Cass. crim., 10 janvier 2024, n° 22-87.605
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
Mme Fouquet
Avocat général :
M. Courtial
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [J] [S] a porté plainte et s'est constitué partie civile devant le juge d'instruction, notamment, des chefs de faux en écriture publique et usage contre le maire d'une commune.
3. Le plaignant a exposé qu'une lettre adressée le 23 mai 2008 par le maire à la commission d'accès aux documents administratifs (CADA), indiquant que la commune n'a réalisé aucun travaux pour le compte de l'un de ses administrés, constituerait un faux en écriture publique.
4. Par ordonnance du 5 août 2021, le juge d'instruction a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de M. [S] au motif qu'il n'était pas justifié du dépôt d'une plainte préalable devant le procureur de la République ou un service de police judiciaire.
5. M. [S] a interjeté appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable la plainte avec constitution de partie civile de M. [S], alors que la falsification d'une lettre adressée par un maire à la CADA constitue le crime de faux en écriture publique commis par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, la cour d'appel a méconnu les articles 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 441-4 du code pénal, 79, 85 et 88 du code de procédure pénale.
Réponse de la Cour
Vu les articles 85 du code de procédure pénale et 441-4 du code pénal :
7. Il résulte du premier de ces textes que, pour que la plainte avec constitution de partie civile déposée devant le juge d'instruction par une personne qui se prétend lésée par un crime soit recevable, il n'est pas requis que cette personne justifie qu'elle a préalablement porté plainte devant le procureur de la République ou un service de police judiciaire.
8. Selon le second, le faux commis dans une écriture publique ou authentique commis par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public agissant dans l'exercice de ses fonctions ou de sa mission est puni de quinze ans de réclusion criminelle et de 225 000 euros d'amende.
9. En l'espèce, pour déclarer irrecevable la plainte avec constitution de partie civile déposée par M. [S] à l'encontre du maire d'une commune ayant adressé à la CADA un courrier argué de faux, l'arrêt attaqué énonce que la spécificité du faux ou de l'usage de faux en écriture publique ou authentique est de porter sur un tel support rédigé par un représentant de l'autorité publique qui agit dans l'exercice de ses fonctions et qu'un simple courrier d'un maire sur papier à en tête ne peut revêtir la qualification d'écriture publique.
10. Il retient que l'acte argué de faux, en l'espèce une lettre sur papier à en tête du maire adressée le 23 mai 2008 à la CADA, ne peut revêtir la qualification d'écriture publique ou authentique, nonobstant la qualification criminelle invoquée dans la plainte avec constitution de partie civile.
11. Les juges en déduisent que le doyen des juges d'instruction pouvait déclarer ladite plainte irrecevable pour défaut de plainte simple préalable, de classement sans suite ou de l'expiration du délai de trois mois suivant la plainte simple, cette dernière n'étant pas exigée lorsque les faits dénoncés sont de nature criminelle.
12. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
13. En effet, tout écrit qui atteste un droit ou un fait rédigé dans l'exercice de ses attributions par un maire, personne exerçant une fonction publique, constitue une écriture publique.
14. En conséquence, la falsification frauduleuse d'un tel document, dans les conditions de l'article 441-1 du code pénal, si elle est établie, est susceptible de constituer le crime de faux en écriture publique commis par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public.
15. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble, en date du 27 septembre 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.