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Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 9, 31 janvier 2024, n° 21/02692

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 21/02692

31 janvier 2024

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRET DU 31 JANVIER 2024

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/02692 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDLXT

Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Février 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOBIGNY - RG n° 16/03701

APPELANT

Monsieur [X] [I]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Pasquale BALBO, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS,

toque : PB131

INTIMEE

Madame [J] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Tamara LOWY, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS,

toque : 141

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Mai 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

M. Stéphane MEYER, président

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Justine FOURNIER

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre, et par Monsieur Jadot TAMBUE, greffier à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Madame [Y] a été engagée par Monsieur [I] pour une durée indéterminée le 23 juin 2014, en qualité d'assistante de vie, puis à compter du 25 juin 2014, en qualité de garde malade de nuit.

La relation de travail est régie par la convention collective nationale des salariés du particulier employeur.

Le 11 mai 2015, Madame [Y] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur, invoquant des faits de harcèlement moral et sexuel.

Par lettre du 19 mai 2015, Madame [Y] était convoquée pour le 4 juin 2015 à un entretien préalable à son licenciement, lequel lui a été notifié le 9 juin 2015 pour faute grave, à raison d'absences injustifiées et comportement agressif à l'égard de Monsieur [I].

Par jugement du 2 février 2021, le conseil de prud'hommes de Bobigny en sa formation de départage a :

- jugé que Madame [Y] démontrait l'existence d'un harcèlement sexuel,

- requalifié en licenciement nul la prise d'acte en date du 11 mai 2015,

- fixé le salaire mensuel moyen de Madame [Y] à la somme de 2.054 € bruts,

- condamné Monsieur [I] à payer à Madame [Y] les sommes suivantes :

- 3.500 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel ;

- 2.054 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 205 € brut au titre des congés payés afférents ;

- 14 378 € brut à titre d'indemnité pour le licenciement nul ;

- 1 200 € au titre des frais de procédure ;

- condamné Monsieur [I] à rembourser un mois d'indemnité chômage,

- condamné Monsieur [I] aux intérêts légaux et à la remise de documents,

- condamné Monsieur [I] aux dépens,

- débouté Madame [Y] de ses demandes :

- au titre de la fourniture tardive de l'attestation Pôle emploi,

- au titre de la violation de l'obligation de sécurité,

- débouté Monsieur [I] de sa demande de dommages-intérêts.

A l'encontre de ce jugement notifié le 15 février 2021, Monsieur [I] a interjeté appel en visant expressément les dispositions critiquées, par déclaration du 14 mars 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 16 avril 2021, Monsieur [I] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de dire et juger le licenciement de Madame [Y] bien fondé, de débouter cette dernière de toutes ses demandes et de la condamner à lui verser les sommes suivantes :

- dommages et intérêts : 15.000 €,

- indemnité de préavis non effectué : 2.000 €,

- frais de procédure : 2.000 €

outre de la condamner aux dépens.

Au soutien de ses demandes, Monsieur [I] expose que :

- Madame [Y] ne rapporte pas la preuve du harcèlement sexuel et moral allégué ;

- En tout état de cause, il souffre d'un lourd handicap qui rend impossible toute érection, et il produit des attestations d'autres salariées avec lesquelles la relations de travail s'est déroulée sans accrocs ;

- Il a dû subir le comportement agressif et violent de Madame [Y], et les faits dénoncés fallacieusement par celle-ci ne sont que des mesures de rétorsion contre les lettres de reproches et d'avertissement qui lui ont été adressées.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 8 juillet 2021, Madame [Y] demande à la cour de :

- Confirmer le jugement entrepris, sauf :

- s'agissant du montant des indemnisations allouées au titre du harcèlement moral et du licenciement nul,

- en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes au titre du manquement à l'obligation de sécurité et de la remise tardive de l'attestation Pôle emploi,

- Condamner Monsieur [I] à lui verser les sommes suivantes, assorties des intérêts légaux :

- harcèlement sexuel et moral : 15.000 €,

- licenciement nul à titre principal ou dommages-intérêts pour rupture abusive à titre subsidiaire : 20.540 €,

- manquement à l'obligation de sécurité de résultat : 2 000 €,

- dommages-intérêts pour remise tardive de l'attestation Pôle emploi : 2.054 €,

- frais de procédure : 3.000 €,

- Condamner Monsieur [I] à remettre à Madame [Y] un certificat de travail, une attestation Pôle emploi, un solde de tout compte ainsi que des bulletins de salaire conformes à l'arrêt à intervenir sous astreinte de 50 € par jour de retard et par document que la cour se réservera le droit de liquider,

- Débouter Monsieur [I] de ses demandes reconventionnelles à son encontre,

- Condamner Monsieur [I] aux intérêts légaux et aux entiers dépens.

Madame [Y] fait valoir que :

- Monsieur [I] a profité de sa situation de précarité pour lui faire subir un harcèlement sexuel et moral (masturbation imposée), et que cela a provoqué une importante dégradation de son état de santé ;

- Il a manqué à son obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés en l'obligeant à travailler sans gants et en n'organisant pas de visite médicale d'embauche ;

- La prise d'acte de la rupture du contrat de travail doit produire les effets d'un licenciement nul puisqu'elle est consécutive à un harcèlement sexuel et moral ;

- A titre subsidiaire, Monsieur [I] ne prouve pas une faute grave susceptible de justifier du licenciement ;

- Monsieur [I] a tardé à lui remettre une attestation Pôle emploi, ce qui a retardé son inscription dans l'organisme et lui a donc été préjudiciable.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 9 mai 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

MOTIFS

Sur la demande de dommages-intérêts en réparation du harcèlement moral et sexuel

Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur a l'obligation de protéger la santé physique et mentale de ses salariés.

Aux termes de l'article L. 1152-4 du même code, l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du même code, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Aux termes de l'article L1153-1 dans sa version applicable à l'espèce, aucun salarié ne doit subir des faits :

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

Conformément aux dispositions de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable au litige, il appartient au salarié d'établir des faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il juge utiles.

En l'espèce, Madame [Y] invoque des faits de harcèlement sexuel et moral. Elle expose avoir été soumise à un chantage au licenciement par Monsieur [I], qui connaissait sa situation précaire, seule avec sa fille suite à une séparation, et en a profité pour la forcer à le masturber lors de sa toilette. Elle indique que suite à la fin de sa période d'essai, elle a cessé de le masturber, malgré ses demandes, ce qui a créé des relations très tendues entre eux, son employeur lui faisant de nombreux reproches injustifiés en représailles. Elle expose avoir subi un stress profond en conséquence de ces faits.

A l'appui de ses dires, elle produit plusieurs dénonciations des faits dont elle se dit victime qu'elle a réalisées auprès de différents interlocuteurs :

- une lettre recommandé du 2 avril 2015 à l'inspection du travail,

- une plainte du 4 avril 2015 pour agression sexuelle auprès du commissariat de [Localité 4],

- une plainte auprès du procureur de la République de Bobigny du 28 avril 2015 pour agression et harcèlement sexuel.

Elle y détaille de façon circonstanciée les faits allégués.

Elle produit également des attestations de deux anciennes auxiliaires de vie de Monsieur [I] :

- Madame [U], qui a travaillé un mois chez Monsieur [I], évoque un chantage au licenciement à défaut d'accepter des masturbations, et des demandes obscènes,

- Madame [H], qui indique avoir travaillé pour Monsieur [I] mais avoir quitté cet emploi à défaut de signature d'un contrat de travail, et car elle ressentait un malaise lors de sa toilette car « il se mettait en érection ».

Madame [Y] verse en outre aux débats des pièces relatives au stress subi en lien avec le harcèlement invoqué :

- un arrêt de travail du 13 au 20 décembre 2014 pour urticaire de stress, insomnies,

- un arrêt de travail du 2 au 16 mars 2015 pour épuisement, stress au travail,

-un arrêt de travail du 3 au 10 avril 2015 pour anxiété réactionnelle à souffrance au travail,

- une attestation du Dr [N] indiquant qu'il a reçue en consultation le 3 avril 2015 pour souffrance au travail, la salariée se plaignant de subir un harcèlement moral et sexuel,

- une attestation de Madame [W] [A], une de ses amies, qui indique avoir constaté la dégradation de l'état de Madame [Y] : « étant vulnérable suite à sa séparation avec son ex-mari, son ex-patron en a profité. Son état s'empirait mentalement et physiquement, elle était très mal en point et stressée à cause de la pression de son ex-patron. C'était très difficile pour elle de gérer sa séparation, sa fille, son travail, et le harcèlement moral de son ex-patron ».

Ces éléments de fait permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, les dénonciations opérées par Madame [Y] auprès de différents interlocuteurs officiels étant étayées par les attestations de deux anciennes salariées, et les constatations médicales étant compatibles avec les conséquences du harcèlement allégué.

En réponse, Monsieur [I] fait valoir qu'il souffre d'une forme grave de myopathie qui engendre une dégénérescence de tous les muscles, de sorte qu'il ne peut plus marcher, bouger, se laver, manger, et même respirer seul, ne peut plus parler et dépend totalement de tiers. Il dit qu'il lui est impossible d'avoir des érections. Il produit un certificat médical du Docteur [L] du 26 septembre 2016 selon lequel son état clinique ne lui permet aucune activité motrice des quatre membres, et il doit bénéficier d'une assistance respiratoire par trachéotomie. Toutefois, ce document médical reste taisant sur la possibilité pour Monsieur [I] d'avoir des érections, et n'indique pas qu'il n'aurait pas la possibilité de parler. Certaines assistantes de vie ayant témoigné en sa faveur indiquent que l'appelant parlait faiblement, mais pas qu'il lui était impossible de le faire.

Monsieur [I] conteste le témoignage de Madame [U] qui interviendrait selon lui en représailles car il aurait mis fin à son contrat en cours de période d'essai. Toutefois, rien de permet de connaître la cause de la rupture de période d'essai. Il conteste également le témoignage de Madame [H] qui n'aurait jamais travaillé pour lui, mais celle-ci lui reprochait justement de travailler sans contrat de travail, et il est produit une lettre de prise d'acte de rupture envoyée avec avis de réception daté du 9 avril 2015 qui rend crédible le fait qu'elle ait travaillé pour Monsieur [I].

Monsieur [I] produit des attestations de quatre assistantes de vie ayant travaillé pour lui, qui témoignent que la relation de travail s'est exécutée sans difficulté et sans harcèlement. Cependant, le seul fait qu'aucune difficulté n'ait eu lieu avec ces salariées ne suffit pas à démontrer que rien ne se serait passé avec Madame [Y]. Deux salariées ayant témoigné en faveur de Monsieur [I], Mesdames [T] et [G] indiquent que M adame [Y] faisait des histoires et voulait monter les autres salariés contre l'employeur. Toutefois, dans le contexte de harcèlement qu'elle dénonce, le fait qu'elle ait cherché à contacter d'autres salariées afin d'obtenir du soutien ne vient pas contredire les accusations portées contre Monsieur [I].

Monsieur [I] fait valoir que Madame [Y] aurait inventé ces faits de harcèlement suite aux reproches et avertissements qui lui ont été faits, alors qu'elle avait un comportement agressif et inapproprié à son égard. Il verse au débat :

- un courrier du 19 mars 2015 (AR du 27 mars) dans lequel il lui délivre un avertissement pour avoir abîmé le joystick de la télécommande de son fauteuil, l'avoir agressé verbalement car il lui demandait de cesser d'utiliser son téléphone, de s'habiller non pas dans le salon mais dans sa chambre, de le menacer de faire des histoires et d'aller voir un avocat pour lui raconter des choses à son sujet, et de lui avoir mis la pression pour modifier son contrat de travail de nuit pour le jour ;

- un courrier daté du 28 mars 2015 (AR signé le 3 avril) dans lequel il lui délivre un avertissement pour n'avoir pas répondu à ses appels pendant la nuit car elle dormait, et avoir utilisé son téléphone portable pendant ses heures de travail ;

- un courrier du 9 avril 2015 (AR signé le 13 avril) dans lequel il lui délivre un nouvel avertissement pour l'avoir délaissé la nuit car elle dormait, avoir jeté son urinoir au sol et lui avoir retiré sa sonnette d'appel ;

- par courriers du 29 avril, 9 et 27 mai 2015, il lui demande de justifier ses absences, étant précisé toutefois que ces courriers font suite à des arrêts de travail de la salariée, et à sa prise d'acte du 11 mai 2015 à compter de laquelle elle indiquait ne plus vouloir se présenter à son poste compte tenu du contexte.

Il résulte de ces pièces que le premier avertissement délivré le 27 mars 2015 est antérieur de peu à la première dénonciation opérée par la salariée auprès de l'inspection du travail le 2 avril, et que les avertissements envoyés ensuite sont concomitants aux plaintes de celle-ci datant quant à elles des 4 et 28 avril 2015.

Il ne peut cependant pas être déduit de la seule concomitance de ces sanctions avec les plaintes de la salariée que celle-ci a agi en représailles des avertissements, étant donné que les griefs fondant les avertissements ne sont corroborés pa r aucune autre pièce, alors que les faits de harcèlement sont quant à eux étayés par deux attestations et des pièces médicales.

Au regard de ce qui précède, Monsieur [I] ne produit pas d'éléments de nature à prouver que les faits exposés par la salariée sont faux et ne sont pas constitutifs d'un harcèlement.

En conséquence, il convient de confirmer la décision de première instance en ce qu'elle a retenu l'existence d'un harcèlement sexuel exercé par Monsieur [I] à l'encontre de Madame [Y].

La salariée fait valoir que l'indemnisation accordée par les premiers juges, à savoir 3.500 € à titre de dommages et intérêts, est insuffisante en considération des préjudices qu'elle a subis.

En considération des faits exposés, la cour estime que le préjudice doit être évalué et indemnisé à hauteur de 5.000 €.

En conséquence, il convient d'infirmer la décision déférée, et de condamner Monsieur [I] à verser à Madame [Y] la somme de 5.000 € de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par le harcèlement sexuel qu'elle a subi.

Sur la demande de requalification de la prise d'acte en licenciement nul

Il est de règle que le salarié peut prendre acte de la rupture du contrat de travail et que cette prise d'acte produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsqu'il rapporte la preuve de manquements de l'employeur faisant obstacle à la poursuite du contrat de travail, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

Lorsque les faits invoqués à l'appui de la prise d'acte sont constitutifs d'un harcèlement sexuel, qui fait obstacle à la poursuite du contrat de travail, elle produit les effets d'un licenciement nul.

En l'espèce, Madame [Y] invoque à l'appui de sa prise d'acte les faits de harcèlements sexuels, dont la cour a retenu l'existence plus haut, et qui empêchaient la poursuite du contrat de travail.

En conséquence, sa prise d'acte du 11 mai 2015 doit être requalifiée en licenciement nul.

Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

Sur les conséquences de la requalification de la prise d'acte en licenciement nul

Sur l'indemnité de préavis

Il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné Monsieur [I] à verser à Madame [Y] une indemnité de préavis à hauteur de 2.054 €, outre 205 € de congés payés afférents.

Sur l'indemnité pour licenciement nul

L'article L1235-3 du code du travail, dans sa version applicable aux faits, dispose que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9.

Madame [Y] justifie de 10 mois d'ancienneté et l'employeur emploie habituellement moins de 11 salariés.

En dernier lieu, elle percevait un salaire mensuel brut de 2.054 €.

Au moment de la rupture, elle était âgée de 32 ans et elle justifie de sa situation de demandeur d'emploi après sa prise d'acte.

Au vu des éléments de la cause, (ancienneté, âge, perspectives pour retrouver un emploi, niveau de rémunération), il convient d'évaluer le préjudice de Madame [Y] pour licenciement nul à la somme de 12.324 €.

En conséquence, il convient d'infirmer le jugement déféré sur ce point et de condamner Monsieur [I] à verser cette somme à la salariée.

Sur le manquement allégué à l'obligation de sécurité

Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur a l'obligation d'assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale de ses salariés et aux termes de l'article L 4121-2, il met en œuvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés.

Il appartient à l'employeur de démontrer qu'il a pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des salariés.

En l'espèce, Madame [Y] fait valoir que son employeur a manqué à son obligation car il l'obligeait à travailler sans gants, et qu'elle n'a jamais fait l'objet d'une visite médicale d'embauche alors qu'elle travaillait de nuit et pouvait être amenée à déplacer Monsieur [I] de son fauteuil à son lit.

S'agissant du travail sans gants, l'employeur produit des factures d'achat de gants, qui viennent contredire les allégations de la salariée, à défaut d'autres éléments probants versés aux débats.

S'agissant de l'absence de visite médicale d'embauche, il convient de rappeler qu'en application de l'article 22 de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999 alors en vigueur et des dispositions de l'article R4624-10 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce, concernant la surveillance médicale, étaient obligatoirement applicables aux salariés du particulier employeur employés à temps complet l'examen médical d'embauche et la visite médicale périodique des travailleurs de nuit.

Aucun de ces examens n'a été pratiqué.

Toutefois, le salarié n'ayant pas bénéficié de telles visites doit en principe démontrer un préjudice afin d'être indemnisé. Or, en l'espèce, Madame [Y] ne caractérise aucun préjudice qu'elle aurait subi du fait de cet absence d'examen.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande.

Sur la demande de dommages-intérêts pour remise tardive de l'attestation Pôle emploi

En vertu de l'article R1234-9 du code du travail, l'employeur délivre au salarié, au moment de l'expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications qui lui permettent d'exercer ses droits aux prestations mentionnées à l'article L. 5421-2 et transmet sans délai ces mêmes attestations à Pôle emploi.

Madame [Y] fait valoir que du fait de la remise tardive de l'attestation Pôle emploi, son inscription à Pôle emploi a été retardée de près d'un mois et qu'elle en a subi un préjudice.

L'attestation Pôle emploi a été établie le 9 juin 2015, soit le jour où l'employeur a licencié Madame [Y], celle-ci ayant pris acte de la rupture de son contrat de travail le 11 mai 2015.

Toutefois, il ressort de son relevé de situation Pôle emploi au 1er juillet 2015 que son inscription a été prise en compte à partir du 13 mai 2015, mais qu'il lui a été appliqué un délai de carence et un différé, de sorte qu'elle a été indemnisée à compter de mi-juin. Elle ne démontre donc pas avoir subi un préjudice du fait de la date d'établissement de l'attestation Pôle emploi.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande d'indemnisation à ce titre.

Sur les demandes de Monsieur [I]

Sur la demande de dommages-intérêts en raison du comportement agressif et violent de la salariée

La responsabilité pécuniaire d'un salarié à l'égard de son employeur ne peut résulter que de sa faute lourde.

En l'espèce, Monsieur [I] voit le contrat rompu à ses torts, dans le cadre d'une prise d'acte équivalente à un licenciement nul. Par ailleurs, il ne prouve pas l'existence d'une faute lourde de la salariée, puisque les faits invoqués au titre du licenciement qu'il avait notifié à la salariée ne sont pas démontrés au vu des pièces produites.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Monsieur [I] de sa demande d'indemnisation à ce titre.

-Sur la demande au titre de l'indemnité de préavis non effectué

Le contrat étant rompu par le biais d'une prise d'acte équivalente à un licenciement nul, suite à des faits de harcèlement sexuel ne rendant pas possible la poursuite des relations de travail, la salariée ne pouvait se voir imposer de réaliser un préavis.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Monsieur [I] de sa demande d'indemnisation à ce titre.

Sur la remise des documents

Il convient d'ordonner la remise d'un bulletin de salaire rectificatif, ainsi que d'un certificat de travail et d'une attestation destinée à Pôle emploi, conformes aux dispositions du présent arrêt, sans que le prononcé d'une astreinte apparaisse nécessaire.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Il y a lieu de confirmer la décision du conseil de prud'hommes sur ces points, et y ajoutant, de condamner Monsieur [I] aux dépens de l'appel ainsi qu'à verser à Madame [Y] la somme de 1.000€ au titre des frais de procédure engagés en cause d'appel.

Monsieur [I] sera débouté de sa demande au titre des frais de procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a :

- fixé à 3.500 € le montant des dommages-intérêts au titre du harcèlement sexuel,

- fixé à 14.378 € l'indemnité pour licenciement nul,

Statuant de nouveau et y ajoutant,

Condamne Monsieur [I] à verser à Madame [Y] :

- la somme de 5.000 € de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par le harcèlement sexuel,

- la somme de 12.324 € à titre d'indemnité pour licenciement nul,

Ordonne la remise d'un bulletin de salaire rectificatif, ainsi que d'un certificat de travail et d'une attestation destinée à Pôle emploi, conformes aux dispositions du présent arrêt, sans que le prononcé d'une astreinte apparaisse nécessaire,

Condamne Monsieur [I] aux dépens de l'appel,

Condamne Monsieur [I] à verser à Madame [Y] la somme de 1.000€ au titre des frais de procédure engagés en cause d'appel,

Déboute Monsieur [I] de sa demande au titre des frais de procédure.

LE GREFIER LE PRESIDENT