Livv
Décisions

Cass. com., 14 février 2024, n° 22-10.472

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Ducloz

Avocat général :

M. Lecaroz

Avocat :

SCP Spinosi

Paris, du 16 sept. 2021

16 septembre 2021

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 septembre 2021), la société de droit américain Bloomberg LP (la société Bloomberg) est spécialisée dans l'information économique et financière à destination, notamment, des professionnels des marchés financiers. Son agence de presse, Bloomberg News, assure la diffusion de ces informations par l'intermédiaire des « terminaux Bloomberg » et de divers médias.

2. Le 22 novembre 2016 à 16 heures 05, le « speed desk » du bureau parisien de l'agence de presse Bloomberg News, qui publie en temps réel des informations financières provenant de communiqués de presse ou d'autres sources, a reçu, sous la forme d'un courriel, un communiqué de presse se présentant comme émanant de la société Vinci, dont les titres sont admis à la négociation sur le marché réglementé Euronext Paris, intitulé « Vinci lance une révision de ses comptes consolidés pour l'année 2015 et le premier semestre 2016 ».

3. Ce communiqué de presse annonçait une opération de révision des comptes consolidés du groupe Vinci à la suite de la découverte, lors d'un audit interne, d'irrégularités comptables entraînant une perte nette pour l'exercice 2015 et le premier semestre 2016, ainsi que le licenciement du directeur financier, nommément désigné, de la société Vinci et la tenue, le lendemain, d'une conférence de presse.

4. Le même jour entre 16 heures 06 minutes 04 secondes et 16 heures 07, le « speed desk » a diffusé sur les « terminaux Bloomberg » plusieurs dépêches relayant le contenu de ce communiqué de presse.

5. A la suite de la diffusion de ces dépêches, le cours du titre Vinci a enregistré une baisse de 18,28 %.

6. Dans la même journée, entre 16 heures 14 minutes 07 secondes et 16 heures 52, le « speed desk » a supprimé ces dépêches et diffusé des dépêches les rectifiant et les démentant.

7. A 17 heures 02, la société Vinci a publié sur son site internet un communiqué de presse démentant les informations figurant dans le « faux communiqué de presse Vinci publié par Bloomberg ».

8. Après une enquête sur l'information financière et le marché du titre Vinci ouverte le 23 novembre 2016, le collège de l'Autorité des marchés financiers (l'AMF) a, le 22 octobre 2018, décidé de notifier à la société Bloomberg le grief de diffusion d'informations qu'elle aurait dû savoir fausses ou trompeuses et susceptibles de fixer le cours du titre Vinci à un niveau anormal ou artificiel, en violation des dispositions des articles 12, 15 et 21 du règlement (UE) n° 596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE (le règlement MAR).

9. Par une décision n° 18 du 11 décembre 2019, la commission des sanctions de l'AMF a retenu que le manquement reproché était caractérisé et prononcé, à l'encontre de la société Bloomberg, une sanction pécuniaire de cinq millions d'euros, réduite, sur recours de la société Bloomberg, à trois millions d'euros par la cour d'appel de Paris.

Sur la recevabilité des interventions volontaires accessoires du Syndicat national des journalistes, de l'association Reporters sans frontières, du groupement de droit américain Reporters Committee For Freedom Of The Press, de la Fédération internationale des journalistes et de la Fédération européenne des journalistes, contestée par la défense

10. L'AMF conteste la recevabilité de l'intervention volontaire accessoire du Syndicat national des journalistes, de l'association Reporters sans frontières, du groupement de droit américain Reporters Committee For Freedom Of The Press, de la Fédération internationale des journalistes et de la Fédération européenne des journalistes. Elle soutient, tout d'abord, que l'intervention volontaire accessoire de l'association Reporters sans frontières au soutien du recours formé par la société Bloomberg devant la cour d'appel de Paris a été déclarée irrecevable par un arrêt avant-dire droit irrévocable du 18 février 2021 de cette cour, ensuite, que le caractère attitré du contentieux relatif aux sanctions prononcées par la commission des sanctions de l'AMF rend irrecevable toute intervention d'un tiers, enfin, qu'aucun des intervenants volontaires ne justifie d'un intérêt pour la préservation de ses droits à soutenir la société Bloomberg.

11. Il résulte des articles 327 et 330 du code de procédure civile que les interventions volontaires sont admises devant la Cour de cassation si elles sont formées à titre accessoire à l'appui des prétentions d'une partie et si leur auteur a intérêt, pour la préservation de ses droits, à soutenir cette partie.

12. En premier lieu, l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 18 février 2021 déclarant irrecevable l'intervention volontaire de l'association Reporters sans frontières au soutien du recours en annulation ou en réformation de la décision de la commission des sanctions de l'AMF formé par la société Bloomberg devant cette juridiction n'a pas pour effet de priver cette même association de son droit d'intervenir volontairement devant la Cour de cassation au soutien du pourvoi formé par la société Bloomberg, cette intervention n'ayant pas le même objet.

13. En deuxième lieu, le caractère personnel attaché aux sanctions prononcées par la commission des sanctions de l'AMF, qui implique que leur contestation soit réservée à la personne qui en fait l'objet, n'a pas pour effet de rendre irrecevable une intervention volontaire accessoire, laquelle se borne à appuyer les prétentions d'une partie.

14. En dernier lieu, le litige portant notamment sur les conditions selon lesquelles un journaliste peut, en application des articles 12, 15 et 21 du règlement MAR, être sanctionné pour le manquement de diffusion, à des fins journalistiques, d'informations qu'il aurait dû savoir inexactes ou trompeuses, le Syndicat national des journalistes, l'association Reporters sans frontières, le groupement Reporters Committee for freedom of the press, la Fédération internationale des journalistes et la Fédération européenne des journalistes, qui ont pour objet la défense de la liberté de la presse et de la profession de journaliste, justifient d'un intérêt, pour la préservation de leurs droits, à soutenir la société Bloomberg.

15. Leurs interventions volontaires au soutien de la société Bloomberg sont donc recevables.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

16. La société Bloomberg fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation de la décision de la commission des sanctions n° 18 du 11 décembre 2019, alors :

« 1°/ que l'article 21 du règlement MAR, qui vise à assurer le respect de la liberté d'expression des journalistes et de la liberté de la presse dans le cadre de l'application des dispositions répressives prévues notamment par les articles 12 et 15 de ce même règlement, prévoit que les journalistes et les agences de presse ne peuvent en principe être sanctionnés au titre d'une manipulation de marché ; que cet article ne fait exception à ce principe que dans deux hypothèses alternatives, à savoir, d'une part, lorsque les journalistes ou agences concernés ont tiré un avantage ou des bénéfices de la divulgation ou de la diffusion des informations en cause et, d'autre part, lorsque la divulgation ou la diffusion a eu lieu dans l'intention d'induire le marché en erreur ; qu'en l'espèce, en retenant, pour rejeter la demande d'annulation formée par la société Bloomberg, que l'article 21 du règlement MAR pouvait être interprété comme permettant de sanctionner des journalistes ou agences de presse ayant relayé de fausses informations de bonne foi, sans en tirer, directement ou indirectement, un quelconque avantage ou bénéfice et sans avoir eu l'intention d'induire le marché en erreur, la cour d'appel a violé les articles 12, 15 et 21 du règlement MAR ;

2°/ que toute ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression des journalistes et de la liberté de la presse doit être "prévue par la loi" ; que cette exigence implique une dimension qualitative, les personnes concernées devant être en mesure d'apprécier par avance la légalité de leur comportement en identifiant, à un degré raisonnable, les conséquences pouvant résulter de leurs actes ou omissions ; qu'en l'espèce, en retenant, pour rejeter la demande d'annulation formée par la société Bloomberg, que l'article 21 du règlement MAR pouvait être interprété comme permettant de sanctionner des journalistes ou agences de presse victimes d'un montage manipulatif ayant relayé de fausses informations de bonne foi, et notamment sans en tirer, directement ou indirectement, un quelconque avantage ou bénéfice et sans avoir eu l'intention d'induire le marché en erreur, cependant qu'il ressortait indubitablement de la genèse de cet article, et notamment de l'ensemble des communiqués de presse de la Commission [de l'Union] européenne ainsi que des travaux parlementaires européens disponibles, que des journalistes ou agences de presse de bonne foi ne seraient pas passibles des sanctions prévues par le législateur européen, de sorte qu'il existait, à tout le moins, une réelle et légitime incertitude quant au sens et à la portée de ce texte ayant pour finalité de garantir la liberté d'expression des journalistes et la liberté de la presse, la cour d'appel a retenu une interprétation de l'article 21 du règlement MAR méconnaissant la portée de l'exigence suivant laquelle toute ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression et de la liberté de la presse doit être "prévue par la loi" et a, ce faisant, violé les articles 12, 15 et 21 du règlement MAR, 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le principe de la légalité des délits et des peines ;

3°/ que toute ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression des journalistes et de la liberté de la presse doit être "prévue par la loi" ; que cette exigence implique une dimension qualitative, les personnes concernées devant être en mesure d'apprécier par avance la légalité de leur comportement en identifiant, à un degré raisonnable, les conséquences pouvant résulter de leurs actes ou omissions ; qu'en l'espèce, en retenant, pour rejeter la demande d'annulation formée par la société Bloomberg, que l'article 21 du règlement MAR pouvait être interprété comme permettant de sanctionner des journalistes ou agences de presse victimes d'un montage manipulatif ayant relayé de fausses informations de bonne foi, et notamment sans en tirer, directement ou indirectement, un quelconque avantage ou bénéfice et sans avoir eu l'intention d'induire le marché en erreur, cependant qu'il existait, à tout le moins, une réelle et légitime incertitude quant au sens et à la portée de ce texte ayant pour finalité de garantir la liberté d'expression des journalistes et la liberté de la presse, la cour d'appel a retenu une interprétation de l'article 21 du règlement MAR méconnaissant la portée de l'exigence suivant laquelle toute ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression et de la liberté de la presse doit être "prévue par la loi" et a, ce faisant, violé les articles 12, 15 et 21 du règlement MAR, 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le principe de la légalité des délits et des peines ;

4°/ que toute ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression des journalistes et de la liberté de la presse doit être "prévue par la loi" ; que cette exigence implique une dimension qualitative, les personnes concernées devant être en mesure d'apprécier par avance la légalité de leur comportement en identifiant, à un degré raisonnable, les conséquences pouvant résulter leurs actes ou omissions ; qu'en l'espèce, en retenant, pour rejeter la demande d'annulation formée par la société Bloomberg, que l'article 21 du règlement MAR pouvait être interprété comme permettant de sanctionner des journalistes ou agences de presse victimes d'un montage manipulatif ayant relayé de fausses informations de bonne foi, et notamment sans en tirer, directement ou indirectement, un quelconque avantage ou bénéfice et sans avoir eu l'intention d'induire le marché en erreur, cependant que le seul renvoi par cet article aux "règles ou codes régissant la profession de journaliste", qui n'existent pas en France, n'était manifestement pas de nature à satisfaire l'exigence de base légale posée par la jurisprudence européenne, la cour d'appel a méconnu la portée de l'exigence suivant laquelle toute ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression et de la liberté de la presse doit être "prévue par la loi" et a, ce faisant, violé les articles 12, 15 et 21 du règlement MAR, 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le principe de la légalité des délits et des peines ;

5°/ que toute ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression des journalistes et de la liberté de la presse doit être "nécessaire dans une société démocratique" ; que l'effet dissuasif que la crainte de sanctions trop importantes est de nature à emporter pour l'exercice par des journalistes de leur liberté d'expression fait partie des éléments à prendre en compte dans le cadre de l'appréciation de la nécessité et, partant, du caractère justifié des sanctions encourues ; qu'en l'espèce, en retenant, pour rejeter la demande d'annulation formée par la société Bloomberg, que l'article 21 du règlement MAR pouvait être interprété comme permettant de sanctionner des journalistes ou agences de presse victimes d'un montage manipulatif ayant relayé de fausses informations de bonne foi, et notamment sans en tirer, directement ou indirectement, un quelconque avantage ou bénéfice et sans avoir eu l'intention d'induire le marché en erreur, cependant que la menace d'une sanction pouvant atteindre plusieurs millions d'euros pesant sur des journalistes ou agences de bonne foi serait manifestement hors de toute proportion raisonnable et même contre-productive au regard de l'objectif légitime poursuivi de protection des marchés financiers, la cour d'appel a retenu une interprétation de l'article 21 du règlement MAR méconnaissant la condition tenant au caractère "nécessaire" des ingérences dans l'exercice de la liberté d'expression et de la liberté de la presse et a, ce faisant, violé les articles 12, 15 et 21 du règlement MAR, ensemble les articles 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

17. Selon l'article 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'exercice de la liberté d'expression comporte des devoirs et des responsabilités, et peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la prévention du crime, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, ou pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles.

18. Selon l'article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontières. La liberté des médias et leur pluralisme sont respectés. Selon l'article 52, paragraphe 3, de cette Charte, dans la mesure où celle-ci contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite Convention

19. Selon l'article 12, paragraphe 1, sous c) du règlement MAR, aux fins de ce règlement, la notion de « manipulation de marché » couvre la diffusion d'informations, que ce soit par l'intermédiaire des médias, dont l'internet, ou par tout autre moyen, qui fixent ou sont susceptibles de fixer à un niveau anormal ou artificiel le cours d'un ou de plusieurs instruments financiers, alors que la personne ayant procédé à une telle diffusion savait ou aurait dû savoir que ces informations étaient fausses ou trompeuses.

20. Selon l'article 15 de ce règlement, une personne ne doit pas effectuer des manipulations de marché.

21. L'article 21 du même règlement dispose :

« Aux fins (...) de l'article 12, paragraphe 1, point c), (...) lorsque des informations sont divulguées ou diffusées et lorsque des recommandations sont produites ou diffusées à des fins journalistiques ou aux fins d'autres formes d'expression dans les médias, cette divulgation ou cette diffusion d'informations est appréciée en tenant compte des règles régissant la liberté de la presse et la liberté d'expression dans les autres médias et des règles ou codes régissant la profession de journaliste, à moins que :

a) les personnes concernées ou les personnes étroitement liées à celles-ci ne tirent, directement ou indirectement, un avantage ou des bénéfices de la divulgation ou de la diffusion des informations en question ; ou

b) la divulgation ou la diffusion n'ait lieu dans l'intention d'induire le marché en erreur quant à l'offre, à la demande ou au cours d'instruments financiers. »

22. Selon l'article 30, paragraphe 2, sous j), point i), du règlement MAR, en cas de manipulations de marché par une personne morale, les États membres, conformément à leur droit national, font en sorte que les autorités compétentes aient le pouvoir d'infliger une sanction pécuniaire administrative d'un montant maximal d'au moins quinze millions d'euros.

23. Selon le considérant 2 du règlement MAR, pour qu'un marché financier puisse être intégré, efficace et transparent, l'intégrité du marché est nécessaire et les abus de marché nuisent à l'intégrité des marchés financiers et ébranlent la confiance du public dans les valeurs mobilières et les instruments dérivés. Selon le considérant 77 de ce règlement, lorsque celui-ci fait référence à des règles régissant la liberté de la presse et la liberté d'expression dans d'autres médias, ainsi qu'aux règles ou codes régissant la profession de journaliste, il convient de tenir compte de ces libertés telles qu'elles sont garanties dans l'Union et dans les États membres et consacrées par l'article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et par d'autres dispositions pertinentes.

24. Selon l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, le manquement de diffusion d'informations fausses ou trompeuses peut faire l'objet d'une sanction pécuniaire d'un montant maximal de cent millions d'euros. Dans la mise en oeuvre de cette sanction, il est tenu compte, notamment, de la gravité et de la durée du manquement, de la qualité et du degré d'implication de la personne en cause, de la situation et de la capacité financières de la personne en cause, au vu notamment de son patrimoine et, s'agissant d'une personne morale, de son chiffre d'affaires total, de l'importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne en cause, dans la mesure où ils peuvent être déterminés, des pertes subies par des tiers du fait du manquement, dans la mesure où elles peuvent être déterminées, du degré de coopération avec l'AMF dont a fait preuve la personne en cause, sans préjudice de la nécessité de veiller à la restitution de l'avantage retiré par cette personne, des manquements commis précédemment par la personne en cause, et de toute circonstance propre à la personne en cause, notamment des mesures prises par elle pour remédier aux dysfonctionnements constatés, provoqués par le manquement qui lui est imputable et le cas échéant pour réparer les préjudices causés aux tiers, ainsi que pour éviter toute réitération du manquement.

25. En premier lieu, il résulte des dispositions claires et précises de l'article 21 du règlement MAR que, lorsque la diffusion d'informations est faite à des fins journalistiques, le manquement de diffusion d'informations fausses ou trompeuses prévu à l'article 12, paragraphe 1, sous c), de ce règlement doit être apprécié en tenant compte des règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d'expression dans les autres médias ainsi que des règles ou codes régissant la profession de journaliste, sauf si les personnes concernées ou les personnes étroitement liées à celles-ci tirent, directement ou indirectement, un avantage ou des bénéfices de la diffusion de l'information ou si cette diffusion a été réalisée dans l'intention d'induire le marché en erreur.

26. Ce texte, qui a pour objectif de concilier l'intérêt public, énoncé au considérant 2 du règlement MAR, de protection de l'intégrité des marchés financiers, de renforcement de la confiance des investisseurs dans ces marchés et de lutte contre les abus de marché tels que la diffusion d'informations fausses ou trompeuses, avec la liberté de la presse et la liberté d'expression, accorde ainsi aux journalistes ayant diffusé des informations fausses ou trompeuses au sens de l'article 12, paragraphe 1, sous c), de ce règlement un régime spécifique de protection tenant à la prise en compte des règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d'expression, ainsi que des règles ou codes relatifs à la profession de journaliste. L'article 21 du règlement MAR écarte toutefois l'application de ce régime spécifique lorsque ces informations ont été diffusées dans l'un des cas visés sous son a) ou sous son b).

27. Il s'ensuit qu'un journaliste qui, sans en tirer un avantage ni avoir l'intention d'induire le marché en erreur, a diffusé à des fins journalistiques une information fausse ou trompeuse, ne peut être sanctionné au titre du manquement de manipulation de marché prévu à l'article 12, paragraphe 1, sous c), du règlement MAR s'il a respecté les règles ou codes relatifs à sa profession. A l'inverse, un journaliste qui, sans en tirer un avantage ni avoir l'intention d'induire le marché en erreur, a, sans respecter les règles ou codes de sa profession, diffusé à des fins journalistiques une information fausse ou trompeuse, peut être sanctionné au titre de ce manquement lorsque les règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d'expression le permettent. Enfin, un journaliste qui a diffusé une information fausse ou trompeuse pour en tirer ou en faire tirer un avantage ou des bénéfices ou pour induire le marché en erreur peut se voir sanctionner au titre du manquement de manipulation de marché sans qu'il y ait lieu d'appliquer les règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d'expression ainsi que les règles ou codes relatifs à sa profession pour apprécier la caractérisation de ce manquement.

28. Dès lors, c'est à bon droit que l'arrêt retient qu'il résulte de l'article 21 du règlement MAR que ce texte ne limite ni ne subordonne le prononcé d'une sanction contre un journaliste ou un organe de presse du chef de diffusion d'informations fausses ou trompeuses aux seuls cas où il serait démontré que celui-ci a tiré un avantage de cette diffusion ou a agi dans l'intention d'induire le marché en erreur.

29. Il en découle que l'ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression que constitue l'article 21 du règlement MAR combiné aux articles 12, paragraphe 1, sous c), et 15 de ce règlement, est prévue par la loi, en ce qu'elle est fondée sur un texte qui présente l'accessibilité, la clarté et la prévisibilité requises par l'article 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, auquel renvoie l'application combinée des articles 11 et 52, paragraphe 3, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

30. En deuxième lieu, il résulte de l'article 21 du règlement MAR que ce texte est relatif, aux fins de l'application de l'article 12, paragraphe 1, sous c), de ce règlement, à l'appréciation du manquement de diffusion d'informations fausses ou trompeuses lorsque cette diffusion est faite à des fins journalistiques. Il s'ensuit que la détermination du caractère licite ou illicite de la diffusion d'informations fausses ou trompeuses doit, lorsqu'elle est faite à des fins journalistiques, se fonder sur l'article 12, paragraphe 1, sous c), du règlement MAR tout en tenant compte des précisions figurant à l'article 21 de ce règlement (en ce sens, s'agissant de la divulgation illicite d'informations privilégiées, CJUE, arrêt du 15 mars 2022, Autorité des marchés financiers, C-302/20, points 74 et 75).

31. C'est dès lors à bon droit que l'arrêt retient que l'article 21 du règlement MAR participe à la définition du manquement de diffusion d'informations fausses ou trompeuses lorsque ce manquement est reproché à des journalistes et qu'il doit, par suite, satisfaire aux exigences du principe de légalité des délits et des peines consacré à l'article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

32. Le considérant 77 du règlement MAR explique que lorsque ce règlement fait référence à des règles régissant la liberté de la presse et la liberté d'expression dans d'autres médias, ainsi qu'aux règles ou codes régissant la profession de journaliste, il convient de tenir compte de ces libertés telles qu'elles sont garanties dans l'Union et dans les États membres et consacrées par l'article 11 de la Charte et par d'autres dispositions pertinentes.

33. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qu'en vue de l'interprétation de l'article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, il convient de prendre en considération, en vertu de l'article 52, paragraphe 3, de la Charte, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme relative à l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CJUE, arrêt Autorité des marchés financiers, précité, point 67).

34. L'arrêt énonce qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qu'une loi peut satisfaire à l'exigence de prévisibilité même si la personne concernée doit recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé, et qu'il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d'une grande prudence dans l'exercice de leur métier, de sorte que l'on peut attendre d'eux qu'ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu'il comporte (CEDH, arrêt du 15 novembre 1996, Cantoni c. France, n° 17862/91, § 35 ; CEDH, arrêt du 20 octobre 2015, Vasiliauskas c. Lituanie, n° 35343/05, § 157).

35. L'arrêt ajoute que, selon une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'homme, en raison des devoirs et responsabilités inhérents à la liberté d'expression, d'une part, la protection offerte par l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales aux journalistes est subordonnée à la condition que ceux-ci agissent de bonne foi, sur la base de faits exacts, et fournissent des informations fiables et précises dans le respect de l'éthique journalistique (CEDH, arrêt du 25 septembre 2002, Colombani c. France, n° 51279/99, § 65 ; CEDH, arrêt du 14 mai 2008, July et Sarl Libération c. France, n° 20893/03, § 63 ; CEDH, arrêt du 21 avril 2016, De Carolis et France Télévision c. France, n° 19313/10, § 44 et 45 ; CEDH, arrêt du 12 juillet 2016, Reichman c. France, n° 50147/11, § 54), d'autre part, l'obligation pour un journaliste de s'assurer de l'existence d'une base factuelle suffisamment précise et fiable, laquelle est proportionnée à la nature et à la force de son allégation, trouve sa source dans les règles de la profession journalistique et les normes d'un journalisme responsable, parmi lesquelles, au titre des textes pertinents, la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes, adoptée à Munich les 24 et 25 novembre 1971 par les organisations professionnelles de journalistes des États membres de la Communauté européenne et entérinée par la Fédération internationale des journalistes lors du congrès d'Istanbul de 1972, qui prévoit que les devoirs essentiels du journaliste, dans la recherche, la rédaction et le commentaire des événements sont notamment de publier seulement les informations dont l'origine est connue ou de les accompagner, si nécessaire, des réserves qui s'imposent (CEDH, arrêt du 10 novembre 2015, Couderc et Hachette Filipacchi c. France, n° 40454/07, § 44). L'arrêt retient que doivent être également regardées comme des textes pertinents la Charte d'éthique professionnelle des journalistes publiée par le Syndicat national des journalistes en 1918 et mise à jour en 1938 et 2011, qui prévoit que la notion d'urgence dans la diffusion d'une information ou d'exclusivité ne doit pas l'emporter sur le sérieux de l'enquête et la vérification des sources, qu'un journaliste « digne de ce nom » place notamment la non-vérification des faits parmi « les plus graves dérives professionnelles » et qu'il doit exercer la plus grande vigilance avant de diffuser des informations, d'où qu'elles viennent, ainsi que la Charte mondiale des journalistes adoptée par la Fédération internationale des journalistes le 12 juin 2019, qui complète le code de principes sur la conduite des journalistes adopté en 1954, dénommé « déclaration de Bordeaux », et énonce que le journaliste ne doit rapporter que des faits dont il connaît l'origine et que la notion d'urgence ou d'immédiateté dans la diffusion de l'information ne prévaut pas sur la vérification des sources.

36. De ces énonciations, constatations et appréciations, dont il résulte que l'article 21 du règlement MAR, en tant qu'il renvoie aux règles ou codes régissant la profession de journaliste, se fonde sur une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'homme relative aux devoirs et responsabilités des journalistes ainsi que sur les règles déontologiques relatives à cette profession énoncées dans différentes chartes ou déclarations et présente, par suite, l'accessibilité, la clarté et la prévisibilité requises par l'article 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, peu important qu'il n'existe pas en droit français de dispositions législatives ou réglementaires régissant la profession de journaliste, la cour d'appel a exactement déduit qu'un journaliste averti est pleinement en mesure, à partir du libellé de l'article 21 du règlement MAR, d'évaluer à un degré raisonnable les risques encourus en cas de diffusion d'informations fausses ou trompeuses, quitte à s'entourer de conseils de juristes spécialisés, et que ce texte ne méconnaît dès lors pas le principe de légalité des délits et des peines.

37. En dernier lieu, le Conseil constitutionnel a jugé (décision n° 2017-634 QPC du 2 juin 2017) que les dispositions de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, prises pour l'application de l'article 30 du règlement MAR et fixant le montant maximal de la sanction pécuniaire à cent millions d'euros en cas, notamment, de diffusion d'informations fausses ou trompeuses, ne méconnaissent pas les principes de nécessité et de proportionnalité des peines dès lors, d'une part, qu'en instituant une sanction pécuniaire destinée à réprimer les manquements de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché, le législateur a poursuivi l'objectif de préservation de l'ordre public économique et qu'un tel objectif implique que le montant des sanctions fixées par la loi soit suffisamment dissuasif pour remplir la fonction de prévention des manquements assignée à la punition, d'autre part, qu'en prévoyant de réprimer les manquements de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché d'une amende d'un montant pouvant aller jusqu'à un plafond de cent millions d'euros, le législateur n'a pas institué une peine manifestement disproportionnée au regard de la nature des manquements réprimés, des risques de perturbation des marchés financiers, de l'importance des gains pouvant en être retirés et des pertes pouvant être subies par les investisseurs.

38. La circonstance que le manquement de diffusion d'informations fausses ou trompeuses prévu à l'article 12, paragraphe 1, sous c), du règlement MAR puisse, en application de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, faire l'objet d'une sanction pécuniaire d'un montant maximal de cent millions d'euros ne constitue pas une ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression qui ne soit pas nécessaire dans une société démocratique. En effet, d'une part, visant, comme l'a jugé le Conseil constitutionnel, à assurer la préservation de l'objectif d'ordre public de protection de l'intégrité des marchés financiers et des investisseurs et de lutte contre les abus de marché, laquelle implique, au regard des conséquences financières très possiblement élevées d'une diffusion d'informations fausses ou trompeuses, que le montant de la sanction soit suffisamment dissuasif pour remplir la fonction de prévention du manquement assignée à la punition, ce montant maximal de sanction poursuit un but légitime. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 26, l'article 21 du règlement MAR instaure, s'agissant des journalistes, un régime spécifique de protection tenant, pour déterminer le caractère licite ou illicite de la diffusion d'informations fausses ou trompeuses, à la prise en compte des règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d'expression ainsi que des règles ou codes régissant leur profession, régime qui n'est écarté que si les informations en cause ont été diffusées aux fins d'en tirer ou d'en faire tirer un avantage ou des bénéfices ou dans l'intention d'induire le marché en erreur, de sorte qu'ont été mis en balance, d'un côté, l'objectif d'ordre public de protection des marchés financiers et des investisseurs et de lutte contre les abus de marché, de l'autre, la liberté de la presse et la liberté d'expression et que, par suite, ce montant maximal est proportionné au but poursuivi.

39. Au demeurant, et comme il est rappelé au point 24, il doit être tenu compte, dans la mise en oeuvre de la sanction, notamment de la situation et de la capacité financières de la personne en cause, au vu de son patrimoine et, s'agissant d'une personne morale, de son chiffre d'affaires total.

40. Le moyen n'est donc pas fondé.

41. Et, en l'absence de doute quant à l'interprétation de l'article 21 du règlement MAR, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles proposées par la société Bloomberg.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

42. La société Bloomberg fait grief à l'arrêt de réformer la décision de la commission des sanctions seulement en ce qu'elle a prononcé une sanction de cinq millions d'euros et, statuant à nouveau, de prononcer à son encontre une sanction pécuniaire de trois millions d'euros, alors :

« 1°/ que toute ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression des journalistes et de la liberté de la presse doit être "nécessaire dans une société démocratique", cette nécessité devant s'apprécier concrètement au regard de la nature et de la gravité des sanctions infligées en les rapportant aux agissements réprimés et à l'ensemble des circonstances factuelles pertinentes ; qu'en l'espèce, en prononçant une sanction pécuniaire à l'encontre de la société Bloomberg cependant que les journalistes de cette dernière avaient été victimes d'un montage manipulatif particulièrement sophistiqué et crédible, que Bloomberg s'employait de sa propre initiative, depuis plusieurs années, à mettre en œuvre des dispositifs particulièrement stricts et innovants de prévention de telles erreurs, que les journalistes piégés avaient agi en toute bonne foi et notamment sans en tirer, directement ou indirectement, un quelconque avantage ou bénéfice et sans avoir eu l'intention d'induire le marché en erreur, et que ces journalistes avaient été les premiers à publier un démenti limitant considérablement, pour le marché dans son ensemble, les dommages ayant résulté de cette erreur, la cour d'appel a violé les articles 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que toute ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression des journalistes et de la liberté de la presse doit être strictement proportionnée au regard de l'objectif poursuivi, cette proportionnalité devant s'apprécier concrètement au regard de la nature et de la gravité des sanctions infligées en les rapportant aux agissements réprimés et à l'ensemble des circonstances factuelles pertinentes ; qu'en l'espèce, en prononçant une sanction pécuniaire de trois millions d'euros à l'encontre de la société Bloomberg sans tenir aucun compte, d'une part, du fait que cette dernière s'employait de sa propre initiative, depuis plusieurs années, à mettre en œuvre des dispositifs particulièrement stricts et innovants de prévention de telles erreurs et, d'autre part, du fait que les journalistes piégés avaient agi en toute bonne foi et notamment sans en tirer, directement ou indirectement, un quelconque avantage ou bénéfice et sans avoir eu l'intention d'induire le marché en erreur, la cour d'appel a violé les articles 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

43. Après avoir relevé que le communiqué de presse litigieux comportait des formules manifestement inhabituelles ou atypiques tenant à leur caractère véhément et sensationnel et à l'emploi de locutions juridiques propres à la langue anglaise, alors que la société Vinci est notoirement connue pour adresser à la société Bloomberg des communiqués de presse rédigés exclusivement en français, et que ce communiqué relatait l'existence de rumeurs relatives à l'ouverture d'une procédure collective concernant la société Vinci dont la réalité était hautement improbable au regard de la santé financière de cette société, attestée par un communiqué de presse diffusé par cette même société le 25 octobre 2016, soit moins d'un mois avant les faits en litige, l'arrêt retient que ces éléments auraient dû alerter les journalistes concernés et les conduire, avant de relayer le communiqué litigieux, à s'interroger sur son authenticité et qu'il leur incombait, dès lors, de procéder à des vérifications afin de s'appuyer sur une base factuelle suffisamment précise et fiable, proportionnée à la nature et à la force de leurs allégations.

44. L'arrêt ajoute que cette obligation de vérification est prévue non seulement par les règles déontologiques propres aux journalistes contenues dans la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes dite « charte de Munich », la Charte d'éthique professionnelle des journalistes publiée par le syndicat national des journalistes et la Charte mondiale des journalistes, mais aussi par les procédures internes de la société Bloomberg telles que le « Bloomberg way », guide de bonne conduite énonçant notamment que « [l]'exactitude est le principe journalistique le plus important », que « [l]es trois mots les plus importants en journalisme sont exactitude, exactitude et exactitude », qu'il y a lieu pour un journaliste de commencer « par vérifier le communiqué afin de s'assurer qu'il est authentique » et que « si un détail contenu dans une déclaration constitue une surprise, cherchez à le vérifier », et la procédure « Hoax Board », qui recense des exemples de faux communiqués de presse et recommande de procéder à certaines vérifications avant d'envoyer des dépêches, notamment en utilisant le logiciel « NQUE » destiné à alerter les journalistes lorsque l'adresse électronique d'envoi du communiqué est identifiée comme non fiable ou inconnue du système.

45. Après avoir constaté qu'une minute et quatre secondes s'étaient écoulées entre la réception du communiqué de presse en litige et la diffusion de la première dépêche, et relevé que les journalistes de la société Bloomberg avaient reconnu devant les enquêteurs de l'AMF s'être bornés, avant la diffusion de la première dépêche, à regarder la date et le lieu d'écriture du communiqué et s'il paraissait venir d'une société qu'ils connaissaient à partir d'une impression générale du document, sans le lire entièrement et sans la moindre visibilité sur l'adresse électronique d'envoi, l'arrêt retient que ces journalistes n'ont pu accomplir, dans ce bref délai, les diligences suffisantes et prendre connaissance de l'intégralité du communiqué composé de 590 mots. Il ajoute que ce n'est qu'après avoir été alertés par l'ancien correspondant attitré de la société Vinci que cette société avait fait l'objet d'un faux communiqué de presse deux ans auparavant et que le nom de domaine mentionné dans le communiqué en litige ne correspondait pas à celui du site internet officiel de la société, que lesdits journalistes ont, quelques minutes après la diffusion des dépêches relayant ce communiqué, entrepris des démarches pour en vérifier l'authenticité alors même que la consultation directe du site officiel de la société Vinci aurait permis de constater que le communiqué n'y figurait pas et de confirmer ainsi qu'il était faux. L'arrêt en déduit que les journalistes de la société Bloomberg ont méconnu l'étendue de leurs devoirs et de leurs responsabilités en ne procédant pas aux vérifications préalables qui leur incombaient pour pouvoir s'appuyer sur une base factuelle suffisamment précise et fiable, proportionnée à la nature et à la force de leurs allégations.

46. L'arrêt ajoute que la diffusion des dépêches litigieuses est intervenue pendant la séance de bourse et a entraîné une chute du cours du titre Vinci de 18,28 % ainsi qu'une perte de 6,5 millions d'euros pour les investisseurs ayant cédé leurs titres à la suite de la publication de ces dépêches.

47. L'arrêt retient enfin que si c'est à juste titre que, pour déterminer le montant de la sanction pécuniaire, la commission des sanctions de l'AMF s'est fondée sur la gravité du manquement, en l'absence de vérifications réalisées antérieurement à la publication des dépêches en litige malgré l'importance de l'information concernée, ainsi que sur la qualité de la personne en cause, en relevant que la société Bloomberg bénéficie d'une influence et d'une notoriété très fortes qui rendent les marchés financiers et les autres organes de presse attentifs aux informations qu'elle diffuse, c'est en revanche à tort que cette commission n'a pas tenu compte de l'importante réactivité de la société Bloomberg pour interrompre puis supprimer la diffusion des dépêches en litige et publier une série de rectificatifs et démentis. L'arrêt relève à cet effet que cette société a pris ces mesures dès 16 heures 14 minutes 07 secondes, soit quelques minutes après la diffusion des dépêches en litige, et a poursuivi ces diligences jusqu'à 16 heures 52 minutes, que, si cette réactivité n'enlève rien à la gravité du manquement, elle a contribué, en raison de la forte influence et de la notoriété de la société Bloomberg, à ce que le titre Vinci se réajuste à la hausse, non pas totalement, mais de manière significative et qu'il doit être tenu compte de ces mesures prises pour remédier aux dysfonctionnements provoqués par le manquement qui lui est imputable.

48. L'arrêt déduit de l'ensemble de ces éléments que le prononcé d'une sanction pécuniaire à l'encontre de la société Bloomberg est nécessaire à la protection des marchés financiers et des investisseurs, ainsi qu'à la préservation de la réputation d'autrui, en particulier celle de la société Vinci, qui est une société cotée, et qu'il y a lieu de fixer cette sanction à la somme de trois millions d'euros.

49. De ces constatations et appréciations, dont il résulte que la société Bloomberg n'a pas agi dans le respect des règles et des codes régissant sa profession, tels que mentionnés à l'article 21 du règlement MAR, et que le manquement qui lui est imputable a entraîné des pertes financières importantes pour les investisseurs et a porté atteinte à l'intégrité des marchés financiers et à la confiance des investisseurs dans ces marchés, et alors que la société Bloomberg, dont les derniers comptes sociaux ne sont pas publics, n'a pas souhaité communiquer son chiffre d'affaires total, comme le permet l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, aux fins de la mise en œuvre de la sanction, et n'a pas soutenu que la sanction qui lui a été infligée compromettait son existence ou la poursuite de ses activités journalistiques, la cour d'appel a exactement déduit qu'une sanction de trois millions d'euros constituait une ingérence dans le droit de la société Bloomberg à la liberté d'expression à la fois nécessaire et proportionnée aux buts légitimes poursuivis et a ainsi fait une juste application de l'article 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

50. Au demeurant, les informations journalistiques relatives à la situation financière de sociétés cotées et destinées aux investisseurs n'ont pas, dans une société démocratique, la même importance que les informations journalistiques relatives à des sujets présentant un intérêt général ou historique ou revêtant un grand intérêt médiatique, de sorte que la liberté de la presse peut, en matière financière, lorsque l'activité journalistique s'adresse au public des investisseurs, être davantage restreinte pour garantir l'intégrité et la transparence des marchés financiers et la protection de ces investisseurs.

51. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Déclare recevables les interventions volontaires accessoires du Syndicat national des journalistes, de l'association Reporters sans frontières, du groupement Reporters Committee For Freedom Of The Press, de la Fédération internationale des journalistes et de la Fédération européenne des journalistes ;

REJETTE le pourvoi.