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Décisions

CA Douai, ch. 8 sect. 3, 25 janvier 2024, n° 22/02813

DOUAI

Arrêt

Autre

CA Douai n° 22/02813

25 janvier 2024

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 8 SECTION 3

ARRÊT DU 25/01/2024

N° de MINUTE : 24/64

N° RG 22/02813 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UKNK

Jugement rendu le 12 Mai 2022 par le Juge de l'exécution de Béthune

APPELANT

Monsieur [U] [G] [P] [I]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Eric Laforce, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

INTIMÉE

Caisse Régionale de Crédit Agricole Nord de France

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Eric Devaux, avocat au barreau de Béthune, avocat constitué

DÉBATS à l'audience publique du 07 décembre 2023 tenue par Sylvie Collière magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Ismérie Capiez

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Sylvie Collière, président de chambre

Catherine Convain, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Catherine Ménegaire, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 25 janvier 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Sylvie Collière, président et Ismérie Capiez, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par acte notarié du 1er septembre 2009, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France (le Crédit agricole) a consenti à M. [U] [I] un prêt professionnel d'un montant de 123 000 euros remboursable en 180 mois, au taux d'intérêt nominal de 5,06 % l'an, en vue de l'acquisition d'un bien immobilier situé [Adresse 7] à [Localité 9], cadastré section AB n° [Cadastre 4] et [Cadastre 6] pour une contenance totale de 1 a 30 ca, à hauteur de 68 000 euros, le surplus étant destiné au financement des frais liés à cette acquisition et de travaux.

Le remboursement de ce prêt était garanti par le privilège du prêteur de deniers et une hypothèque conventionnelle sur l'immeuble financé, respectivement publiés au 1er bureau du service de la publicité foncière de [Localité 8] 1 le 22 octobre 2009, volume 2009 V n° 2597 et 2009 et V n° 2596.

Par acte en date du 11 mars 2019, le Crédit agricole a fait signifier à M. [I], en vertu de la copie exécutoire de l'acte du 1er septembre 2009, un commandement de payer valant saisie immobilière de l'immeuble susvisé, en vue du recouvrement d'une créance de 124 099,49 euros en principal, intérêts et frais.

Ce commandement a été publié le 10 avril 2019 au 1er bureau du service de la publicité foncière de [Localité 8] 1 sous les références volume 2019 S n° 12.

Par actes en date du 20 mai 2019, le Crédit agricole a fait assigner M. [I] à l'audience d'orientation devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire) de Béthune.

Par ordonnance en date du 12 décembre 2019, l'affaire a fait l'objet d'un retrait du rôle.

L'affaire ayant été remise au rôle le 15 mars 2021, le juge de l'exécution du tribunal Béthune, a, par jugement contradictoire en date du 12 mai 2022 :

- constaté que le créancier poursuivant, titulaire d'une créance liquide et exigible, agit en vertu d'un titre exécutoire ;

- constaté que la saisie pratiquée porte sur des droits saisissables ;

- débouté M. [I] de ses contestations et demandes incidentes ;

- dit que la créance du créancier poursuivant s'élève à 124 099,49 euros en principal, frais, intérêts et autres accessoires au jour du jugement ;

- ordonné la vente forcée de l'immeuble saisi à un prix minimal de 50 000 euros comme dit au cahier des conditions de vente ;

- fixé la date de l'audience de vente au 8 septembre 2022 et autorisé la visite de l'immeuble par l'intermédiaire de la Selarl Acte & Ose, huissiers de justice associés à [Localité 8], avec le concours de la force publique et d'un serrurier si nécessaire, dans les quinze jours précédant la vente ;

- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de vente.

Par déclaration adressée par la voie électronique le 10 juin 2022, M. [I] a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions.

Après avoir été autorisé à assigner à jour fixe par ordonnance de la présidente de chambre déléguée par le premier président du 21 juin 2022, sur la requête qu'il avait présentée le 20 juin 2022, il a, par acte du 28 juin 2022, fait assigner la Caisse régionale de crédit agricole nord de France pour le jour fixé.

Aux termes de ses dernières conclusions du 6 décembre 2023, M. [I] demande à la cour d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et en conséquence de :

- réduire à 1 euro l'indemnité conventionnelle de 7 % et à 1 euro les intérêts contractuels de retard ;

ou à tout le moins,

- rectifier le décompte de la banque en constatant que celle-ci réclame deux fois les intérêts de retard, et qu'en tout cas le décompte produit ne permet pas de déterminer quel est le montant des intérêts conventionnels et quel est le montant des intérêts de retard ;

en conséquence,

- ordonner au Crédit agricole de produire un décompte conforme ;

A défaut,

- fixer la créance du Crédit agricole aux sommes suivantes :

* principal 7 346,25 euros,

* intérêts 450,40 euros,

TOTAL 7 796,65 euros

* à déduire la somme de 6 000 euros versée le 18 avril 2023

TOTAL 1 796,65 euros ;

- l'autoriser à s'acquitter du solde de la somme de 1 796,65 euros, en 3 mensualités,

Si par extraordinaire le décompte du Crédit agricole devait être retenu en tout ou partie,

- l'autoriser à s'acquitter du solde de la créance en 23 mensualités de 700 euros, le solde à la 24ème mensualité ;

- débouter le Crédit agricole de toutes ses demandes contraires aux présentes ;

- condamner le Crédit agricole à lui payer la somme de 1800 euros au titre de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 27 novembre 2023, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France demande à la cour, sur le fondement des articles R. 322-15 et suivants du code des procédures civiles d'exécution et 1231-5 du code civil, de :

- débouter M. [I] de toutes ses demandes ;

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré, sauf à fixer sa créance à 36 395,87 euros en principal, intérêts et indemnités arrêtée à la date du 21 septembre 2023 ;

- condamner M. [I] aux frais et dépens de l'instance, ainsi qu'au paiement de la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par message adressé par la voie électronique le 11 décembre 2023, la cour a invité les parties à faire en cours de délibéré et au plus tard le 20 décembre 2023, dans l'hypothèse où il ne serait pas fait droit à la demande principale de M. [I], ou seulement en partie, toutes observations utiles, au regard des dispositions de l'article R. 311-5 du code des procédures civiles d'exécution sur les demandes subsidiaires de M. [I] tendant à :

- voir rectifier le décompte de la banque en constatant que celle-ci réclame deux fois les intérêts de retard, et qu'en tout cas le décompte produit ne permet pas de déterminer quel est le montant des intérêts conventionnels et quel est le montant des intérêts de retard ;

- en conséquence, voir ordonner au Crédit agricole de produire un décompte conforme;

- à défaut, voir fixer la créance du Crédit agricole aux sommes suivantes :

* principal 7 346,25 euros,

* intérêts 450,40 euros,

TOTAL 7 796,65 euros

* à déduire la somme de 6 000 euros versée le 18 avril 2023

TOTAL 1 796,65 euros

- se voir autoriser à s'acquitter du solde la somme de 1 796,65 euros en trois mensualités ;

dans la mesure où seule la demande principale tendant à voir réduire l'indemnité conventionnelle à un euro et les intérêts de retard à un euro avait été formulée en première instance.

Elle a par ailleurs invité le Crédit agricole, dans le même délai, à s'expliquer sur les raisons pour lesquelles l'acompte de 6 000 euros du 18 avril 2023 n'a pas été déduit du montant de la créance, et, le cas échéant, à produire un nouveau décompte qui en tient compte.

Par courrier du 19 décembre 2023, le Crédit agricole a adressé un nouveau décompte arrêté au 12 décembre 2023, intégrant le règlement de 6 000 euros perçu le 20 octobre 2023.

Par courrier du 20 décembre 2023, M. [I] a indiqué maintenir les termes de ses écritures à défaut d'explications claires et précises de la banque qui verse aux débats un décompte erroné mentionnant en particulier que le règlement de 6 000 euros a été comptabilisé le 20 octobre 2023 alors que le virement a été émis du compte CARPA le 17 avril 2023.

MOTIFS

Sur la demande principale de réduction des clauses pénales :

Selon l'article 1152 du code civil dans sa rédaction applicable au litige, lorsque la convention porte que celui qui manquera de l'exécuter payera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte, ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Toute stipulation contraire sera réputée non écrite.

Il n'est pas contestable, ni d'ailleurs contesté par la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France que l'indemnité forfaitaire de 7 % prévue par les conditions générales du contrat de prêt dans l'hypothèse où, pour parvenir au recouvrement de sa créance, le prêteur devrait exercer des poursuites est une clause pénale de même que s'analyse également en une clause pénale, la clause figurant dans les mêmes conditions générales majorant de quatre points le taux des intérêts contractuels en cas de défaillance de l'emprunteur.

En l'espèce, la majoration du taux d'intérêt de près de 80 % portant ce dernier de 5,06 % à 9,06 %, qui a permis au prêteur de percevoir depuis le 11 septembre 2018, date de la déchéance du terme, un surplus d'intérêts substantiel, est de nature à compenser amplement le préjudice découlant pour le prêteur de l'absence d'exécution du prêt jusqu'à son terme et celui résultant de la nécessité d'avoir recours à une procédure de saisie immobilière pour recouvrer sa créance.

Le montant de la clause résultant du cumul de l'indemnité de 7 % et de la majoration du taux d'intérêt contractuel est ainsi manifestement excessif compte tenu du préjudice subi par le créancier poursuivant et il convient de réduire la clause pénale au titre de l'indemnité de 7%, mentionnée pour 7 708,60 euros, à la somme d'un euro, en maintenant en revanche la majoration du taux de l'intérêt conventionnel.

Sur les demandes subsidiaires de M. [I] :

Selon l'article R. 311-5 du code des procédures civiles d'exécution 'à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, aucune contestation ni aucune demande incidente ne peut, sauf dispositions contraires, être formée après l'audience d'orientation prévue à l'article R. 322-15 à moins qu'elle porte sur les actes de procédure postérieurs à celle-ci. Dans ce cas, la contestation ou la demande incidente est formée dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'acte.'

Si M. [I] a réitéré devant la cour sa demande formée en première instance tendant à réduire à 1 euro l'indemnité conventionnelle de 7 % et à 1 euro les intérêts contractuels de retard, il a ajouté dans ses dernières écritures des demandes subsidiaires tendant à :

- voir rectifier le décompte de la banque en constatant que celle-ci réclame deux fois les intérêts de retard, et qu'en tout cas le décompte produit ne permet pas de déterminer quel est le montant des intérêts conventionnels et quel est le montant des intérêts de retard ;

- en conséquence, voir ordonner au Crédit agricole de produire un décompte conforme ;

- à défaut, voir fixer la créance du Crédit agricole aux sommes suivantes :

* principal 7 346,25 euros,

* intérêts 450,40 euros,

TOTAL 7 796,65 euros

* à déduire la somme de 6 000 euros versée le 18 avril 2023

TOTAL 1 796,65 euros

- se voir autoriser à s'acquitter du solde la somme de 1 796,65 euros en trois mensualités.

Ces demandes, formées pour la première fois devant la cour, alors que les sommes contestées soit 14 004,27 euros au titre des intérêts normaux et 6 885,75 euros au titre des intérêts de retard étaient mentionnées sur le commandement aux fins de saisie du 11 mars 2019, doivent être déclarées irrecevables.

Sur le montant de la créance :

Le décompte arrêté au 12 décembre 2023, adressé par le Crédit agricole en cours de délibéré, intègre bien un dernier règlement effectué par M. [I] pour un montant de 6 000 euros. Toutefois, ce versement est comptabilisé à la date du 20 octobre 2023 alors qu'il résulte du relevé de compte de la CARPA produit par M. [I] que le virement a été effectué sur le compte de l'avocat du Crédit agricole le 17 avril 2023. Il convient donc de rectifier le décompte de la banque en tenant compte de cette date pour le calcul des intérêts.

En conséquence, la créance, arrêtée au 12 décembre 2023, déduction faite d'acomptes réglés pour un montant total de 121 231,19 euros depuis la déchéance du terme du 11 septembre 2018, s'élève à :

- principal 1 512,19

- intérêts normaux et de retard à la déchéance du terme 20 890,62

- indemnité de 7 % 1,00

- intérêts de retard au taux majoré de 9,06 %

du 18/04/2023 au 12/12/2023 89,71

soit un total de 22 493,52 euros

Sur la demande de délais de paiement :

En application des articles 510 du code de procédure civile et R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution a compétence pour accorder, après signification d'un commandement ou d'un acte de saisie, un délai de grâce.

Selon l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Force est de constater que devant le premier juge, un retrait du rôle a été ordonné le 12 décembre 2019 pendant plus d'une année et que devant la cour, l'affaire a été renvoyée à plusieurs reprises pour permettre à M. [I] de régler le Crédit agricole. Il en résulte que le débiteur a, de fait, obtenu les délais de paiement qu'il sollicite, pour une durée d'ailleurs bien supérieure à la durée de deux ans fixée par l'article 1343-5 susvisé puisque le commandement aux fins de saisie immobilière a été délivré le 11 mars 2019.

Il convient donc de confirmer le jugement déféré qui a rejeté la demande de délais de paiement.

Le jugement déféré sera ainsi confirmé en l'ensemble de ses dispositions, sauf en ce qui concerne le montant de la créance qui devra être réduit comme il est mentionné ci-dessus.

L'affaire sera renvoyée pour la poursuite de la procédure de saisie immobilière devant le juge de l'exécution de Béthune qui fixera la date de l'audience d'adjudication et déterminera les modalités de la vente.

Sur les dépens d'appel et l'article 700 du code de procédure civile :

Partie perdante, M. [I] sera condamné aux dépens d'appel.

Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge du Crédit agricole les frais non compris dans les dépens qu'il a été contraint d'exposer devant la cour.

PAR CES MOTIFS

Déclare irrecevables les demandes subsidiaires de M. [U] [I] tendant

à :

- voir rectifier le décompte de la banque en constatant que celle-ci réclame deux fois les intérêts de retard, et qu'en tout cas le décompte produit ne permet pas de déterminer quel est le montant des intérêts conventionnels et quel est le montant des intérêts de retard ;

- voir ordonner en conséquence au Crédit agricole de produire un décompte conforme ;

- à défaut, voir fixer la créance du Crédit agricole aux sommes suivantes :

* principal 7 346,25 euros,

* intérêts 450,40 euros,

TOTAL 7 796,65 euros

* à déduire la somme de 6 000 euros versée le 18 avril 2023

TOTAL 1 796,65 euros

- se voir autoriser à s'acquitter du solde la somme de 1 796,65 euros en trois mensualités.

Infirme le jugement déféré mais seulement en ce qu'il a fixé la créance du créancier poursuivant à la somme de 124 099,49 euros en principal, frais, intérêts et autres accessoires au jour du jugement ;

Statuant à nouveau sur le chef infirmé,

Fixe le montant de la créance de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France à la somme de 22 493,52 euros en principal, indemnité et intérêts à la date du 12 décembre 2023;

Confirme le jugement déféré sur le surplus ;

Renvoie l'affaire pour la poursuite de la procédure de saisie immobilière devant le juge de l'exécution de Béthune qui fixera la date de l'audience d'adjudication et déterminera les modalités de la vente.

Déboute la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [U] [I] aux dépens d'appel.

Le greffier, Le président,

Ismérie CAPIEZ Sylvie COLLIERE