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Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 8, 1 février 2024, n° 21/01087

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 21/01087

1 février 2024

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 1er FEVRIER 2024

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01087 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDBZP

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Décembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MELUN - RG n° F 19/00520

APPELANTE

Madame [G] [A]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Dominique OZENNE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0136

INTIMÉE

Société LABORATOIRE D'ESSAIS DE [Localité 1]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 1er Décembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Sandrine MOISAN, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, présidente

Madame Nathalie FRENOY, présidente

Madame Sandrine MOISAN, conseillère, rédactrice

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Isabelle MONTAGNE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [G] [A] a été engagée le 19 octobre 2005 par la société par actions simplifiée Laboratoire d'essais de [Localité 1] (LEM) en qualité d'assistante en gestion commerciale, par contrat de professionnalisation, suivi d'un contrat à durée indéterminée à compter du 3 septembre 2007, la convention collective nationale applicable étant celle des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs conseils et des sociétés de conseils, dite Syntec.

Elle a été promue en qualité de commerciale chargée d'affaires, avec un statut d'agent de maîtrise, puis en qualité de responsable'business unit'.

Le 15 novembre 2016, la société Laboratoire d'essais de [Localité 1] a convoqué Mme [A] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 25 novembre 2016, et par courrier du 1er décembre 2016, lui a notifié son licenciement pour faute grave.

Contestant le bien fondé de son licenciement, Mme [A] a saisi le conseil de prud'hommes de Melun le 21 avril 2017, qui par jugement du 15 décembre 2020 a :

- débouté la salariée de ses demandes au titre de la nullité du licenciement,

- rejeté la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais requalifié celui-ci en licenciement pour motif réel et sérieux,

- fixé le salaire à 6 053,75 euros,

- condamné la société LEM à verser à Mme [A] les sommes suivantes :

- 18 161,25 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 1 816,13 euros au titre des congés payés afférents,

- 20 179,16 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que ces condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision,

- ordonné à la société LEM de remettre à Mme [A] un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes à la présente décision, sous astreinte de 50 euros par jour à partir du 22e jour après notification de ce jugement et dans la limite de 2 mois,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire en dehors de celle qui est de droit en application de l'article R.1454-28 du code du travail,

- rejeté la demande d'affichage du jugement dans les locaux de l'entreprise LEM,

- débouté Mme [A] de ses autres demandes,

-débouté la société LEM de l'ensemble de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société LEM aux dépens,

- rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties.

Par déclaration du 15 janvier 2021, Mme [A] a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions notifiées et remises au greffe par la voie électronique le 6 octobre 2023, Mme [A] demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Melun en date du 15 décembre 2020 en ce qu'il :

- l'a déboutée de ses demandes au titre de la nullité du licenciement,

- l'a déboutée de sa demande de réintégration,

- l'a déboutée de sa demande d'indemnité pour nullité du licenciement correspondant aux salaires depuis la notification de son licenciement jusqu'à sa réintégration effective dans son emploi,

- l'a déboutée de sa demande tendant à la reconnaissance de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement,

- a rejeté la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en conséquence, statuant à nouveau, il est demandé à la cour de :

à titre principal :

- juger que son licenciement est nul et de nul effet comme portant atteinte à une liberté fondamentale de valeur constitutionnelle,

- ordonner sa réintégration dans son emploi,

en conséquence,

- condamner la société Laboratoire d'essais de [Localité 1] à lui verser à une indemnité forfaitaire pour nullité du licenciement correspondant aux salaires depuis la notification de son licenciement jusqu'à sa réintégration effective dans son emploi, soit la somme de 532 075,32 euros arrêtée à titre provisoire au 1er décembre 2023 outre 53 207,53 euros au titre des congés payés y afférents,

subsidiairement, à défaut de réintégration :

- condamner la société Laboratoire d'essais de [Localité 1] à lui verser 121 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul,

très subsidiairement :

- juger que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Laboratoire d'essais de [Localité 1] à lui verser 121 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en tout état de cause :

- assortir les condamnations de l'intérêt au taux légal,

- condamner la société Laboratoire d'essais de [Localité 1] aux dépens et à verser une somme de 3500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Laboratoire d'essais de [Localité 1] aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et remises au greffe par voie électronique le 3 octobre 2023, la société Laboratoire d'essais de [Localité 1] demande à la cour de :

à titre principal :

- infirmer le jugement critiqué en ce qu'il n'a pas retenu que le licenciement de Mme [A] est fondé sur une faute grave,

- ordonner la restitution des sommes versées en exécution provisoire du jugement du 15 décembre 2020 du conseil de prud'hommes de Melun,

- débouter Mme [A] de l'ensemble de ses demandes au titre de la nullité de son licenciement ou d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

à titre subsidiaire :

confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a retenu que le licenciement de Mme [A] repose sur une cause réelle et sérieuse,

à titre infiniment subsidiaire :

- limiter à 6 mois de salaire l'indemnité allouée à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse faute de préjudice prouvé,

- réduire à de plus justes propositions les demandes formulées par l'appelante,

- juger que la réintégration de Mme [A] à son poste est impossible,

- débouter Mme [A] de sa demande de réintégration,

en tout état de cause :

- débouter Mme [A] de sa demande d'affichage du jugement,

- débouter Mme [A] du surplus de ses demandes,

à titre reconventionnel :

- condamner Mme [A] à la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 octobre 2023 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 1er décembre 2023, l'arrêt devant être rendu par mise à disposition au greffe le 1er février 2024.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur le licenciement :

Sur la notification du licenciement pendant la période de suspension

Mme [A] soutient, pour la première fois en cause d'appel, que son licenciement est nul car intervenu pendant une période de suspension du contrat de travail.

La société LEM répond que le licenciement de Mme [A] est intervenu pendant la suspension de son contrat de travail pour maladie non professionnelle, de sorte qu'aucune nullité n'est encourue.

Les dispositions des articles L.1226-9 et L.1226-13 du code du travail en vertu desquelles est nul le licenciement prononcé au cours des périodes de suspension du contrat de travail, sauf s'il est justifié soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de l'impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie, ne concernent que les arrêts maladie d'origine professionnelle ou faisant suite à un accident du travail, ce qui ne résulte nullement des arrêts de travail communiqués par Mme [A].

En conséquence, Mme [A] sera déboutée de sa demande de nullité du licenciement de ce chef.

Sur les motifs du licenciement

La lettre de licenciement adressée à Mme [A] est ainsi rédigée :

'Madame,

Vous avez été embauchée en date du 19 octobre 2005 au sein de la société LEM en contrat de professionnalisation, en qualité d'Assistante en Gestion Commerciale, suivi d'un contrat à durée indéterminée sur le même poste à l'issue de ce contrat le 3 septembre 2007.

Au dernier état, vous exercez les fonctions de Responsable Business Unit CND.

En date du 10 novembre 2016, nous avons été contraints de vous convoquer par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 25 novembre 2016.

A l'occasion de cet entretien, pour lequel vous n'étiez pas assistée, nous avons souhaité recueillir vos explications sur les divers manquements graves et répétés, tant contractuels que professionnels qui vous sont reprochés et que nous vous rappelons ci-après.

§ En premier lieu, à compter du mois d'octobre 2016 nous avons eu à déplorer de votre part, une attitude systématique de dénigrement de votre Direction et ce tant auprès des membres de la Direction, de ses salariés, que de tiers à celle-ci.

À titre d'illustration, à l'occasion du projet CAP LEM 2 X nous avons proposé à l'ensemble des membres du Comité de Direction un projet de nouvel organigramme de l'entreprise.

Cette présentation a été accueillie favorablement par l'ensemble des collaborateurs concernés, lesquels nous ont fait un retour constructif sur le projet d'organigramme.

Malheureusement votre attitude a été bien différente.

Outre le fait que vous avez d'emblée émis une proposition surprenante concernant votre positionnement dans cet organigramme, vous avez surtout pris l'initiative de réorganiser totalement le projet d'organigramme émanant de la Direction, en excluant tous les responsables actuels des services supports de la société au profit des membres de votre équipe, lesquels pour la plupart n'ont pourtant manifestement ni l'expérience ni les qualifications nécessaires pour occuper ces postes de responsables.

Or, à aucun moment il ne vous avait été demandé de réaliser votre propre organigramme de l'entreprise en fonction de vos desiderata, raison pour laquelle nous vous avons immédiatement indiqué qu'il était hors de question d'y faire suite.

Pourtant, lors du Comité de Direction du 10/10/2016 au cours duquel il était prévu d'entériner le projet d'organigramme, vous avez adopté une attitude d'opposition totale et inacceptable à ce projet, en le critiquant publiquement sans justification apparente.

En outre, lors de cette réunion vous avez également dénigré ostensiblement la proposition d'implantation du nouveau site de MOISSY, insinuant que celle-ci ne serait absolument pas pertinente, sans toutefois vous en expliquer.

Plus particulièrement, vous avez critiqué publiquement les décisions prises par le Président de la société, Monsieur [O] [H], ainsi que la Responsable de projet RH, Madame [Z] [U], allant jusqu'à les accuser d'incompétence notoire.

Il est inadmissible que vous vous permettiez de proférer publiquement et de manière agressive des critiques négatives, injustifiées et qui plus est agrémentées d'accusations ad-hominem envers des membres de la Direction et tout particulièrement le Président de la société.

D'ailleurs, vos propos ont profondément choqué les membres du Comité de Direction et ont suscité de vives réactions tenant, d'une part, à votre manque manifeste de loyauté et d'autre part, à la possibilité de réaliser le projet CAP LEM 2X dans pareilles conditions.

Plus incroyable encore, vous avez poursuivi votre campagne de dénigrement à l'encontre du Président de la société, à l'égard des clients de cette dernière et notamment de la société Safran Aircraft Engine.

En effet, ce client s'est plaint de votre comportement visant à critiquer sans cesse les décisions de la Direction et les compétences tant personnelles que professionnelles du Président de la société LEM, ce qui a conduit à une perte de confiance légitime de sa part en notre société.

Un tel comportement en ce qu'il nuit gravement à l'image de l'entreprise et met en péril les relations commerciales entretenues avec ce client est inacceptable.

D'ailleurs, ce comportement est également prégnant vis-à-vis des collaborateurs placés sous votre responsabilité, puisque vous vous permettez également de critiquer les décisions prises par la Direction et de remettre en cause les compétences du Président de l'entreprise devant les salariés placés sous votre responsabilité.

À titre d'exemple, ces derniers manifestement mal informés de la politique managériale et sociale de la Direction, ont refusé de compléter un questionnaire participatif proposé par la société pourtant destiné à définir des valeurs communes à l'entreprise.

Il est bien évident qu'une entreprise ne peut pas conserver dans ses effectifs un collaborateur qui tient de pareils propos et adopte une telle attitude de dénigrement des membres de la Direction lesquels emportent des conséquences gravement préjudiciables pour la société en termes de management et d'image.

A fortiori, lorsqu'en votre qualité de « Responsable de BU », vous occupez un poste à haute responsabilité, impliquant nécessairement une loyauté totale envers l'entreprise et une discipline exemplaire vis-à-vis des membres de la Direction et des salariés de l'entreprise.

§ En deuxième lieu, au mois d'octobre 2016, nous avons découvert que vous aviez sciemment imposé des objectifs commerciaux à vos équipes contraires à ceux fixés par l'entreprise.

En effet, vous avez fixé à votre équipe une cible d'objectifs de 30 % de marge au lieu des 10% préconisés par la Direction.

Ce taux de marge de 30 % est pourtant contraire au niveau de prix du marché ' 20 à 25% inférieur aux offres établies selon vos critères et a nécessairement impacté le chiffre d'affaires de la société.

Aussi, cette insubordination manifeste de votre part est d'autant plus grave pour la société qu'elle aurait pu mettre en péril les relations commerciales avec nos clients dans la mesure où ce taux de marge de 30% ne correspond ni au prix du marché, ni aux attentes des clients.

Cette décision de votre part est constitutive d'un acte d'insubordination juridique manifeste par rapport aux consignes pourtant claires de la Direction, ce qui est d'autant plus inacceptable que ce n'est pas la première fois que vous prenez des initiatives risquées pour l'entreprise et contraires aux préconisations de la Direction.

A titre d'illustration, nous avons constaté que, concernant vos équipes, les temps de référence nécessaires au calcul des coûts sont proposés par les techniciens eux-mêmes lesquels n'ont pourtant aucune notion de challenge et de prix objectifs, ainsi que vous le savez pertinemment.

Or, il appartient normalement au service Méthodes de l'entreprise, rattaché à votre Business Unit, de définir les gammes et les temps de référence.

De même, nous avons constaté que si vous communiquez les taux horaires référence à vos équipes, vous vous abstenez sciemment de leur préciser à quoi ils correspondent, ainsi que la marge de manoeuvre dont ils disposent, alors même que ces précisions sont essentielles et que vous avez déjà été rappelée verbalement à l'ordre par la Direction lors du Comité de Direction du 10/10/2016. En effet, si les personnes en charge des chiffrages ne comprennent pas la structure de coûts et les marges de manoeuvre, cela rend quasiment impossible toute négociation.

Cette insubordination réitérée dans l'exercice de vos fonctions en ce qu'elle impacte nécessairement le travail de l'ensemble des collaborateurs placés sous votre responsabilité et met en péril les relations commerciales entretenues avec les clients de la société, ne peut plus être acceptée dans l'entreprise et ne correspond pas au comportement que nous attendons de nos collaborateurs.

En troisième et dernier lieu, nous avons à déplorer de votre part un comportement non professionnel à l'égard de vos collaborateurs, lesquels déplorent une organisation et une ambiance de travail délétères.

En effet, plusieurs collaborateurs de votre équipe rapportent un manque d'encadrement dans l'organisation de leur travail, les objectifs de travail n'étant pas fixés et vos consignes de travail étant souvent contradictoires.

En outre, certains de vos collaborateurs nous ont fait part des critiques souvent injustifiées que vous formulez à leur endroit et ce parfois publiquement, ainsi que des pressions régulièrement exercées sur eux.

Ce faisant vous avez créé un climat de travail défavorable pour vos collaborateurs lesquels subissent au quotidien une véritable désorganisation faute de consignes managériales claires.

Cette carence dans le management de vos collaborateurs constitue un manquement grave à vos obligations contractuelles en ce qu'en votre qualité de « Responsable BU CND » les fonctions de management de vos équipes sont inhérentes à votre contrat de travail.

Aussi et compte tenu de l'ensemble de ces griefs, nous sommes contraints de prendre la décision de procéder à la rupture de votre contrat de travail et vous notifions ainsi par la présente votre licenciement pour faute grave privatif d'indemnités de licenciement et de préavis.(...)'

Mme [A] soutient que son licenciement est nul, affirmant avoir été licenciée en raison de ses positions critiques vis-à -vis de plusieurs projets de la société, sans qu'aucun abus dans l'exercice de sa liberté d'expression ne puisse lui être reproché, et alors même qu'aucune faute grave ne peut être caractérisée à son encontre, et subsidiairement, que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, la société Laboratoire d'essais de [Localité 1] n'apportant la preuve d'aucun grief.

La société Laboratoire d'essais de [Localité 1] répond que le licenciement de Mme [A] pour faute grave est justifié, et repose sur trois motifs, le premier étant fondé sur un dénigrement systématique de la direction à l'égard tant des salariés que des tiers, caractérisant un abus de sa liberté d'expression, le second étant relatif à un acte d'insubordination majeur de la salariée, et le troisième consistant en de graves manquements dans le management de son équipe, allant jusqu'à exercer de lourdes pressions sur les salariés placés sous sa responsabilité.

Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

La faute grave, qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire, résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise; il appartient à l'employeur d'en rapporter la preuve.

Il résulte de l'article L.1121-1 du code du travail et de l'article 10 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que, sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

Il résulte de la lettre de licenciement que la société LEM formule trois griefs à l'égard de Mme [A], à savoir une attitude systématique de dénigrement de la direction, une insubordination, et un manque d'encadrement de son équipe.

Sur l'attitude de dénigrement systématique

Il est reproché à Mme [A] d'avoir à compter d'octobre 2016 adopté une attitude de dénigrement systématique de la direction tant à l'égard des membres de cette dernière, mais également des salariés et des tiers.

A l'appui de ce grief, la société LEM communique un courriel du 30 octobre 2016 adressé au responsable des ressources humaines de la société, à Mme [T] [N], responsable administrative et financière, à M. [S] [V] (à cette époque responsable 'business unit') et à M. [O] [H] (directeur général), aux termes duquel elle reproche à ce dernier de ne lui avoir adressé aucun compte-rendu de réunion relatif au dossier Safran, et d'être parti en vacances à partir du 22 juillet 2016 sans laisser aucune donnée et sans être 'joignable'.

Dans un courriel du 2 novembre 2016 adressé à Mme [A], M. [W], de la société Safran Aircraft Engines, cliente de la société LEM, indique 'j'étais très touché de ton état la dernière fois au téléphone. J'aurais jamais imaginé cela de la part de [O] (...)'

Ces courriels établissent que Mme [A] fait ouvertement part de ses critiques à l'égard du directeur général de la société et supérieur hiérarchique, tant auprès de responsables au sein de la société, que d'un client.

L'employeur communique par ailleurs une attestation du 15 janvier 2020, aux termes de laquelle Mme [N], explique qu'entre 2015 et 2016, 'lors des réunions du CODIR, les membres du CODIR étaient tour à tour dénigrés et qualifiés d'incompétents par Mme [A] jusqu'au président de la société', qu'elle a elle-même 'fait l'objet de telles critiques étant accusée d'incompétence sur la gestion du CA non facturé alors même qu'elle était en relation directe avec le client SAFRAN', que lors du CODIR du 10 octobre 2016, Mme [A] a 'une nouvelle fois dénigré un membre du CODIR, Mme [U], responsable de projet RH, la qualifiant d'incompétente', 'que ceci créait un climat délétère et une mauvaise ambiance au sein du CODIR', que de plus Mme [A] faisait pression sur Mme [E] [C], responsable des achats sous sa direction, pour qu'elle rejoigne sa propre équipe, en indiquant qu'elle ne progresserait jamais sous sa direction, que face à son refus, elle dénigrait Mme [E] auprès de M.[H] et d'autres collaborateurs, Mme [E] pleurant souvent face à ces critiques.

Dans un courriel du 3 mai 2017, Mme [E] confirme que Mme [A] lui a, d'une part, demandé de venir dans son équipe, d'autre part, dit à plusieurs reprises qu'elle n'aurait jamais de promotion et que son travail n'avancerait pas avec Mme [N]. Elle évoque également des réflexions quotidiennes et régulières de la part de Mme [A], par exemple sur ses chaussures de sécurité, et précise qu'elle ne répondait plus à ses mails, et avait repris certaines de ses tâches.

M. [V], directeur général, explique quant à lui, dans une attestation du 26 février 2020, avoir été témoin d'un comportement de dénigrement de la part de Mme [A] envers des salariés de LEM à diverses occasions au sein de l'entreprise, notamment au cours d'un comité de direction (CODIR) lors duquel elle s'en est pris ouvertement à Mme [N] alors 'responsable financier et RH' en la qualifiant devant tous d'incompétente, et lui reprochant plusieurs choses malgré l'absence de lien hiérarchique entre elles. Il ajoute avoir été témoin de faits identiques envers Mme [K], 'responsable QSE' ou Mme [U], le tout ayant eu pour conséquence de dégrader fortement les relations au CODIR, mais aussi le climat au sein des équipes de LEM.

Aucun élément de la procédure ne permet de remettre en cause la sincérité et l'objectivité de ces témoignages, qui mettent en exergue une attitude de dénigrement de la part de Mme [A] à l'égard de salariés et dirigeants de l'entreprise, et un abus de sa liberté d'expression, dès lors qu'en qualifiant d'incompétents les membres du CODIR dont Mme [U], Mme [N] et Mme [K], elle a émis une appréciation injurieuse, constitutive d'une faute dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail, son droit à la liberté d'expression ayant ainsi dégénéré en abus.

Si la progression de la salariée dans l'entreprise, ainsi que ses qualités professionnelles ont été régulièrement soulignées avant juillet 2016, notamment dans les courriels de M. [H], dans les récapitulatifs de carrière, de plan de carrière prévisionnel, et de contrat d'objectif, ainsi que dans les comptes-rendus d'entretien professionnel, il n'en demeure pas moins qu'il résulte de ce qui précède que son comportement s'est fortement dégradé au point qu'elle a tenu des propos injurieux à l'égard de plusieurs membres du CODIR lors de la réunion du 10 octobre 2016, ce qui a créé un climat de crainte et de tension.

D'ailleurs, dans la proposition d'organigramme qu'elle a communiquée à M. [H] par courriel du 9 septembre 2016, elle relève elle-même des problèmes, puisqu'elle écrit à son sujet :

-'conflits avec les autres membres du CODIR engendrant des difficultés à travailler en équipe (ceci est dû aux différentes sources d'intérêt des personnes : la mienne étant avant tout l'évolution et la pérennisation de l'entreprise avant mon évolution personnelle),

- manque de tolérances pouvant aller jusqu'à l'ignorance,

- difficulté à donner ma confiance,

- peur de l'ennui.'

Il résulte de ce qui précède que le dénigrement systématique invoqué par l'employeur dans le courrier de licenciement est établi, et que ce dernier a sanctionné l'abus de Mme [A] dans l'exercice de sa liberté d'expression, de sorte qu'elle ne peut invoquer le caractère illicite du motif de licenciement.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes de prononcé de la nullité de licenciement pour atteinte à une liberté fondamentale de valeur constitutionnelle, de réintégration, d'indemnité forfaitaire pour nullité du licenciement et d'indemnité pour licenciement nul formulée subsidiairement, à défaut de réintégration.

Sur le grief d'insubordination

La société LEM reproche, d'une part, la décision de la salariée d'imposer à son équipe un taux de marge de 30% au lieu des 10% préconisés par la direction, d'autre part, la communication des taux horaires de référence à ses équipes sans préciser à quoi ils correspondent, ni la marge de manoeuvre dont ils disposent.

Pour contester ces griefs, la salariée prétend qu'ils ne sont pas établis et prescrits dès lors notamment que l'employeur était mensuellement informé des indicateurs.

L'employeur se fonde sur le compte-rendu d'entretien du 28 juillet 2016 entre la responsable des ressources humaines et Mme [A] aux termes duquel est pointé un défaut d'accompagnement des techniciens de sa part.

Cependant, ni ce document ni aucun autre élément de la procédure n'établit que Mme [A] aurait imposé à son équipe un taux de marge différent de celui préconisé par la direction, ou manqué de précision lors de la communication des taux horaires, de sorte que ce grief n'est pas établi.

Sur le comportement non professionnel à l'égard de ses collaborateurs

Mme [A] prétend que ce grief, non daté, est prescrit et ne peut ainsi être retenu.

Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Dès lors que les faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de ces poursuites.

La prise en compte d'un fait antérieur à deux mois peut cependant intervenir pour fonder la lettre de licenciement si le comportement du salarié s'est poursuivi dans ce délai.

Le compte-rendu d'entretien du 28 juillet 2016 entre Mme [U], responsable des ressources humaines, et Mme [A] révèle que des entretiens individuels avec quatre personnes de son équipe ont mis en exergue une ambiance de travail dégradée, des non-dits, une expression de 'ras-le-bol' des équipes, une expression d'un sentiment général des techniciens de ne pas être écoutés malgré leurs alertes à propos de la dégradation de leur environnement de travail, Mme [A] ayant répondu à ce sujet qu'elle était 'surprise de l'ampleur des événements'.

Dans le cadre de cet entretien, Mme [U] a proposé à la salariée une collaboration ayant pour objectif notamment de 'montrer la prise en compte des revendications des équipes', et 'les capacités de dialogue dans l'entreprise', et de 'définir des règles, moyens et espaces de communication', Mme [A] reconnaissant ses difficultés, avoir 'l'impression de toujours jouer le rôle de la méchante', se sentir 'perdue' et ne plus savoir comment 'communiquer avec les techniciens'.

Le soutien apporté à Mme [A] par une de ses collègues, Mme [F], aux termes d'un courriel du 13 octobre 2016, ne permet pas de remettre en cause les difficultés exprimées par les autres personnes de son équipe, qui ont en outre été relayées par le délégué du personnel dans le cadre d'une question officielle à l'entreprise.

Si les problèmes d'encadrement et de communication de Mme [A] avec son équipe sont essentiellement mis en exergue dans le compte-rendu d'entretien du 28 juillet 2016, le courriel de Mme [E] du 3 mai 2017, les attestations de Mme [N] et de M. [V] et le propre courriel de Mme [A] du 9 septembre 2016 relatif au projet d'organigramme révèlent qu'ils ont perduré et que le comportement de la salariée s'est poursuivi.

Il convient ainsi de relever que dans ce projet d'organigramme la salariée relève un 'manque de confiance de l'équipe', des 'non-dits allant jusqu'à l'explosion', une 'prise de décisions non adaptées', une 'incompréhension'.

Dans ces conditions le moyen tiré de la prescription de ce fait fautif sera rejeté.

Il s'ensuit que les griefs de dénigrement systématique et de comportement non professionnel à l'égard de ses collaborateurs à l'origine d'une ambiance de travail délétère et d'un climat de crainte et de tensions sont établis.

Cependant, le comportement de Mme [A] ne s'étant dégradé qu'en 2016, après onze ans de collaboration sans reproche à son égard, il doit être retenu, à l'instar des premiers juges, qu'il s'agit d'une cause réelle et sérieuse de licenciement, et non d'une faute grave rendant impossible le maintien de la salariée dans l'entreprise pendant la durée du préavis.

Dans ces conditions, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse, débouté Mme [A] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et lui a alloué les sommes suivantes non critiquées dans leurs montants :

- 18161, 25 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 1816, 13 euros au titre des congés payés afférents,

- 20179, 16 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement.

La société LEM sera déboutée de sa demande visant à ordonner la restitution des sommes versées en exécution provisoire du jugement déféré à la cour.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Eu égard à la solution du litige, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné la société LEM aux dépens et à payer à Mme [A] la somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles.

Il sera fait masse des dépens d'appel qui seront supportés par moitié par chacune des parties, leurs demandes au titre des frais irrépétibles d'appel étant par ailleurs rejetées.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

DÉBOUTE Mme [G] [A] de sa demande de nullité du licenciement pour notification pendant la période de suspension du contrat de travail,

DÉBOUTE la société Laboratoire d'Essais de [Localité 1] de sa demande visant à ordonner la restitution des sommes versées en exécution provisoire du jugement,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles d'appel,

MET à la charge de chacune des parties la moitié des dépens de la procédure d'appel,

REJETTE les autres demandes des parties.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE