Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 1 - ch. 10, 25 janvier 2024, n° 22/20715

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/20715

25 janvier 2024

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

PÔLE 1 - CHAMBRE 10

ARRÊT DU 25 JANVIER 2024

(n° 36, 2 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général

N° RG 22/20715 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CG2WG

Décision déférée à la cour

Jugement du 10 juin 2022-Juge de l'exécution de Créteil-RG n° 21/08101

APPELANTE

Madame [O] [R]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Hélène-Camille HAZIZA, avocat au barreau du VAL-DE-MARNE, toque : PC 382

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 22/023168 du 29/11/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

INTIMÉE

S.A. BRED BANQUE POPULAIRE

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Carina COELHO, avocat au barreau de PARIS, toque : E0694

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 14 décembre 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre

Madame Catherine LEFORT, conseiller

Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Catherine LEFORT, conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER

ARRÊT

-contradictoire

-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Agissant en vertu d'une ordonnance d'injonction de payer du 23 février 2017, la société Bred Banque Populaire (ci-après la Bred) a fait pratiquer, suivant procès-verbal du 3 novembre 2021, une saisie-attribution entre les mains du Crédit Lyonnais à l'encontre de Mme [O] [R] épouse [C], pour avoir paiement d'une somme totale de 19.163,60 euros (dont 10.993,20 en principal). La saisie a été dénoncée à la débitrice par acte d'huissier du 8 novembre 2021.

Par acte d'huissier en date 30 novembre 2021, Mme [R] a fait assigner la Bred devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Créteil en contestation de la saisie-attribution.

Par jugement en date du 10 juin 2022, le juge de l'exécution a notamment :

- débouté Mme [R] de sa demande de sursis à statuer,

- déclaré recevable la contestation formée par Mme [R] de la saisie-attribution pratiquée le 3 novembre 2021,

- débouté Mme [R] de ses demandes de nullité et de mainlevée de la saisie-attribution,

- débouté Mme [R] de sa demande de dommages-intérêts,

- débouté les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [R] aux entiers dépens.

Pour statuer ainsi, le juge a considéré qu'il n'avait pas besoin d'attendre l'issue de la plainte pénale déposée par Mme [R] pour usurpation d'identité pour statuer, ni celle de la procédure civile engagée contre la banque ; que les actes d'huissier faisant foi jusqu'à inscription de faux, l'ordonnance d'injonction de payer avait été régulièrement signifiée, d'abord, le 10 mars 2017, à domicile, à [Localité 7], par remise de l'acte à Mme [L] [U] née [E] qui a déclaré être la s'ur de l'intéressée et a accepté de recevoir l'acte, puis le 1er octobre 2020, une fois l'ordonnance devenue exécutoire, au [Adresse 3] à [Localité 6] à étude, après vérifications de l'adresse par l'huissier, adresse qui est la même que celle à laquelle la saisie-attribution a été dénoncée ; que la demande subsidiaire de mainlevée partielle n'était fondée sur aucun élément.

Par déclaration du 8 décembre 2022, Mme [R] a fait appel de ce jugement.

Par conclusions du 17 novembre 2023, Mme [R] demande à la cour d'appel de :

infirmer le jugement entrepris et ce faisant,

la dire et juger recevable et bien fondée en ses contestations,

En conséquence, à titre principal,

annuler la saisie pratiquée,

condamner la Bred à lui restituer la somme de 19.163,60 euros pour mémoire, au titre de la restitution des fonds indûment saisis,

condamner la Bred à lui payer la somme de 1.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de sa précarisation en raison de cette saisie abusive,

condamner la Bred au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle expose que son compte bancaire, qu'elle avait fermé en 2016, a continué à fonctionner par les manœuvres de Mme [L] [E] épouse [U] qui l'avait temporairement hébergée à [Localité 7] et qui a reconnu l'usurpation, que son statut de victime a été reconnu par une composition pénale du 8 novembre 2022, et qu'elle a engagé une procédure à l'encontre de la Bred le 20 juillet 2023. Elle fait valoir que l'ordonnance d'injonction de payer ne lui a pas été signifiée, mais a été signifiée à un tiers, précisément Mme [L] [E] épouse [U], qui s'est fait passer pour sa s'ur et qui a depuis été condamnée pour escroquerie, infraction qui n'a été rendue possible que par la négligence de la banque, et qu'elle n'avait aucune dette. Elle conclut que la saisie-attribution est nulle en application de l'article L.211-1 du code des procédures civiles d'exécution, en l'absence de jugement régulier définitif valant titre exécutoire.

Par conclusions du 16 mars 2022, la société Bred Banque Populaire demande à la cour de :

- débouter Mme [R] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

En conséquence,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

- condamner Mme [R] au paiement de la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance et de ses suites.

Elle s'en rapporte aux motifs du jugement.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande d'annulation de la saisie-attribution

Aux termes de l'article L.211-1 du code des procédures civiles d'exécution, tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d'argent.

Il résulte de l'article 1422 du code de procédure civile, en sa version applicable au litige, qu'en l'absence d'opposition dans le mois qui suit la signification de l'ordonnance d'injonction de payer, quelles que soient les modalités de signification, le créancier peut demander l'apposition sur l'ordonnance de la formule exécutoire, et que l'ordonnance produit tous les effets d'un jugement.

La Bred agit à l'encontre de Mme [O] [R] épouse [C] en vertu d'une ordonnance d'injonction de payer du 23 février 2017 signifiée le 10 mars 2017 à domicile et revêtue de la formule exécutoire.

Mme [R] fait valoir notamment que l'ordonnance d'injonction de payer ne lui a pas été signifiée mais a été signifiée à un tiers, Mme [L] [E], qui s'est fait passer pour sa s'ur ; que leurs patronymes ne sont pas similaires ; que l'huissier n'a mentionné aucune vérification concernant l'adresse, ni aucune circonstance rendant impossible la signification à personne ; qu'un tel acte ne saurait valoir signification susceptible de faire courir les délais à son encontre.

L'article 655 du code de procédure civile dispose :

« Si la signification à personne s'avère impossible, l'acte peut être délivré soit à domicile, soit, à défaut de domicile connu, à résidence.

L'huissier de justice doit relater dans l'acte les diligences qu'il a accomplies pour effectuer la signification à la personne de son destinataire et les circonstances caractérisant l'impossibilité d'une telle signification.

La copie peut être remise à toute personne présente au domicile ou à la résidence du destinataire.

La copie ne peut être laissée qu'à condition que la personne présente l'accepte et déclare ses nom, prénoms et qualité.

L'huissier de justice doit laisser, dans tous ces cas, au domicile ou à la résidence du destinataire, un avis de passage daté l'avertissant de la remise de la copie et mentionnant la nature de l'acte, le nom du requérant ainsi que les indications relatives à la personne à laquelle la copie a été remise. »

Selon l'article 693 alinéa 1er du même code, ce qui est prescrit par l'article 655 doit être observé à peine de nullité.

L'article 114 du code de procédure civile dispose :

« Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public. »

Il ressort de l'acte de signification du 10 mars 2017 que l'huissier s'est présenté chez Mme [L] [E] épouse [U] au [Adresse 1] à [Localité 7], où demeurait Mme [O] [R] épouse [C], et a remis l'acte à Mme [U]. L'acte est rédigé ainsi :

« N'ayant pu, lors de mon passage, avoir de précisions suffisantes sur le lieu où rencontrer le destinataire de l'acte.

Le domicile était certain ainsi qu'il résulte des vérifications suivantes :

Circonstances rendant impossible la signification à personne :

L'acte a été délivré par clerc assermenté à Mme [E] [L], sa s'ur ainsi déclarée présente au domicile qui a accepté de recevoir l'enveloppe contenant copie de l'acte, enveloppe fermée ne comportant d'autres indications que d'un côté le nom et l'adresse du destinataire de l'acte et de l'autre mon sceau apposé sur la fermeture du pli.

Un avis de passage daté avertissant le signifié de la remise de la copie en mentionnant la nature de l'acte, le nom du requérant ainsi que les indications relatives à la personne à laquelle la copie a été remise a été laissé ce jour au domicile.

La lettre prévue par l'article 658 du C.P.C. comportant les mêmes mentions que l'avis de passage et copie de l'acte de signification a été adressée le jour même ou au plus tard le premier jour ouvrable suivant la signification de l'acte. »

L'huissier de justice n'est pas tenu de vérifier l'exactitude des déclarations faites par la personne présente au domicile et ses constatations font foi jusqu'à preuve contraire. Il n'en reste pas moins que ce qui est tenu pour vrai par la loi est le fait que Mme [E] a déclaré à l'huissier être la s'ur de Mme [R] et a accepté de recevoir l'acte pour elle. En revanche, il n'est pas nécessaire de recourir à la procédure d'inscription de faux pour arguer de ce que Mme [E] a fait une fausse déclaration à l'huissier.

Force est de constater que l'huissier n'a nullement mentionné dans son acte les circonstances rendant impossible la signification à personne, notamment l'absence de Mme [R].

Par ailleurs, Mme [R] justifie de ce que, à la suite de la saisie-attribution, elle a demandé au tribunal judiciaire de Créteil une copie de l'ordonnance d'injonction de payer afin de contester la saisie-attribution et a déposé plainte contre Mme [L] [U] pour utilisation frauduleuse de ses moyens de paiement. Dans sa plainte, elle déclare qu'après son divorce, elle a été hébergée par une amie, Mme [L] [U] à [Localité 7] ; qu'en 2016, celle-ci a fait usage de ses chèques et de sa carte bleue ; que par la suite, elle a appris que la banque avait tenté de la contacter par courrier à plusieurs reprises pour une dette, mais qu'elle n'a pas été au courant de ces lettres de rappel car elle ne vivait plus chez Mme [U] ; qu'elle n'est pas responsable des émissions de chèques et des prélèvements frauduleux sur son compte. Elle produit en outre une attestation de Mme [L] [U] qui reconnaît avoir usurpé l'identité de Mme [O] [R] qu'elle a hébergée à son domicile pendant plusieurs mois. Elle explique qu'elle réceptionnait son courrier, qu'elle avait récupéré son chéquier et sa carte bleue sans son consentement, qu'elle s'est présentée à la banque en 2016 sans pièce d'identité avec le chéquier et la carte bleue, qu'elle a fait plusieurs chèques d'un montant de 10.993 euros et qu'elle regrette d'avoir usurpé l'identité de Mme [R] qui a subi une escroquerie de sa part. A hauteur d'appel, Mme [R] justifie également de ce que Mme [L] [U] a reçu notification le 13 décembre 2022 d'une composition pénale validée par décision du 14 novembre 2022, pour escroquerie commise en 2016 à son préjudice pour un montant de 19.163,60 euros, en utilisant frauduleusement et à son insu ses moyens de paiement. L'appelante apporte enfin la preuve de ce qu'elle a intenté une action en responsabilité civile contre la Bred devant le tribunal judiciaire de Créteil par assignation du 20 juillet 2023, dans laquelle elle explique notamment qu'elle avait fermé son compte en 2016 alors qu'elle n'avait aucun découvert, que celui-ci a continué de fonctionner du fait des manœuvres de Mme [E] qui l'avait temporairement hébergée, et qu'elle n'a jamais fait d'opérations sur ce compte qui n'est resté ouvert que quelques mois.

Au regard de l'ensemble de ces éléments qui établissent le contexte de fraude dans lequel le titre exécutoire est intervenu, le mensonge de Mme [E], quant à sa qualité de s'ur, constitue un élément de fraude supplémentaire qui vicie nécessairement la signification litigieuse. En effet, l'ordonnance d'injonction de payer n'a été rendue, à l'encontre de Mme [R], qu'en raison de l'escroquerie commise par Mme [E]. Dès lors, la signification de cette ordonnance, par la remise de l'acte à cette dernière, qui avait, après avoir abusé l'huissier, tout intérêt à dissimuler l'acte à son destinataire, Mme [R], est entachée de fraude. Il en résulte que cette signification est nulle, en vertu du principe fraus omnia corrumpit.

En conséquence, l'ordonnance d'injonction de payer n'ayant pas été valablement signifiée, elle ne peut servir de fondement à une mesure d'exécution, telle que la saisie-attribution du 3 novembre 2021.

Il convient donc d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [R] de ses demandes d'annulation et de mainlevée de la saisie-attribution et d'annuler cette mesure pour défaut de titre exécutoire.

Sur la demande de restitution

Le juge de l'exécution ne peut délivrer de titres exécutoires hors les cas prévus par la loi. La cour, statuant avec les mêmes pouvoirs, ne peut donc condamner la banque à restituer les fonds saisis. La demande sera donc déclarée irrecevable pour défaut de pouvoir juridictionnel.

Sur la demande de dommages-intérêts

Aux termes de l'article L.121-2 du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d'abus de saisie.

L'abus de saisie s'inscrit dans un contexte fautif relevant de la responsabilité civile. L'exercice d'une mesure d'exécution est en effet un droit qui ne dégénère en abus que s'il est établi que le créancier saisissant a commis soit une faute caractérisant sa mauvaise foi, soit une légèreté blâmable ou une témérité fautive. L'erreur d'appréciation qu'une partie fait de ses droits n'est pas en soi de nature à caractériser une faute.

En l'espèce, la Bred a pu, de bonne foi, croire qu'elle pouvait pratiquer une saisie-attribution en vertu de l'ordonnance d'injonction de payer. Aucune preuve d'une faute de sa part n'est rapportée par l'appelante.

Il convient donc de confirmer, par motifs substitués, le jugement en ce qu'il a débouté Mme [R] de sa demande de dommages-intérêts.

Sur les demandes accessoires

L'issue du litige justifie d'infirmer la condamnation de Mme [R] aux dépens et de condamner la Bred aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle.

L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une quelconque des parties.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement rendu le 10 juin 2022 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Créteil en ce qu'il a débouté Mme [O] [R] de ses demandes de nullité et de mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 3 novembre 2021 et l'a condamnée aux dépens,

Statuant à nouveau sur ce seul chef,

ANNULE la saisie-attribution pratiquée le 3 novembre 2021 par la société Bred Banque Populaire entre les mains du Crédit Lyonnais à l'encontre de Mme [O] [R],

CONFIRME le jugement pour le surplus,

Y ajoutant,

DECLARE irrecevable la demande de condamnation de la société Bred Banque Populaire à restituer les fonds saisis,

DEBOUTE les parties de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Bred Banque Populaire aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle.

Le greffier, Le président,