CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 7 février 2024, n° 22/02149
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Tecnimed Srl (Sté)
Défendeur :
Laboratoire Marque Verte (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
M. Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Dauchel, Me Gaslini, Me Morin, Me Grappotte-Benetreau
FAITS ET PROCÉDURE
La société de droit italien Tecnimed a pour activité la conception et la production de produits pour les soins personnels et la protection de la santé, notamment d'appareils électriques, électroniques et électro-médicaux, également pour le compte d'autrui, et/ou le commerce de détail de ces produits.
La société Laboratoire Marque Verte (ci-après dénommée "LMV") a été constituée par des pharmaciens souhaitant, d'une part, disposer d'une marque spécialisée dans le bien-être, l'hygiène et le soin et, d'autre part, distribuer des produits relevant de ce champ.
De 2007 à 2012, la société LMV a entretenu des relations commerciales avec un grossiste en produit pharmaceutiques et parapharmaceutiques, la société Magnien. Figuraient, parmi les produits commandés, un modèle de thermomètres médicaux Tecnimed dont Magnien était le distributeur exclusif en France.
A compter de 2012, la société LMV est entrée en lien avec Tecnimed, à laquelle elle a passé successivement cinq commandes, donnant lieu le 8 mars 2013 et 21 mars 2014 à facturation de stick anti-moustiques et le 31 juillet 2014, le 31 octobre 2014 et le 4 décembre 2014 à facturation de thermomètres sans contact VisioTemp de marque de distributeur LMV.
En avril 2015, LMV a confirmé par mail la commande de 3 000 unités dans les conditions détaillées par la facture pro-forma 4670 et a procédé au virement de l'acompte le 30 avril 2015, les produits lui étant livré dès que possible.
En juillet 2015, la société Tecnimed a sollicité de la société LMV le paiement d'une autre commande qu'elle disait avoir passé le 8 avril 2015 et portant sur 6.000 autres thermomètres VisioTemp, ainsi que les accessoires d'emballage personnalisé correspondants, à livrer le 1er septembre 2015, pour un montant total de 113.760 euros.
Par mail du 19 aout 2015, la société LMV lui a indiqué qu'au vu stock existant des ventes et du niveau de préventes pour l'hiver, beaucoup plus basses que celles de l'année passée, elle ne pouvait confirmer la commande.
Les parties ont cessé tout échange à son sujet. Il n'y a pas eu de commande postérieure.
Le 24 octobre 2016, LMV a reçu un courriel de Tecnimed mentionnant "n'avoir aucune nouvelle [de LMV] depuis longtemps pour ce qui concerne notre produit VisioTemp".
Le 26 octobre 2016, LMV lui a répondu "Pour information, nous arrêtons la distribution de VisioTemp".
Par acte du 2 octobre 2018, la société Tecnimed a assigné la société Marque Verte devant le tribunal de commerce de Nancy pour obtenir le paiement de la commande d'avril 2015 portant sur 6.000 thermomètres VisioTemp ainsi que le versement de dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies.
Par jugement du 7 octobre 2021, le tribunal de commerce de Nancy a :
- dit n'avoir lieu à écarter la pièce n° 30 de la société Tecnimed,
- déclaré la société Tecnimed mal fondée en sa demande de paiement au titre de la facture de six mille thermomètres et l'en a débouté,
- déclaré la société Tecnimed mal fondée en sa demande de dommages intérêts au titre des pénalités de retard et l'en a débouté,
- déclaré la société Tecnimed mal fondée en sa demande indemnitaire au titre des frais de stockage et l'en a débouté,
- déclaré la société Tecnimed mal fondée en sa demande de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale des relations établies et l'en a débouté,
- condamné la société Tecnimed aux dépens,
- condamné la société Tecnimed à payer à la société LMV la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 26 janvier 2022, la société Tecnimed a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 4 décembre 2023, la société Tecnimed demande à la Cour de :
Vus les articles 1121, 1583, 1591, 1650 du code civil ;
Vus les articles 1142 et 1147 anciens du code civil ;
Vus les articles L. 441-6 (devenu L. 441-10) et L. 442-6, I, 5° (devenu L. 442-1, II) anciens du code de commerce ;
Vu l'article L. 110-3 du code de commerce ;
Vus les articles 11, 14, 18, 20, 23, 24, 53, 54, 60, 61, 62, 78 et 85 de la Convention de Vienne ;
Vus les articles 563 et 700 du code de procédure civile ;
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nancy en date du 7 octobre 2021 en ce qu'il dit n'avoir lieu à écarter la pièce n° 30 de la SARL Tecnimed ;
Infirmer ce jugement en ce qu'il :
- Déclare la SARL Tecnimed mal fondée en sa demande de paiement au titre de la facture de six mille thermomètres,
- Déclare la SARL Tecnimed mal fondée en sa demande de dommages intérêts au titre des pénalités de retard, l'en déboute,
- Déclare la SARL Tecnimed mal fondée en sa demande indemnitaire au titre des frais de stockage, l'en déboute,
- Déclare la SARL Tecnimed mal fondée en sa demande de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale des relations établies, l'en déboute,
- Condamne la SARL Tecnimed aux dépens du jugement,
- Condamne la SARL Tecnimed à payer à la SA LMV la somme de 5 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Et statuant à nouveau :
- Sur la formation du contrat de vente entre les parties :
A titre principal :
Constater qu'en application de la Convention de Vienne et du droit français le bon de commande de Marque Verte en date du 8 avril 2015 constitue une offre ferme et précise acceptée par Tecnimed par l'envoi de la facture Tecnimed n° 4671 du 28 avril 2015 ;
A titre subsidiaire :
Constater qu'en application de la Convention de Vienne et du droit français le bon de commande de Marque Verte en date du 8 avril 2015 constitue une proposition de conclure un contrat ;
Constater qu'en application de la Convention de Vienne et du droit français la facture Tecnimed n° 4671 du 28 avril 2015 constitue une offre ferme et précise ;
Constater qu'en application de la Convention de Vienne et du droit français le courriel de Marque Verte en date du 29 avril 2015 constitue une contre-offre ;
Constater qu'en application de la Convention de Vienne et du droit français le courriel de Tecnimed en date du 30 avril 2015 constitue l'acceptation de la contre-offre de Marque Verte ;
En conséquence,
Dire qu'en application de la Convention de Vienne et du droit français le versement de l'acompte n'est pas une condition nécessaire à la formation d'un contrat de vente ;
Dire qu'en application de la Convention de Vienne et du droit français aucune condition de forme n'est nécessaire à la formation d'un contrat de vente ;
Dire et juger qu'en vertu de la Convention de Vienne et du droit français un contrat de vente de marchandises a bien été conclu entre Tecnimed et Marque Verte :
- A titre principal, au moment de l'envoi de la facture Tecnimed n° 4671 du 28 avril 2015 ;
- A titre subsidiaire, au moment de l'acceptation par Tecnimed de la contre-offre de Marque Verte portant sur la date du paiement de l'acompte.
- Sur l'inexécution des obligations de Marque Verte en vertu du contrat de vente conclu entre les parties :
Constater, en application de la Convention de Vienne et du droit français, que Marque Verte a manqué à son obligation de payer le prix des marchandises objet de la facture Tecnimed n° 4671 du 28 avril 2015 et à son obligation de prendre livraison des marchandises achetées ;
En conséquence,
Ordonner l'exécution du contrat de vente ;
Condamner Marque Verte à payer à Tecnimed la somme d'un montant en principal de 113.760,00 euros ;
Condamner Marque Verte au paiement des pénalités de retard pour un montant total de 78.373,94 euros au 26/06/2022, à parfaire jusqu'à complet règlement du principal ;
Condamner Marque Verte au payement de la somme de 2.560,08 euros à parfaire jusqu'au retrait complet des marchandises, au titre des frais de stockage supportés par Tecnimed du fait de l'inexécution du contrat de vente dont Marque Verte s'est rendue responsable ;
- Sur la rupture brutale des relations commerciales établies :
Constater que l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce (nouvel article L. 442-1, II du même code) constitue une loi de police qui s'impose au juge du for ;
Constater que les parties ont entretenu une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442- 6, I, 5° du code de commerce (nouvel article L. 442-1, II du Code de Commerce) :
- A titre principal, du 25 juillet 2007 au 26 octobre 2016 ;
- A titre subsidiaire, du 4 septembre 2012 au 26 octobre 2016 ;
Constater que la relation commerciale établie entre les parties prévoyait la distribution par Tecnimed de marchandises sous marque de distributeur Marque Verte ;
Constater le caractère brutal de la rupture de la relation commerciale établie par Marque Verte en raison de l'absence de préavis écrit et de la soudaineté de la rupture ;
En conséquence,
Déclarer que l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce (nouvel article L. 442-1, II du même code) et la loi française sont applicables au litige en l'espèce et que l'action en indemnisation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie est recevable ;
Dire que la loi italienne n'est pas la loi applicable à l'action en l'indemnisation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;
Déclarer réunies les conditions d'application de l'art. L. 442-6, I, 5° du code de commerce (nouvel article L. 442-1, II du même code) ;
Dire que Marque Verte a rompu brutalement la relation commerciale entre les parties en l'absence de tout préavis engageant ainsi sa responsabilité au titre de l'art. L. 442-6, I, 5° du code de commerce (nouvel article L. 442-1, II du même code) ;
Dire et juger que, eu égard à la durée la relation et en considération du fait que le préavis à concéder doit être doublé, Marque Verte aurait dû concéder à Tecnimed un préavis :
- A titre principal, d'une durée à 24 mois ;
- A titre subsidiaire, d'une durée de 12 mois ;
Condamner Marque Verte à payer à Tecnimed, au titre de l'indemnisation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie, une somme de :
- A titre principal, pour un préavis de 24 mois, 152.254,21 euros ;
- A titre subsidiaire, pour un préavis de 12 mois, 76.127,10 euros ;
En tout état de cause, sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Condamner Marque Verte à payer à Tecnimed la somme d'un montant de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner Marque Verte aux entiers dépens de la présente procédure et de la procédure du premier ressort.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 24 novembre 2023, la société Laboratoire Marque Verte demande à la Cour de :
Vu la Convention de Vienne sur la vente internationale ;
Vu le règlement Rome II Vu les articles 1353, 1583 et 1221 du Code civil ;
Vu les pièces versées aux débats ;
- Déclarer recevable et bien fondés les moyens fins et conclusions de la Société Laboratoire Marque Verte ;
- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Nancy en date du 7 octobre 2021 en ce qu'il a dit n'avoir lieu à écarter la pièce n° 30 de la SARL Tecnimed ;
- L'infirmer en ce qu'il a statué sur le moyen de la rupture brutale des relations commerciales sans évoquer ni statuer sur l'exception d'irrecevabilité soulevée ;
- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nancy en date du 7 octobre 2021 pour le surplus, en ce qu'il a débouté la Société Tecnimed de ses demande paiement de la somme de 113.760 €, de sa demande de dommages intérêts au titre des pénalités de retard, de sa demande indemnitaire au titre des frais de stockage ainsi que de sa demande de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale des relations établies ;
En conséquence et statuant à nouveau,
- Ecarter des débats la pièce adverse nouvellement numérotée 8 en cause d'appel (numérotée 30 en première instance) ;
- Déclarer irrecevable et en tout état de cause mal fondée la Société Tecnimed en l'ensemble de ses demandes, fins et moyens et l'en débouter ;
- Juger qu'aucun contrat n'a été formé du chef de la pro forma n° 4671 établie par Tecnimed le 29 avril 2015 pour une livraison de 6.000 thermomètres ;
- Juger que Tecnimed n'a pas mis en production les 6.000 thermomètres ni ne les a livrés le 1er septembre 2015 ;
- Débouter Tecnimed de sa demande de paiement de la somme de 113.700 € ;
- Débouter Tecnimed de sa demande de paiement de la somme de 78.373,94 €au titre de pénalités de retard ;
- Débouter Tecnimed de sa demande de paiement de la somme de 2.560,08 € à parfaire jusqu'au retrait complet des marchandises ;
- Juger irrecevables les prétentions de la Société Tecnimed fondées sur l'article L.442-3 du code de commerce et juger que l'action fondée sur une prétendue rupture de relations commerciales relève de la loi italienne ;
A titre subsidiaire,
- Juger particulièrement mal fondées les prétentions de la Société Tecnimed fondées sur l'article L. 442-3 du code de commerce ;
- Constater l'absence de relations commerciales établies ;
- Débouter Tecnimed de l'ensemble de ses demandes portant sur une rupture brutale de relations commerciales établies ;
A titre encore plus subsidiaire,
- Débouter Tecnimed de sa demande d'indemnisation en l'absence de toute preuve de l'existence d'un préjudice causé par la brutalité de la rupture et justifié par des éléments démontrant le montant de la marge brute escomptée ;
En tout état de cause,
- Condamner la Société Tecnimed à payer à la Société Laboratoire Marque Verte une indemnité de 15.000 Euros au visa de stipulations de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la présente procédure dont distraction au profit de la SCP Grappotte Benetreau en application de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 décembre 2023.
MOTIVATION
La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
A titre liminaire, sur la demande visant à voir une pièce écartée des débats,
Moyen des parties,
Le tribunal de commerce de Nancy a retenu, dans la décision attaquée, que LMV avait eu la possibilité de conclure sur la pièce (numérotée n° 30 en première instance et n° 8 en appel) consistant en un courriel de la société Tecnimed du 30 avril 2015 à 11 h 40 et qu'il n'y avait en conséquence pas lieu in limine litis de faire droit à la demande. Il a ensuite considéré, lors de l'examen du fond (page 6 du jugement) que la teneur de cette pièce n'était pas de nature à démontrer l'existence d'un lien contractuel.
La société LMV demande à la Cour d'écarter cette pièce (décrite par la partie adverse comme "l'acceptation de la contre-offre de Marque Verte par Tecnimed") non pour violation du principe du contradictoire, mais au motif qu'elle n'a pas reçu le mail litigieux dont s'agit et qu'aucune preuve de cet acheminement n'a au demeurant jamais été produite. LMV ajoute que ce courriel, qui ne s'inscrit dans aucun fil d'échanges électroniques entre les parties, n'a été visé postérieurement par aucun mail, n'est cité par aucun courrier d'avocat et n'a été produit aux débats devant le tribunal de commerce qu'un an après l'assignation qui n'en fait pas état. Elle relève enfin que ni la Tecnimed, ni le tribunal, ne se prononcent sur les éléments à l'appui desquels elle conteste l'authenticité de cette pièce (signature informatique différente de celle de tous les autres mails, pas d'entête de trace sur la copie produite, par de cohérence dans le fil la discussion, soit les mails du 28 avril à 10 h 35 et 10 h 38, 29 avril de 10 h 38 et 11 h 08 et 11 h 01, 8 mai à 15 h 43).
La société Tecnimed répond que la contestation de cette pièce l'est de manière hasardeuse et que c'est à juste titre que le tribunal de commerce ne l'a pas écartée. Elle vise par ailleurs l'article L. 110-3 du code de commerce selon lequel tous les actes passés entre commerçants peuvent être prouvés librement.
Réponse de la Cour,
Si les courriels peuvent valoir comme élément de preuve d'un acte passé entre commerçants, leur force probante est laissée à l'appréciation souveraine des juges du fond qui statuent, en cas de contestation, en considération d'éléments intrinsèques et extrinsèques.
Il est produit en l'espèce, de la part des deux parties, l'impression d'échanges intervenus par mail courant 2015, l'objet commun à ces derniers étant "R : R : order from from SEMES" (pièces Tecnimed n° 5, 7, 8 et 9 et pièce LMV n° 10).
Pour autant, le fil de la discussion est versé aux débats d'une façon parcellaire, suite à une sélection et des impressions successives intervenues dans des conditions non précisées.
Il s'ensuit que la Cour n'est pas mise en mesure d'apprécier la fiabilité et l'authenticité de chacun des mails produits.
La Cour retient, en conséquence, que le courriel de la société Tecnimed du 30 avril 2015 à 11 h 40 ne peut constituer un élément probant, à raison de la contestation élevée par LMV à son égard. Certaines discordances mises en exergue par LMV ne permettent pas, faute de discussion engagée par Tecnimed sur ce point, une levée de doute.
Il n'est par ailleurs pas soutenu que ce courriel, qui fait l'objet d'une impression autonome (pièce Tecnimed n° 8 numérotée 30 en première instance), doit être écarté sur le fondement de l'article 135 du code de procédure civile.
Il se déduit de l'ensemble que le jugement attaqué sera confirmé en ce qu'il a retenu qu'il n'y avait pas lieu d'écarter cette pièce pour violation du principe du contradictoire. Cependant, ce message litigieux étant dépourvu de caractère probant, la Cour ne s'y réfèrera pas lors de l'examen au fond.
Sur l'existence d'un contrat de vente de 6.000 thermomètres,
Moyen des parties,
A titre principal, la société Tecnimed prétend qu'un contrat de vente a été formé entre les parties au moment de l'envoi de la facture pro-forma n° 4671 du 28 avril 2015. Elle soutient, tout d'abord, que le bon de commande n° 267607 du 8 avril 2015, émis par la société LMV et intitulé "ordre de livraison", démontre l'intention de conclure un contrat avec la société Tecnimed. Elle considère, ensuite, que cette offre a été acceptée par la société Tecnimed. Elle en déduit que les conditions requises par l'article 14 de la Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises sont réunies, ainsi au demeurant que les conditions requises par le droit français, lequel reflète parfaitement en matière de formation du contrat de vente les dispositions prévues au sens de cette convention.
Elle ajoute que :
- les conditions commerciales étaient connues de la société LMV, cette dernière ayant notamment une parfaite connaissance des prix moyens des marchandises ;
- la seule demande de modification des termes que la société LMV a formulée concernait la date de paiement de l'acompte, et non un des éléments fondamentaux nécessaires à la conclusion de la vente ;
- les factures indiquent les prix correspondants aux produits commandés ainsi que la mention "if we would not receive any communication within 3 days this confirmation will be considered accepted in every part" ("si nous ne recevons aucune communication dans 3 jours, cette confirmation sera considérée acceptée dans tous ses termes").
A titre subsidiaire, la société Tecnimed fait valoir que s'il devait être décidé que le bon de commande ne constitue pas une offre, il doit être estimé que le contrat a été formé le 30 avril 2015, eu égard à la teneur de sa pièce n° 8. Selon elle, le versement effectif de l'acompte ne peut être considéré comme une condition pour la formation du contrat dès lors que ni la Convention de Vienne ni la loi française ne font du versement du prix ou de l'éventuel acompte une condition nécessaire à la formation du contrat de vente. De même, aucune condition de forme n'était nécessaire à la formation du contrat de vente, même en l'absence de signature du bon de commande.
En réponse, la société LMV soutient que le document du 8 avril 2015 ne comporte aucun prix ni signature, et qu'il n'a pas été précédé, comme d'usage, d'un bon de commande. Ce document avait selon elle comme seule vocation de permettre au fournisseur l'édition d'une facture pro-forma définissant les conditions de vente (offre et prix), qui le 28 avril 2015 a constitué une proposition de contrat pour un montant de 113.760 euros. Cependant, cette dernière n'a jamais été confirmée par la société LMV. Elle ajoute avoir été informée de l'augmentation des prix entre sa commande de l'année précédente (de 22 avril 2014 au prix unitaire de 18, 50 euros) et celle d'avril 2015 le 28 avril 2015 seulement, en recevant la facture pro-format (qui constituait une offre à 18, 96 euros l'unité) suite à sa demande de devis du 8 avril 2015. Elle en déduit qu'aucun contrat de vente n'a été conclu entre les parties au sens de la Convention de Vienne, ni d'ailleurs au regard du droit français, dont elle demande l'application à titre subsidiaire.
Elle observe que la société LMV n'a ni envoyé de bon de commande se conformant à la facture pro-forma, ni n'a payé l'acompte conséquent de 40 % valant (ainsi qu'il ressort de deux mails relatifs à deux achats antérieurs, en 2012 et 2014 - pièces n° 7 et 8) exécution. Elle remarque aussi que Tecnimed n'a pas lancé de commande de production et a cessé tout échange au sujet de cette commande après le mail du 19 aout 2015 dans lequel LMV indiquant qu'elle ne pouvait la confirmer.
La société LMV sollicite le rejet de la demande formulée à titre subsidiaire sur le fondement de la pièce adverse n° 8 qui est dépourvue de force probante. Elle ajoute que l'évocation par LMV d'une possibilité de versement différée de l'acompte ne constitue pas une contre-offre mais des pourparlers additionnels.
Réponse de la Cour,
La Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de Marchandises (CVIM), ouverte à la signature le 11 avril 1980, approuvée par la France le 6 aout 1982 et ratifiée par l'Italie le 11 décembre 1986, ne donne pas la règle de conflit permettant de désigner la loi nationale applicable, mais les règles matérielles applicables au contrat de vente. Régissant la formation du contrat et les droits et obligations qu'il fait naître entre les parties (art. 4), elle offre un régime uniforme aux contrats de vente de marchandises conclus entre les parties ayant leur établissement dans des États contractants.
Les parties s'accordent pour considérer que cette Convention, qui s'applique à défaut de dispositions contraires, comporte les dispositions matérielles suivantes régissant au cas présent leurs rapports :
- article 14 : une proposition de conclure un contrat adressé à une ou plusieurs personnes déterminées constitue une offre si elle est suffisamment précise et si elle indique la volonté de son auteur d'être lié en cas d'acceptation ; une proposition est suffisamment précise lorsqu'elle désigne les marchandises et, expressément ou implicitement, fixe la quantité et le prix ou donne des indications permettant de les déterminer ;
- article 18 : le contrat de vente est formé si le bénéficiaire de l'offre l'accepte, que ce soit par une déclaration ou tout autre comportement, comme son exécution volontaire. Le simple silence ne peut valoir acceptation.
La Cour retient, après examen des pièces versées au dossier que :
- La demande faite par LMV du 8 avril 2015 pour une commande de 6 000 produits VisioTemp (pièce LMV n° 9) sans indication de prix ne constitue pas une offre au sens de l'article 14 de la Convention ; il s'agit d'une demande de devis ;
- La circonstance que ce document soit intitulé "ordre de livraison" et que soient mentionnées, "adresse de facturation" (coté LMV) et "adresse de livraison" (coté Tecnimed) est sans incidence sur sa qualification de cette proposition, en l'absence d'indication du prix ;
- La facture pro-forma n° 4471 du 28 avril 2015 (pièce LMV n° 13) constitue une offre commerciale au sens de l'article 14 de la Convention, en ce qu'elle détaille les conditions de sa proposition et est précédée d'un courriel détaillant les modalités pratiques de l'achat, traduisant l'intention du fournisseur d'être lié par cette offre ;
- Aucun contrat n'a pu se former puisque LMV n'a pas donné son accord, que ce soit par mail ou paiement d'un acompte ; elle au contraire poursuivi les négociations pour connaitre la date limite de paiement de l'acompte, dans l'hypothèse d'une livraison en septembre ;
- La circonstance que soit mentionné sur la facture pro-forma n° 4471 du 28 avril 2015 la mention selon laquelle en cas de «non-communication dans les 3 jours, cette confirmation sera considérée comme acceptée dans tous ses termes" est sans incidence sur la formation du contrat, le silence ne pouvant valoir acceptation du bénéficiaire de l'offre en application de l'article 18 de la Convention ;
- Les échanges entre les parties ont parallèlement porté sur les étapes du suivi de l'exécution d'une autre facture portant sur 3 000 unités (organisation par Tecnimed de la livraison des biens, établissement de la facture n° 414 s'y rapportant'), ce qui montre la différence de positionnement de LMV, la facture proforma portant sur les 3 000 unités étant confirmée contrairement à celle de 6 000 unités ;
- LMV n'a pas confirmé sa volonté d'acquérir 6 000 unités en lien avec des difficultés d'écoulement, puis, par un mail du 19 aout 2015 de LMW à Tecnimed - qui n'a donné lieu à aucune protestation ni relance - elle a fait explicitement référence à cette absence de confirmation en raison de l'importance de ses stocks (pièce LMV n° 17).
Il se déduit de ce qui précède qu'aucun contrat de vente n'a pu se former en l'absence de volonté concordante des parties.
Au surplus, la demande formulée à titre subsidiaire, qui repose sur la production distincte d'un courriel de la société Tecnimed du 30 avril 2015 dépourvue de tout caractère probant, ne peut prospérer.
Le jugement est confirmé.
Sur la rupture des relations commerciales établies,
Moyen des parties,
La société Tecnimed sollicite l'application au présent litige de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce, en ce qu'il constitue selon elle une loi de police qui s'impose au juge du for, s'agissant d'une disposition impérative dont le respect est jugé crucial pour la sauvegarde de l'organisation économique de la France mais également en ce qu'elle permet la défense catégorielle des contractants faibles et l'égalité de traitement des victimes de cette pratique commerciale abusive. En l'espèce, la société LMV est une société française, qui vendait les produits qu'elle achetait à la société Tecnimed sur le territoire français. Tecnimed, de droit italien, ne peut se voir désavantagée par rapport à un partenaire économique français de LMV pouvant bénéficier de la réparation du préjudice subi du fait d'une rupture brutale.
Tecnimed soutient qu'en l'espèce les parties entretenaient une relation établie, étant donné son caractère suivi et stable, la société Tecnimed pouvant raisonnablement anticiper pour l'avenir une continuité du flux d'affaires avec la société LMV. La relation a débuté selon elle en 2007 par l'intermédiaire de la société Magnien puis, de la commune intention des parties, a continué entre les sociétés LMV et Tecnimed, comme en atteste les diverses commandes passées entre 2012 et 2016 par la société LMV pour un montant global de 446.683, 20 euros. Subsidiairement, si la Cour devait écarter la période antérieure à 2012, la société Tecnimed revendique une relation établie depuis au moins 4 ans, de septembre 2012 à octobre 2016, et caractérisée par une succession de contrats ponctuels. Par ailleurs, la société Tecnimed pouvait légitimement s'attendre à la poursuite des relations, au regard des échanges constants entre les parties, la conclusion de contrats de vente sans aucun formalisme et la commande de 12.000 boites, étiquettes et notices, en prévision de commandes à venir.
Tecnimed ne conteste pas, enfin, s'agissant du chiffrage de son préjudice, avoir initialement avancé une marge brute de 12, 5 %, mais elle fait valoir que le pourcentage de 45, 61 % dont elle fait état désormais est attesté par son expert-comptable, qui certifie que la marge brute d'exploitation par unité de produit obtenue s'élève à 8, 4385 euros.
La société LMV répond qu'en application de l'article 4.1 du règlement Rome II, en l'absence de relation contractuelle, la loi applicable est celle du pays où le dommage est né. Or c'est en Italie, où se trouve la société Tecnimed, que le préjudice consécutif à cette prétendue rupture, est subi. Elle ajoute qu'aux termes l'article 4 de du règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles, c'est également la loi italienne qui est applicable, le vendeur, Tecnimed, ayant son siège social en Italie. Elle conteste que ce dernier puisse revendiquer la qualification de loi de police de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce français pour s'exonérer de ces règles.
LMV indique que les quelques commandes passées entre les parties ne caractérisent pas un flux d'affaires suivi, stable et habituel. Ce dernier ne traduit ni régularité ou stabilité dans les montants, ni caractère significatif et continu dans le chiffre d'affaires global de Tecnimed, de sorte que celle-ci ne pouvait raisonnablement espérer la poursuite de cette relation dans des conditions équivalentes. Il n'existe par ailleurs pas de relations commerciales directes avec la société LMV avant 2013. Tecnimed ne démontre pas de commune intention entre elle et LMV de poursuivre une relation qu'elle a entretenue avec un tiers, la société Magnien, ou de leur volonté commune de s'y substituer.
S'agissant enfin du chiffrage du préjudice, LMV reproche à la société Tecnimed des modifications successives de calcul qui ont fait exploser la demande d'indemnisation, sans qu'aucun élément probant pour justifier de ces chiffres ne soit versé aux débats. Elle produit à l'appui un rapport de constat de son commissaire aux comptes. Aucun contradictoire n'est possible en l'absence de production d'une comptabilité analytique et d'une méthodologie permettant de comprendre les clés d'imputation par poste de dépense.
Réponse de la Cour,
Les sociétés Tecnimed et LMV ont leur siège social et leur activité dans deux Etats membres différents de l'Union européenne. Cet élément d'extranéité impose de déterminer de la loi applicable à l'action.
Celle-ci est fondée sur l'article L. 442-1 II du code de commerce qui s'applique sans égard pour l'existence d'une relation contractuelle et a de ce fait, dans l'ordre interne, une nature délictuelle. Néanmoins, la CJUE a dit pour droit que l'article 5.3, du règlement 44/2001 dit "Bruxelles I" concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu'une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle au sens de ce règlement s'il existait, entre les parties, une relation contractuelle tacite dont la caractérisation repose sur un faisceau d'éléments concordants, parmi lesquels sont susceptibles de figurer, notamment, l'existence de relations commerciales établies de longue date, la bonne foi entre les parties, la régularité des transactions et leur évolution dans le temps exprimée en quantité et en valeur, les éventuels accords sur les prix facturés et/ou sur les rabais accordés, ainsi que la correspondance échangée (CJUE, Granarolo c. Ambrosi Emmi France, 14 juillet 2016, C-196/15).
Or, ainsi que le précisent les considérants 7 et 17 du règlement 593/2008 du 17 juin 2008 dit "Rome I", son champ d'application matériel et ses dispositions doivent être cohérents par rapport au règlement Bruxelles I et au règlement n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dit "Rome II". Et, le règlement Rome I remplaçant la convention de Rome du 19 juin 1980 ainsi que le rappelle son article 24, la nécessité d'une interprétation uniforme des notions autonomes du règlement Bruxelles I est tout aussi prégnante à l'endroit de cette convention.
Aussi, cette solution, dégagée pour les besoins de la détermination de la compétence judiciaire, est transposable à la qualification de la nature de l'action pour identifier la loi applicable dans le cadre d'un litige international susceptible d'impliquer l'application de la convention de Rome : la détermination de la loi applicable dépend de l'appréciation concrète de la situation de fait soumise à la juridiction.
A cet égard, c'est à raison que le tribunal a, en premier lieu, retenu dans la décision attaquée que les conditions commerciales définies pour Magnien et LMV différaient et que le fait que LMV ait été le client final de Magnien n'autorisait pas Tecnimed à se prévaloir d'une relation directe avec LMV durant la période précédant les commandes de 2013.
La Cour ajoute que la seule circonstance que LMV se soit fourni auprès de Tecnimed dans la continuité de la relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment avec Magien ne suffit pas à établir que c'est la même relation commerciale qui s'est poursuivie avec Tecnimed, si ne s'y ajoutent des éléments démontrant que telle était la commune intention des parties.
C'est également de manière pertinente que le tribunal a, en second lieu, retenu que l'évolution du chiffre d'affaires sur la courte période de relation commerciale de 2013 à 2015 ne caractérise pas un flux d'affaires suivi, stable et habituel, de sorte que Tecnimed ne démontre pas qu'elle ne pouvait pas raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité de ce flux.
La Cour ajoute que :
- les volumes fluctuants commandés, successivement sur deux produits différents, ne permettait pas à Tecnimed de prévoir, d'une part, si d'autres produits de son catalogue allait être commandés, et d'autre part, en quelle quantité ;
- alors qu'aucune commande n'est intervenue à compter de la mi 2015, Tecnimed, qui retient comme date de la fin des relations commerciales le 26 octobre 2016, ne s'explique pas sur le caractère discontinu du flux d'affaires ;
- LMV fait valoir, sans être contredite, que la commande exceptionnelle de LMV du modèle VisioTemp ne s'est pas avérée en adéquation avec les besoins du marché, les stocks résiduels de ce thermomètre à infrarouge avec lecture sur le front du bébé étant encore de 518 en 2018.
La Cour retient, en conséquence, sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur la qualification de loi de police de l'article L. 442-1 du code de commerce, qu'il n'existait pas de relations commerciales établies au sens de ce texte.
Il se déduit de ce qui précède que le jugement est confirmé en ce qu'il a déclaré la société Tecnimed mal fondé en sa demande de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies.
Sur les frais irrépétibles et les dépens,
Il serait inéquitable de laisser à la charge la société LMV les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer à hauteur d'appel pour faire valoir les droits de cette société en justice.
La société Tecnimed sera en conséquence condamnée à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La demande de Tecnimed formée sur le même fondement est rejetée.
Tecnimed, qui succombe, sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Nancy en date du 7 octobre 2021 en l'ensemble des dispositions qui lui sont soumises,
Y ajoutant ;
Condamne la société Tecnimed à payer à la société Laboratoire Marque Verte la somme supplémentaire de 10 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Tecnimed aux dépens d'appel.