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Décisions

Cass. crim., 25 octobre 2023, n° 22-84.650

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnal

Rapporteur :

M. Ascensi

Avocat général :

Mme Chauvelot

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP Bouzidi et Bouhanna

T. com. Saint-Denis de La Réunion, du 30…

30 juin 2022

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par jugement du 14 novembre 2017, ont été ouvertes, d'une part, une procédure de sauvegarde concernant les sociétés [L] holding et [L] bâtiment, d'autre part, une procédure de redressement judiciaire relative à la société [L] second oeuvre, lesquelles sociétés étaient gérées par M. [N] [L].

3. Par jugement du 17 avril 2018, la procédure de redressement judiciaire a été convertie en procédure de liquidation judiciaire s'agissant de la société [L] second oeuvre, tandis que, par jugement du 10 juillet 2018, les procédures de sauvegarde ont été converties en procédures de redressement judiciaire pour ce qui concerne les sociétés [L] holding et [L] bâtiment.

4. Par jugement du 20 septembre 2018, la procédure collective a notamment été étendue à MM. [N] et [I] [L].

5. Par arrêts du 14 décembre 2018, la cour d'appel a confirmé les jugements du 10 juillet 2018.

6. Par jugement du 14 mai 2019, a notamment été prononcée la liquidation judiciaire des sociétés [L] holding, [L] bâtiment, ainsi que de MM. [N] et [I] [L].

7. Ces derniers ont interjeté appel de la décision.

8. MM. [N] et [I] [L] ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel des chefs de banqueroute et organisation frauduleuse d'insolvabilité.

9. Sous ces qualifications, il est reproché à chacun d'eux d'avoir transféré le 9 septembre 2019 à M. [T] [R], avocat fiduciaire, la propriété d'un bien immobilier lui appartenant.

10. M. [R] a quant à lui été poursuivi pour recel de banqueroute et complicité d'organisation frauduleuse d'insolvabilité.

11. Par jugement du 30 avril 2020, le tribunal a prononcé la nullité de la garde à vue de M. [R], rejeté les autres exceptions de nullité et renvoyé les prévenus des fins de la poursuite.

12. Le procureur de la République a interjeté appel de la décision.

Examen des moyens

Sur les premier moyen, deuxième et troisième moyens, pris en leur deux premières branches, proposés pour MM. [N] et [I] [L], et les premier et quatrième moyens proposés pour M. [R]

13. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur les deuxième et troisième moyens, pris en leur quatrième branche, proposés pour MM. [N] et [I] [L]

Enoncé des moyens

14. Le moyen proposé pour M. [N] [L] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de banqueroute par détournement d'actif et d'organisation frauduleuse de l'insolvabilité pour échapper à une condamnation de nature patrimoniale et l'a condamné à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 50 000 euros, alors :

« 4°/ qu'il résulte de l'article 2019 du code civil que l'absence d'enregistrement au service des impôts, dans le délai d'un mois prévu par ce texte, du contrat de fiducie ou de l'acte écrit opérant la transmission des droits résultant dudit contrat, fait obstacle à cette transmission, de sorte qu'en pareille hypothèse, les biens ou droits litigieux demeurent dans le patrimoine de leur propriétaire ; Qu'en l'espèce, pour déclarer que le contrat de fiducie conclu par l'exposant et portant sur un bien lui appartenant caractérise le délit de banqueroute par détournement d'actif, la cour d'appel a énoncé qu'il importe que l'opération n'ait pu aller à son terme en raison du défaut de publication dans le délai, et que s'agissant d'une infraction instantanée, le seul fait de constituer le dossier et de le remettre au notaire pour qu'il puisse le publier permet de constituer l'infraction ; Qu'en statuant ainsi, quand l'absence d'enregistrement, dans le délai légal, du contrat de fiducie et de l'acte écrit constatant la transmission des droits litigieux, faisait obstacle à cette transmission et, partant, excluait tout détournement d'actif au sens de l'article L 654-2-2° du code de commerce, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble l'article 2019 du code civil. »

15. Le moyen proposé pour M. [I] [L] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de banqueroute par détournement d'actif et d'organisation frauduleuse de l'insolvabilité pour échapper à une condamnation de nature patrimoniale et l'a condamné à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 50 000 euros, alors :

« 4°/ qu'il résulte de l'article 2019 du code civil que l'absence d'enregistrement au service des impôts, dans le délai d'un mois prévu par ce texte, du contrat de fiducie ou de l'acte écrit opérant la transmission des droits résultant dudit contrat, fait obstacle à cette transmission, de sorte qu'en pareille hypothèse, les biens ou droits litigieux demeurent dans le patrimoine de leur propriétaire ; Qu'en l'espèce, pour déclarer que le contrat de fiducie conclu par l'exposant et portant sur un bien lui appartenant caractérise le délit de banqueroute par détournement d'actif, la cour d'appel a énoncé qu'il importe que l'opération n'ait pu aller à son terme en raison du défaut de publication dans le délai, et que s'agissant d'une infraction instantanée, le seul fait de constituer le dossier et de le remettre au notaire pour qu'il puisse le publier permet de constituer l'infraction ; Qu'en statuant ainsi, quand l'absence d'enregistrement, dans le délai légal, du contrat de fiducie et de l'acte écrit constatant la transmission des droits litigieux, faisait obstacle à cette transmission et, partant, excluait tout détournement d'actif au sens de l'article L 654-2-2° du code de commerce, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble l'article 2019 du code civil. »

Réponse de la Cour

16. Les griefs sont réunis.

17. Pour déclarer MM. [N] et [I] [L] coupables de banqueroute, l'arrêt relève notamment qu'il importe peu que l'opération n'ait pu aller jusqu'à son terme en raison du défaut de publication du contrat de fiducie, dès lors que la banqueroute constitue une infraction instantanée et que le seul fait de constituer le dossier et de le remettre au notaire pour qu'il puisse le publier permet de constituer l'infraction.

18. Les juges précisent que le délit de banqueroute par détournement d'actif suppose l'existence d'une dissipation volontaire d'un élément d'un débiteur en état de cessation de paiement par l'une des personnes énumérées par l'article L. 654-1 du code de commerce et qu'il n'est pas exigé que l'élément d'actif ait définitivement disparu du patrimoine soit par une destruction, soit par un acte de disposition, puisqu'il suffit qu'il ait été volontairement caché ou soustrait de façon à empêcher qu'il ne soit appréhendé au profit des créanciers comme en l'espèce.

19. Ils en déduisent que l'absence de publication dans les délais rendant inopérante la fiducie importe peu, puisque l'élément d'actif a été soustrait même temporairement et la saisie a été impossible.

20. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

21. En effet, si l'article 2019 du code civil dispose que, à peine de nullité, le contrat de fiducie, ses avenants et la transmission des droits en résultant doivent faire l'objet de formalités d'enregistrement et de publication, la nullité de ces actes tirée de la méconnaissance de ces formalités doit être prononcée par le juge et, jusqu'à cette décision, ils sont seulement annulables.

22. Dès lors, les moyens ne sont pas fondés.

Mais sur les deuxième et troisième moyens, pris en leur troisième branche, proposés pour MM. [N] et [I] [L]

Enoncé des moyens

23. Le moyen proposé pour M. [N] [L] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de banqueroute par détournement d'actif et d'organisation frauduleuse de l'insolvabilité pour échapper à une condamnation de nature patrimoniale et l'a condamné à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 50 000 euros, alors :

« 3°/ qu'aux termes de la convocation en date du 28 octobre 2019, qui fixe les termes de la prévention, il est reproché à M. [N] [L] d'avoir, entre le 1er mars 2019 et le 9 septembre 2019, étant dirigeant de droit de personnes morales de droit privé faisant l'objet d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire, commis le délit de banqueroute en détournant ou en dissimulant tout ou partie de l'actif, en l'espèce en transférant par acte notarié la totalité en pleine propriété d'un bien immobilier situé [Adresse 2] à [Localité 3] à Me Massimo Bianchi, avocat fiduciaire ; Que pour déclarer le prévenu coupable de cette infraction, la cour d'appel a énoncé que celui-ci avait connaissance du jugement d'extension de la procédure collective à son encontre ainsi que du jugement de liquidation du 14 mai 2019 le concernant personnellement, et que les prévenus ne contestent pas avoir eu connaissance de l'extension de la liquidation à leur patrimoine personnel ; Qu'en retenant ainsi, à la charge de l'exposant, des faits qu'il aurait commis en sa qualité de débiteur personne physique faisant l'objet d'une procédure collective, sans caractériser la participation du prévenu à un détournement commis en qualité de dirigeant de droit d'une personne morale faisant l'objet d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 654-2-2° d code de commerce. »

24. Le moyen proposé pour M. [I] [L] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de banqueroute par détournement d'actif et d'organisation frauduleuse de l'insolvabilité pour échapper à une condamnation de nature patrimoniale et l'a condamné à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 50 000 euros, alors :

« 3°/ qu'aux termes de la convocation en date du 28 octobre 2019, qui fixe les termes de la prévention, il est reproché à M. [I] [L] d'avoir, entre le 1er mars 2019 et le 9 septembre 2019, étant dirigeant de droit de personnes morales de droit privé faisant l'objet d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire, commis le délit de banqueroute en détournant ou en dissimulant tout ou partie de l'actif, en l'espèce en transférant par acte notarié la totalité en pleine propriété d'un bien immobilier situé [Adresse 1] à [Localité 3] à Me Massimo Bianchi, avocat fiduciaire ; Que pour déclarer le prévenu coupable de cette infraction, la cour d'appel a énoncé que celui-ci avait connaissance du jugement d'extension de la procédure collective à son encontre ainsi que du jugement de liquidation du 14 mai 2019 le concernant personnellement, et que les prévenus ne contestent pas avoir eu connaissance de l'extension de la liquidation à leur patrimoine personnel ; Qu'en retenant ainsi, à la charge de l'exposant, des faits qu'il aurait commis en sa qualité de débiteur personne physique faisant l'objet d'une procédure collective, sans caractériser la participation du prévenu à un détournement commis en qualité de dirigeant de droit d'une personne morale faisant l'objet d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L 654-2-2° du code de commerce. »

Réponse de la Cour

25. Les griefs sont réunis.

Vu les articles L. 654-1 et L. 654-2 du code de commerce, et 593 du code de procédure pénale :

26. Il résulte du second de ces textes qu'en cas d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, sont coupables de banqueroute les personnes mentionnées au premier contre lesquelles a notamment été relevé le fait d'avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif du débiteur.

27. Le second est notamment applicable à toute personne exerçant une activité commerciale ou artisanale, à tout agriculteur et à toute personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, ainsi qu'à toute personne qui a, directement ou indirectement, en droit ou en fait, dirigé ou liquidé une personne morale de droit privé.

28. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

29. Pour déclarer les prévenus coupables de banqueroute par détournement ou dissimulation de tout ou partie de l'actif, commise en étant dirigeant de droit de personnes morales de droit privée faisant l'objet d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire, l'arrêt relève notamment que les prévenus avaient connaissance du jugement d'extension de la procédure collective à leur encontre ainsi que du jugement de liquidation du 14 mai 2019 les concernant personnellement.

30. En se déterminant ainsi, sans établir que les prévenus étaient dirigeants de droit ou de fait de la personne morale de droit privé débitrice de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si les faits poursuivis pouvaient recevoir une autre qualification, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

31. La cassation est par conséquent encourue.

Et sur les quatrième et cinquième moyens proposés pour MM. [N] et [I] [L]

Enoncé des moyens

32. Le moyen proposé pour M. [N] [L] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable d'organisation frauduleuse de son insolvabilité en vue de se soustraire à l'exécution d'une condamnation de nature patrimoniale prononcée par une juridiction répressive et l'a condamné à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 50 000 euros, alors :

« 1°/ qu'en déclarant l'exposant coupable de cette infraction sans assortir sa décision d'aucun motif, la cour d'appel a violé l'article 593 du code de procédure pénale ;

2°/ subsidiairement, qu'en s'abstenant d'identifier la condamnation de nature patrimoniale mise à la charge du prévenu et à laquelle ce dernier se serait soustrait par la conclusion d'un contrat de fiducie, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 314-7 du code pénal. »

33. Le moyen proposé pour M. [I] [L] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable d'organisation frauduleuse de son insolvabilité en vue de se soustraire à l'exécution d'une condamnation de nature patrimoniale prononcée par une juridiction répressive et l'a condamné à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 50 000 euros, alors :

« 1°/ qu'en déclarant l'exposant coupable de cette infraction sans aucun motif, la cour d'appel a violé l'article 593 du code de procédure pénale ;

2°/ subsidiairement, qu'en s'abstenant d'identifier la condamnation de nature patrimoniale mise à la charge du prévenu et à laquelle ce dernier se serait soustrait par la conclusion d'un contrat de fiducie, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 314-7 du code pénal. »

Réponse de la Cour

34. Les moyens sont réunis.

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

35. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

36. En déclarant les prévenus coupables d'organisation frauduleuse d'insolvabilité, sans énoncer les motifs propres à justifier cette décision, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

37. La cassation est par conséquent de nouveau encourue.

Portée et conséquences de la cassation

38. La cassation sur la déclaration de culpabilité des chefs de banqueroute et d'organisation frauduleuse d'insolvabilité prononcée à l'encontre de MM. [N] et [I] [L] emportera celle de la déclaration de culpabilité des chefs de recel de banqueroute et complicité d'organisation frauduleuse d'insolvabilité prononcée à l'encontre de M. [R].

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés pour M. [R], la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, en date du 30 juin 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.