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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 3, 18 janvier 2024, n° 21/16884

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 21/16884

18 janvier 2024

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 3

ARRET DU 18 JANVIER 2024

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 21/16884 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEMGN

Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 février 2021 -Tribunal judiciaire de Paris (18ème chambre, 1ère section) RG n° 19/10245

APPELANTE

S.A.R.L. MAC MAHON DEVELOPPEMENT

Immatriculée au R.C.S. de Paris sous le n° 407 726 801

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée et assistée de Me Olivier PLACKTOR, avocat au barreau de Paris, toque : D2036

INTIMEE

CAISSE DE PREVOYANCE ET DE RETRAITE DES NOTAIRES

Immatriculée au R.C.S. de Paris sous le n° 784 338 899

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET :

Représentée par Me Véronique BOMSEL DI MEGLIO, avocat au barreau de Paris, toque : E0801

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 29 novembre 2023, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre conformément aux articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre

Mme Sandra Leroy, conseillère

Mme Emmanuelle Lebée, magistrate à titre honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffier, lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffière, présente lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous seing privé du 15 décembre 2011, la Caisse de prévoyance et de retraite des notaires (ci-après CPRN) a donné à bail en renouvellement d'un précédent bail du 15 octobre 2002, pour 9 années à compter du 1er janvier 2012, à la société Mac Mahon développement, des locaux à usage exclusifs de bureaux, situés au 1er étage et 1er sous-sol de l'immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 3], moyennant un loyer principal annuel de 69.000 €.

Par acte d'huissier du 29 juin 2017, la société Mac Mahon développement a donné congé à la bailleresse pour l'issue de la deuxième période triennale soit le 31 décembre 2017. Elle s'est maintenue dans les locaux après cette date.

Par acte d'huissier du 4 septembre 2018, la CPRN a fait délivrer à la société Mac Mahon développement une sommation de payer la somme principale de 40.673,34 € à titre d'indemnité d'occupation puis, par acte du 17 septembre 2018, une sommation de quitter les locaux.

Saisi par la CPRN suivant assignation du 11 février 2019 aux fins principalement de voir ordonner l'expulsion de la locataire et de la voir condamner au paiement d'une indemnité d'occupation le juge des référés a, par ordonnance du 24 septembre 2019, notamment constaté que la société Mac Mahon développement était occupante sans droit ni titre, ordonné son expulsion, fixé à titre provisionnel l'indemnité d'occupation à une somme égale au montant du loyer contractuel outre les taxes, charges et accessoires, condamnée l'occupante au paiement d'une provision de 80.639 € au titre de l'indemnité d'occupation pour la période du 1er janvier 2018 au 31 août 2019. La société Mac Mahon développement a interjeté appel de cette décision.

En parallèle, par acte d'huissier du 4 septembre 2019, la société Mac Mahon développement a fait citer la CPRN devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins principalement de voir condamner cette dernière au paiement de 100.000 € en réparation du préjudice résultant de son comportement abusif et déloyal, de voir dire que l'indemnité d'occupation ne pourra excéder 50 % du loyer contractuel.

Les locaux ont été restitués le 15 janvier 2020.

Par arrêt du 9 juillet 2020, la cour d'appel a confirmé l'ordonnance de référé et, y ajoutant, a rejeté la demande de la société Mac Mahon développement tendant à voir fixer l'indemnité d'occupation provisionnelle à 50 % du loyer ainsi que sa demande formée au titre des frais irrépétibles.

Par jugement du 2 avril 2021, le tribunal judiciaire de Paris a, notamment, débouté la société Mac Mahon développement de sa demande tendant à voir rejeter les conclusions de la CPRN, constaté que par l'effet du congé délivré le 29 juin 2017, la société Mac Mahon développement est occupante sans droit ni titre des locaux litigieux, débouté la société Mac Mahon développement de sa demande aux fins de voir condamner la Caisse de prévoyance et de retraite des notaires à lui payer la somme de 100.000 € à titre de dommages et intérêts pour comportement abusif et déloyal, condamné la société Mac Mahon développement à payer à la Caisse de prévoyance et de retraite des notaires, au titre de l'indemnité d'occupation due depuis le 1er janvier 2018 jusqu'à son départ, la somme de 118.470 € en deniers ou quittances, les éventuels paiements de la société Mac Mahon développement postérieurs au 30 août 2019 devant être déduits de ce montant et la somme de 2.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Par déclaration du 24 septembre 2021, la société Mac Mahon développement a interjeté appel partiel du jugement.

La Caisse de prévoyance et de retraite des notaires n'a pas conclu au fond.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Aux termes de ses conclusions signifiées le 2 décembre 2021, la société Mac-Mahon développement, appelante, demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- débouté la société Mac Mahon développement de sa demande tendant à voir rejeter les conclusions de la Caisse de prévoyance et de retraite des notaires (CPRN) ;

- constaté que par l'effet du congé délivré le 29 juin 2017, la société Mac Mahon développement est occupante sans droit ni titre des locaux situés au 1er étage (bureaux) et sous-sol (local archives et emplacements de parking) de l'immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 3] ;

- débouté la société Mac Mahon développement de sa demande de voir condamner la CPRN à lui payer la somme de 100.000 euros à titre de dommages-intérêts pour comportement abusif et déloyal ;

- condamné la société Mac Mahon développement à payer à la CPRN, au titre de l'indemnité d'occupation depuis le 1er janvier 2018 jusqu'à son départ, la somme de 118470 euros en deniers ou quittances, les éventuels paiements de la société Mac Mahon développement postérieurs au 30 août devant être déduits de ce montant ;

- condamné la société Mac Mahon développement à payer à la CPRN la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la société Mac Mahon développement de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- rejeté ses autres demandes ;

- condamné la société Mac Mahon développement aux dépens.

Statuant à nouveau,

- dire et juger la société Mac Mahon développement bien fondée en ses demandes, fins et prétentions ;

En conséquence,

- condamner la CPRN à payer à la société Mac Mahon développement la somme de 100.000 euros au titre du préjudice subi par la société Mac Mahon développement du fait du comportement abusif et déloyal de la CPRN ;

- dire qu'au vu de l'état dégradé et de la vétusté des locaux, le montant de l'indemnité d'occupation ne pourra excéder 50 % du montant du loyer tel que fixé dans le contrat de bail du 15 décembre 2011 ;

En toute hypothèse,

- condamner la CPRN à payer à la société Mac Mahon développement la somme de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la CRPN aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la société Mac Mahon développement expose :

sur la rupture abusive et déloyale de la promesse unilatérale de bail, que par courriel du 18 décembre 2017, la CPRN a proposé de consentir à la société concluante un bail portant sur des bureaux en cours de rénovation au 3ème étage de l'immeuble, pour un loyer annuel de 70.000 euros HT et HC, de sorte que les éléments essentiels à la conclusion d'un contrat de bail étaient bien déterminés ; que par courrier du 15 mars 2018, la nouvelle directrice de l'immobilier de la CPRN lui a indiqué que la concluante occupait sans titre les bureaux du 1er étage, en dépit de la promesse ; que la concluante n'a reçu aucun avis d'échéance depuis le 1er janvier 2018 ; que c'est avec mauvaise foi que le bailleur a cru pouvoir exercer un chantage sur la société concluante en exigeant le paiement d'une indemnité d'occupation dont le montant est exorbitant au regard de la valeur locative réelle des locaux, pour in fine, prendre prétexte du non-paiement de cette somme pour ne pas respecter ses engagements pris au titre de la promesse de bail ; que l'attitude déloyale de la CRPN et le non-respect de la promesse de bail ont causé un grave préjudice à la société concluante qui se retrouve désormais dépourvue de locaux pour l'exercice de son activité ;

sur la fixation d'une indemnité d'occupation, que la concluante a été une locataire « exemplaire » depuis 2002 ; que le bailleur a manqué à son obligation de délivrance de locaux à usage de bureaux conformes aux dispositions légales et réglementaires applicables à cet usage compte tenu de l'état « calamiteux » des locaux ; que le bailleur n'a fait établir aucun contre-rapport et a au contraire entrepris de lourds travaux confirmant ce point et justifiant la fixation d'une indemnité d'occupation d'un montant inférieur au loyer.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions de l'appelant.

SUR CE,

Conformément aux dispositions du dernier alinéa de l'article 954 du code de procédure civile, en absence de conclusions recevables de l'intimé, ce dernier est réputé s'être approprié les motifs du premier juge. Aux termes de l'article 472 du code de procédure civile, la cour ne fait droit à la demande de l'appelante que si elle l'estime régulière, recevable et bien fondée.

Sur la rupture abusive et déloyale de la promesse unilatérale de bail

L'article 1124 du code civil prévoit, notamment, que « La promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l'autre, le bénéficiaire, le droit d'opter pour la conclusion d'un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire ».

Conformément aux dispositions de l'article 1104 du même code, « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. »

Lors des négociations précontractuelles, les parties restent libres de conclure sauf à caractériser un abus dans l'exercice de ce droit, dont la preuve doit être rapportée par celui qui s'en prévaut, abus qui peut être sanctionné et donner lieu à l'octroi de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du code civil.

En l'espèce, c'est par motifs détaillés que la cour adopte et auxquels elle renvoie que le premier juge a repris les échanges intervenus entre les parties entre le 29 juin 2017, date de la délivrance du congé à effet au 31 décembre 2017 par la société Mac Mahon développement, et le 6 février 2019, date d'un courriel de la CPRN informant le locataire que faute de règlement de l'indemnité d'occupation due depuis le 1er janvier 2018 elle engageait une procédure d'expulsion à son encontre.

Il ressort de ces échanges que, d'une part, la société Mac Mahon développement sollicitait sa réinstallation sur un plateau rénové du bâtiment au regard du caractère obsolète des locaux et, d'autre part, manifestait son intérêt à acquérir l'immeuble.

Contrairement à ce que soutient l'appelante, si la CPRN se déclarait prête à consentir un nouveau bail, aux termes d'un courriel en date du 18 décembre 2017, pour des bureaux situés au 3ème étage de l'immeuble dès la fin des travaux de rénovation, pour un montant de 70.000 euros HT, cette proposition n'a donné lieu à aucune suite favorable de sa part. Tout au contraire, la société Mac Mahon a considéré, dans un courriel en date du 24 septembre 2018, que ces locaux présentaient « un niveau de finition et de prestation faible », allégation non démontrée, et proposait de reprendre les locaux délaissés en les rénovant elle-même, proposition qui, au demeurant, recouvre l'obligation d'entretien pesant sur elle aux termes du bail hors travaux de l'article 606 du code civil.

Dans ces conditions, c'est par motifs pertinents que la cour adopte que le premier juge a considéré qu'aucune promesse de bail n'avait été consentie par la CPRN à la société Mac Mahon développement, en absence d'accord des parties sur la chose et le prix.

C'est par motifs tout aussi pertinents que le premier juge a considéré, en outre, que l'existence même de pourparlers n'était pas démontrée en ce que, d'une part, la CPRN a clairement signifié que l'immeuble n'était pas à vendre, sans que la liberté du propriétaire de jouir librement de son bien, notamment en refusant de le céder, puisse être considérée comme abusive et, d'autre part, la CPRN a constamment rappelé que le préalable à toute reprise de discussion sur un changement de locaux résidait dans l'apurement de sa dette d'occupation par la société Mac Mahon développement, ce qui n'est pas démontré.

Ce point a cristallisé l'essentiel du litige entre les parties, l'appelante considérant que l'état des locaux justifiait que cette indemnité soit ramenée à la moitié du loyer contractuel. Or, la société Mac Mahon ne démontre pas davantage cette affirmation. D'une part, aucun élément ne vient démontrer une quelconque difficulté rencontrée par la locataire pendant la durée du bail à la jouissance paisible des lieux. D'autre part, le rapport d'expertise non contradictoire mais versé aux débats par l'occupante, dressé presque deux ans après la délivrance du congé, n'établit pas le « caractère obsolète des locaux » en ce qu'il relève au contraire le caractère récent de l'immeuble, dont les parties communes n'appellent aucun commentaire, notant même le remplacement récent des châssis de façade, en dehors de l'absence de VMC générale compensée par un apport d'air à chaque niveau « par un contact direct en façade à travers des ventilo-convecteurs intérieurs », et « l'état général des locaux [qui] semblent correct et bien entretenu ». Si l'expert souligne une absence d'apport d'air neuf en partie centrale et l'absence d'extraction de l'air vicié dans les sanitaires, il n'en tire pour autant aucune conséquence quant à la salubrité des locaux.

Il infère de ces éléments que c'est à bon droit que le premier juge a considéré qu'aucun comportement fautif du bailleur n'était démontré.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire de la société Mac Mahon développement.

Sur la fixation d'une indemnité d'occupation

L'indemnité d'occupation, du fait de sa nature mixte à la fois indemnitaire et compensatoire, a vocation à indemniser la poursuite de l'occupation des locaux par l'occupant sans droit ni titre et à compenser le préjudice résultant pour le bailleur de l'impossibilité à disposer librement des lieux.

En l'espèce, le bail signé par les parties le 15 décembre 2011 a fixé le montant du loyer à la somme de 69.000 euros HT HC. Comme relevé par le premier juge, à l'issue de la première période triennale, la locataire n'a pas demandé la révision du loyer sur le fondement de l'article L. 145-38 du code de commerce, de sorte que le montant du loyer correspond selon les parties à la valeur locative, sauf à la société Mac Mahon développement d'en rapporter la preuve contraire.

Or, la société Mac Mahon développement a volontairement donné congé, le 29 juin 2017, s'engageant à restituer les lieux et remettre les clés au 31 décembre 2017. Si le congé a été accompagné d'un courrier recommandé avec accusé de réception du gérant de la société listant un certain nombre d'obsolescence du bâtiment à ses yeux, l'appelante ne justifie pas avoir fait de réclamations auprès du bailleur concernant l'état des locaux avant la délivrance de ce congé.

Comme relevé par le premier juge et précédemment souligné, les conclusions du rapport de l'expert de partie ne permettent pas de caractériser un trouble de jouissance subi par l'appelante, ni gêne dans l'exercice de son activité, ce d'autant qu'elle s'est volontairement maintenu dans les lieux sans aucun droit après la fin du bail, sans que les photographies versées aux débats ou les attestations délivrées ne viennent contredire ces éléments.

Ainsi, c'est à bon droit que le premier juge a considéré que la société Mac Mahon développement n'était pas fondée à solliciter la fixation d'une indemnité d'occupation à la moitié du montant du loyer contractuel et le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande à ce titre.

Sur les demandes accessoires

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

Succombant en ses prétentions, la société Mac Mahon développement supportera la charge des dépens d'appel et sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 2 février 2021 sous le numéro de RG 19/10245 ;

Rejette la demande de la société Mac Mahon développement sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Mac Mahon développement à supporter la charge des dépens d'appel.

La greffière, La présidente,