Décisions
CA Paris, Pôle 1 - ch. 10, 18 janvier 2024, n° 23/05703
PARIS
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 10
ARRÊT DU 18 JANVIER 2024
(n° 23, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général
N° RG 23/05703 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHLKD
Décision déférée à la cour
Jugement du 10 mars 2023-Juge de l'exécution de Paris-RG n° 1122002164
APPELANTE
FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS-FGTI
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Denis LATREMOUILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0178
INTIMÉ
Monsieur [Z] [E]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Yann GRE, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 381
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 06 décembre 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseiller
Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
Déclarant agir en vertu d'un jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Paris le 4 mars 2008 et d'un arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 6 mai 2009, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et autres infractions, ci-après dénommé le Fonds de garantie, a sollicité et obtenu la saisie des rémunérations de M. [E] qui a été ordonnée par le juge de l'exécution de Créteil (juge du Tribunal de proximité de Saint-Maur-des-Fossés) le 25 février 2020, à hauteur de la somme de 39 264,75 euros. Le dossier a ensuite été transmis au juge de l'exécution de Paris pour compétence.
Saisi de contestations par M. [E] selon assignation en date du 14 septembre 2022, le juge de l'exécution de Paris a, suivant jugement daté du 10 mars 2023 :
- rejeté la demande de nullité de l'assignation qui avait été délivrée par le Fonds de garantie à M. [E] le 6 février 2020 ;
- maintenu la saisie des rémunérations de M. [E] à hauteur de la somme de 20 472,96 euros (soit principal : 27 615,15 euros, frais : 343,26 euros, sous déduction des acomptes soit 7 485,45 euros) ;
- rejeté la demande en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [E] aux dépens.
Pour statuer ainsi, il a relevé :
- que si M. [E] prétendait que l'assignation avait été délivrée à une adresse qui n'était pas la sienne, il ne justifiait pas d'une autre adresse lors de sa signification, alors que l'huissier de justice avait procédé à des vérifications ;
- que le jugement et l'arrêt susvisés avaient condamné M. [E] au paiement de sommes au bénéfice de quatre victimes, dans les droits desquelles le Fonds de garantie était subrogé ;
- que cette subrogation s'opérait pour la somme de 6 600 euros versée aux victimes, mais aussi celle de 14 642,42 euros (soit 15 400 euros sous déduction d'acomptes) ; qu'une pénalité de 30 % était due en sus ;
- que si des intérêts au taux légal applicable aux professionnels étaient réclamés, le créancier subrogé ne pouvait réclamer que des intérêts légaux au taux des particuliers, les victimes étant des personnes physiques ;
- que les intérêts en question n'étant pas calculés correctement, la demande y relative devait être rejetée ; qu'ils étaient prescrits pour partie ;
- que s'agissant des frais d'huissier, le droit prévu à l'article A 444-31 du code de commerce n'était pas dû à ce stade de la procédure.
Selon déclaration en date du 23 mars 2023, le Fonds de garantie a relevé appel de ce jugement.
En ses conclusions notifiées le 23 octobre 2023, il expose :
- qu'en vertu de l'article L 422-7 du code des assurances, il avait versé la somme totale de 6 600 euros aux victimes soit 30 % de la dette ; que son action récursoire ne se limitait pas à cette somme ; que celle de 22 000 euros était également exigible ;
- qu'un acompte de 757,88 euros ayant été réglé, la somme de 14 642,42 euros restait due ;
- que des frais de gestion de 30 % étaient également exigibles en vertu de l'article L 422-9 du code des assurances ;
- que le jugement a justement retenu une somme de 27 615,15 euros ;
- que s'agissant des intérêts, la prescription a été interrompue par des versements volontaires opérés par le débiteur, les 10 avril 2012 et 26 mai 2014, ainsi que par une mesure d'exécution le 15 janvier 2019 ;
- qu'étant subrogé dans les droits des victimes, il leur est véritablement assimilé commme il est prévu à l'article L 332-2 du code pénitentiaire ; qu'il faut en conséquence retenir le taux légal applicable aux particuliers ;
- que les frais d'exécution sont dus à concurrence de 343,26 euros, outre la somme de 228,83 euros due en application de l'article A 444-31 du code de commerce ;
- que les acomptes s'élèvent à 7 485,45 euros, dont 2 045,45 euros provenant de la Caisse des dépôts et consignations.
Le Fonds de garantie demande en conséquence à la Cour de :
- infirmer le jugement en ce qui concerne le quantum des sommes dues ;
- maintenir la saisie des rémunérations de M. [E] à concurrence de 42 501,44 euros ;
- condamner M. [E] au paiement de la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance, et 3 000 euros au titre des frais exposés en appel ;
- le condamner aux dépens d'appel.
Dans ses conclusions du 26 juillet 2023, M. [E] réplique :
- qu'il a versé les sommes de 7 500 euros et 5 000 euros au titre d'un cautionnement ;
- qu'il a réglé des sommes complémentaires, soit 2 750 euros, 454,55 euros, 454,55 euros, 795,45 euros, et 795,45 euros ;
- que la dette est très ancienne et le Fonds de garantie s'abstient d'indemniser les victimes qui ne sont peut-être plus en vie à ce jour ;
- que les intérêts remontant à deux ans sont prescrits en vertu de l'article L 218-2 du code de la consommation.
M. [E] demande à la Cour de :
- infirmer le jugement et débouter le Fonds de garantie de ses prétentions ;
- ordonner la mainlevée de la saisie des rémunérations ;
- subsidiairement, confirmer le jugement en ce qu'il a limité la somme due à 20 472,96 euros ;
- déclarer prescrits les intérêts remontant à plus de deux ans ;
- condamner le Fonds de garantie au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- le condamner aux dépens qui seront recouvrés par Maître Gré.
MOTIFS
En premier lieu, c'est en vain que M. [E] objecte que le Fonds de garantie ne justifie pas avoir reversé les sommes en cause aux victimes des infractions pénales qu'il a commises, ou que ces dernières ne sont plus encore en vie. En effet, selon l'article R 121-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution ne peut pas modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites. Il n'y a donc pas lieu de s'interroger sur le devenir des fonds appréhendés par le Fonds de garantie.
En vertu de l'article L 422-7 du code des assurances :
Dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande d'aide au recouvrement formulée en application de l'article 706-15-1 du code de procédure pénale, le fonds de garantie accorde à la partie civile le paiement intégral des dommages et intérêts et des sommes allouées en application des articles 375 ou 475-1 du même code si leur montant total est inférieur ou égal à 1 000 euros.
Si le montant total des dommages et intérêts et des sommes allouées en application des articles 375 ou 475-1 du même code est supérieur à 1 000 euros, le fonds accorde dans le même délai une provision correspondant à 30 % du montant desdits dommages et intérêts et sommes dans la limite d'un plafond de 3 000 euros. Toutefois, le montant de cette provision ne peut pas être inférieur à 1 000 euros.
Le fonds de garantie est subrogé dans les droits de la victime dans les conditions prévues par le premier alinéa de l'article 706-11 du même code. Pour les sommes à recouvrer supérieures à la provision versée, le fonds de garantie dispose d'un mandat.
Le principal de la dette réclamé s'élève à 6 600 euros + 14 642,42 euros, outre 6 372,73 euros représentant les frais de gestion. Le Fonds de garantie justifie avoir réglé à quatre parties civiles les sommes de 2 100 euros, 2 100 euros, 1 200 euros et 1 200 euros, soit 6 600 euros en tout. Il est fondé à réclamer à l'intimé, en outre, le montant total des dommages et intérêts alloués aux victimes (22 000 euros), sous déduction de la provision susvisée (6 600 euros) et des acomptes qui ont été versés par le débiteur (757,58 euros), soit 14 642,42 euros.
En outre, comme il est dit à l'article L 422-9 alinéa 1er du code des assurances, les sommes à recouvrer par le fonds de garantie sont majorées d'une pénalité, au titre des frais de gestion, égale à un pourcentage des dommages et intérêts et des sommes allouées en application des articles 375 ou 475-1 du code de procédure pénale. La somme de 6 372,73 euros est donc due (soit 30 % de 21 242,42 euros, qui représente la totalité de la dette moins les acomptes).
En vertu de l'article L 218-2 du code de la consommation, l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans. Le Fonds de garantie ne fournit pas aux victimes un bien ou un service, mais agit en fonction de textes légaux qui lui permettent de se subroger dans les droits de celles-ci, pour opérer le recouvrement à l'encontre des auteurs d'infractions pénales. Le délai de prescription des intérêts est donc celui de droit commun de cinq ans, dans les conditions de l'article 2224 du code civil.
Pour échapper à la prescription, le Fonds de garantie doit justifier d'actes interruptifs visés aux articles 2240, 2241, 2244 du code civil (reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit, demande en justice, acte d'exécution forcée, mesure conservatoire).
Les intérêts au taux légal sur les sommes allouées aux parties civiles couraient à compter du jugement, s'agissant de condamnations au paiement d'indemnités, soit au 4 mars 2008 ; c'est à compter de cette date que le Fonds de garantie a calculé les intérêts réclamés dans la requête en saisie des rémunérations. Mais le délai de prescription du principal ne saurait courir qu'à compter du jour où la décision de justice fondant les poursuites est devenue exécutoire, soit au 18 décembre 2019, qui est la date de signification de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 6 mai 2009 ayant confirmé le jugement précité. Ensuite, les intérêts ont vocation à se prescrire cinq ans après leur date d'exigibilité. Or une requête en saisie des rémunérations a été déposée le 27 décembre 2019 devant le Tribunal d'instance de Saint-Maur-des-Fossés et a interrompu la prescription ; la saisie des rémunérations de M. [E] ayant été autorisée, elle n'a cessé de produire ses effets depuis lors ; elle a ainsi continué à interrompre le délai de prescription. Celle-ci n'est donc pas acquise contrairement à ce qu'a décidé le premier juge.
L'article L 332-2 alinéa 2 du code pénitentiaire dispose que lorsque le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions intervient en application des dispositions de l'article 706-11 du code de procédure pénale, il est assimilé à une partie civile et bénéficie des mêmes droits, dès lors que le prélèvement au profit des parties civiles a eu lieu.
Si l'intéressé agit dans le cadre d'une mission d'aide aux victimes, au travers du recouvrement des sommes qui lui est confié en leurs lieu et place, cela englobe l'exercice de l'action à l'encontre du responsable au titre des sommes allouées par les juridictions répressives ; le bénéfice du titre exécutoire est transféré au Fonds avec toutes conséquences de droit.
Il en résulte que le Fonds de garantie peut réclamer les intérêts au taux légal applicable aux particuliers et non pas aux professionnels, et que ledit taux d'intérêt est majoré de cinq points dans les conditions prévues à l'article L 313-3 du code monétaire et financier, lequel dispose que : En cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision.
S'agissant des frais d'huissier, le premier juge a soustrait du compte le droit visé à l'article A 444-31 du code de commerce. La prestation de recouvrement et d'encaissement est due à l'huissier de justice lorsque celui-ci agit en recouvrement. Tel est bien le cas en l'espèce, et il ne saurait être déduit de la circonstance que les sommes en cause sont encaissées par lui au fur et à mesure, au gré des retenues sur la rémunération, que ce droit n'est pas dû. En effet, en pratique, il est perçu par l'huissier de justice par acomptes successifs en fonction des sommes qu'il recouvre peu à peu. La totalité des frais d'huissier réclamée par l'appelant est donc due (soit 572,09 euros).
S'agissant des acomptes, le Fonds de garantie soutient qu'ils s'élèvent à 7 485,45 euros. La somme de 757,58 euros, correspondant à des acomptes versés entre les mains du conseil de l'une des parties civiles, a été déduite supra. Le Fonds de garantie produit un décompte des versements qu'il a reçus du débiteur. Ce dernier fait valoir qu'il a effectué deux règlements de 7 500 euros et 5 000 euros à la régie du Tribunal judiciaire de Paris. Il résulte de la lecture d'un courrier de la Caisse des dépôts et consignations en date du 18 décembre 2020 que lors de son placement sous contrôle judiciaire, M. [E] a été astreint à payer une somme de 15 000 euros qui devait être ventilée comme suit : 10 000 euros au titre de sa représentation dans le cours de la procédure, et 5 000 euros destinés aux parties civiles. Mais l'intéressé n'a réglé que celle de 7 500 euros, qui a été ventilée à concurrence de 5 000 euros au titre du premier poste et de 2 500 euros pour le second. Et la Caisse des dépôts et consignations n'a reversé au Fonds de garantie que les sommes de 454,55 euros, 454,55 euros, 795,45 euros et 795,45 euros, soit 2 500 euros (et non pas 2 045,45 euros comme le soutient l'intéressé dans ses conclusions par erreur), ce qui correspondait à la totalité des sommes destinées aux parties civiles.
Le montant total des acomptes s'élève donc à 7 485,45 euros.
Il échet en conséquence d'infirmer le jugement dont appel en ce qui concerne le quantum de la dette, et de dire que la saisie des rémunérations produira ses effets à hauteur de 42 501,44 euros, dont il conviendra de distraire les versements opérés par le tiers saisi depuis le jugement.
Il convient, en équité, d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande du Fonds de garantie en application de l'article 700 du code de procédure civile, et de condamner le débiteur au paiement de deux sommes de 1 500 euros, représentant respectivement les frais irrépétibles exposés par le créancier en première instance et en appel.
M. [E] sera condamné aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
- INFIRME le jugement en date du 10 mars 2023 en ce qu'il a maintenu la saisie des rémunérations de M. [Z] [E] pour la somme de 20 472,96 euros et a rejeté la demande du Fonds de garantie en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
et statuant à nouveau :
- DIT que la saisie des rémunérations de M. [Z] [E] est maintenue à hauteur de la somme de 42 501,44 euros, dont il conviendra de distraire les versements opérés par le tiers saisi depuis le jugement ;
- CONFIRME le jugement pour le surplus ;
- CONDAMNE M. [Z] [E] à payer au Fonds de garantie la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés en première instance ;
- CONDAMNE M. [Z] [E] à payer au Fonds de garantie la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés en appel ;
- CONDAMNE M. [Z] [E] aux dépens d'appel ;
- DIT que la partie la plus diligente devra remettre au greffe du juge de l'exécution de Paris une copie du présent arrêt et de ses actes de signification.
Le greffier, Le président,
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 10
ARRÊT DU 18 JANVIER 2024
(n° 23, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général
N° RG 23/05703 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHLKD
Décision déférée à la cour
Jugement du 10 mars 2023-Juge de l'exécution de Paris-RG n° 1122002164
APPELANTE
FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS-FGTI
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Denis LATREMOUILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0178
INTIMÉ
Monsieur [Z] [E]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Yann GRE, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 381
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 06 décembre 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseiller
Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
Déclarant agir en vertu d'un jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Paris le 4 mars 2008 et d'un arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 6 mai 2009, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et autres infractions, ci-après dénommé le Fonds de garantie, a sollicité et obtenu la saisie des rémunérations de M. [E] qui a été ordonnée par le juge de l'exécution de Créteil (juge du Tribunal de proximité de Saint-Maur-des-Fossés) le 25 février 2020, à hauteur de la somme de 39 264,75 euros. Le dossier a ensuite été transmis au juge de l'exécution de Paris pour compétence.
Saisi de contestations par M. [E] selon assignation en date du 14 septembre 2022, le juge de l'exécution de Paris a, suivant jugement daté du 10 mars 2023 :
- rejeté la demande de nullité de l'assignation qui avait été délivrée par le Fonds de garantie à M. [E] le 6 février 2020 ;
- maintenu la saisie des rémunérations de M. [E] à hauteur de la somme de 20 472,96 euros (soit principal : 27 615,15 euros, frais : 343,26 euros, sous déduction des acomptes soit 7 485,45 euros) ;
- rejeté la demande en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [E] aux dépens.
Pour statuer ainsi, il a relevé :
- que si M. [E] prétendait que l'assignation avait été délivrée à une adresse qui n'était pas la sienne, il ne justifiait pas d'une autre adresse lors de sa signification, alors que l'huissier de justice avait procédé à des vérifications ;
- que le jugement et l'arrêt susvisés avaient condamné M. [E] au paiement de sommes au bénéfice de quatre victimes, dans les droits desquelles le Fonds de garantie était subrogé ;
- que cette subrogation s'opérait pour la somme de 6 600 euros versée aux victimes, mais aussi celle de 14 642,42 euros (soit 15 400 euros sous déduction d'acomptes) ; qu'une pénalité de 30 % était due en sus ;
- que si des intérêts au taux légal applicable aux professionnels étaient réclamés, le créancier subrogé ne pouvait réclamer que des intérêts légaux au taux des particuliers, les victimes étant des personnes physiques ;
- que les intérêts en question n'étant pas calculés correctement, la demande y relative devait être rejetée ; qu'ils étaient prescrits pour partie ;
- que s'agissant des frais d'huissier, le droit prévu à l'article A 444-31 du code de commerce n'était pas dû à ce stade de la procédure.
Selon déclaration en date du 23 mars 2023, le Fonds de garantie a relevé appel de ce jugement.
En ses conclusions notifiées le 23 octobre 2023, il expose :
- qu'en vertu de l'article L 422-7 du code des assurances, il avait versé la somme totale de 6 600 euros aux victimes soit 30 % de la dette ; que son action récursoire ne se limitait pas à cette somme ; que celle de 22 000 euros était également exigible ;
- qu'un acompte de 757,88 euros ayant été réglé, la somme de 14 642,42 euros restait due ;
- que des frais de gestion de 30 % étaient également exigibles en vertu de l'article L 422-9 du code des assurances ;
- que le jugement a justement retenu une somme de 27 615,15 euros ;
- que s'agissant des intérêts, la prescription a été interrompue par des versements volontaires opérés par le débiteur, les 10 avril 2012 et 26 mai 2014, ainsi que par une mesure d'exécution le 15 janvier 2019 ;
- qu'étant subrogé dans les droits des victimes, il leur est véritablement assimilé commme il est prévu à l'article L 332-2 du code pénitentiaire ; qu'il faut en conséquence retenir le taux légal applicable aux particuliers ;
- que les frais d'exécution sont dus à concurrence de 343,26 euros, outre la somme de 228,83 euros due en application de l'article A 444-31 du code de commerce ;
- que les acomptes s'élèvent à 7 485,45 euros, dont 2 045,45 euros provenant de la Caisse des dépôts et consignations.
Le Fonds de garantie demande en conséquence à la Cour de :
- infirmer le jugement en ce qui concerne le quantum des sommes dues ;
- maintenir la saisie des rémunérations de M. [E] à concurrence de 42 501,44 euros ;
- condamner M. [E] au paiement de la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance, et 3 000 euros au titre des frais exposés en appel ;
- le condamner aux dépens d'appel.
Dans ses conclusions du 26 juillet 2023, M. [E] réplique :
- qu'il a versé les sommes de 7 500 euros et 5 000 euros au titre d'un cautionnement ;
- qu'il a réglé des sommes complémentaires, soit 2 750 euros, 454,55 euros, 454,55 euros, 795,45 euros, et 795,45 euros ;
- que la dette est très ancienne et le Fonds de garantie s'abstient d'indemniser les victimes qui ne sont peut-être plus en vie à ce jour ;
- que les intérêts remontant à deux ans sont prescrits en vertu de l'article L 218-2 du code de la consommation.
M. [E] demande à la Cour de :
- infirmer le jugement et débouter le Fonds de garantie de ses prétentions ;
- ordonner la mainlevée de la saisie des rémunérations ;
- subsidiairement, confirmer le jugement en ce qu'il a limité la somme due à 20 472,96 euros ;
- déclarer prescrits les intérêts remontant à plus de deux ans ;
- condamner le Fonds de garantie au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- le condamner aux dépens qui seront recouvrés par Maître Gré.
MOTIFS
En premier lieu, c'est en vain que M. [E] objecte que le Fonds de garantie ne justifie pas avoir reversé les sommes en cause aux victimes des infractions pénales qu'il a commises, ou que ces dernières ne sont plus encore en vie. En effet, selon l'article R 121-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution ne peut pas modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites. Il n'y a donc pas lieu de s'interroger sur le devenir des fonds appréhendés par le Fonds de garantie.
En vertu de l'article L 422-7 du code des assurances :
Dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande d'aide au recouvrement formulée en application de l'article 706-15-1 du code de procédure pénale, le fonds de garantie accorde à la partie civile le paiement intégral des dommages et intérêts et des sommes allouées en application des articles 375 ou 475-1 du même code si leur montant total est inférieur ou égal à 1 000 euros.
Si le montant total des dommages et intérêts et des sommes allouées en application des articles 375 ou 475-1 du même code est supérieur à 1 000 euros, le fonds accorde dans le même délai une provision correspondant à 30 % du montant desdits dommages et intérêts et sommes dans la limite d'un plafond de 3 000 euros. Toutefois, le montant de cette provision ne peut pas être inférieur à 1 000 euros.
Le fonds de garantie est subrogé dans les droits de la victime dans les conditions prévues par le premier alinéa de l'article 706-11 du même code. Pour les sommes à recouvrer supérieures à la provision versée, le fonds de garantie dispose d'un mandat.
Le principal de la dette réclamé s'élève à 6 600 euros + 14 642,42 euros, outre 6 372,73 euros représentant les frais de gestion. Le Fonds de garantie justifie avoir réglé à quatre parties civiles les sommes de 2 100 euros, 2 100 euros, 1 200 euros et 1 200 euros, soit 6 600 euros en tout. Il est fondé à réclamer à l'intimé, en outre, le montant total des dommages et intérêts alloués aux victimes (22 000 euros), sous déduction de la provision susvisée (6 600 euros) et des acomptes qui ont été versés par le débiteur (757,58 euros), soit 14 642,42 euros.
En outre, comme il est dit à l'article L 422-9 alinéa 1er du code des assurances, les sommes à recouvrer par le fonds de garantie sont majorées d'une pénalité, au titre des frais de gestion, égale à un pourcentage des dommages et intérêts et des sommes allouées en application des articles 375 ou 475-1 du code de procédure pénale. La somme de 6 372,73 euros est donc due (soit 30 % de 21 242,42 euros, qui représente la totalité de la dette moins les acomptes).
En vertu de l'article L 218-2 du code de la consommation, l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans. Le Fonds de garantie ne fournit pas aux victimes un bien ou un service, mais agit en fonction de textes légaux qui lui permettent de se subroger dans les droits de celles-ci, pour opérer le recouvrement à l'encontre des auteurs d'infractions pénales. Le délai de prescription des intérêts est donc celui de droit commun de cinq ans, dans les conditions de l'article 2224 du code civil.
Pour échapper à la prescription, le Fonds de garantie doit justifier d'actes interruptifs visés aux articles 2240, 2241, 2244 du code civil (reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit, demande en justice, acte d'exécution forcée, mesure conservatoire).
Les intérêts au taux légal sur les sommes allouées aux parties civiles couraient à compter du jugement, s'agissant de condamnations au paiement d'indemnités, soit au 4 mars 2008 ; c'est à compter de cette date que le Fonds de garantie a calculé les intérêts réclamés dans la requête en saisie des rémunérations. Mais le délai de prescription du principal ne saurait courir qu'à compter du jour où la décision de justice fondant les poursuites est devenue exécutoire, soit au 18 décembre 2019, qui est la date de signification de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 6 mai 2009 ayant confirmé le jugement précité. Ensuite, les intérêts ont vocation à se prescrire cinq ans après leur date d'exigibilité. Or une requête en saisie des rémunérations a été déposée le 27 décembre 2019 devant le Tribunal d'instance de Saint-Maur-des-Fossés et a interrompu la prescription ; la saisie des rémunérations de M. [E] ayant été autorisée, elle n'a cessé de produire ses effets depuis lors ; elle a ainsi continué à interrompre le délai de prescription. Celle-ci n'est donc pas acquise contrairement à ce qu'a décidé le premier juge.
L'article L 332-2 alinéa 2 du code pénitentiaire dispose que lorsque le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions intervient en application des dispositions de l'article 706-11 du code de procédure pénale, il est assimilé à une partie civile et bénéficie des mêmes droits, dès lors que le prélèvement au profit des parties civiles a eu lieu.
Si l'intéressé agit dans le cadre d'une mission d'aide aux victimes, au travers du recouvrement des sommes qui lui est confié en leurs lieu et place, cela englobe l'exercice de l'action à l'encontre du responsable au titre des sommes allouées par les juridictions répressives ; le bénéfice du titre exécutoire est transféré au Fonds avec toutes conséquences de droit.
Il en résulte que le Fonds de garantie peut réclamer les intérêts au taux légal applicable aux particuliers et non pas aux professionnels, et que ledit taux d'intérêt est majoré de cinq points dans les conditions prévues à l'article L 313-3 du code monétaire et financier, lequel dispose que : En cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision.
S'agissant des frais d'huissier, le premier juge a soustrait du compte le droit visé à l'article A 444-31 du code de commerce. La prestation de recouvrement et d'encaissement est due à l'huissier de justice lorsque celui-ci agit en recouvrement. Tel est bien le cas en l'espèce, et il ne saurait être déduit de la circonstance que les sommes en cause sont encaissées par lui au fur et à mesure, au gré des retenues sur la rémunération, que ce droit n'est pas dû. En effet, en pratique, il est perçu par l'huissier de justice par acomptes successifs en fonction des sommes qu'il recouvre peu à peu. La totalité des frais d'huissier réclamée par l'appelant est donc due (soit 572,09 euros).
S'agissant des acomptes, le Fonds de garantie soutient qu'ils s'élèvent à 7 485,45 euros. La somme de 757,58 euros, correspondant à des acomptes versés entre les mains du conseil de l'une des parties civiles, a été déduite supra. Le Fonds de garantie produit un décompte des versements qu'il a reçus du débiteur. Ce dernier fait valoir qu'il a effectué deux règlements de 7 500 euros et 5 000 euros à la régie du Tribunal judiciaire de Paris. Il résulte de la lecture d'un courrier de la Caisse des dépôts et consignations en date du 18 décembre 2020 que lors de son placement sous contrôle judiciaire, M. [E] a été astreint à payer une somme de 15 000 euros qui devait être ventilée comme suit : 10 000 euros au titre de sa représentation dans le cours de la procédure, et 5 000 euros destinés aux parties civiles. Mais l'intéressé n'a réglé que celle de 7 500 euros, qui a été ventilée à concurrence de 5 000 euros au titre du premier poste et de 2 500 euros pour le second. Et la Caisse des dépôts et consignations n'a reversé au Fonds de garantie que les sommes de 454,55 euros, 454,55 euros, 795,45 euros et 795,45 euros, soit 2 500 euros (et non pas 2 045,45 euros comme le soutient l'intéressé dans ses conclusions par erreur), ce qui correspondait à la totalité des sommes destinées aux parties civiles.
Le montant total des acomptes s'élève donc à 7 485,45 euros.
Il échet en conséquence d'infirmer le jugement dont appel en ce qui concerne le quantum de la dette, et de dire que la saisie des rémunérations produira ses effets à hauteur de 42 501,44 euros, dont il conviendra de distraire les versements opérés par le tiers saisi depuis le jugement.
Il convient, en équité, d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande du Fonds de garantie en application de l'article 700 du code de procédure civile, et de condamner le débiteur au paiement de deux sommes de 1 500 euros, représentant respectivement les frais irrépétibles exposés par le créancier en première instance et en appel.
M. [E] sera condamné aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
- INFIRME le jugement en date du 10 mars 2023 en ce qu'il a maintenu la saisie des rémunérations de M. [Z] [E] pour la somme de 20 472,96 euros et a rejeté la demande du Fonds de garantie en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
et statuant à nouveau :
- DIT que la saisie des rémunérations de M. [Z] [E] est maintenue à hauteur de la somme de 42 501,44 euros, dont il conviendra de distraire les versements opérés par le tiers saisi depuis le jugement ;
- CONFIRME le jugement pour le surplus ;
- CONDAMNE M. [Z] [E] à payer au Fonds de garantie la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés en première instance ;
- CONDAMNE M. [Z] [E] à payer au Fonds de garantie la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés en appel ;
- CONDAMNE M. [Z] [E] aux dépens d'appel ;
- DIT que la partie la plus diligente devra remettre au greffe du juge de l'exécution de Paris une copie du présent arrêt et de ses actes de signification.
Le greffier, Le président,