. [Z] [V] à verser à M. [E] [M] la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné solidairement Mme [X] [G] et M. [Z] [V] aux dépens,

Statuant à nouveau dans cette limite,

ORDONNE la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 23 mars 2022 par M. [E] [M] entre les mains de la Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne à l'encontre de M. [Z] [V],

CONFIRME le jugement déféré pour le surplus,

Y ajoutant,

DEBOUTE les parties de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [E] [M] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Le greffier, Le président,