Livv
Décisions

CA Bourges, 1re ch., 25 janvier 2024, n° 22/01200

BOURGES

Arrêt

Autre

CA Bourges n° 22/01200

25 janvier 2024

VS/MMC

COPIE OFFICIEUSE

COPIE EXÉCUTOIRE

à :

- SELARL EDL AVOCAT

- SCP AVOCATS CENTRE

Expédition TJ

LE : 25 JANVIER 2024

COUR D'APPEL DE BOURGES

CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 25 JANVIER 2024

N° - Pages

N° RG 22/01200 - N° Portalis DBVD-V-B7G-DQF3

Décision déférée à la Cour :

Jugement du tribunal judiciaire de BOURGES en date du 17 Novembre 2022

PARTIES EN CAUSE :

I - M. [Z] [Y]

né le 12 Décembre 1959 à[Localité 9])

[Adresse 5]

[Localité 3]

- Mme [N] [Y]

née le 04 Mars 1965 à [Localité 6]

[Adresse 5]

[Localité 3]

- Mme [L] [Y] représentée par ses tuteurs Monsieur [Z] [Y] et Madame [N] [Y]

née le 30 Mai 1991 à [Localité 10]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentés et plaidant par la SELARL EDL AVOCAT, avocat au barreau de BOURGES

timbre fiscal acquitté

APPELANTS suivant déclaration du 16/12/2022

II - MAISON D'ACCUEIL SPECIALISEE DES FOYERS DU VAL

[7] agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social:

[Adresse 1]

[Localité 4]

- GROUPEMENT D'ENTRAIDE DEPARTEMENTAL AUX HANDICAPES INADAPTES ET A LEURS FAMILLES (GEDHIF) agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social:

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentés et plaidant par la SCP AVOCATS CENTRE, avocat au barreau de BOURGES

timbre fiscal acquitté

INTIMÉS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Novembre 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme CIABRINI, Conseillère chargée du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme CLEMENT Présidente de Chambre

M. PERINETTI Conseiller

Mme CIABRINI Conseillère

***************

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme SERGEANT

***************

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

**************

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [L] [Y], née le 30 mai 1991, est atteinte du syndrome de Cornelia de Lange et placée sous la tutelle de ses parents, M. [Z] et Mme [N] [Y].

Sur orientation de la Commission départementale des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDDAPH), Mme [L] [Y] a intégré le 12 septembre 2016 la Maison d'accueil spécialisée (MAS) du foyer du [11] gérée par l'association Groupement d'entraide départemental aux handicapés inadaptés et à leurs familles (GEDHIF).

Un contrat de séjour a été régularisé entre le GEDHIF et Mme [L] [Y] représentée par ses parents en qualité de tuteurs.

Un projet d'accueil personnalisé a été mis en place avec effet au 1er mai 2017.

L'emploi du temps des activités de Mme [L] [Y] a été réévalué pour l'année 2017/2018, en janvier 2019 puis en avril 2019.

À la suite de la multiplication d'incidents impliquant Mme [L] [Y] à compter du mois de mai 2018, une réunion a été organisée le 27 février 2019 à la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) au cours de laquelle a été fait le point sur sa prise en charge et évoquée l'opportunité d'un séjour de rupture à visée d'évaluation dans un établissement tiers.

Un nouveau projet personnalisé d'accompagnement du 16 mai 2019, non signé par les parents, a préconisé une réorientation vers un établissement ou un service qui répondrait plus spécifiquement à ses besoins médicaux et à la gestion de son agitation.

Par courrier du 21 mai 2019, le centre hospitalier [8] a informé le GEDHIF de la possibilité d'accueillir Mme [L] [Y] pour un séjour de rupture et d'évaluation de quatre semaines.

Par courrier du 23 mai 2019, le GEDHIF a informé M. et Mme [Y] que leur fille serait accueillie dans ce cadre à la MAS de [Localité 3] du 27 mai au 28 juin 2019, avec retour prévu à la MAS des Foyers du [11] le 1er juillet 2019.

M. et Mme [Y] se sont opposés à ce séjour et n'ont pas présenté leur fille à la MAS le 27 mai 2019.

Par courrier du 28 mai 2019, le GEDHIF les a informés être dans l'impossibilité d'accueillir leur fille à la MAS des Foyers du [11] tant que le séjour d'évaluation clinique n'aura pas été réalisé, eu égard à ses troubles du comportement.

Sur demande du GEDHIF, le juge des tutelles de Saint-Amand-Montrond a, par décision du 11 juin 2019, désigné l'association Croix marine du Cher en qualité de tuteur ad hoc de Mme [L] [Y] pour évaluer et rechercher un mode de prise en charge adapté.

Par courrier du 24 juin 2019 adressé à la Croix marine du Cher, le GEDHIF a rompu unilatéralement le contrat de séjour de Mme [L] [Y] en se fondant sur une inadéquation notoire et persistante, constatée par deux avis médicaux, entre l'évolution de son état de santé de la majeure et les moyens dont dispose la MAS.

Par acte d'huissier du 20 décembre 2021, M. et Mme [Y] ont saisi le tribunal judiciaire de Bourges aux fins d'engager la responsabilité contractuelle du GEDHIF pour défaut d'exécution, exécution de mauvaise foi et rupture abusive du contrat de séjour.

Par jugement du 17 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Bourges a :

- débouté les consorts [Y] de leurs demandes,

- condamné solidairement M. et Mme [N] [Y] aux dépens,

- condamné solidairement M. et Mme [N] [Y] à payer au GEDHIF une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 16 décembre 2022, M. et Mme [Y] ont interjeté appel de ce jugement en l'ensemble de ses dispositions.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 23 octobre 2023, M. et Mme [Y] demandent à la cour de :

- déclarer recevable et bien fondé leur appel,

- infirmer le jugement entrepris en l'ensemble de ses dispositions,

Statuant à nouveau,

- dire que l'article 8 « conditions de résiliation du contrat de séjour » du contrat de séjour signé en septembre 2016 est réputé non écrit eu égard à son caractère illicite,

- condamner le GEDHIF à leur verser, en qualité de tuteurs de Mme [L] [Y], la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- condamner le GEDHIF à verser à Mme [N] [Y] la somme de 25 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- condamner le GEDHIF à verser à M. [Z] [Y] la somme de 25 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- condamner le GEDHIF à leur verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 20 juin 2023, le GEDHIF demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. et Mme [Y] de l'ensemble de leurs demandes et les a condamnés au paiement d'une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. et Mme [Y] aux dépens d'appel et au paiement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Il est constaté que ces conclusions ne sont pas prises au nom de la M.A.S des foyers du [11], à l'encontre de laquelle aucune demande n'est formulée par les appelants.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 octobre 2023.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément référé aux dernières conclusions pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

SUR CE

Sur le caractère réputé non-écrit de l'article 8 du contrat de séjour

En l'absence de définition légale du contrat de consommation, il est admis que celui-ci se caractérise par la coexistence de trois critères :

- le caractère de droit privé du contrat,

- la finalité de l'opération, qui suppose que le consommateur doit agir pour ses besoins personnels ou ceux de sa famille,

- l'objectif poursuivi, qui doit être de se procurer un bien de consommation ou un service de même nature.

En l'espèce, les appelants demandent à la cour de juger, sur le fondement des articles L. 212-1, L. 212-2 et L. 241-1 du code de la consommation, que l'article « 8 » du contrat de séjour relatif aux « conditions de résiliation du contrat de séjour » est réputé non écrit eu égard à son caractère illicite, arguant qu'il serait contraire aux articles L. 241-6 et L. 311-4-1 du code de l'action sociale et des familles.

Cependant, le contrat de séjour du 12 septembre 2016, qui n'a pas pour objet de procurer un bien de consommation ou un service de même nature aux appelants, ne constitue pas un contrat de consommation, de sorte que les articles précités du code de la consommation lui sont inapplicables.

Par ces motifs qui se substituent à ceux du premier juge, le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté les appelants de cette demande.

Sur l'engagement de la responsabilité contractuelle du GEDHIF

L'article 1147 ancien du code civil dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

1. Sur les manquements contractuels

En l'espèce, M. et Mme [Y] recherchent la responsabilité contractuelle du GEDHIF en invoquant trois moyens différents, qui seront examinés séparément.

> Sur la mauvaise exécution du contrat de séjour

Les appelants soutiennent tout d'abord que le GEDHIF n'a pas exécuté le contrat de séjour, faute d'établissement ou d'actualisation du plan d'accompagnement, du bilan pluridisciplinaire et du document individuel de prise en charge.

En ce qui concerne le projet d'accompagnement et le document individuel de prise en charge, ils se fondent sur l'article D. 311, V. et VI., du code de l'action sociale et des familles, qui prévoit qu'« un avenant [au contrat de séjour] précise dans le délai maximum de six mois les objectifs et les prestations adaptées à la personne. Chaque année, la définition des objectifs et des prestations est réactualisée » et qui précise que ces modalités d'établissement et de réactualisation sont également applicables au « document individuel de prise en charge ».

Bien que le GEDHIF soutienne ne pas être resté inactif face à l'évolution du comportement de Mme [L] [Y] et avoir fait évoluer les modalités de sa prise en charge, il doit être constaté que sont uniquement versés à la procédure :

- le projet d'accompagnement personnalisé 2016 réalisé à la suite de l'entretien du 7 septembre 2016, constitutif de l'avenant au contrat de séjour prévu à l'article D. 311 précité,

- le projet d'accompagnement personnalisé 2019 réalisé à la suite de l'entretien du 4 mai 2019, non signé par les parents,

- un emploi du temps individuel 2017-2018,

- un emploi du temps 2018-2019,

- un emploi du temps actualisé au 21 janvier 2019,

- un emploi du temps actualisé au 29 avril 2019.

Le GEDHIF ne prouve donc pas avoir établi de projet d'accompagnement personnalisé pour 2017 et 2018, étant précisé que la modification de l'emploi du temps des activités de Mme [L] [Y] en 2018 et 2019 ne saurait valoir actualisation du projet d'accompagnement personnalisé. Il ne justifie pas davantage de l'existence d'un document individuel de prise en charge.

En ce qui concerne le bilan pluridisciplinaire, l'article D. 344-5-11 du code de l'action sociale et des familles prévoit que l'équipe pluridisciplinaire « dresse dès l'admission un bilan pluridisciplinaire de l'état général et de la situation de la personne » et « veille à l'actualisation de ce bilan dont un exemplaire est adressé chaque année à la famille ou au représentant légal par le directeur ».

Le GEDHIF ne conteste pas ne pas avoir actualisé le bilan pluridisciplinaire et ne produit aux débats aucun bilan pour les années 2017 et 2018.

Se fondant sur l'absence d'établissement ou d'actualisation des documents précités, les appelants concluent que le GEDHIF a cessé, à compter de l'année 2018, de fournir une prise en charge adaptée au handicap de leur fille, ce qui aurait entraîné l'aggravation de ses troubles du comportement tels qu'invoqués à l'appui de la rupture du contrat de séjour. Pour aboutir à ce constat, ils se livrent également à une comparaison entre les emplois du temps, qui font apparaître une diminution du nombre d'heures d'activités proposées entre 2017-2018 et 2018-2019.

Ces seuls éléments sont cependant insuffisants pour démontrer que le GEDHIF n'aurait plus offert à Mme [L] [Y] de prise en charge adaptée à compter de 2018.

Il sera donc uniquement retenu que le GEDHIF a manqué à ses obligations contractuelles en n'actualisant pas le projet d'accompagnement personnalisé et le bilan pluridisciplinaire et en n'établissant pas de document individuel de prise en charge.

> Sur la licéité de la rupture du contrat de séjour

L'article L. 311-4-1 du code de l'action sociale et des familles dispose :

« III.- La résiliation du contrat [de séjour] par le gestionnaire de l'établissement ne peut intervenir que dans les cas suivants :

1° En cas d'inexécution par la personne accueillie d'une obligation lui incombant au titre de son contrat ou de manquement grave ou répété au règlement de fonctionnement de l'établissement, sauf lorsqu'un avis médical constate que cette inexécution ou ce manquement résulte de l'altération des facultés mentales ou corporelles de la personne accueillie ;

2° En cas de cessation totale d'activité de l'établissement ;

3° Dans le cas où la personne accueillie cesse de remplir les conditions d'admission dans l'établissement, lorsque son état de santé nécessite durablement des équipements ou des soins non disponibles dans cet établissement, après que le gestionnaire s'est assuré que la personne dispose d'une solution d'accueil adaptée. »

L'article L. 241-6 dernier alinéa du même code, dans sa version applicable au présent litige, prévoit que « lorsque l'évolution de son état ou de sa situation le justifie, l'adulte handicapé ou son représentant légal, les parents ou le représentant légal de l'enfant ou de l'adolescent handicapé ou l'établissement ou le service peuvent demander la révision de la décision d'orientation prise par la commission [des droits et de l'autonomie des personnes handicapées]. L'établissement ou le service ne peut mettre fin, de sa propre initiative, à l'accompagnement sans décision préalable de la commission. »

En l'espèce, M. et Mme [Y] soutiennent que la rupture du contrat de séjour est intervenue en violation de l'article L. 311-4-1 du code de l'action sociale et des familles, en ce que le GEDHIF n'avait pas trouvé de solution d'accueil adaptée à leur fille avant de mettre fin au contrat de séjour, et de l'article L. 241-6 du code de l'action sociale et des familles, en ce que le GEDHIF a mis fin au contrat sans décision préalable de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées.

Sur le premier point, c'est à tort que le GEDHIF soutient que Mme [L] [Y] disposait d'une solution d'accueil adaptée au sein de la MAS de [Localité 3], qui aurait été confirmée par le courrier du centre hospitalier [8] du 21 mai 2019, dès lors qu'il résulte précisément de ce document que cet hébergement de quatre semaines n'était que temporaire et conditionné à ce que le GEDHIF accueille de nouveau la majeure à l'issue de ce séjour.

Sur le second point, le GEDHIF ne conteste pas qu'aucune décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées n'est intervenue préalablement à la rupture du contrat de séjour pour l'autoriser à mettre fin à l'accompagnement de Mme [L] [Y]. Il ne produit, en tout état de cause, aucune décision de cette commission.

Il est donc également établi que le GEDHIF a manqué à ses obligations contractuelles en procédant à la résiliation du contrat de séjour en méconnaissance des dispositions des articles L. 311-4-1 et L. 241-6 du code de l'action sociale et des familles.

> Sur la bonne foi dans la rupture du contrat de séjour

L'article 1104 ancien du code civil dispose que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

Cette disposition est d'ordre public.

En l'espèce, M. et Mme [Y] allèguent que le GEDHIF a fait preuve de mauvaise foi dans la rupture du contrat de séjour en la fondant sur une inadéquation notoire et persistante entre l'état de santé de leur fille et les moyens dont dispose la MAS des Foyers du [11] pour y répondre. Ils critiquent les constats résultant des deux avis médicaux sur lesquels le GEDHIF a fondé la rupture du contrat de séjour, à savoir l'existence de troubles du comportement « ingérables » et « non stabilisables » de leur fille, un manque de coopération des parents et le refus du séjour de répit et d'évaluation.

Si les appelants ne contestent pas l'existence des troubles du comportement de leur fille, caractérisés par des manifestations d'auto-agressivité et d'hétéro-agressivité, non plus que la multiplication des signalements émis à cet égard par le GEDHIF au cours des années 2018 et 2019, ils s'interrogent sur la cause de ces troubles et nient qu'ils aient pu être ingérables, eu égard à la corpulence et à la médicamentation de leur fille, et non stabilisables.

Étant rappelé que la bonne foi se présume, ils n'apportent cependant aucun élément permettant de démontrer que le GEDHIF aurait été de mauvaise foi en concluant, eu égard aux troubles du comportement de Mme [L] [Y], à une inadéquation entre l'état de santé de cette dernière et les moyens de la MAS.

En revanche, c'est à juste titre que M. et Mme [Y] soutiennent que le GEDHIF ne pouvait pas ignorer qu'il procédait à la résiliation du contrat de séjour de manière illégale, ce qui démontre sa mauvaise foi dans la rupture du contrat.

Eu égard à sa qualité de professionnel, à la taille et à l'ancienneté de sa structure et au nombre important de personnes handicapées qu'il accueille, le GEDHIF ne pouvait en effet ignorer le contenu des articles L. 311-4-1 et L. 241-6 du code de l'action sociale et des familles qui régissent son action.

D'une part, il avait nécessairement conscience de procéder à la rupture du contrat de séjour sans décision préalable de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, qu'il ne pouvait ignorer devoir solliciter.

D'autre part, il ne pouvait pas raisonnablement croire que la proposition de séjour de rupture de quatre semaines constituait une solution d'accueil adaptée en ce qu'elle était expressément conditionnée à la reprise de Mme [L] [Y] par la MAS des Foyers du [11] à l'issue de ce séjour.

Il est donc établi que le GEDHIF a fait preuve de mauvaise foi dans la rupture du contrat de séjour.

2. Sur le lien de causalité et les préjudices

S'agissant de l'existence d'un lien de causalité entre l'absence d'établissement ou d'actualisation du projet d'accompagnement personnalisé, du bilan pluridisciplinaire et du document individuel de prise en charge et les préjudices invoqués, les appelants font valoir qu'en l'absence de ces documents, la prise en charge de Mme [L] [Y] ne pouvait pas être adaptée à son handicap et que cette carence dans la prise en charge a nécessairement causé une dégradation de son état de santé.

Cependant, en l'absence de pièces au dossier permettant d'établir les raisons du comportement agressif de Mme [L] [Y] et de la multiplication des déclarations d'incidents à compter de 2018, il n'est pas démontré que ses troubles de comportement ne se seraient pas aggravés si les documents précités avaient été établis ou actualisés. Au demeurant, les appelants ne prouvent pas que leur fille n'aurait plus été prise en charge de manière adaptée par le GEDHIF à compter de cette période.

Il n'est donc pas démontré que les manquements du GEDHIF dans l'établissement ou l'actualisation des documents ait un lien causal avec les préjudices invoqués.

Il en va en revanche différemment des manquements relatifs à la mauvaise foi et à l'illicéité de la résiliation du contrat de séjour, qui sont la cause directe de la rupture de prise de charge de Mme [L] [Y].

S'agissant des préjudices subis par Mme [L] [Y] en lien avec cette rupture de prise en charge, il n'est pas démontré qu'elle ait été empêchée de « conserver ses acquis » et de « gagner en autonomie » à compter du mois d'avril 2018.

Il est en revanche établi qu'elle a subi une perte de repères en retournant soudainement au domicile de ses parents et qu'elle n'a bénéficié que d'une prise en charge partielle pendant une année, et subi par ailleurs trois périodes d'hospitalisation en psychiatrie générale durant cette période.

Son préjudice moral sera donc évalué à la somme de 5 000 euros.

S'agissant du préjudice des parents, il n'est pas contestable que la rupture de prise en charge de leur fille leur a causé un grand désarroi. Ils ont dû prendre seuls leur fille en charge pendant 8 semaines à leur domicile, puis quinze jours par mois pendant une année, alors qu'ils n'y sont pas professionnellement formés et que Mme [L] [Y] ne pouvait être autonome, ce qui supposait une assistance permanente.

Leur préjudice moral sera évalué à la somme de 3 000 euros, chacun.

3. Sur l'existence d'une faute de M. et Mme [Y]

Pour le cas où sa responsabilité contractuelle serait engagée, le GEDHIF soutient que M. et Mme [Y] ont adopté un comportement fautif qui est à l'origine de la rupture du contrat de séjour et des préjudices qu'ils invoquent.

Il affirme qu'ils se seraient opposés aux professionnels de santé dans l'organisation des soins médicaux, ainsi qu'aux décisions et propositions de prise en charge émanant du GEDHIF, de ses autorités de tutelle ou d'instances collégiales, faisant référence en particulier au séjour d'évaluation au sein de la MAS de [Localité 3] proposé par l'ARS lors de la réunion du 27 février 2019 tenue en présence des parents. Il leur reproche enfin une « volonté d'affrontement », des « critiques systématiques et violentes » et un « chantage au suicide » rendant toute coopération impossible.

Au soutien de son argumentation, le GEDHIF produit deux certificats médicaux établis par le Dr [H] [X], le premier du 31 décembre 2018 dans lequel elle dénonce « l'attitude des parents qui s'arrogent le droit de moduler les prescriptions des professionnels de santé sous le prétexte qu'elles ne conviennent pas à leur fille » et le second du 28 mai 2019 dans lequel elle note que « la famille s'oppose [au] séjour » d'évaluation. Il produit également un courriel du 28 mai 2019 adressé à la MAS de [Localité 3] dans lequel Mme [J], directrice de la MAS des Foyers du [11], écrit que M. [Y] a « exprimé oralement » son refus du séjour le 27 mai 2019.

S'agissant de l'existence d'une faute, il convient tout d'abord de retenir que la seule affirmation imprécise et non circonstanciée du Dr [X] selon laquelle les parents moduleraient les prescriptions médicales ne prouve pas que ces derniers ont manifesté une opposition aux professionnels de santé dans l'organisation des soins médicaux.

Par ailleurs, s'agissant du séjour d'évaluation, les appelants soulèvent justement que le GEDHIF ne précise pas en quoi leur refus serait fautif, eu égard notamment aux droits fondamentaux du patient.

Il est par contre établi que le comportement virulent adopté par M. [Y] à l'encontre du GEDHIF, tel qu'il résulte notamment de son courriel du 28 mai 2019 envoyé à Mme [P] [F], ne saurait aucunement être justifié par le désaccord existant entre les parents et le GEDHIF relativement à l'organisation du séjour de rupture à la MAS de [Localité 3] et est constitutif d'une faute.

En tout état de cause, il y a lieu de rappeler que la cour d'appel, qui considère que le lien de causalité entre le dommage prétendu et les fautes alléguées n'est pas établi, n'est pas tenue de rechercher si ces fautes ont réellement été commises.

Or il doit être constaté que le GEDHIF ne démontre pas l'existence d'un lien de causalité entre les comportements reprochés à M. et Mme [Y] et les préjudices allégués par ces derniers. En effet, les préjudices dont les appelants demandent réparation trouvent leur cause exclusive dans l'absence de respect, par le GEDHIF, de ses obligations dans le cadre de la rupture du contrat de séjour.

Il est en particulier sans incidence que les parents se soient opposés au séjour d'évaluation à la MAS de [Localité 3] dès lors qu'il a été établi que ce séjour ne constituait pas une solution d'accueil pérenne et que le GEDHIF avait l'obligation de reprendre Mme [L] [Y] à l'issue de ce séjour, de sorte que le GEDHIF est seul responsable de la rupture du contrat et des préjudices qui en ont résulté pour M. et Mme [Y].

De même, ce n'est pas le comportement virulent adopté par M. [Y] à compter du mois de mai 2019 qui a entraîné les préjudices de Mme [L] [Y] et de ses parents en lien avec la rupture de prise en charge de la patiente, mais bien la résiliation illicite par le GEDHIF du contrat de séjour.

Le GEDHIF échoue donc à apporter la preuve d'une faute de M. et Mme [Y] ayant contribué à la réalisation de leur propre dommage, de sorte qu'il est tenu à entière réparation de ce dernier.

Infirmant le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. et Mme [Y] de leurs demandes, le GEDHIF sera donc condamné à leur payer la somme de 5 000 euros, ès qualités de tuteurs de Mme [L] [Y], en réparation du préjudice de cette dernière, et la somme 3 000 euros, chacun, à titre personnel, en réparation de leur propre préjudice.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement attaqué sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Partie principalement succombante, le GEDHIF sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.

L'issue de la procédure et l'équité commandent par ailleurs de condamner le GEDHIF à payer à M. et Mme [Y] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de le débouter de sa propre demande sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour,

- Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté M. [Z] [Y] et Mme [N] [Y] de leur demande visant à juger que l'article 8 du contrat de séjour est réputé non écrit,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

- Condamne l'association Groupement d'entraide départemental aux handicapés inadaptés et à leurs familles (GEDHIF) à payer à M. [Z] [Y] et Mme [N] [Y], personnellement et en qualité de tuteurs de leur fille Mme [L] [Y] :

- 5 000 euros en réparation du préjudice moral de Mme [L] [Y],

- 3 000 euros, chacun, en réparation de leur propre préjudice moral,

- Condamne l'association Groupement d'entraide départemental aux handicapés inadaptés et à leurs familles (GEDHIF) aux dépens de première instance et d'appel,

- Condamne l'association Groupement d'entraide départemental aux handicapés inadaptés et à leurs familles (GEDHIF) à payer à M. [Z] [Y] et Mme [N] [Y] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Déboute l'association Groupement d'entraide départemental aux handicapés inadaptés et à leurs familles (GEDHIF) de sa propre demande à ce titre.

L'arrêt a été signé par O. CLEMENT, Président, et par V. SERGEANT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

V.SERGEANT O. CLEMENT