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Cass. crim., 16 janvier 2024, n° 22-84.243

COUR DE CASSATION

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Rejet

Cass. crim. n° 22-84.243

16 janvier 2024

N° Y 22-84.243 FP-B

N° 00021

GM
16 JANVIER 2024

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 16 JANVIER 2024

Les sociétés [5], [2], [3], [4] et [1] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 21 juin 2022, qui, dans l'information suivie contre elles des chefs de travail dissimulé aggravé, a prononcé sur leurs demandes d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance en date du 3 octobre 2022, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit leur examen immédiat.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.

Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat des sociétés [5], [2], [3], [4] les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société [1], les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'Urssaf Provence-Alpes-Côte d'Azur, et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Seys, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. de Larosière de Champfeu, Mmes Ingall-Montagnier, Labrousse, Piazza, MM. Samuel, Maziau, Turbeaux, Mme Goanvic, MM. de Lamy, Laurent, conseillers de la chambre, MM. Ascensi, Mallard, Michon, conseillers référendaires, M. Croizier, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Un contrôle a été effectué, le 12 décembre 2016, par les agents du service alors dénommé direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Provence-Alpes-Côte d'Azur
(ci-après la DIRECCTE), d'une part, au sein de l'établissement de la société de droit portugais [1] (ci-après la société [1]), d'autre part, dans les locaux de l'unité économique et sociale composée des sociétés [5], [2], [3] et [4] (ci-après le groupe [6]).

3. Un procès-verbal a été clôturé le 29 janvier 2018, constatant des manquements aux règles applicables aux conditions d'emploi et de détachement de salariés, susceptibles de constituer le délit susvisé, qui a été transmis à l'Urssaf Provence-Alpes-Côte d'Azur.

4. Les agents de cet organisme ont à leur tour dressé, le 11 décembre 2019, un procès verbal d'infractions, transmis au procureur de la République.

5. Une information a été ouverte le 21 février 2020, au cours de laquelle ont été mises en examen, le 23 avril 2021, la société [1] des chefs de travail dissimulé et travail dissimulé à l'égard de plusieurs personnes, puis, le 26 avril 2021, chacune des autres sociétés susvisées, pour recours au travail dissimulé en lien avec la société [1].

6. Cette dernière a saisi, le 21 octobre 2021, la chambre de l'instruction d'une requête en annulation de pièces de la procédure, et des mémoires aux mêmes fins, communs aux quatre autres sociétés précitées, ont été déposés.

Examen des moyens

Sur les troisième et quatrième moyens, proposés pour la société [1], et le troisième moyen, proposé pour le groupe [6]

7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen, proposé pour la société [1], et le premier moyen, proposé pour le groupe [6]

Énoncé des moyens

8. Le moyen proposé pour la société [1] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en nullité déposée par l'exposante et a dit n'y avoir pas de cause de nullité dans la procédure jusqu'à la côte D1012, alors « que les dispositions qui confèrent aux agents de contrôle mentionnés à l'article L. 8271-1-2 du code du travail des pouvoirs d'investigation sont d'application stricte ; que les auditions auxquelles ils procèdent pour la recherche et le constat des infractions en matière de travail illégal ne peuvent être réalisées qu'avec le consentement des personnes entendues, fût-ce dans le cadre d'une simple vérification ; que lorsque les agents de contrôle ne consignent pas expressément par écrit le consentement préalable de la personne entendue à son audition, celle-ci est irrégulière ; qu'en refusant en l'espèce d'annuler le procès-verbal d'infraction rédigé sur la base des auditions litigieuses, ayant été réalisées sans que soit recueilli au préalable le consentement des personnes auditionnées, aux motifs que l'établissement du procès-verbal des auditions n'est qu'une faculté, qu'aucune formalité n'est prévue pour le recueil du consentement, que la jurisprudence civile sur la validité des procès-verbaux ne serait pas transposable en matière pénale et que l'exposante ne démontrerait pas le grief porté à son intérêt par le fait que le consentement des salariés n'a pas été formalisé, la chambre de l'instruction a méconnu l'article L. 8271-6-1, alinéas 1 et 3 du code du travail et les articles 62 et 593 du code de procédure pénale. »

9. Le moyen proposé pour le groupe [6] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en nullité, dit qu'il n'y a pas de cause de nullité dans la procédure jusqu'à la côte D1012, ordonné le retour du dossier de la procédure au juge d'instruction du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence pour poursuite de l'information, alors :

« 1°/ qu'il résulte des dispositions de l'article L. 8271-6-1 du code du travail, que les agents de contrôle mentionnés à l'article L. 8271-1-2 ne peuvent procéder à des auditions qu'avec le consentement de la personne auditionnée ; que ces dispositions sont d'application stricte, y compris devant les juridictions répressive ; que les actes de la procédure de contrôle doivent, en conséquence, mentionner de quelque façon que ce soit le consentement donné par les personnes entendues avant leur audition ; qu'en déclarant régulier un procès-verbal de constat d'infraction qui ne constate nulle part que les auditions sur lesquelles il se fondait exclusivement avaient été réalisées avec le consentement des intéressés, la chambre de l'instruction, qui s'est abstenue d'apprécier l'existence de ce consentement, a violé les textes susvisés, l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 593 du code de procédure pénale et a, en tout état de cause, privé sa décision de base légale au regard de ces textes ;

2°/ que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que la requête initiale de la société [1] soutenait que le consentement des personnes auditionnées n'avait été ni recherché, ni donné, ni prouvé ; qu'en considérant qu'elle n'était pas saisie de la question de l'existence du consentement mais seulement de l'absence de preuve de celui-ci tout en relevant que la requête initiale faisait valoir que le consentement des salariés et du gérant n'avait été ni donné, ni recherché, la chambre de l'instruction, qui a dénaturé le sens de la requête initiale et statué par des motifs contradictoires, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 8271-6-1 du code du travail et violé l'article 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'en vertu de l'article 427 du code de procédure pénale, la preuve est libre ;que le juge est en conséquence tenu de se prononcer sur les moyens de preuve produits par les parties ; qu'en écartant les attestations produites comme irrecevables au motif que cette production « contrevient aux règles applicables en procédure pénale qui ne permet pas à la défense de contacter directement des témoins (qui de surcroît sont ses salariés) mais qui prévoient le filtre de la demande d'acte auprès du greffe du juge d'instruction, conformément aux dispositions de l'article 82-1 du code de procédure pénale », lorsque l'article 82-1 du code de procédure pénale, qui fait été d'une simple possibilité, ne pose aucune restriction au principe de la liberté de la preuve, la chambre de l'instruction a violé les articles 427 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que la réalisation d'auditions sans le consentement des intéressés par l'inspection du travail porte nécessairement atteinte à la liberté de parole des personnes entendues et au droit de ne pas s'incriminer soi-même ; qu'en l'espèce, le procès-verbal de constat ayant retenu l'existence de fait constitutifs de travail dissimulé se fonde exclusivement sur des auditions de salariés et du dirigeant de la société [1] dont la procédure n'établit pas qu'elles ont été réalisées avec le consentement des personnes entendues ; qu'en considérant qu'il n'en résultait aucun grief pour les sociétés mises en cause, lorsque les mémoires produits faisaient valoir que les propos tenus lors des auditions avaient seuls permis la rédaction du procès-verbal de constat d'infraction incriminant la société [1] et ses partenaires, la chambre de l'instruction a violé les articles L. 8271-6-1 du code du travail, 802 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

10. Les moyens sont réunis.

11. Pour dire régulières les auditions des salariés des sociétés concernées, par les agents de la DIRECCTE, l'arrêt attaqué énonce que le grief porte sur la seule absence de mention, au dossier de la procédure, du consentement à audition des personnes sollicitées.

12. Les juges relèvent qu'aucun procès-verbal n'a été dressé et que les modalités de recueil de ce consentement ne sont pas précisées par les textes applicables.

13. Ils constatent, s'agissant de MM. [R] [N] et [H] [W], qu'après avoir fait état, dans la requête initiale, du seul grief ci-dessus énoncé, la société [1] produit, par mémoire déposé après expiration du délai de six mois prévu à l'article 173-1 du code de procédure pénale, deux attestations des intéressés par lesquelles ils exposent avoir fait l'objet d'un interrogatoire minutieux.

14. Ils ajoutent que la production de telles attestations ne saurait être admise en application des règles de procédure pénale qui ne permettent pas à la défense de solliciter directement des témoins et soumettent l'audition de ces derniers au filtre d'une demande d'actes sur le fondement de l'article 82-1 du code de procédure pénale.

15. Ils observent, en ce qui concerne l'audition de M. [Z], que celle-ci a eu lieu à l'occasion d'un rendez-vous pris par le service de contrôle avec divers salariés, qu'aucun procès-verbal n'a été dressé, que les échanges ont porté sur des généralités et que des documents ont été remis aux enquêteurs.

16. Ils retiennent enfin que, d'une part, les moyens critiquant les auditions de MM. [N] et [W], présentés par mémoires déposés en vue de l'audience, sont nouveaux et irrecevables en raison de la forclusion, d'autre part, les sociétés requérantes se contentent d'affirmer que les irrégularités entachant les auditions des autres salariés leur causent un grief, sans en établir la réalité.

17. C'est à tort que la chambre de l'instruction a jugé que les arguments exposés par mémoire déposé après expiration du délai de six mois prévu à l'article 173-1 du code de procédure pénale étaient irrecevables, alors qu'elle était valablement saisie, par la requête initiale, déposée dans le délai susvisé, du grief pris de l'absence de consentement des intéressés à leur audition.

18. C'est encore à tort que la chambre de l'instruction a écarté des débats les attestations produites devant elle, dont elle était tenue d'apprécier, après débat contradictoire, la valeur probante au regard des autres pièces de la procédure, dès lors que lesdites attestations avaient un lien direct avec le grief dont elle était régulièrement saisie.

19. L'arrêt attaqué n'encourt néanmoins pas la censure, dès lors que l'exigence du consentement, préalable à son audition, de la personne entendue en application des dispositions de l'article L. 8271-6-1 du code du travail ne vise qu'à la protection des intérêts de celle-ci. Ainsi, les sociétés requérantes n'avaient pas qualité pour invoquer leur violation, même si les personnes entendues étaient leurs salariés.

20. En conséquence, les moyens doivent être écartés.

Sur le deuxième moyen, proposé pour la société [1], et le deuxième moyen, proposé pour le groupe [6]

Enoncé des moyens

21. Le moyen proposé pour la société [1] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en nullité déposée par l'exposante et a dit n'y avoir pas de cause de nullité dans la procédure jusqu'à la côte D1012,alors « qu'en matière de contrôle du travail illégal, pour assurer le nécessaire respect des droits de la défense, la personne à l'égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction bénéficie des garanties prévues dans le cadre de l'audition libre ; qu'en rejetant le moyen de nullité de l'exposante, tiré de l'irrégularité de l'audition de son représentant en France, qui n'avait pas bénéficié desdites garanties, aux motifs erronés que celui-ci n'aurait pas été entendu en qualité de mis en cause et qu'il n'aurait été interrogé que sur le fonctionnement général de la société, quand les questions posées par les agents de la DIRECCTE PACA à ce salarié de l'exposante portaient en réalité exactement sur les même thèmes que ceux sur lesquels il avait par la suite été interrogé dans le cadre de son interrogatoire de première comparution et quand la DIRECCTE avait, avant même le rendez-vous litigieux, fait savoir à l'exposante qu'elle avait des raisons plausibles de soupçonner qu'il avait pu commettre une infraction, pour le compte de l'exposante, personne morale, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 8271-6-1, alinéa 2, du code du travail, l'article 121-2 du code pénal et les articles 61-1 et 593 du code de procédure pénale. »

22. Le moyen proposé pour le groupe [6] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en nullité, dit qu'il n'y a pas de cause de nullité dans la procédure jusqu'à la côte D1012, ordonné le retour du dossier de la procédure au juge d'instruction du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence pour poursuite de l'information, alors :

« 1°/ que l'article L8271-6-1 du code du travail prévoit que conformément à l'article 28 du code de procédure pénale, l'article 61-1 du même code est applicable lorsqu'il est procédé à l'audition d'une personne à l'égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction ; qu'en retenant que M. [Z] n'avait pas à être entendu avec les garanties de l'audition libre sans examiner si, lors de son audition, l'administration disposait de raisons plausibles de soupçonner qu'il avait commis une infraction, la chambre de l'instruction, qui a statué par des motifs inopérants tirés de ce que M. [Z] avait été entendu par l'inspection du travail afin d'apporter des éclaircissements nécessaires à l'exercice de sa mission et ne s'était exprimé que sur l'historique de la société, la politique de recrutement et les contrats commerciaux exécutés sur les sites contrôlés, a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés et violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en retenant que M. [Z] n'avait pas à être entendu avec les garanties de l'audition libre lorsqu'il ressortait de sa décision que les auditions sur lesquelles le procès-verbal de constat d'infraction s'est exclusivement fondé avaient déjà été réalisées au jour de l'audition, la chambre de l'instruction a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble avec les articles 61-1 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

23. Les moyens sont réunis.

24. Le moyen est irrecevable, en ce qu'il est soulevé par le groupe [6], dont M. [Z] n'était pas l'organe ou le représentant, au sens de l'article 121-2 du code pénal.

25. Pour écarter le grief pris de la violation de l'article 61-1 du code de procédure pénale lors de l'audition de M. [Z], l'arrêt attaqué énonce que ce dernier a été entendu, par les agents de la DIRECCTE en sa qualité de représentant statutaire en France de la société [1], après avoir été sollicité à cette fin par courrier des enquêteurs, qui souhaitaient obtenir divers documents.

26. Les juges observent qu'au cours de cette rencontre, qui s'est tenue en présence de plusieurs salariés de la société, des documents ont été remis, M. [Z] s'étant exprimé sur l'historique de la société, la politique de recrutement et les contrats commerciaux exécutés sur les sites concernés.

27. Ils ajoutent que M. [Z] n'a pas été entendu sur les éléments constitutifs d'une infraction de travail dissimulé, mais sur le fonctionnement général de la société, comme cela résulte du contenu du procès-verbal d'enquête.

28. Ils en déduisent qu'il ne s'agissait pas d'une audition libre et que l'article 61-1 n'était pas applicable.

29. C'est à tort que la chambre de l'instruction a examiné la régularité de l'audition de M. [Z], en sa qualité de représentant de la société [1], au regard des exigences de l'article 61-1 du code de procédure pénale, à la lumière des seules questions qui lui ont été posées, alors que seule importait l'existence, au moment de cette audition, de raisons plausibles de soupçonner la commission d'une infraction ou de sa tentative par l'intéressé ou la société qu'il représentait.

30. L'arrêt n'encourt cependant pas la censure.

31. En effet, la Cour de cassation, qui a le contrôle des pièces de la procédure, est en mesure de s'assurer qu'au jour de l'audition, il n'existait pas de raisons plausibles de soupçonner la personne entendue ou la société dont elle était l'organe ou le représentant d'avoir commis ou tenté de commettre une infraction.

32. Ainsi, le moyen doit être écarté.

33. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

FIXE à 2 500 euros la somme que la société [1] devra payer à l'Urssaf Provence-Alpes-Côte d'Azur en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

FIXE à 2 500 euros la somme globale que les sociétés [5], [2], [3] et [4] devront payer à l'Urssaf Provence-Alpes-Côte d'Azur en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du seize janvier deux mille vingt-quatre.