Cass. crim., 23 janvier 2024, n° 23-80.689
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
M. Samuel
Avocat général :
M. Tarabeux
Avocats :
SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, SCP Piwnica et Molinié, SCP Waquet, Farge et Hazan
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [H] [X], présidente de l'association [2], et Mme [L] [T] s'occupaient, dans le cadre de cette association, d'une centaine d'équidés rachetés pour les soustraire à la maltraitance, à l'abandon ou à l'abattoir.
3. Des contrôles effectués par la direction départementale de la protection des populations (DDPP) de Charente-Maritime ont notamment révélé des conditions d'hébergement qui ont conduit à des poursuites des chefs susvisés, ainsi que de diverses contraventions et d'abus de confiance.
4. Les juges du premier degré les en ont déclarées coupables et ont prononcé sur les intérêts civils à l'égard de diverses associations de protection animale.
5. Les prévenues, le ministère public et certaines des parties civiles ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens et le cinquième moyen, pris en sa deuxième branche
6. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mmes [T] et [X] coupables d'obstacles ou d'entraves aux fonctions des agents chargés de la sécurité sanitaire, de l'alimentation et de la santé publique vétérinaire, alors « que l'article L 205-11 du code rural et de la pêche maritime, dans sa version applicable aux faits reprochés (antérieurs à la loi du 14 décembre 2019), prévoyait « qu'est puni? le fait de faire obstacle ou d'entraver l'exercice des fonctions des agents habilités à rechercher et à constater des infractions ou manquements aux dispositions du présent livre, aux textes réglementaires pris pour leur application et aux dispositions du droit de l'Union européenne ayant le même objet » ; que les dispositions de l'arrêt attaqué ne constatent aucun fait d'obstacle ou d'entrave à l'exercice les fonctions d'agents habilités à rechercher et à constater les infractions aux règles dont s'agit, en se bornant à relever qu'au cours des opérations de notification et d'application d'une décision du procureur de la République, des personnes chargées de cette exécution et non point de la recherche et de la constatation de l'infraction, dont des bénévoles de l'association [1] et des transporteurs, auraient vu leur tâche compliquée par mesdames [T] et Mme [X], sans constater d'entrave à l'exercice des fonctions d'agents habilités à rechercher et à constater les infractions au sens strict du texte de répression ; la cour d'appel a violé l'article L 205-11 du code rural susvisé. »
Réponse de la Cour
8. Pour déclarer les deux prévenues coupables d'obstacle ou entrave aux fonctions des agents de contrôle chargés de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de la santé publique vétérinaire et de la protection des végétaux, l'arrêt attaqué énonce que, le 17 août 2017, sur réquisitions du procureur de la République, au visa de l'article 99-1 du code de procédure pénale, un inspecteur en chef de la santé publique vétérinaire, un vétérinaire inspecteur contractuel affecté à la DDPP de Charente Maritime et deux gendarmes, accompagnés, notamment, par des membres d'une association de protection animale, se sont présentés sur les lieux du refuge pour retirer des équidés qui devaient être remis à cette association, mais qu'ils se sont heurtés au refus d'autoriser l'accès aux animaux.
9. Les juges ajoutent qu'après négociation, Mme [T] a désigné des équidés dont il s'est avéré qu'ils ne figuraient pas sur la liste préalablement établie et a ensuite refusé de remettre les passeports correspondant à ceux qui avaient été attrapés.
10. Ils retiennent encore que, à l'occasion d'une autre intervention aux mêmes fins, des aliments avaient été déposés loin de l'installation préparée pour le retrait, afin de retarder cette opération, que Mme [X] a laissé sortir un chien berger allemand dont elle savait qu'il n'obéissait pas et qui a excité les animaux en les mordant, que les deux prévenues ont également refusé de remettre les passeports des vingt-six animaux retirés, dont six n'ont pu être identifiés, et que le comptage des animaux a permis de laisser penser que trente équidés avaient été déplacés malgré la décision de saisie.
11. Ils relèvent également que, lors d'une nouvelle opération, les prévenues ont refusé de remettre les passeports des équidés retirés ce jour là.
12. Ils précisent qu'entre le 16 et le 21 août 2018, elles ont emmené des équidés que les gendarmes, qui avaient précédemment constaté une tentative de leur part de les transporter dans les Vosges, avaient saisis sur pied, à la demande du procureur de la République, dans l'attente de leur retrait.
13. En statuant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article L. 205-11 du code rural et de la pêche maritime.
14. En effet, ce texte ne procède à aucune distinction entre les fonctions exercées par les agents qu'il désigne, de sorte que l'entrave ou l'obstacle apportés à ces fonctions n'est pas limité à celles qui consistent dans la recherche et la constatation des infractions.
15. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Mais sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [T] coupable d'escroquerie au préjudice de Mme [G] [E], alors « que le délit d'escroquerie suppose que soient caractérisées des manoeuvres frauduleuses ; un simple mensonge même produit dans un écrit ne peut constituer une manoeuvre frauduleuse susceptible de caractériser l'escroquerie en l'absence de tout fait extérieur, mise en scène ou intervention d'un tiers destinée à donner force ou crédit à l'allégation mensongère ; qu'en l'espèce, en établissant un contrat écrit faisant état de la cession de 95 % de la propriété d'un cheval à Mme [E], lequel cheval avait fait l'objet d'une saisie administrative avec possibilité d'adoption, comme le faisait d'ailleurs valoir Mme [J], cette dernière a tout au plus proféré un mensonge écrit qui n'étant corroboré par aucun fait extérieur, mise en scène ou intervention de tiers, insusceptible de caractériser une escroquerie ; qu'en jugeant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 313-1 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 313-1 du code pénal :
17. Il résulte de ce texte qu'un mensonge, même produit par écrit, ne peut constituer une manoeuvre frauduleuse susceptible de caractériser le délit d'escroquerie, s'il ne s'y joint aucun fait extérieur ou acte matériel, aucune mise en scène ou intervention d'un tiers destinés à donner force et crédit à l'allégation mensongère du prévenu.
18. Pour confirmer le jugement ayant déclaré Mme [T] coupable d'escroquerie au préjudice de Mme [E], l'arrêt attaqué, après avoir rappelé que la prévention lui reprochait l'usage de manoeuvres frauduleuses, retient que, pour convaincre cette dernière de lui remettre diverses sommes pour l'adoption d'un cheval, elle a établi et signé, sans pouvoir, un document présentant faussement cet équidé comme propriété de l'association.
19. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a fait état que de mensonges sans l'intervention du moindre fait extérieur, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
20. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Et sur le cinquième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
21. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné Mme [T], d'une part, à la peine d'un an d'emprisonnement avec sursis probatoire, Mme [X], d'autre part, à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis probatoire, outre à l'interdiction d'exercer pendant cinq ans une activité professionnelle en lien avec les animaux, ainsi qu'à la peine complémentaire d'interdiction définitive de détenir des équidés, alors :
« 1/ que toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle ; qu'en prononçant à l'encontre de mesdames [T] et [X] une peine d'emprisonnement avec sursis probatoire, une interdiction professionnelle et une peine complémentaire, sans s'expliquer sur les éléments de leur personnalité propre, hormis l'absence de condamnation sur leur casier judiciaire, ni sur leur situation matérielle, familiale et sociale, en estimant ne pas disposer d'éléments pour ce faire, alors même que Mme [T] était comparante et que Mme [X], bien que non comparante, était représentée par un avocat, que la cour pouvait donc interroger Mme [T] sur sa situation matérielle, familiale et sociale et demander des éléments au conseil de Mme [X], la cour d'appel a méconnu les dispositions des articles 130-1, 132-1 et 132-19 du code pénal, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 132-1 du code pénal, 485, 485-1, 512 et 593 du code de procédure pénale :
Sur le moyen en tant qu'il concerne Mme [X]
22. En matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation matérielle, familiale et sociale.
23. Pour condamner la prévenue à une peine d'emprisonnement avec sursis probatoire, à l'interdiction définitive de détenir des équidés, à une interdiction professionnelle et à la confiscation des équidés saisis, l'arrêt attaqué énonce que, si la loi invite à individualiser les peines selon la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de l'auteur de l'infraction, la cour d'appel ne dispose pas d'élément tangible sur la personnalité de Mme [X] qui n'a jamais été entendue par les enquêteurs.
24. En se déterminant ainsi, alors que l'avocat qui la représentait pouvait répondre à toutes les questions des juges leur permettant d'apprécier la situation matérielle, familiale et sociale de la prévenue, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
25. La cassation est par conséquent encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner le moyen en tant qu'il porte sur les peines prononcées contre Mme [T], dont la cassation est prononcée par voie de conséquence de celle intervenue sur le quatrième moyen.
Portée et conséquences de la cassation
26. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions pénales et civiles relatives à l'escroquerie et les dispositions relatives aux peines. Les autres dispositions seront donc maintenues.
Examen des demandes fondées sur l'article 618-1 du code de procédure pénale
27. Les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel. La déclaration de culpabilité du chef de mauvais traitement à animaux par un exploitant d'établissement étant devenue définitive par suite de la non-admission du deuxième moyen, il y a lieu de faire partiellement droit aux demandes.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Poitiers, en date du 18 janvier 2023, en ses dispositions pénales et civiles relatives à l'escroquerie et en ses dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que Mmes [T] et [X] devront payer aux parties représentées par la SCP Piwnica et Molinié, avocat à la Cour, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que Mmes [T] et [X] devront payer à la [4] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Poitiers et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.