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Décisions

CA Toulouse, recours hospitalisation, 25 janvier 2024, n° 24/00009

TOULOUSE

Ordonnance

Autre

CA Toulouse n° 24/00009

25 janvier 2024

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

C O U R D ' A P P E L D E T O U L O U S E

DU 25 Janvier 2024

ORDONNANCE

N° 2024/12

N° RG 24/00009 - N° Portalis DBVI-V-B7I-P6A6

Décision déférée du 12 Janvier 2024

- Juge des libertés et de la détention de TOULOUSE - 24/48

APPELANT

Madame [R] [E]

[Adresse 1]

[Localité 2]

assistée de Me Valérie LECOMTE, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIME

HOPITAL [3]

Représenté par Me Aimée CARA de la SELARL CABINET D'AVOCATS MONTAZEAU & CARA, avocat au barreau de TOULOUSE

DÉBATS : A l'audience publique du 24 Janvier 2024 devant A. DUBOIS, assisté de K.MOKHTARI

MINISTERE PUBLIC:

Auquel l'affaire a été communiquée , qui a fait connaître son avis écrit le 23/01/2024 qui a été joint au dossier.

Nous, A.DUBOIS, président de chambre délégué par ordonnance de la première présidente en date du 20 décembre 2023, en présence de notre greffier et après avoir entendu les conseils des parties en leurs explications :

- avons mis l'affaire en délibéré au 25 Janvier 2024

- avons rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, l'ordonnance suivante :

Le 3 janvier 2024, Mme [R] [E] a été admise en soins psychiatriques sans consentement en raison d'un péril imminent sur décision du directeur du centre hospitalier [3].

Par ordonnance du 12 janvier 2024, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Toulouse l'a maintenue sous le régime de l'hospitalisation complète sous contrainte.

Mme [R] [E] en a relevé appel par l'intermédiaire de son avocat par déclaration reçue au greffe le 19 janvier 2024.

Aux termes de la déclaration d'appel soutenue oralement à l'audience par son conseil, à laquelle il convient de se référer en application de l'article 455 du code de procédure, elle demande au magistrat délégataire de :

- dire et juger l'appel recevable et bien fondé,

Y faisant droit :

- infirmer l'ordonnance entreprise

- dire et juger que la décision d'admission en soins psychiatriques dans le cadre d'un péril imminent du 3 janvier 2024 est irrégulière pour défaut d'identification de son signataire et l'impossibilité d'établir la compétence de celui-ci,

- dire et juger que la décision de maintien en admission en soins psychiatriques dans le cadre d'un péril imminent du 6 janvier 2024 est irrégulière parce que la compétence de son signataire n'est pas établie,

- constater qu'il n'est pas justifié de l'impossibilité d'obtenir la demande d'un tiers,

- constater l'absence d'information de la famille ou de la personne chargée de la protection juridique de l'intéressé ou, à défaut, toute personne justifiant de l'existence de relations avec la personne malade antérieures à l'admission en soins dans les 24 heures de l'admission,

- constater que le certificat médical d'admission ne caractérise pas le péril imminent pour la santé de la personne,

En conséquent :

- dire et juger que la procédure est irrégulière,

- ordonner la main levée de sa mesure d'hospitalisation sans consentement, le cas échéant en différant la main levée de 24 heures pour permettre la mise en place d'un programme de soins.

A l'audience, Mme [E] indique que ça fait 23 ans qu'elle est enfermée, qu'elle a fait toutes les procédures pour se plaindre des agressions, viols et violences qu'elle a subis mais qu'elles ont été classées sans suite. Elle veut que la justice aille dans son sens, rentrer chez elle, obtenir réparation et vivre normalement sans être soumise au chantage des piqûres. Elle souligne qu'elle porte 23 ans de stigmates, que son corps est fracassé par la violence, qu'on lui a enlevé les ovaires un par un et qu'elle est maintenant stérile, qu'on lui a abîmé la mâchoires et les dents, qu'elle est devenue un rat de laboratoire et qu'elle est tétanisée d'horreur et de peur au point que chez elle, elle sentait l'odeur malsaine des gens qui lui passent sur le corps.

Le centre hospitalier, représenté à l'audience, a sollicité la confirmation de l'ordonnance en faisant valoir que la procédure est régulière et qu'il convient de se référer aux avis médicaux et notamment le dernier avis motivé dressé par le psychiatre.

Selon l'avis motivé du médecin psychiatre du 19 janvier 2024, les troubles mentaux rendant impossible le consentement de Mme [R] [E] et son état imposent des soins psychiatriques assortis d'une surveillance constante sous la forme d'une hospitalisation complète continue en unité d'admission ou de soins de suite du secteur.

Par avis écrit du 23 janvier 2024 mis à disposition des parties, le ministère public a conclu à la régularité de la procédure et à la confirmation de la décision entreprise.

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MOTIVATION :

Sur la compétence des signataires des décisions d'admission et de maintien en soins psychiatriques :

Dans le cadre de ses compétences définies à l'article L.6143 -7 du code de la santé publique, le directeur peut, sous sa responsabilité, déléguer sa signature à la condition de mentionner le nom et la fonction de l'agent auquel la délégation a été donnée, la nature des actes délégués et éventuellement, les conditions ou réserves dont le directeur juge opportun d'assortir la délégation, celle-ci devant en outre être notifiée aux intéressés et publiée par tout moyen la rendant consultable conformément aux articles D6143-34 et D6143-35 du code précité.

En l'espèce, la décision du centre hospitalier [3] portant délégation de signature du 27 septembre 2023, affichée à l'entrée de la salle d'audience de l'hôpital, publiée sur internet et figurant parmi les pièces que l'avocat du patient peut consulter au greffe du juge des libertés et de la détention et de la cour, prévoit expressément en son article 1 que les décisions relatives aux patients en soins sans consentement sur décision du directeur de l'établissement, tout acte ou document portant sur le contrôle des mesures d'isolement et contention peuvent être signés par Mr [J] [H], directeur-adjoint, Mme [F] [Z] directrice-adjointe, Mr [S] [B] directeur adjoint, Mme [Y] [D] directrice adjointe, Mme [V] [I] directrice -adjointe, Mme [A] [O] coordinatrice générale des soins, Mr [W] [L], attaché d'administration hospitalière, Mme [N] [T] attachée d'administration

hospitalière, attachée d'administration hospitalière, Mr [C] [P] attaché d'administration hospitalière, Mme [U] [G], adjoint des cadres hospitaliers, qui ont reçu délégation à cet effet.

Contrairement à ce qui est plaidé et comme le remarque justement le parquet, une lecture sérieuse des pièces du dossier et leur comparaison, notamment des signatures des différents documents fournis, permettent d'identifier Mme [U] [G] comme étant la signataire de la décision d'admission.

Et Mme [G] comme M. [H] ont bien reçu délégation pour signer les décisions relatives aux patients en soins sans consentement sur décision du directeur de l'établissement.

En conséquence le moyen tiré du doute quant au signataire de la décision d'admission et la délégation de signature de M. [H] pour la décision de maintien, est inopérant.

Sur l'absence de demande du tiers et le défaut d'information de la famille :

il convient de relever que le certificat médical d'admission du 3 janvier 2024 mentionne expressément dans son titre que l'admission est faite dans le cadre de péril imminent et que 'malgré nos recherches, aucun tiers n'a pu être trouvé pour l'instant'.

Et la décision d'admission, qui fixe la nature juridique des soins sans consentement, a été prise au visa de l'article L3212-1 II 2° par le directeur d'établissement qui a considéré l'existence d'un péril imminent pour décider, en son article 1, d'admettre l'appelante en soins psychiatriques du fait du péril imminent.

Il importe dès lors peu que les certificats médicaux ultérieurs visent de manière erronée l'admission de Mme [E] à la demande d'un tiers.

En conséquence, et dès lors qu'aucun tiers n'a pu être trouvé comme l'établit le Dr [X], il ne saurait être fait grief à l'établissement de ne pas avoir informé la famille ou un tuteur ou curateur dans les 24 heures, peu important que les certificats médicaux ultérieurs mentionnent à tort une hospitalisation à la demande d'un tiers.

Sur le péril imminent :

L'appelante a été admise en soins psychiatriques sans son consentement, pour péril imminent, le 3 janvier 2024 en raison, selon le certificat médical d'admission, d'un délire de persécution majeur, portant sur son voisinage qui la 'pillerait' et la 'violerait', d'une désorganisation massive du discours, une bizarrerie de contact, un vécu de centralisé, le sentiment que 'la terre entière est schizophrène', un sentiment de persécution concernant le corps soignant avec crainte d'abus sexuels, une grande tension intrapsychique avec irritabilité et l'absence de critique et de conscience des troubles, ceux-ci nécessitant pourtant des soins indispensables de façon immédiate, sous surveillance constante en milieu hospitalier d'autant qu'il existe un péril imminent pour la santé de la personne.

Ainsi, contrairement à ce que fait plaider Mme [E], l'ensemble de ces constatations caractérise des difficultés comportementales et l'imminence d'un péril subséquent pour la patiente.

Le certificat médical de 24 h mentionne une dégradation importante de son état clinique avec une logorrhée ininterrompue, une désorganisation importante de son discours avec fuite des idées, des propos délirants, à thématique de persécution, dirigés contre sa voisins, sa famille et le corps soignant, un envahissement de l'ensemble du champ de la pensée, une adhésion massive au syndrome délirant avec une participation affective intense, avec la précision qu'en l'absence de soins continus et rapprochés, Mme [E] se met gravement en danger.

Celui de 72 h évoque un discours logorrhéique, monocorde et incohérent, avec verbalisation d'idées de persécution sur l'ensemble de son entourage familial et social, des hallucinations cénesthésiques olfactives, une souffrance psychique et physique, une irritabilité sur sentiment de préjudice subi.

Ils caractérisent ainsi l'existence des troubles mentaux rendant impossible son consentement et d'un état mental imposant des soins immédiats assortis d'une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète.

Il convient à ce stade de rappeler qu'en cas d'admission sur décision du directeur d'établissement, la notion de péril imminent s'apprécie au moment de l'admission et non au moment où le juge statue, les soins étant en effet prodigués pour stabiliser l'état médical du malade. Et, l'amélioration ultérieurement constatée ne permet pas d'ordonner la mainlevée de la mesure s'il existe encore des troubles rendant impossible son consentement et imposant des soins immédiats assortis d'une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète.

En outre, il résulte des articles L.3211-12-1, L.3216-1, L.3212-3 et R.3211-12 du code de la santé publique, que le juge qui se prononce sur le maintien de l'hospitalisation complète doit apprécier le bien-fondé de la mesure au regard des certificats médicaux qui lui sont communiqués, sans pouvoir porter d'appréciation médicale personnelle fondée notamment sur les propos tenus par le patient à l'audience.

Ainsi quand bien même Mme [R] [E] a reconnu devant le premier juge qu'elle était atteinte de troubles traumatiques, psychotiques et du comportement, et alors même qu'elle conteste ses troubles en appel et refuse tout traitement même dans le cadre d'un programme de soins, le juge ne peut pas, dans le cadre de son contrôle, se substituer à l'autorité médicale s'agissant de l'évaluation du consentement du patient, du diagnostic posé ou des soins.

Il sera à cet égard souligné que le dernier avis motivé du 19 janvier 2024, tout en relevant que la prise en charge hospitalière et la prescription des médicaments ont permis d'atténuer l'activité délirante à thème de persécution, atteste encore que la malade ne critique pas encore ses troubles du comportement antérieurs et que sa conscience des troubles reste partielle et son adhésion aux soins fluctuante.

C'est donc à bon droit que le premier juge a ordonné la poursuite de l'hospitalisation complète sous contrainte de l'intéressée, étant souligné que dans la présente affaire, quatre psychiatres différents ont diagnostiqué les mêmes troubles lors de cette dernière hospitalisation.

L'ordonnance entreprise sera en conséquence confirmée.

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PAR CES MOTIFS

Confirmons l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Toulouse du 12 janvier 2024,

Disons que la présente décision sera notifiée selon les formes légales, et qu'avis en sera donné au ministère public,

Laissons les dépens à la charge du Trésor public.

LE GREFFIER LE MAGISTRAT DELEGUE

K.MOKHTARI A. DUBOIS