CA Lyon, 3e ch. A, 8 février 2024, n° 22/01054
LYON
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Ana Uni Group (SAS)
Défendeur :
Distribution Casino France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gonzalez
Conseillers :
Mme Jullien, Mme Le Gall
Avocats :
Me Trente, Me Scotto d'Apollonia, Me Baufume, Me Semoun
EXPOSÉ DU LITIGE
La Sas Distribution Casino France exploite des commerces d'alimentation générale sous différentes enseignes.
La société Khady, dirigée par M. [R] [D], est propriétaire d'un fonds de commerce de distribution alimentaire qu'elle exploitait sous l'enseigne « Spar » de 2011 à 2018 à la suite d'un contrat de franchise conclu avec la société Distribution Casino France le 30 août 2011.
La Sas Ana Uni Group a pour activité le commerce d'alimentation générale. Elle est dirigée par M. [T] [G], président, et Mme [O] [N] [S], directrice générale.
Par contrat de location gérance du 3 octobre 2018, la société Khady a confié l'exploitation de son fonds de commerce à M. [G] et Mme [N] [S], agissant au nom de la société en formation Ana Uni Group, pour une durée initiale de 3 ans renouvelable par tacite reconduction chaque année. La société Distribution Casino France a donné son accord pour que le contrat de franchise initialement signé avec la société Khady soit transféré à la société Ana Uni Group.
Le 31 octobre 2018, deux avenants au contrat de franchise ont été signés entre la société Distribution Casino France, M. [G] et Mme [N] [S], agissant au nom de la société en formation Ana Uni Group, concernant notamment le dépôt de garantie d'un versement initial de 10.000 euros, suivis de 12 mensualités de 301 euros par prélèvement.
Par courrier du 15 janvier 2019, la société Distribution Casino France a réclamé le paiement de la somme de 21.861,18 euros, correspondant à une situation d'encours, à la société Ana Uni Group. Il l'a également informé de la déchéance des délais de paiements qui lui avait été consentis et du blocage des commandes.
Par courrier du 14 mars 2019, la société Ana Uni Group a reproché à la société Distribution Casino France de ne pas respecter le contrat de franchise et les obligations qui lui incombaient.
Par courriers postérieurs, la société Distribution Casino France a actualisé le montant de sa demande pour la porter à 123.223,20 euros par courrier du 7 novembre 2019.
Par acte du 12 novembre 2019, la société Khady a résilié le contrat de location gérance qui la liait à la société Ana Uni Group. Par courrier du 15 novembre 2019, la société Distribution Casino France a notifié à la société Ana Uni Group la perte du bénéfice du contrat de franchise « Spar » conclu avec la société Khady au motif que les contrats formaient un tout indivisible.
Par acte du 24 janvier 2020, la société Ana Uni Group a assigné la société Distribution Casino France devant le tribunal de commerce de Saint-Etienne afin d'obtenir la résiliation du contrat de franchise et des dommages-intérêts pour mauvaise exécution du contrat.
Par jugement contradictoire du 3 novembre 2021, le tribunal de commerce de Saint-Etienne a :
- déclaré recevable mais mal fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société Distribution Casino France et s'est déclaré matériellement compétent,
- relevé que la société Distribution Casino France n'est pas partie au contrat de location gérance signé le 3 octobre entre la société Khady et la société Ana Uni Group,
- constaté que la société Distribution Casino France n'a commis aucun manquement contractuel à l'égard de la société Ana Uni Group,
- rejeté la demande de la société Ana Uni Group aux fins de résiliation du contrat de franchise,
- débouté la société Ana Uni Group de sa demande de dommages-intérêts,
- dit ne pouvoir se prononcer faute d'éléments suffisants, sur la demande de la société Distribution Casino France aux fins de constat de perte du bénéfice du contrat de franchise du fait de la résiliation du contrat de location gérance,
- condamné la société Ana Uni Group à payer à la société Distribution Casino France la somme de 112.202,19 euros au titre des marchandises impayées,
- débouté la société Ana Uni Group de l'ensemble de ses demandes,
- rejeté la demande de dommages-intérêts formulée par la société Distribution Casino France à l'encontre de la société Ana Uni Group au titre de la procédure abusive,
- condamné la société Ana Uni Group à payer à la société Distribution Casino France la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que les dépens seront payés par la société Ana Uni Group à la société Distribution Casino France,
- débouté la société Distribution Casino France du surplus de ses demandes,
- dit qu'en application de l'article 514 du code de procédure civile, la présente décision est de droit exécutoire par provision.
La société Ana Uni Group a interjeté appel par acte du 4 février 2022.
***
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 3 mai 2022, la société Ana Uni Group demande à la cour de :
- réformer le jugement déféré et statuant à nouveau,
- juger recevable et bien fondée sa demande de résiliation du contrat de franchise la liant à la société Casino Distribution France,
- juger que la société Casino Distribution France a commis de graves manquements contractuels dans le cadre de l'exécution de ce contrat de franchise à son préjudice,
- juger que les préjudices économiques et autres dommages-intérêts découlant de ces manquements du groupe Casino s'élèvent à la somme de 838.396,44 euros,
- en conséquence, condamner la société Casino Distribution France à lui payer la somme de 838.396,44 euros à titre de dommages-intérêts,
- condamner la société Casino Distribution France à lui payer la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Casino Distribution France aux entiers dépens avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
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Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 22 juillet 2022 fondées sur les articles 442-4 III et L. 442-1 du code de commerce et les articles 6 et 9 du code de procédure civile, la société Distribution Casino France demande à la cour de :1/ in limine litis,
A titre principal,
- constater que le tribunal de commerce de Saint-Etienne n'avait pas le pouvoir pour statuer sur les griefs émis par la société Ana Uni Group au titre de l'existence d'un prétendu déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties dans le contrat de franchise et réformer le jugement déféré en ce qu'il a considéré avoir ce pouvoir, et statuant à nouveau,
- déclarer la société Ana Uni Groupe irrecevable en l'ensemble de ses demandes fondées sur l'existence d'un prétendu déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, celles-ci relevant du seul pouvoir juridictionnel de la cour d'appel de Paris,
A titre subsidiaire,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes émises par la société Ana Uni Group aux fins de résiliation du contrat de franchise pour déséquilibre significatif,
2/ à titre principal,
- confirmer partiellement le jugement déféré en ce qu'il a :
constaté qu'elle n'était pas partie au contrat de location-gérance signé le 3 octobre 2018,
constaté qu'elle ne s'était rendue coupable d'aucune faute contractuelle,
débouté la société Ana Uni Group de sa demande au titre de la résiliation du contrat de franchise,
débouté la société Ana Uni Group de l'ensemble de ses demandes indemnitaires,
condamné la société Ana Uni Group à lui verser la somme de 112.202,19 euros au titre de factures de marchandises impayées,
3/ à titre incident,
- réformer partiellement le jugement déféré en ce qu'il a rejeté sa demande au titre du caractère abusif de la procédure engagée par la société Ana Uni Group et statuant à nouveau, condamner, la société Ana Uni Group à lui verser la somme de 25.000 euros en réparation de l'exercice d'une procédure abusive et vexatoire,
4/ en tout état de cause,
- condamner la société Ana Uni Group au paiement de la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Ana Uni Group aux entiers dépens de l'instance.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 24 janvier 2023, les débats étant fixés au 15 novembre 2023.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, il est précisé que le litige est soumis au nouveau droit des contrats issu de l'ordonnance du 10 février 2016 puisque le contrat litigieux est postérieur au 1er octobre 2016.
Sur la recevabilité des demandes en matière de déséquilibre significatif
La société Ana Uni Group ne fait pas valoir de moyen sur ce point.
La société Distribution Casino France fait valoir que :
- le tribunal de commerce de Saint-Etienne n'avait pas le pouvoir de statuer sur les griefs formulés par l'appelante sur l'existence d'un prétendu déséquilibre significatif, ne faisant pas partie des juridictions auxquelles cette compétence exclusive a été attribuée,
- la cour d'appel de céans ne pourra non plus statuer sur de telles demandes, qui relèvent du pouvoir exclusif de la cour d'appel de Paris ; elle ne pourra que rejeter les griefs formulés par l'appelante sur le fondement du déséquilibre significatif.
Sur ce,
L'article L.442-4 du code de commerce invoqué par l'intimée dispose que :
'[...] III.-Les litiges relatifs à l'application des articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L. 442-8 sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret.'
L'article D.442-3 du code de commerce dans sa version en vigueur depuis le 27 février 2021 dispose que : 'Pour l'application du III de l'article L. 442-4, le siège et le ressort des tribunaux judiciaires compétents en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-2 du présent livre. La cour d'appel compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions est celle de Paris.'
Une clause attributive de compétence ne peut faire obstacle à l'application de ces dispositions d'ordre public.
L'article 442-6, I, 2° ancien (aujourd'hui 442-1) dispose :
' Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
(...)
2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;'
Ce texte s'applique donc dans les relations entre partenaires commerciaux, ce qui est précisément le cas en l'espèce.
La société Ana Uni Group qui invoquait en première instance divers griefs à l'encontre de la société Casino s'était notamment fondée sur les dispositions de l'article L 442-1 du code de commerce (en fait L 442-6 I ancien) comme le rappelait le dispositif de ses conclusions de première instance. La société Casino avait fait valoir reconventionnellement l'irrecevabilité de ces demandes, relevant selon elle des pouvoirs du tribunal de commerce de Lyon.
Le tribunal de commerce de Saint Etienne s'est cependant déclaré matériellement compétent, mais en statuant en fait au fond puisqu'il a écarté l'existence d'un déséquilibre significatif, en relevant que la société Casino contestait elle-même l'existence d'un déséquilibre financier. Cette motivation est impropre et ne répond pas à l'exception d'incompétence soulevée.
En appel, si la société Ana Uni Group ne liste plus dans le dispositif de ses dernières conclusions les textes sur lesquels elle appuie ses prétentions, elle invoque à nouveau expressément en page 13 de ces conclusions les dispositions de l'article 442-1 du code de commerce en faisant valoir un abus dans le contrat dans le cadre de l'approvisionnement (article 6-2 commandes) et le grave déséquilibre significatif introduit par une telle clause qui permet des intrusions par Casino dans le système d'exploitation du magasin Spar. Elle fait également valoir un préjudice en découlant et notamment les pertes accusées par le magasin.
Par ailleurs, l'appelante présente une demande de dommages intérêts à hauteur de la somme de 838.396,44 euros sans la rattacher à un fondement précis de sorte que cette demande est notamment fondée sur l'article susvisé.
Il est d'ailleurs souligné que l'appelante se prévaut en parallèle des dispositions de l'article 1171 du code civil sans en tirer de conséquences dans le dispositif de ses conclusions.
Dès lors, le déséquilibre significatif invoqué par la société Ana Uni Group entre dans le champ d'application de l'article L. 442-6, ancien, du code de commerce de sorte que le tribunal de commerce de Saint-Etienne aurait dû se déclarer incompétent au profit du tribunal de commerce de Lyon.
La présente cour n'est pas la juridiction d'appel du tribunal de commerce de Lyon dans ce litige et ne peut donc en connaître.
Au regard de l'arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 10 octobre 2023 (21.15.378) revenant sur la jurisprudence antérieure, le moyen par lequel une partie conteste en application des articles L 442-6 III devenu L 442-4 III et D 442-3, la compétence d'une juridiction à connaître d'une demande fondée sur l'article L 442-6 I devenu L 442-1 du code de commerce, constitue, non pas une fin de non recevoir mais une exception d'incompétence.
Il convient donc, non pas de déclarer les demandes irrecevables, mais de renvoyer l'affaire devant la cour d'appel de Paris en application des dispositions de l'article 90 du code de procédure civile.
Toutes les demandes des parties ainsi que les dépens sont réservés.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant dans les limites de l'appel,
Infirme le jugement querellé.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Se déclare incompétent pour statuer sur le présent litige au profit de la cour d'appel de Paris et renvoie en application des dispositions de l'article 90 du code de procédure civile l'affaire devant cette cour.
Réserve les demandes des parties et les dépens.