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Décisions

Cass. soc., 4 novembre 2020, n° 18-18.360

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Huglo

Rapporteur :

M. Rinuy

Avocats :

SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Douai, du 20 avr. 2018

20 avril 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 20 avril 2018), M. V... a été engagé à compter du 5 mars 1990 par la société Transport en commun de la communauté urbaine de Lille (TCC), le contrat de travail stipulant qu'à la suite de sa titularisation au terme d'une année de stage, il occuperait le poste de chef comptable coefficient 390, palier 21, de la convention collective des réseaux de transports publics urbains de voyageurs. La société TCC est devenue la société Transpole puis la société Keolis Lille (la société), laquelle gère les transports urbains de la métropole lilloise dans le cadre d'une délégation de service public.

2. Le 28 décembre 2011, contestant le coefficient 390 attribué depuis son embauche, le salarié a saisi la juridiction prud'homale en paiement de rappels de salaire et dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt de dire que le salarié doit être positionné, pour la période à compter du 1er mars 2008, au coefficient 530, palier 23, de l'annexe III de la convention collective des transports publics urbains correspondant à ses fonctions de chef comptable et d'ordonner la liquidation sur état des rappels de salaires et congés payés afférents, dans les conditions précisées ci-dessus, qui devra intervenir en tout état de cause dans les quatre mois de la signification de l'arrêt et dit qu'en cas de difficulté sur cette liquidation l'une ou l'autre des parties pourra saisir la cour pour y mettre fin, et ceci par simple requête préalablement notifiée, alors :

« 1°/ que selon le chapitre VIII de l'annexe III de la convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs, le cadre "chef de service administratif", classé au coefficient 530, est celui qui "exerce des fonctions dans lesquelles il met en oeuvre des connaissances théoriques et une expérience s'étendant à tous les domaines d'activité de son département" et que "sa place dans la hiérarchie lui donne le commandement sur un ou plusieurs ingénieurs ou cadres des positions précédentes dont il oriente ou contrôle les activités ou bien comporte, dans les domaines technique, d'exploitation, administratif ou de gestion, des responsabilités exigeant une très large autonomie de jugement et d'initiative" ; qu'il en résulte que le commandement d'un ou plusieurs cadres des positions précédentes ne constitue pas le critère exclusif de classement d'un cadre au coefficient 530, le cadre devant également mettre en oeuvre, dans ses fonctions des connaissances et une expérience s'étendant à tous les domaines d'activité de son département ; que le critère du commandement d'un ou plusieurs cadres des positions précédentes peut d'autant moins déterminer à lui seul le positionnement au coefficient 530 que le cadre classé au coefficient 430 peut lui aussi exercer son autorité sur des cadres adjoints ; qu'en se fondant exclusivement sur le fait que le salarié a exercé, à compter de mars 2008, une autorité hiérarchique sur un auditeur interne de statut cadre rattaché à son département, pour retenir qu'il devait à compter de cette date être positionné au coefficient 530, sans rechercher si le salarié mettait en oeuvre dans l'exercice de ses fonctions des connaissances théoriques et une expérience s'étendant à tous les domaines d'activité de son département, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'accord collectif précité ;

2°/ que selon le chapitre VIII de l'annexe III de la convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs, le cadre classé au coefficient 430 peut exercer son autorité sur des cadres adjoints, tandis que le cadre chef de service administratif classé au coefficient 530 exerce un commandement sur un ou plusieurs ingénieurs ou cadres des positions précédentes ; que le cadre adjoint est celui qui ‘' est affecté à un poste de commandement en vue d'aider le titulaire ou qui exerce par délégation de son supérieur hiérarchique des responsabilités délimitées dans les domaines techniques, d'exploitation, administratif ou de gestion ‘' ; qu'en se bornant à viser le contenu des missions de M. L... et sa position dans la convention collective des transports routiers, pour dire que M. L... n'est pas l'adjoint de M. V... et en déduire que ce dernier a occupé à compter de l'arrivée de M. L... une place dans la hiérarchie lui donnant le commandement sur un cadre d'une position précédente, sans expliquer en quoi les fonctions exercées par M. L... impliquaient son positionnement, dans la convention collective des transports publics urbains de voyageurs, à une position supérieure à celle de ‘' cadre adjoint ‘', ce qui permettait de classer M. V... au coefficient 530, plutôt qu'au coefficient 430, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'accord collectif précité ;

3°/ qu'à supposer que le critère du "commandement sur un ou plusieurs ingénieurs ou cadres des positions précédentes" puisse déterminer le classement d'un cadre au coefficient 530, encore faudrait-il que le salarié qui sollicite son positionnement à un tel coefficient justifie exercer seul le commandement d'au moins un cadre des positions précédentes ; qu'en l'espèce, il résulte de l'enquête réalisée par l'expert sollicité par la société Keolis Lille que M. L... était rattaché administrativement à M. V..., mais que, pour l'essentiel de ses missions, il recevait les plans et instructions d'audit de M. W..., le Secrétaire général, à qui il rendait compte de ses travaux ; que M. W... estimait lui-même que pour la majorité de son travail, M. L... ne dépendait pas de M. V... ; qu'en se bornant cependant à relever, pour admettre que M. V... exerçait un commandement sur M. L... et qu'il devait en conséquence être repositionné au coefficient 530 à compter de l'embauche de ce dernier, que M. V... était désigné comme le supérieur hiérarchique de M. L... sur le contrat de ce dernier, que selon l'organigramme de l'entreprise, l'audit comptable est rattaché à M. V..., que ce dernier a procédé à l'un des entretiens d'évaluation de M. L... et que certains courriers démontrent que M. L... soumettait à M. V... des propositions d'audit, le sollicitait pour validation de son travail et que M. V... lui suggérait parfois des propositions, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'exercice, par M. V..., d'un pouvoir de commandement sur un cadre d'une position précédente susceptible à lui seul de justifier son repositionnement au coefficient 530 ; qu'elle a donc encore privé sa décision de base légale au regard de l'accord collectif précité ;

4°/ enfin que le juge ne peut relever un moyen d'office sans inviter les parties à présenter leurs observations ; que, ni dans ses conclusions d'appel, ni à l'audience, M. V... ne soutenait que dès lors qu'il n'avait pas consenti au rattachement de M. L... au groupe en novembre 2014, le fait qu'il n'exerçait plus de commandement sur un cadre à compter de cette date était sans incidence sur sa classification ; qu'en relevant que le fait qu'en novembre 2014 le pôle audit comptable ait été soustrait à l'autorité de M. V... et M. L... rattaché au groupe, était sans incidence sur la classification de M. V..., dès lors que ce dernier n'avait pas consenti à cette modification, sans avoir invité les parties à s'expliquer sur ce moyen relevé d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

5°/ que, en toute hypothèse, si le fait de soustraire un cadre à l'autorité d'un salarié nécessite l'accord de ce dernier, de la même façon, le fait de placer un cadre sous l'autorité d'un salarié qui n'exerçait pas auparavant cette responsabilité nécessite son accord ; qu'en affirmant que le fait que le pôle audit et donc M. L... aient été soustraits à l'autorité de M. V... en novembre 2014 était sans incidence sur le coefficient de ce dernier, dès lors qu'il n'avait pas consenti à cette modification, sans avoir constaté que M. V... avait accepté, en mars 2008, d'exercer un commandement sur un cadre, ce qu'il ne faisait pas antérieurement, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret du 10 février 2016, ensemble l'article L. 1221-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

4. Sous le couvert de griefs non fondés de manque de base légale, le moyen ne tend, en ses trois premières branches, qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine de la cour d'appel qui, analysant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a retenu que le salarié a occupé à compter de l'arrivée de M. L... une place dans la hiérarchie lui donnant le commandement sur un cadre d'une position précédente dont il orientait ou contrôlait les activités au sens de la convention collective des transports publics urbains et qu'ainsi, à compter de mars 2008, le salarié exerçait au sens de la convention collective applicable les fonctions correspondant à celles de chef du service de la comptabilité et devait bénéficier du coefficient 530.

5. Dans une procédure orale les moyens et prétentions sont présumés, sauf preuve contraire non rapportée en l'espèce, avoir été contradictoirement débattus à l'audience. La quatrième branche du moyen ne peut donc être accueillie.

6. En conséquence, le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit et dès lors irrecevable en sa cinquième branche, n'est pas fondé pour le surplus.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. La société fait grief à l'arrêt de dire que le salarié doit être positionné, pour la période allant de la titularisation dans son poste jusqu'au 28 février 2008, au coefficient 430, palier 22, de l'annexe III de la convention collective des transports publics urbains correspondant à ses fonctions de chef comptable et d'ordonner la liquidation sur état des rappels de salaires et congés payés afférents, dans les conditions précisées ci-dessus, qui devra intervenir en tout état de cause dans les quatre mois de la signification de l'arrêt et dit qu'en cas de difficultés sur cette liquidation l'une ou l'autre des parties pourra saisir la cour pour y mettre fin, et ceci par simple requête préalablement notifiée, alors :

« 1°/ que selon le chapitre VIII de l'annexe III de la convention collective des réseaux de transports publics urbains de voyageurs, le cadre adjoint est celui qui est affecté à un poste de commandement en vue d'aider le titulaire ou qui exerce par délégation de son supérieur hiérarchique des responsabilités délimitées dans les domaines technique, d'exploitation, administratif ou de gestion ; qu'en affirmant que M. V... n'était pas cadre adjoint, dès lors qu'il accomplissait les tâches inhérentes aux fonctions de chef comptable sans nécessité de délégation de son supérieur hiérarchique et que la société ne produisait aucune délégation écrite de pouvoir émanant de M. W..., cependant qu'elle a elle-même constaté que M. W... était investi d'une délégation de pouvoirs lui confiant la responsabilité de la tenue de la comptabilité et des déclarations fiscales et sociales et qu'au surplus, la convention collective n'exige pas que le cadre adjoint soit titulaire d'une délégation écrite du cadre responsable du service, la cour d'appel a violé l'accord collectif précité ;

2°/ que selon le chapitre VIII de l'annexe III de la convention collective des réseaux de transports publics urbains de voyageurs, le cadre classé au coefficient 430 est celui dont la "place dans la hiérarchie le situe au-dessus des agents de maîtrise et des ingénieurs adjoints ou cadres adjoints placés éventuellement sous son autorité ou bien comporte dans les domaines technique, d'exploitation, administratif ou de gestion, des responsabilités exigeant une large autonomie de jugement et d'initiative" ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt que M. V... n'était pas situé au-dessus d'un ou plusieurs cadres adjoints, de sorte qu'il devait démontrer exercer des responsabilités exigeant une large autonomie de jugement et d'initiative pour prétendre au coefficient 430 ; que la cour d'appel a elle-même constaté que M. V... ne faisait pas partie du comité de direction, mais qu'il assistait avec d'autres cadres à une réunion mensuelle autour de ce comité, que M. W... était titulaire d'une délégation de pouvoirs du directeur général lui confiant la responsabilité de la comptabilité et des déclarations fiscales et sociales, que c'était M. W..., et non M. V..., qui signait les contrats de travail des salariés du département de la comptabilité, y compris les contrats précaires et décidait de l'embauche au sein de ce département, que les interventions des commissaires aux comptes s'effectuaient sous la houlette de M. W..., que la lettre d'affirmation de la sincérité des comptes était co-signée par M. W... et le président directeur général et que le groupe Keolis Lille limite la liberté d'initiative et de jugement des responsables comptables des filiales ; que de l'ensemble de ses constatations, il résultait que l'exercice des activités de chef comptable n'appelait pas réellement d'autonomie de jugement et d'initiative ; qu'en affirmant néanmoins que M. V... avait des responsabilités exigeant une large autonomie de jugement et d'initiative, après avoir simplement relevé qu'il était le correspondant de la Brink's, même s'il n'était pas signataire du contrat de transport de fonds et de valeurs, qu'il avait reçu un mandat ponctuel pour présenter toutes observations utiles à l'occasion d'un contrôle fiscal et qu'il avait été en 2005 chef de projet d'un groupe de travail limité à l'élaboration d'un cahier des charges en vue du changement de logiciel de finances, constatations impropres à justifier cette affirmation, la cour d'appel a violé l'accord collectif précité ;

3°/ que le juge est tenu par les limites du litige ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, M. V... sollicitait la condamnation de la société Keolis Lille à lui payer un rappel de salaire correspondant au coefficient 530 ou, à défaut, au coefficient 430 qu'il expliquait avoir calculé "en respectant les règles de la prescription quinquennale" ; qu'il limitait ainsi sa demande de rappel de salaire à la période comprise entre décembre 2006 et la date du prononcé de l'arrêt ; qu'après avoir dit que M. V... devait être repositionné au coefficient 430 " pour la période allant de la titularisation dans son poste jusqu'au 28 février 2008 ", la cour d'appel a ordonné la liquidation sur état des rappels de salaire et congés payés afférents « dans les conditions précisées ci-dessus » ; qu'à supposer qu'elle ait ainsi ordonné le calcul du rappel de salaire dû à M. V... à compter de la titularisation dans son poste, soit en décembre 1991, la cour d'appel aurait statué ultra petita et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. Sous le couvert de griefs non fondés de violation du chapitre VIII de l'annexe III de la convention collective des réseaux de transports publics urbains de voyageurs, le moyen ne tend, en ses deux premières branches, qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine de la cour d'appel qui, analysant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a retenu que le salarié avait une large autonomie de jugement et d'initiative et pouvait prétendre au coefficient 430, son emploi correspondant à celui de la position 63 c "sous-chef de la comptabilité".

9. Le grief, soutenu dans la troisième branche du moyen, relatif au point de départ du positionnement du salarié au coefficient 430, dénonce une incertitude quant à la portée du chef de dispositif sur ce point, laquelle, pouvant donner lieu à une requête en interprétation, n'ouvre pas droit à cassation.

10. Le moyen, irrecevable en sa troisième branche, n'est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.