CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 7 février 2024, n° 21/01187
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
GRANDS MOULINS DE PARIS (SA), GRANDS MOULINS STORIONE (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme DOUILLET
Conseiller :
Mme BARUTEL
Conseiller :
Mme BOHÉE
Avocats :
Me ETEVENARD, Me ROSSI-ARNAUD, Me BOCCON-GIBOD, Me CLERY
Les sociétés GRANDS MOULINS DE PARIS et GRANDS MOULINS STORIONE (ci-après, ensemble, les sociétés GRAND MOULINS) exercent des activités de meunerie. Elles conçoivent et commercialisent diverses farines et autres préparations à base de céréales.
M. [T] [H] a été engagé par la société GRANDS MOULINS STORIONE en mars 1983, en qualité d'électromécanicien, suivant un contrat de travail ne prévoyant aucune mission inventive.
Promu responsable de la maintenance du site de production de [Localité 2] en 2001, M. [H] a conçu un système de fermeture étanche de sachets souples, notamment de farine, afin d'en assurer la bonne conservation.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 19 juin 2006, il a déclaré cette invention, qualifiée de hors mission attribuable, à son employeur.
Le 11 août 2006, M. [H] a déposé auprès de l'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) une demande de brevet, enregistrée sous le n°06/07303.
Par courrier du 17 octobre 2006, son employeur lui a notifié sa décision d'exercer son droit d'attribution, conformément à l'article R. 611-7 du code de la propriété intellectuelle.
C'est ainsi que M. [H] a signé avec la société GRANDS MOULINS STORIONE un contrat de cession de son brevet, le 31 octobre 2006. Ce contrat prévoyait qu'en contrepartie de la cession de son invention et des droits y attachés à la société GRANDS MOULINS STORIONE, celle-ci devait lui payer une rémunération forfaitaire (prévue aux articles 3.1 et 3.2 du contrat) et s'engageait à lui verser une rémunération complémentaire (définie aux articles 3.3 à 3.5 du contrat).
M. [H] a perçu, à la signature du contrat, la rémunération forfaitaire prévue aux articles 3.1 et 3.2, soit la somme de 15 000 euros en contrepartie de la cession de l'invention, ainsi que le remboursement de la somme de 5 322,20 euros correspondant aux frais et honoraires du conseil en propriété industrielle réglés à l'occasion du dépôt du brevet.
Le 22 octobre 2010, le directeur général de l'INPI a fait part à M. [H] de la délivrance de son brevet d'invention sous le n° FR 2 904 811 ayant pour titre « ensemble d'emballage de produit ».
A compter du mois d'avril 2015, l'invention a commencé à être exploitée commercialement, grâce à son incorporation sur une partie des sachets de farine commercialisés sous la marque « FRANCINE », appartenant depuis le début de l'année 2015 à la société GRANDS MOULINS DE PARIS, suite à l'absorption par celle-ci de la société FRANCE FARINE.
A la suite d'un apport partiel d'une branche d'activités de production de la société GRANDS MOULINS STORIONE à la société GRANDS MOULINS DE PARIS le 1er mai 2015, le contrat de travail de M. [H] a été transféré à la société GRANDS MOULINS DE PARIS.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 23 janvier 2017, M. [H] a mis en demeure les sociétés GRAND MOULINS de lui verser la rémunération complémentaire prévue au contrat de cession de son brevet.
Les sociétés GRAND MOULINS n'ont pas donné de suite favorable à sa demande.
C'est ainsi que M. [H], par acte d'huissier du 21 juin 2017, a assigné en référé les sociétés GRAND MOULINS devant le président du tribunal de grande instance de Paris, devenu le tribunal judiciaire de Paris le 1er janvier 2020, aux fins d'obtenir une provision, ainsi que les documents comptables relatifs à la vente des sachets de farine incorporant son invention.
Par ordonnance du 13 octobre 2017, le juge des référés a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision formée par M. [H] mais a ordonné la communication des pièces comptables sollicitées.
Les sociétés GRAND MOULINS ont interjeté appel de cette décision, avant de s'en désister et de produire un document comptable relatif aux chiffres d'affaires des ventes de sachets de farine de la marque « FRANCINE », incorporant l'invention de M. [H], réalisés par la société GRANDS MOULINS DE PARIS entre le mois d'avril 2015 et le mois de septembre 2017.
C'est dans ce contexte que, par actes d'huissier de justice du 18 mai 2018, M. [H] a assigné les sociétés GRAND MOULINS devant le tribunal judiciaire de Paris en paiement de la rémunération complémentaire qu'il considère lui être due.
M. [H] est aujourd'hui retraité, ayant quitté l'entreprise depuis le 28 février 2019.
Par un jugement du 12 novembre 2020, dont appel, le tribunal judiciaire de Paris a :
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. [H] ;
- déclaré recevable l'action exercée par M. [H] à l'encontre des sociétés GRANDS MOULINS ;
- condamné in solidum les sociétés GRANDS MOULINS à payer à M. [H] une rémunération complémentaire de 7 940,87 euros, au titre de l'exploitation commerciale de son invention ;
- débouté M. [H] de sa demande formée au titre de la résistance abusive ;
- débouté les sociétés GRANDS MOULINS de leur demande reconventionnelle formée au titre de la procédure abusive ;
- condamné in solidum les sociétés GRANDS MOULINS aux dépens de l'instance ;
- condamné les sociétés GRANDS MOULINS à payer, chacune, à M. [H] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code dc procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire.
Le 15 janvier 2021, M. [H] a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses conclusions récapitulatives notifiées le 23 juin 2022, M. [H], appelant, demande à la cour de :
Vu les dispositions combinées des articles 1134, 1156, 1161 et 1165 du code civil (ancienne codification applicable),
Vu les dispositions des articles 700 et 699 du code de procédure civile,
- infirmer le jugement en ses seules dispositions ayant :
- limité la condamnation in solidum des sociétés GRANDS MOULINS STORIONE et GRANDS MOULINS DE PARIS à payer à M. [H] une rémunération complémentaire de 7 940,87 euros, au titre de l'exploitation commerciale de son invention,
- et, débouté M. [H] de sa demande formée au titre de la résistance abusive,
- statuant à nouveau,
- juger que la période d'exigibilité de la rémunération contractuelle proportionnelle à l'exploitation de son invention, solidairement due à M. [H] par les sociétés GRANDS MOULINS STORIONE et GRANDS MOULINS DE PARIS, s'étend et court du 1er janvier 2008 au 31 octobre 2016 inclus,
- condamner à titre provisionnel, dans l'attente de l'obtention de leurs données comptables précises et exhaustives, in solidum les sociétés GRANDS MOULINS STORIONE et GRANDS MOULINS DE PARIS à régler à M. [H] une somme de 47 111 € au titre de la rémunération proportionnelle à l'exploitation de son brevet qui lui est contractuellement due, toute liquidation des comptes entre les parties restant à parfaire, au besoin par une mesure d'instruction échéante,
- condamner au regard de l'obligation de reddition de comptes pesant naturellement et, mécaniquement, sur tout cessionnaire restant tenu d'une rémunération proportionnelle, les sociétés GRANDS MOULINS STORIONE et GRANDS MOULINS DE PARIS à produire et fournir un état, précis et exhaustif, sous signature et certification de leur commissaire aux comptes, sur la masse et le volume des sachets, toutes quantités confondues, sous brevet qu'elles ont commercialisés, en France et à l'Etranger, depuis le début effectif d'exploitation de l'invention de M. [H] et, jusqu'à la dixième date anniversaire du contrat de cession, soit jusqu'au 31 octobre 2016,
- juger que sous couvert de malice et, de mauvaise foi, les sociétés GRANDS MOULINS STORIONE et GRANDS MOULINS DE PARIS ont commis une faute équipollente au dol directement préjudiciable à M. [H],
- en tout état de cause,
- débouter les sociétés GRANDS MOULINS STORIONE et GRANDS MOULINS DE PARIS de l'ensemble de leurs demandes ; notamment en ce qu'elles tendent d'une part, à faire déclarer prescrites les demandes de M. [H] et, d'autre part, à faire mettre hors de cause la société GRANDS MOULINS DE PARIS, dont la responsabilité devra être retenue in solidum avec celle de la société GRANDS MOULINS STORIONE,
- débouter les sociétés GRANDS MOULINS STORIONE et GRANDS MOULINS DE PARIS de leur appel incident en tout son dispositif,
- condamner in solidum les sociétés GRANDS MOULINS STORIONE et GRANDS MOULINS DE PARIS à verser à M. [H] une somme de 10 000 euros, en réparation de leur résistance abusive,
- condamner in solidum les sociétés GRANDS MOULINS STORIONE et GRANDS MOULINS DE PARIS :
- à verser à M. [H] une somme de 10 000 euros, au titre des frais irrépétibles qu'il a été contraint d'engager pour obtenir le règlement effectif de sa rémunération proportionnelle contractuelle,
- ainsi qu'à supporter les entiers dépens de l'instance, comme ceux qui en sont la cause et, en seront la suite, avec distraction de ceux d'appel au profit de Me ETEVENARD sous son affirmation de droit.
Dans leurs conclusions récapitulatives, numérotées 3, notifiées le 4 septembre 2022, les sociétés GRANDS MOULINS DE PARIS et GRANDS MOULINS STORIONE, intimées et appelantes incidentes, demandent à la cour de :
- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il :
- « Déclare recevable l'action exercée par Monsieur [T] [H] à l'encontre des sociétés GRANDS MOULINS STORIONE et GRANDS MOULINS DE PARIS,
- Condamne in solidum les sociétés GRANDS MOULINS STORIONE et GRANDS MOULINS DE PARIS à payer à Monsieur [T] [H] une rémunération complémentaire de 7 940, 87 euros, au titre de l'exploitation commerciale de son invention,
- Déboute les sociétés GRANDS MOULINS STORIONE et GRANDS MOULINS DE PARIS de leur demande reconventionnelle formée au titre de la procédure abusive,
- Condamne in solidum les sociétés GRANDS MOULINS STORIONE et GRANDS MOULINS DE PARIS aux dépens de l'instance,
- Condamne les sociétés GRANDS MOULINS STORIONE et GRANDS MOULINS DE PARIS à payer, chacune, à Monsieur [T] [H] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile »,
- et statuant à nouveau :
- à titre principal,
- déclarer M. [H] irrecevable en toutes ses demandes, prescrites depuis le 1er novembre 2011,
- déclarer M. [H] irrecevable dans sa demande de production d'un « état précis et exhaustif (') sur la masse et le volume des sachets, toutes quantités confondues, sous brevet qu'elles ont commercialisé, en France et à l'étranger, ' », comme étant nouvelle en cause d'appel faute d'avoir été formulée en première instance,
- à titre subsidiaire,
- débouter M. [H] de l'ensemble de ses demandes,
- réviser et fixer le montant du juste prix rémunérant la cession de l'invention de M. [H] à la société GRANDS MOULINS STORIONE à la somme globale forfaitaire et définitive de 20 322, 20 euros
- en tout état de cause,
- condamner M. [H] à payer à chacune des deux sociétés GRANDS MOULINS DE PARIS et GRANDS MOULINS STORIONE la somme de 1 500 euros à titre de procédure abusive,
- condamner M. [H] à payer à chacune des deux sociétés GRANDS MOULINS DE PARIS et GRANDS MOULINS STORIONE la somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [H] aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la société LEXAVOUÉS, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 octobre 2022, l'affaire étant renvoyée pour être plaidée à l'audience du 23 novembre 2022.
Par courrier du 21 novembre 2022, le conseil de M. [H] a sollicité le renvoi des plaidoiries à une date ultérieure, faisant état d'une indisponibilité de Me ROSSI ARNAUD, retenu à une audience correctionnelle.
La cour a fait droit à cette demande et, le 23 novembre 2022, les parties ont été avisées du renvoi de l'audience de plaidoiries au 13 décembre 2023.
Le 2 octobre 2023, M. [H] a transmis de nouvelles conclusions récapitulatives contenant demande de révocation de l'ordonnance de clôture. Il a fait valoir que les plaidoiries fixées au 13 décembre 2023 interviennent dix mois après la clôture prononcée le 4 octobre 2022, alors qu'en vertu de l'article 799 du code de procédure civile, la date de clôture doit être aussi proche que possible de celle fixée pour les plaidoiries, ce qui constitue, selon lui, une cause grave au sens de l'article 803 du code de procédure civile. Ajoutant à ses dernières conclusions, il demande à la cour de juger que sa demande de production d'un « état précis et exhaustif (') sur la masse et le volume des sachets, toutes quantités confondues, sous brevet qu'elles ont commercialisé, en France et à l'étranger, ' » ne constitue pas une demande nouvelle.
Les sociétés GRANDS MOULINS ont répondu à ces nouvelles conclusions post-clôture par des conclusions numérotées 4, en date du 6 novembre 2023, par lesquelles elles demandent, notamment, de débouter M. [H] de sa demande de révocation de l'ordonnance de clôture.
Les parties ont été entendues sur cet incident de procédure à l'audience du 13 décembre 2023. Après en avoir délibéré, comme indiqué au plumitif de l'audience, la cour a rejeté la demande de révocation de l'ordonnance de clôture présentée par M. [H], estimant que ce dernier ne justifiait d'aucune cause grave au sens de l'article 803 du code de procédure civile, dès lors que l'affaire clôturée le 4 octobre 2022 était prête à être plaidée le 23 novembre 2022, que la date des plaidoiries a été reportée, à la demande de son conseil qui invoquait son indisponibilité, au 13 décembre 2023, première date utile dans l'agenda de la cour, sans que cet avocat forme à ce stade aucune demande de révocation de l'ordonnance de clôture ou fasse état d'une situation d'urgence et sans qu'il invoque, à l'appui de sa demande de révocation, de circonstance nouvelle. La cour a rejeté par conséquent toutes les conclusions transmises postérieurement à l'ordonnance de clôture.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur le chef du jugement non contesté
La cour constate que le jugement n'est pas critiqué par M. [H] en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir qu'il opposait à la demande des sociétés GRANDS MOULINS tendant à voir réviser le juste prix prévu au contrat de cession du brevet en sorte qu'il soit fixé à la somme globale forfaitaire et définitive de 20 322,20 euros déjà perçue par M. [H].
Sur les demandes de M. [H] en paiement de la rémunération complémentaire prévue au contrat de cession de brevet
Sur la recevabilité de l'action en paiement : la prescription
M. [H] soutient que les parties ont expressément subordonné le paiement de la rémunération complémentaire proportionnelle au début d'exploitation effective du brevet, de sorte que le point de départ du délai de prescription ne peut se situer qu'à la date du commencement effectif de l'exploitation du brevet, soit au mois d'avril 2015 selon les intimées.
Les sociétés GRANDS MOULINS font valoir que le paiement de la créance de l'inventeur salarié se prescrit par cinq ans à compter de l'exercice de son droit d'attribution par son employeur et qu'en matière d'invention hors mission attribuable, le commencement de l'exploitation commerciale de l'invention est totalement étranger au point de départ de la prescription. Elles soutiennent que l'action de M. [H] en paiement de la rémunération proportionnelle prévue au contrat, qui est une des composantes du juste prix fixé le 31 octobre 2006, est prescrite, au plus tard, depuis le 1er novembre 2011, soit cinq ans après la signature de la cession du 31 octobre 2006 et l'attribution effective du brevet à la société GRANDS MOULINS STORIONE.
Ceci étant exposé, l'article 3 du contrat de l'« accord de cession de brevet » signé le 31 octobre 2006 entre la société GRANDS MOULINS STORIONE et M. [H] stipule :
« REMUNERATION '
'En contrepartie de la cession de l'Invention et des droits y attachés, la société GMS verse à Monsieur [T] [H] les sommes mentionnées aux Articles 3.1 et 3.2 ci-dessous, et s'engage à lui faire bénéficier d'une rémunération complémentaire définie aux Articles 3. 3 à 3.5 ci-après :
3.1 A l'instant des présentes, Monsieur [T] [H] reçoit une somme de quinze mille euros (15. 000,00 euros) dont il donne bonne et valable quittance à la société GMS.
3 .2 La société GMS rembourse ce jour à Monsieur [T] [H] la somme de 5322,20 euros TTC correspondant aux honoraires et frais exposés par lui auprès du Cabinet NOVAGRAAF TECHNOLOGIES au titre des recherches préalables effectuées et du dépôt de la Demande de Brevet numéro 06/07303. Monsieur [T] [H] remet à l'instant des présentes la justification de ces dépenses.
3.3 La société GMS s'engage à payer à Monsieur [T] [H] pendant une durée de dix ans à compter de ce jour une rémunération égale à 10 % des revenus qui seront générés par l'exploitation en France et à l'étranger de l'Invention.
3.4 Sous réserve que les essais du prototype de machine d'ensachage aient démontré que la mise en œuvre de l'Invention en conditions réelles de production est compatible avec une cadence de 100 coups par minute, la société GMS s'engage envers Monsieur [T] [H] à lui payer au titre de rémunération forfaitaire pour l'année 2007 une somme de 3.000 euros (3.000 euros). Ce forfait minimum ne sera, ni reportable, ni reconductible sur les années suivantes et ne sera pas davantage dû à Monsieur [T] [H] si la preuve de l'exploitation de l'Invention dans les conditions mentionnées ci-dessus n'a pas été faite au cours de l'année 2007.
3-5 Pour le cas où, dans les conditions fixées à l'Article 6 ci-après, des licences auraient été concédées pour l'exploitation de l'Invention en dehors du domaine de la meunerie mais grâce à l'intervention de Monsieur [T] [H], la société GMS s'engage à lui payer pendant une durée de dix ans à compter de ce jour une rémunération complémentaire égale à 10 % des revenus qui seront générés dans ces conditions par l'exploitation en France et à l'étranger de l'Invention.
Les parties conviennent que la société GMS, en sa qualité de propriétaire de l'Invention, ou tout cessionnaire de son choix ou toute personne qu'elle se sera substituée, pourra seule décider des conditions d'exploitation de l'Invention dons le domaine de la farine, et notamment, sera libre de négocier avec son licencié la redevance qui lui semblera bon de convenir sans que Monsieur [T] [H] puisse s'y opposer.
Toutefois, et à titre indicatif, mais sans que cela puisse être interprété comme un engagement de la part de la société GMS, les parties évaluent à la somme de 0,0020 euros par unité de vente la rémunération brute globale que l'Invention pourrait générer au titre de son exploitation dans le domaine de la farine en sachet.
La rémunération professionnelle due à Monsieur [T] [H] lui sera payée à la fin de chaque année civile sur la base des déclarations de volumes produits et vendus au cours de cette même année.
En considération des paiements effectués et des engagements souscrits ci-dessus, Monsieur [T] [H] déclare et reconnaît avoir reçu le juste prix de son Invention, et renonce à en contester ultérieurement le montant au motif pris notamment du faible niveau ou de l'absence totale d'intérêt que son Invention pourrait susciter chez les industriels identifiés à l'origine comme des utilisateurs potentiels ».
C'est par des motifs exacts et pertinents, que la cour adopte, que le tribunal a relevé que la rémunération complémentaire demandée par M. [H] étant conditionnée par l'exploitation commerciale de l'invention, ainsi qu'il résulte de l'article 3 du contrat de cession du brevet, le point de départ du délai de prescription quinquennale s'appliquant à l'action du demandeur ne pouvait courir qu'à compter de la date du commencement de cette exploitation, en l'occurrence au mois d'avril 2015, qu'il a écarté la fin de non-recevoir et déclaré l'action du demandeur recevable.
Le jugement est confirmé de ce chef.
Sur la demande de mise hors de cause de la société GRANDS MOULINS DE PARIS
M. [H] demande la confirmation du jugement sur ce point et fait sienne la motivation du tribunal. Il soutient que la responsabilité des sociétés GRANDS MOULINS doit être retenue in solidum et que la demande de mise hors de cause de la société GRANDS MOULINS DE PARIS doit être rejetée.
Les sociétés GRANDS MOULINS font valoir que si, par suite de l'apport du fonds de commerce de production de la société GRANDS MOULINS STORIONE à la société GRANDS MOULINS DE PARIS, cette dernière est aujourd'hui l'employeur de M. [H], seule la société GRANDS MOULINS STORIONE est liée à M. [H] par le contrat de cession de brevet du 31 octobre 2006 ; qu'il n'existe aucun lien contractuel entre M. [H] et la société GRANDS MOULINS DE PARIS, la société GRANDS MOULINS STORIONE étant restée cessionnaire et seule titulaire du brevet et n'en ayant pas consenti de licence ; qu'il importe peu que la société GRANDS MOULINS DE PARIS ait pris part à la commercialisation des sachets de farine équipés de la barrette brevetée, ce qui n'est pas de nature à remettre en cause l'absence de lien contractuel entre elle et M. [H] ; que la société GRANDS MOULINS DE PARIS doit donc être mise hors de cause.
Ceci étant exposé, en l'absence d'élément nouveau fourni en appel, la cour fait siens les motifs par lesquels que le tribunal a rejeté la demande de mise hors de cause de la société GRANDS MOULINS DE PARIS, retenant notamment que s'il est soutenu que la société GRANDS MOULINS STORIONE est restée seule titulaire du brevet malgré l'apport partiel d'actifs d'une branche de sa production au profit de la société GRANDS MOULINS DE PARIS, désormais employeur de M. [H], cet acte n'est pas produit au débat, outre qu'il ressort du document comptable fourni par les sociétés GRANDS MOULINS en exécution de l'ordonnance de référé du 13 octobre 2017 (leur pièce 23) que seule la société GRANDS MOULINS DE PARIS a commercialisé des sachets de farine munis du système de fermeture breveté.
Le jugement est confirmé de ce chef également.
Sur le bien-fondé de la demande en paiement de la rémunération complémentaire
Sur la délimitation de la période à prendre en compte
M. [H] demande à ce que son droit à la rémunération proportionnelle soit reconnu et appliqué du 1er janvier 2008 au 31 octobre 2016 inclus. Il soutient que si l'article 3.3 du contrat de cession prévoit que cette rémunération proportionnelle est due pendant une durée de 10 ans à compter du jour de la conclusion du contrat, soit jusqu'au 31 octobre 2016, cette stipulation doit être lue en corrélation avec l'article 4 du même contrat qui prévoit que l'invention rentrera en phase d'exploitation dès confirmation technique de son application industrielle, laquelle confirmation est intervenue au plus tard en novembre 2007 dans le cadre d'un marché conclu le 22 juin 2007 avec la société RMC ; que si ce n'est qu'en avril 2015, soit quelques mois avant l'expiration de la période de 10 ans, que les sociétés GRANDS MOULINS ont débuté l'exploitation effective du brevet, cette circonstance lui est inopposable, les intimées ayant artificiellement retardé l'exploitation du brevet afin de le priver de sa rémunération proportionnelle ; qu'en présence d'une rémunération proportionnelle, le cessionnaire d'un brevet a une obligation d'exploitation ; que rien ne vient établir que le retard pris dans la mise en production puis dans l'exploitation du brevet serait imputable à M. [H].
Les sociétés GRANDS MOULINS demandent que la période prise en compte pour la rémunération proportionnelle soit celle retenue par le tribunal, à savoir celle allant d'avril 2015, début de l'exploitation de l'invention, à octobre 2016, fin de la période de rémunération contractuelle. Elles font valoir que c'est à tort que M. [H] demande que l'article 3.3 soit corrélé à l'article 4 du contrat, ces stipulations étant totalement indépendantes l'une de l'autre ; que la condition du paiement à M. [H] de la partie variable conditionnelle du juste prix est liée à la seule condition que l'exploitation de l'invention génère des revenus dans la durée contractuelle de 10 ans convenue et que cette durée a pour point de départ la signature du contrat, et non pas celle du début de l'exploitation effective du brevet cédé ; que l'exigibilité de la rémunération proportionnelle n'est pas subordonnée à la confirmation technique de son application industrielle mais à l'exploitation effective de l'invention ; qu'elles ont fait le maximum pour essayer de mettre au point l'exploitation industrielle de l'invention, malgré l'incapacité constante de M. [H] à remédier aux échecs techniques rencontrés quotidiennement et des années durant dans les usines des sociétés GRANDS MOULINS ; que l'impossibilité de mise en œuvre de l'invention n'est pas due aux sociétés GRANDS MOULINS, mais exclusivement à M. [H] qui, selon ses v'ux, en a été le responsable pendant plusieurs années ; que l'invention n'était pas exploitée au 1er janvier 2008 et n'a donc généré aucune vente de produits incorporant l'invention.
Ceci étant exposé, il est constant qu'en cause d'appel, M. [H] ne fonde plus sa demande en paiement de la rémunération complémentaire proportionnelle que sur le seul article 3.3 du contrat, à l'exclusion de l'article 3.5 dont l'application a été exclue à juste raison par les premiers juges en l'absence de toute licence consentie sur le brevet.
Il résulte littéralement et sans ambiguïté de l'article 3.3 précité que la période à prendre en considération afin de déterminer le montant de la rémunération complémentaire due à M. [H] débute à compter de « l'exploitation en France et à l'étranger de l'invention ». Selon l'attestation du Cabinet d'expertise comptable JOURDAN fournie par les sociétés GRANDS MOULINS en exécution de l'ordonnance de référé du 13 octobre 2017, l'exploitation du brevet a débuté en avril 2015 (leur pièce 23).
Pour soutenir que sa rémunération complémentaire devrait être due pour une période débutant en janvier 2008, après la conclusion d'un contrat avec la société RMC le 22 juin 2007, M. [H] invoque l'article 4 du contrat de cession. Cependant, cet article concerne une « phase d'études et de développement » précédant la phase d'exploitation et condition préalable à cette phase d'exploitation (« Les parties conviennent que l'Invention ne pourra pas entrer en phase d'exploitation sans que des études de faisabilité technique soient engagées et un prototype de machine d'ensachage incorporant la mise en œuvre industrielle du procédé objet de l'Invention soit réalisé. Elles reconnaissent que cette phase d'études et de développement nécessite un investissement financier significatif que seule la société GM prendra en charge. Toutefois, il est entendu que cet investissement sera engagé sous réserve qu'une décision de principe relative au lancement et à la fabrication de sachets incorporant l'Invention avec un partenaire habituel de la société GMS ait été prise, lui permettant de garantir la rentabilité de son investissement (') ») et rien ne permet de retenir que son terme coïncide nécessairement avec le début de la phase d'exploitation du brevet. En outre, s'il est produit au débat un contrat de marché en date du 22 juin 2007 entre la société GRANDS MOULINS STORIONE et la société RMC, dont l'objet était la réalisation d'un ensemble complet d'un système de fermeture étanche sur la partie supérieure de sachets (pièce 8 appelant), ces prestations devant être réalisées par la société RMC suivant les directives de la société GRANDS MOULINS STORIONE, pour un prix de 62 000 € HT, avec une « réception installation machines » prévue le 5 octobre 2007, ce document n'est pas signé par le représentant de la société GRANDS MOULINS STORIONE (désigné comme le « Maître d'ouvrage Maître d'œuvre ») alors que le contrat prévoit que le marché ne deviendra définitif « qu'après les visa du Maître d'ouvrage Maître d'œuvre et de l'entreprise adjudicataire ». Il n'est donc pas établi que ce contrat ait effectivement été exécuté et emporté exploitation du brevet. En outre, plusieurs courriels produits par les intimées (pièce 15) montrent que l'invention de M. [H] n'était encore pas au point en juin 2012 (notamment, mail de M. [H] du 12 juin 2012 à M. L. de GRANDS MOULINS DE PARIS : « J'ai testé manuellement le conduit (...) Mémoire de forme ' très faible, tube est presque malléable ; Qualité ressort ' très mauvaise aucune qualité ressort pour que clip se refermé après sa pose sur le sachet. En conclusion (') pour l'instant il ne tient pas après la pose. Je reste à ta disposition pour trouver une solution » ; mail de M. de B., pdg de FRANCE FARINE, du 6 décembre 2012 : « je me permets d'attirer ton attention sur les difficultés que nous rencontrons sur ce dossier. Les engagements pris au départ ne semblent plus tenables. Le test prévu à [Localité 8] n'a pas été concluant sur le prototype de [Localité 8] et la machine n'est pas adaptée à ce jour aux clips de fermeture (') Nos engagements auprès de nos clients ne sont plus crédibles aujourd'hui (') ; mail de M. G. du 29 septembre 2014 : « Nous ne sommes pas encore opérationnels (')» ; mail de M. S du 30 septembre 2014 adressé notamment à M. [H] : « Après un premier essai courant fin juillet/début août infructueux, nous sommes en attente de réception de pièces (') Nous pourrons ensuite reprogrammer des essais (') [T] [[H]], serais-tu dispo pour monter sur [Localité 8] nous aider ' »). Ces éléments ne sont pas de nature à démontrer que, comme le soutient M. [H], les sociétés GRANDS MOULINS ont délibérément retardé l'exploitation de l'invention afin de le priver de la rémunération proportionnelle prévue au contrat. En définitive, rien ne conduit à retenir une date de début d'exploitation de l'invention autre que celle d'avril 2015 qui est mentionnée sur l'attestation comptable précitée et qui a été retenue par les premiers juges.
Il est constant que la fin de la période contractuelle de 10 ans à prendre en considération est le 31 octobre 2016, le contrat ayant été signé le 6 octobre 2006.
Sur l'assiette de la rémunération proportionnelle et la demande de provision
M. [H] sollicite en appel une provision de 47 111 euros à valoir sur le montant définitif de la rémunération proportionnelle qu'il revendique. Il soutient que l'article 3.3 du contrat doit être compris littéralement et que l'assiette de calcul de la rémunération proportionnelle doit donc être déterminée par référence à un chiffre d'affaires TTC, aux ventes en France aussi bien qu'à l'étranger, les intimées étant fortement présentes à l'international comme en témoigne leur site institutionnel, sur la base de la rémunération mentionnée à titre indicatif dans le contrat (0,0020 € par sachet vendu) et en faisant remonter au 1er janvier 2008 l'exigibilité de la rémunération proportionnelle ; que l'attestation comptable produite par les intimées est particulièrement imprécise et incomplète, ne recensant que les ventes en France et ne fournissant aucune certitude sur la quantité de sachets de farine vendus avec la barrette objet de l'invention, ce qui justifie une demande de provision assortie d'un droit d'information.
Les sociétés GRANDS MOULINS répondent que les usages en la matière font porter les taux de redevances sur des chiffres d'affaires bruts pris hors taxes, sauf précision contraire ; qu'il n'y a pas eu d'exploitation de l'invention à l'étranger, de sorte que l'attestation comptable qu'elles ont fournie est complète ; que la méthode de calcul proposée par M. [H] (et retenue par le tribunal), à savoir : nombre de sachets x 10 % x 0,0020 €, ne résulte nullement du contrat qui prévoit seulement qu'une rémunération proportionnelle sera due à la condition que l'exploitation de l'invention génère par elle-même des revenus ; qu'en l'occurrence, cette exploitation n'a généré aucun revenu par elle-même ; que dans l'intention des parties, cette partie variable conditionnelle du juste prix n'avait vocation à s'appliquer qu'au cas où la société GRANDS MOULINS STORIONE passerait avec la société FRANCE FARINE un accord (sous forme de licence) ayant une contrepartie financière pour exploiter le brevet de M. [H] ; qu'il est constant qu'aucune licence permettant l'exploitation du brevet n'a été accordée ; que l'absence de licence ne résulte pas d'une intention délibéré des sociétés GRANDS MOULINS mais résulte de l'impossibilité de mettre en œuvre l'invention du fait de l'échec technique et commercial du projet de M. [H] ; que la société GRANDS MOULINS STORIONE n'ayant perçu aucun revenu au titre de l'exploitation de l'invention, M. [H] ne peut pas plus en recevoir lui-même ; qu'en 2019, la barrette fruit de l'innovation de M. [H] a été définitivement abandonnée ; qu'en tout état de cause, il convient de ne retenir que la période prise en compte par le tribunal, à savoir celle allant du mois d'avril 2015 au mois d'octobre 2016.
Comme il a été dit, aux termes de l'article 3.3 du contrat de cession de brevet du 31 octobre 2006, la société GMS s'est engagée « à payer à Monsieur [T] [H] pendant une durée de dix ans à compter de ce jour une rémunération égale à 10 % des revenus qui seront générés par l'exploitation en France et à l'étranger de l'Invention ».
Le principe d'une rémunération proportionnelle due à M. [H] ne peut être contesté dès lors qu'il ressort de l'attestation comptable versée au débat par les intimées que l'invention a été effectivement exploitée à compter d'avril 2015 sous la forme de ventes de sachets de farine équipés d'une barrette selon l'invention, sous la marque « FRANCINE », générant, jusqu'au mois d'octobre 2016, un chiffre d'affaires net global de 27 427 177 € (pièce 23 précitée).
Pour autant, comme l'ont retenu les premiers juges, la rémunération proportionnelle due à M. [H] ne saurait être égale, comme il le soutient, à 10 % du chiffre d'affaires généré par la vente des sachets de farine munis de son invention, mais à 10 % des revenus « générés par l'exploitation » de l'invention.
Les sociétés GRANDS MOULINS, de leur côté, ne peuvent pas davantage soutenir que la notion de revenus mentionnée à l'article 3.3 doit s'entendre de bénéfices ou que l'exploitation commerciale de l'invention n'a généré aucun revenu, faute de tout élément de comparaison avec les ventes et chiffres d'affaires réalisés sur des sachets dépourvus de barrette. Elles ne peuvent non plus arguer, en se référant à l'article 3.5 précité du contrat, que la rémunération proportionnelle ne serait due à M. [H] qu'en cas de licence accordée sur le brevet, cet article, comme le tribunal l'a relevé, prévoyant une rémunération proportionnelle spécifique, distincte de la rémunération prévue par l'article 3.3., due à l'inventeur dans le cas où une licence aurait été concédée aux fins d'exploitation du brevet grâce à son intervention et en dehors du secteur de la meunerie. Enfin, l'éventuelle responsabilité de M. [H] dans le prétendu échec de l'exploitation de l'invention, comme l'abandon allégué de l'invention en 2019 au profit d'un nouveau système de fermeture des sachets de farine, sont indifférents, l'employeur ne pouvant s'exonérer du paiement du juste prix en arguant de la faiblesse du brevet ou de l'échec commercial du produit obtenu dès lors qu'il a nécessairement profité du brevet, ne serait-ce qu'en communicant auprès de clients et en dissuadant la concurrence. Du reste, la responsabilité de M. [H] dans l'échec du projet n'est pas établie par les pièces au dossier qui révèlent seulement que l'invention a été mise au point au bout de nombreuses années, comme il a été dit, et, à la lecture de l'article 4 du contrat, que la phase d'études et de développement précitée reposait à la fois sur « un investissement financier significatif » de la société GRANDS MOULINS STORIONE, M. [H] devant prendre « une part active » à cette phase d'études et de développement « qui s'effectuera sous sa directive, étant précisé que les options finales relèveront toutefois de la seule décision et de la seule responsabilité de la société GMS. Monsieur [T] [H] sera également sollicité pour donner ses conseils et son assistance pour toute installation de machines incorporant l'Invention », de sorte qu'il doit être retenu que la réussite du projet dépendait d'une étroite collaboration entre l'inventeur et les sociétés GRANDS MOULINS. L'échec du projet est par ailleurs relatif puisque l'invention a été exploitée pendant presque 4 années avant son abandon allégué au début de l'année 2019.
Par ailleurs, rien ne permet de considérer que l'attestation comptable du Cabinet JOURDAN produite par les intimées en exécution de l'ordonnance de référé du 13 octobre 2017 ne porte pas sur les ventes réalisées à l'étranger, cette ordonnance enjoignant les défenderesses de communiquer le nombre de sachets de farine équipés de la barrette « vendus en France et dans le monde entier ».
Dans ces conditions, la cour fait sienne l'analyse du tribunal qui s'est référé, pour calculer la rémunération proportionnelle due à M. [H], à l'évaluation mentionnée à titre informatif à l'article 3 précité du contrat, sur la base de 0,0020 euros par sachet de farine vendu muni de la barrette résultant de l'invention et au nombre de tels sachets de farine vendus au cours de la période considérée (avril 2015/octobre 2016), soit 39 704 374 selon l'attestation comptable produite par les intimées.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés GRANDS MOULINS à payer à M. [H] la somme définitivement fixée de 7 940,87 euros (39 704 374 x 0,0020 x 10 %) au titre de la rémunération proportionnelle due en application de l'article 3.3 du contrat de cession de brevet.
Sur la demande de production de pièces complémentaires
Il s'infère de ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de statuer sur la recevabilité de la demande, que la production de pièces comptables supplémentaires n'est pas nécessaire à la solution du litige et que la demande doit être rejetée.
Sur la demande des sociétés GRANDS MOULINS de révision du montant du juste prix
Les sociétés GRANDS MOULINS soutiennent qu'au-delà des aspects purement juridiques de cette affaire, sur le plan de l'équité, il n'est pas anormal que M. [H] ne perçoive pas de revenus au-delà de la partie fixe de 15 000 euros et du remboursement de ses frais de dépôt du brevet qu'il a déjà reçus en application des articles 3.1 et 3.2 du contrat. Elles font valoir que sa responsabilité dans l'échec de l'exploitation est double, dès lors, d'une part, qu'il est l'inventeur d'une invention qui s'est avérée très difficile à mettre en œuvre sur le plan industriel, et d'autre part, qu'il a échoué dans sa mission de développement du projet, qu'il avait souhaitée et pour laquelle il a eu toute liberté ; qu'au moment de la signature du contrat, la société GRANDS MOULINS STORIONE ne pouvait pas imaginer que l'invention serait aussi laborieuse, longue et coûteuse à mettre au point alors que M. [H] lui laissait penser qu'elle pourrait facilement être industrialisée et rentabilisée ; que le budget prévisionnel de l'équipement de 6 machines, permettant la mise en œuvre de l'invention, établi par M. [H] avant la signature du contrat, a été très sensiblement sous-évalué par ce dernier (le budget initialement prévu de 375 000 euros s'est en réalité élevé à près de 615 000 euros) ; que la société GRANDS MOULINS STORIONE a donc été induite en erreur sur la faisabilité technique et financière du projet de M. [H] dont elle n'a tiré aucun avantage ; qu'elle a été trompée par M. [H] sur l'intérêt industriel de l'invention et sur les assurances fournies par celui-ci, voire ses compétences à exploiter l'invention. Elles font valoir que le tribunal n'a pas statué sur cette demande en première instance.
M. [H] répond que l'accord de cession de brevet prévoit expressément et sans équivoque le principe d'une rémunération complémentaire adossée aux résultats d'exploitation du brevet, de sorte que le principe même de ce droit à rémunération proportionnelle ne saurait être dénié.
Comme il vient d'être dit, la responsabilité de M. [H] dans l'échec de l'exploitation de l'invention n'est pas établie. En outre, la société GRANDS MOULINS STORIONE, en sa qualité de professionnelle commercialisant habituellement des produits de meunerie, qui avait en outre, seule, la responsabilité financière du projet développé à partir de l'invention de son salarié et celle, finale, des « options finales » (cf. article 4 précité), ne peut convaincre en sa thèse selon laquelle elle a été trompée par ce dernier sur la faisabilité ou la rentabilité de ce projet, étant encore rappelé que l'invention a été exploitée pendant presque 4 années.
La demande, sur le bien-fondé de laquelle le tribunal a omis de statuer, sera en conséquence rejetée.
Sur la demande indemnitaire de M. [H] fondée sur la résistance abusive des sociétés GRANDS MOULINS
M. [H] soutient que les intimées lui ont causé un dommage en refusant de lui régler spontanément, sur la base de données transparentes, sa rémunération proportionnelle contractuelle, en refusant de fournir, depuis l'introduction de cette action, leurs éléments comptables permettant de calculer cette rémunération proportionnelle, faisant ainsi dégénérer en abus l'exercice de leurs droits de la défense, par malice, mauvaise foi et une faute équipollente au dol.
Les sociétés GRANDS MOULINS font valoir qu'elles n'ont fait preuve d'aucun abus dans l'exercice de leur défense, dès lors que faute de revenus générés par l'exploitation de l'invention, aucune rémunération au titre de la partie variable conditionnelle du juste prix n'était due à M. [H], que ce n'est que par une interprétation contestée du contrat que ce dernier prétend à une rémunération à ce titre et qu'elles ont fourni tous les éléments comptables sollicités au cours de la procédure.
Ceci étant exposé, selon l'article 1104 du code civil, qui est d'ordre public, le contrat doit être exécuté de bonne foi.
En l'espèce, les sociétés GRANDS MOULINS, qui ont été chacune successivement l'employeur de M. [H], lui ont contesté son droit à la rémunération proportionnelle prévue au contrat de cession du brevet (article 3.3) en alléguant l'absence de revenus générés par l'exploitation du brevet, absence qu'elles ne démontrent pas alors que le document comptable qu'elles fournissent atteste d'une exploitation depuis avril 2015 et un chiffre d'affaires généré en conséquence. En outre, alors qu'en présence d'un juste prix déterminé en fonction des revenus résultant de l'exploitation de l'invention, la société GRANDS MOULINS STORIONE était débitrice d'une obligation de transparence et d'information quant à ces revenus et à cette exploitation, M. [H] a dû introduire une action en référé, en juin 2017, pour obtenir la communication d'éléments comptables par une décision dont les intimées ont d'abord fait appel avant de se désister et de l'exécuter. Enfin, dans le cadre de l'instance au fond, les sociétés GRANDS MOULINS ont invoqué, sans étayer utilement leur argumentation, la tromperie de M. [H] sur l'intérêt industriel de l'invention et sur ses compétences à développer l'invention, éléments qu'elles étaient pourtant chacune en mesure d'apprécier en tant que ses employeurs.
Dans le contexte particulier d'une relation de travail, ces comportements caractérisent une résistance abusive, donc fautive, de la part des sociétés GRANDS MOULINS.
Cette résistance abusive a occasionné un préjudice à M. [H] qui a été durablement privé de sommes contractuellement prévues lui revenant et qui a vu sa bonne foi mise en question. Ce préjudice sera réparé par l'allocation d'une somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts qui sera mise à la charge des sociétés GRANDS MOULINS in solidum.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la demande des sociétés GRANDS MOULINS pour procédure abusive
Le sens de la présente décision conduit à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté les sociétés GRANDS MOULINS de leur demande pour procédure abusive et au rejet de la demande en ce qu'elle serait présentée au titre de l'appel.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les sociétés GRANDS MOULINS, parties perdantes, seront condamnées aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me ETEVENARD dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile, et garderont à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'elles ont exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.
La somme qui doit être mise à la charge des sociétés GRANDS MOULINS au titre des frais non compris dans les dépens exposés par M. [H] en appel peut être équitablement fixée à 10 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [H] de sa demande formée au titre de la résistance abusive,
Statuant à nouveau,
Condamne in solidum les sociétés GRANDS MOULINS DE PARIS et GRANDS MOULINS STORIONE à payer à M. [H] la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
Y ajoutant,
Rejette les demandes de M. [H] tendant à l'allocation d'une provision à valoir sur le montant définitif de la rémunération proportionnelle et à la communication de pièces comptables complémentaires,
Rejette les demandes des sociétés GRANDS MOULINS en révision du montant du juste prix et en procédure abusive au titre de l'appel,
Condamne in solidum les sociétés GRANDS MOULINS DE PARIS et GRANDS MOULINS STORIONE aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me ETEVENARD dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile, et au paiement à M. [H] de la somme de 10 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.