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Décisions

CA Bourges, 1re ch., 18 janvier 2024, n° 23/00019

BOURGES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Clement

Conseillers :

M. Perinetti, Mme Ciabrini

Avocats :

Scp Rouaud & Associes, Selarl Avaricum Juris

TJ Bourges; du 29 déc. 2022

29 décembre 2022

Au cours de l'année 2017, M. [X] [W] a confié à l'entreprise de M. [O] [L] divers travaux d'aménagement et d'entretien de sa propriété située à [Localité 7] (18), à savoir :

travaux de jardinage et d'entretien d'espaces verts,

abattage et élagage d'arbres,

réalisation d'un chemin carrossable,

construction d'un garage,

installation d'un puisage en forage et en puits et d'une réserve d'eau,

construction de deux margelles de puits.

M. [W] a ultérieurement déposé plainte du chef d'abus de faiblesse au regard de tarifs dénoncés comme élevés.

M. [W] a également saisi le juge des référés aux fins d'expertise.

[X] [W] est décédé le 27 juin 2018. Ses ayants droits ont repris la procédure en ses lieu et place.

Par ordonnance en date du 11 octobre 2018, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bourges a fait droit à la demande d'expertise qui avait pour objet essentiel de chiffrer les travaux entrepris. M. [N], expert désigné, a déposé son rapport le 7 avril 2020.

Suivant acte d'huissier en date du 5 février 2021, Mme [V] [W] épouse [Z], M. [J] [W] et M. [C] [W] (ci-après désignés « les consorts [W] ») ont fait assigner M. [O] [L] devant le Tribunal judiciaire de Bourges aux fins de le voir condamner, sous le bénéfice de l'exécution provisoire,

à leur payer la somme totale de 89.371,53 euros outre intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir et, à titre subsidiaire, la somme de 82.324,78 euros augmentée des mêmes intérêts au taux légal,

à leur payer la somme de 2.677,50 euros hors-taxes outre TVA applicable au jour du règlement correspondant à la réfection du garage augmentée des intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision à intervenir,

à leur payer la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts, toutes causes de préjudice confondues,

à leur verser la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

aux dépens, en ce compris les frais exposés en référé et le coût de l'expertise.

En réplique, M. [L] a demandé au Tribunal de :

juger irrecevables les demandes présentées par les consorts [W],

à défaut, les en débouter,

à titre reconventionnel, condamner les consorts [W] à lui payer la somme de 16.404,77 euros au titre de la facture n° 174/17 du 30 novembre 2017, outre intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2018, ainsi qu'une indemnité de 5.000 euros pour procédure abusive et une indemnité de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

subsidiairement, si un remboursement devait être mis à sa charge, le limiter en tous les cas à la somme de 65.920,01 euros et ordonner la compensation entre les sommes dues,

débouter les consorts [W] de leur demande au titre des frais irrépétibles,

condamner les consorts [W] à prendre en charge les dépens, dont les frais d'expertise au moins à concurrence de la moitié,

écarter toute exécution provisoire.

Par jugement contradictoire du 29 décembre 2022, le Tribunal judiciaire de Bourges a :

dit l'action des consorts [W] recevable ;

condamné M. [L] à payer à l'indivision [W] les sommes suivantes :

*une indemnité de 82.234,78 euros en réparation de l'abus de facturation pratiqué par l'entrepreneur, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision,

*une indemnité de 2.677,50 euros HT qui devra être augmentée de la TVA applicable au moment de la réalisation des travaux avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision ;

condamné M. [L] à payer une indemnité de 1.000 euros en réparation du préjudice moral subi à chacun des trois défendeurs ;

débouté les parties de toutes autres demandes ;

condamné M. [L] aux dépens, y compris ceux de référé et les frais d'expertise ;

condamné M. [L] à payer aux consorts [W] une indemnité de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de la décision.

Le Tribunal a notamment retenu que le document du 15 février 2017, rédigé postérieurement au commencement de l'intervention par le professionnel, ne saurait valoir devis mais constituait tout au plus un contrat-cadre ou un pré-contrat, que l'expert avait considéré que ce document n'était pas acceptable quant aux travaux concernés, qu'aucun contrat ultérieur comportant des précisions de nature à déterminer le champ contractuel et le tarif poste par poste n'avait été signé, que le prix était ainsi resté indéterminé et indéterminable pour la plupart des prestations, que [X] [W] s'était trouvé, à compter du début de l'année 2017, dans une situation de faiblesse liée à l'âge et à la maladie qui n'avait pas pu échapper à l'entrepreneur, que celui-ci paraissait avoir profité de l'état d'esprit de cet homme vieillissant en exécutant toute demande de sa part, fût-elle complètement déraisonnable, et en entretenant un certain flou dans la facturation, qu'il ressortait des observations de l'expert une différence de 82.324,78 euros entre la valeur réelle des prestations réalisées et la somme globale facturée par M. [L], que les fautes commises dans l'exécution du contrat justifiaient que l'indemnisation soit équivalente au montant de cette surfacturation, que l'expert avait relevé l'existence de malfaçons dans la construction inachevée de l'abri et que le préjudice qui en résultait, de même que le préjudice moral des héritiers de [X] [W], devait être indemnisé par M. [L].

M. [L] a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 9 janvier 2023.

Par ordonnance de référé en date du 3 mai 2023, le premier président de la cour d'appel de Bourges a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement rendu le 29 décembre 2022 par le tribunal judiciaire de Bourges et condamné les consorts [W] aux dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 12 septembre 2023, auxquelles il conviendra de se reporter pour un exposé détaillé et exhaustif des prétentions et moyens qu'il développe, M. [L] demande à la Cour de :

ANNULER le jugement entrepris ;

En tout état de cause,

INFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté Mme [V] [W], épouse [Z], M. [J] [W] et M. [C] [W] de leurs autres demandes ;

STATUANT A NOUVEAU,

DEBOUTER Mme [V] [W], épouse [Z], M. [J] [W] et M. [C] [W] de toutes leurs demandes ;

CONDAMNER Mme [V] [W], épouse [Z], M. [J] [W] et M. [C] [W] solidairement à payer à M. [O] [L] la somme de 16.404,77 euros au titre de la facture n°174/17 du 30 novembre 2017 avec les intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2018 et dire que les intérêts échus dus au moins pour une année entière produiront eux-mêmes intérêt ;

CONDAMNER Mme [V] [W], épouse [Z], M. [J] [W] et M. [C] [W] solidairement à payer à M. [O] [L] la somme de 8.000,00 euros à titre de dommages et intérêts;

CONDAMNER Mme [V] [W], épouse [Z], M. [J] [W] et M. [C] [W] à payer à M. [O] [L] la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

Subsidiairement :

' Si un remboursement ou une indemnisation ou versement quelconque devait être mis à la charge de M. [L], le LIMITER en tous les cas à la somme de 16 404,77 euros, et plus subsidiairement de 65.920,01 euros ;

En tout état de cause :

' DEBOUTER Mme [V] [W], épouse [Z], M. [J] [W] et M. [C] [W] de toute autre demande ;

' ORDONNER la compensation des sommes qui seraient dues entre les parties, le cas

échéant ;

' LAISSER à Mme [V] [W], épouse [Z], M. [J] [W] et M. [C] [W] la charge des dépens à concurrence d'au moins la moitié des frais d'expertise.

Dans leurs dernières conclusions notifiées le 16 juin 2023, auxquelles il conviendra de se reporter pour un exposé détaillé et exhaustif des prétentions et moyens qu'ils développent, Mme [V] [W], épouse [Z], M. [J] [W] et M. [C] [W] demandent à la Cour de

confirmer entièrement le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Bourges le 29/12/2022.

débouter M. [O] [L] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

condamner M. [O] [L] à régler aux Consorts [W] la somme de 6 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile pour les frais exposés devant la Cour d'Appel de Bourges, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 novembre 2023.

Motivation

MOTIFS

Sur la demande d'annulation du jugement présentée par M. [L] :

Aux termes de l'article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.

En l'espèce, le tribunal a motivé sa décision au visa des articles 1129, 1217 et 1793 du code civil, tout en évoquant l'existence d'un abus manifeste de facturation ainsi que la qualification de contrat-cadre qu'il a estimée applicable à la convention conclue entre M. [L] et [X] [W].

Si M. [L] affirme que le tribunal a ainsi rendu sa décision en ayant soulevé d'office un moyen de droit sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur l'applicabilité de ce texte, l'examen de la décision entreprise ne permet pas de déterminer que les premiers juges aient entendu faire usage de la notion d'abus manifeste de facturation, évoquée par l'article 1164 du code civil relatif aux contrats-cadres, plutôt que de celle de réduction du prix ou d'indemnisation susceptible d'être ordonnée en cas de mauvaise exécution d'un contrat, posée par l'article 1217 du même code et qui avait été mise dans le débat tendant à l'engagement de la responsabilité contractuelle de M. [L].

Si cette imprécision dans la rédaction du jugement dont appel apparaît particulièrement regrettable, elle est insuffisante à caractériser une méconnaissance par le tribunal du principe de contradiction de nature à faire encourir l'annulation de la décision en cause.

La demande d'annulation du jugement présentée par M. [L] sera en conséquence rejetée.

Sur la demande indemnitaire formulée par les consorts [W] :

Les articles 1103 et 1104 du code civil posent pour principe que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

L'article 1129 du même code énonce que conformément à l'article 414-1, il faut être sain d'esprit pour consentir valablement à un contrat.

Aux termes de l'article 1217 du même code, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :

- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;

- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;

- obtenir une réduction du prix ;

- provoquer la résolution du contrat ;

- demander réparation des conséquences de l'inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.

Sur le champ contractuel

En l'espèce, le document émis par l'entreprise [L] [O], le 15 février 2017, signé en page 2 par [X] [W] sous la mention « bon pour accord » et intitulé « devis n° 1416 » est libellé comme suit :

« Travaux à réaliser et à échelonner de janvier à décembre 2017

Les travaux listés ci-après dont la liste n'est pas exhaustive seront à réaliser de janvier à décembre 2017 à la demande de M. [W] qui souhaite que nous intervenions 10 à 12 jours par mois soit environ entre 300 et 400 heures mensuelles selon le nombre de salariés disponibles

Ce nombre d'heures est susceptibles de légères variations à la demande du client

Les prix horaires HT suivants seront appliqués :

Manuelles : 35,06 euros

Taille haies : 45,00 euros

Tronçonneuse : 45,00 euros

Tonte : 45,00 euros

Coupe fil : 45,00 euros

Rotovator : 45,00 euros

Minipelle : 45,00 euros

Il conviendra d'ajouter chaque mois toutes les fournitures afférentes aux travaux :

Gazon, désherbant, cailloux, pierre de blocage, arbres fruitiers, végétaux, tous les matériels relatifs aux travaux de maçonnerie de jardin ainsi que toutes les fournitures relatives aux travaux de busage et puisard

Cette liste n'est pas exhaustive

Travaux à réaliser et à échelonner de janvier à décembre 2017

Liste des travaux à réaliser

Travaux de plantation, taille, tonte, désherbage manuelle et chimique

Travaux d'élagage

Travaux d'abattage

Travaux de désouchage

Réfection de tous les chemins d'accès

Travaux de terrassement (décaissement, tranchées')

Travaux de busage

Travaux de puisage avec installation de pompes hydrauliques

Travaux de maçonnerie de jardin

Travaux de construction d'un garage/local technique

Les factures seront mensuelles et payables à réception

M. [W] se réserve le droit de stopper les travaux à tout moment durant l'année sous réserve du paiement total des travaux réalisés au jour de l'arrêt ainsi que des fournitures commandées »

Il ne peut qu'être constaté, à la lecture de ce document, qu'il prévoit la nature des prestations convenues et leur prix hors taxes, les modalités de facturation et de paiement ainsi que la durée du contrat et le volume horaire mensuel d'intervention de l'entrepreneur souhaité par [X] [W].

Il ne saurait dès lors être qualifié de contrat-cadre, notion juridique qui au demeurant n'apparaît pas conçue pour définir les relations contractuelles entre une entreprise paysagiste de taille modeste et un particulier client.

Le contrat conclu entre [X] [W] et M. [L], au vu des prestations convenues et de leurs modalités d'exécution, sera qualifié de contrat d'entreprise tel que le définit l'article 1710 du code civil, qui prévoit que le louage d'ouvrage est un contrat par lequel l'une des parties s'engage à faire quelque chose pour l'autre, moyennant un prix convenu entre elles.

Le fait que ce document soit sommairement rédigé et postérieur au commencement effectif des interventions de l'entrepreneur dans la propriété de [X] [W] n'a pas pour effet de le priver de valeur probante, un contrat d'entreprise pouvant au demeurant être verbal sans pour autant que son existence en soit remise en cause.

Il peut à cet égard être relevé qu'en leurs écritures (page 8), les consorts [W] eux-mêmes soulignent « qu'il est difficile, dans les contrats de prestation de services notamment dans les contrats d'entreprise, de déterminer à l'avance l'étendue des diligences à accomplir et donc le prix ».

L'exécution par M. [L] de multiples prestations, dont la réalité a été constatée par l'expert judiciaire, et le paiement par [X] [W] des factures datées des 11 février, 20 mars, 25 avril, 26 mai, 30 juin, 31 juillet, 31 août, 30 septembre et 31 octobre 2017 démontre de plus fort l'accord des volontés intervenu entre les parties pour former le contrat d'entreprise litigieux.

Il sera enfin rappelé qu'il est constant qu'un accord préalable sur le montant exact de la rémunération n'est pas un élément essentiel du contrat d'entreprise (voir notamment en ce sens Cass. Civ. 1ère, 28 novembre 2000, n°98-17.560).

Sur le consentement de [X] [W]

Les premiers juges ont estimé que sans être incapable, au sens juridique du terme, de contracter, [X] [W] s'était trouvé à compter du début de l'année 2017 dans une situation de faiblesse liée à l'âge et à la maladie dont l'entrepreneur aurait profité en exécutant n'importe quelle demande de sa part, même déraisonnable, et en entretenant un certain flou dans la facturation.

Il ne peut néanmoins qu'être observé que lors de son dépôt de plainte auprès des gendarmes de [Localité 9], [X] [W] a confirmé avoir lui-même pris l'initiative des travaux d'entretien des espaces verts et de construction de l'annexe destinée à entreposer du matériel de jardinage, précisant qu'à ses yeux, le travail avait été « bien fait, la partie paysagée » quoique les tarifs lui aient « à un moment » paru exagérés. Il a mentionné avoir été alerté par ses enfants du montant réel de ces factures, affirmant ne pas s'être rendu compte de la valeur de l'euro par rapport au franc Pacifique qui avait cours en Nouvelle-Calédonie où il avait vécu jusqu'en septembre 2016. [X] [W] a relaté que durant la période de réalisation des travaux, ceux-ci avaient été diligentés par plusieurs ouvriers qui se présentaient à son domicile périodiquement.

L'officier de police judiciaire qui a procédé à l'audition de [X] [W] a indiqué qu'« au regard de l'évaluation personnalisée de la victime réalisée par nous, ['] aucune mesure particulière de protection ne nécessite d'être mise en œuvre. »

Il n'est par ailleurs produit aux débats aucun élément de nature à établir que [X] [W] ait fait l'objet, avant son décès, d'une mesure de protection judiciaire ou qu'une demande ait été présentée à cette fin auprès des autorités compétentes.

Il n'est nullement soutenu en l'espèce que le consentement de [X] [W] ait pu être vicié du fait de la « fragilité » de l'intéressé. Le tribunal s'est fondé sur cette fragilité supposée à partir de l'âge et de l'état de santé physique défaillant de l'intéressé pour caractériser une mauvaise foi de l'entrepreneur dans la fixation du montant des factures et ordonner de ce fait l'indemnisation de ce comportement fautif. Toutefois, une telle vulnérabilité n'apparaît nullement établie, aucun élément versé aux débats n'indiquant que la fatigue de [X] [W] et l'aggravation de son état de santé physique (en lien avec une grave insuffisance rénale) aient porté atteinte à ses facultés cognitives, non plus que son âge de 75 ans qui n'est pas en soi caractéristique d'affaiblissement intellectuel. Le certificat médical établi le 26 février 2018 par le Dr [B] n'est au demeurant pas affirmatif sur ce point, n'évoquant pour l'essentiel que le fait que l'annonce de l'aggravation majeure de son état de santé avait « considérablement affecté moralement » [X] [W], « à tel point que ses facultés d'autonomie et de discernement ont pu certainement être altérées » au début de l'année 2017, formulation pour le moins imprécise et sans emport quant à l'exécution par [X] [W] de ses obligations contractuelles de paiement des factures jusqu'au 31 octobre 2017.

Dès lors, le tribunal ne pouvait se fonder sur ces seuls éléments pour estimer que les paiements opérés par [X] [W] au fur et à mesure de la présentation des factures ne pouvaient pas être « aussi signifiants et efficaces » que le soutenait M. [L] ni considérés comme une exécution valable en raison de la rédaction jugée imprécise du document du 15 février 2017 et des factures litigieuses.

Sur le prix des prestations réalisées par M. [L]

Aux termes de l'article 1165 du code civil, dans les contrats de prestation de service, à défaut d'accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d'en motiver le montant en cas de contestation.

En cas d'abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d'une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et, le cas échéant, la résolution du contrat.

Les consorts [W] entendent se prévaloir d'un abus de facturation par M. [L], au regard notamment du différentiel important entre le montant cumulé des factures émises et l'estimation du coût des prestations effectivement réalisées selon l'appréciation de l'expert judiciaire.

M. [N], expert judiciaire, a relevé que l'entreprise de M. [L] avait réalisé sur la propriété de [X] [W], entre les mois de janvier et novembre 2017, un ensemble de tâches et travaux comprenant :

- divers travaux de jardinage et d'entretien d'espaces verts,

- des plantations de végétaux,

- l'abattage et l'élagage d'arbres à hautes tiges,

mais également

- la réalisation d'un chemin carrossable,

- la construction d'un garage,

- l'installation d'un puisage en forage et en puits,

- l'installation d'une réserve d'eau,

- la construction de deux margelles de puits.

L'expert a observé que les factures établies par M. [L] ne permettaient pas de distinguer ce qui relevait de chacun des postes de travaux et interventions parmi le total de 3239 heures de travail facturées.

Il peut toutefois être relevé que chacune des factures présente le détail des fournitures employées et des tâches effectuées, du volume d'heures effectif en main-d'œuvre manuelle ou outillée, dont le tarif est conforme au document établi le 15 février 2017.

Concernant les travaux d'édification du « garage » (décrit par [X] [W] lui-même, lors de son dépôt de plainte, comme une « annexe pour mettre du matériel de jardinage ») et de la structure de pompage et de réserve d'eau, les postes ne sont pas détaillés au-delà des fournitures et matériels nécessaires employés dans ce cadre, les heures de main-d'œuvre n'étant pas isolées de celles qui correspondent à l'entretien des espaces verts. Si l'expert estime qu'une telle forme contractuelle n'est pas acceptable s'agissant de travaux de construction d'un hangar, de voirie, de maçonnerie ou de création d'un puits, la réalité de ces travaux n'est pas contestée.

Il ne ressort pas du rapport d'expertise que M. [L] ait pu facturer à [X] [W] des travaux non exécutés.

Il résulte de ces éléments que les travaux litigieux ont bien été réalisés conformément à l'accord survenu entre M. [L] et [X] [W], et que ceux-ci ont librement convenu de faire entrer les prix mentionnés au « devis » dans le champ contractuel. Les principes de libre détermination des parties et de force obligatoire du contrat s'opposent ainsi à une révision par le juge du prix convenu entre les parties au motif d'une insatisfaction de l'une d'entre elles postérieure à la conclusion et à l'exécution normale du contrat, conformément aux dispositions de l'article 1165 précité. En effet, les parties à un contrat demeurent libres de proposer et d'accepter une tarification élevée voire excessive pour des prestations, dès lors que leur consentement est libre et éclairé au regard des dispositions légales applicables.

Il sera en outre observé que si M. [N] a procédé à une estimation du montant total de ces interventions et travaux divers à hauteur de 94.193,91 euros TTC, il a fondé son appréciation concernant les espaces verts sur un devis de l'entreprise Arbotanic en date du 7 décembre 2017, établi au nom de « Mme [V] [Z], [Adresse 6], [Localité 1] », sans qu'un lien avec la propriété ayant appartenu à [X] [W] puisse être déterminé, sans estimation de la surface concernée, sans prestation manuelle prévue. Par surcroît, la période d'entretien mentionnée par ce devis est comprise entre les mois d'avril et octobre 2017 (tandis que les prestations facturées par M. [L] ont été exécutées entre les mois de février et novembre de la même année). Ce devis précise également le caractère facultatif de la fourniture de terre végétale et de la taille de la haie du verger, et ne mentionne pas le volume d'heures nécessaire à l'accomplissement des prestations concernées. Il ne prévoit enfin nullement de prestations effectuées puis refaites d'une autre manière ou dans un autre objectif telles qu'elles ont pu exister en l'espèce (par exemple, élagage d'arbres avant que [X] [W] ne décide d'opter pour leur abattage, opération dont la réalisation effective n'est pas contestée par les consorts [W]).

Cet élément d'appréciation apparaît ainsi peu pertinent pour caractériser un abus de l'entreprise de M. [L] dans la détermination du prix des prestations facturées.

Dans ces conditions, il sera d'une part jugé qu'aucun abus de facturation justifiant condamnation à paiement de M. [L] n'est caractérisé en l'espèce et d'autre part, que la facture datée du 30 novembre 2017, d'un montant de 16.404,77 euros, est demeurée impayée par [X] [W] sans qu'il ne soit établi que les prestations qu'elle mentionne n'aient pas été effectuées, les consorts [W] se bornant à de simples affirmations en ce sens. Sur ce point, il peut notamment être observé que cette facture comporte notamment des mentions relatives aux travaux de raccordement du puits, dont l'expert n'a relevé aucun dysfonctionnement, ce qui aurait nécessairement été le cas si le raccordement en cause n'avait pas été réalisé.

Les consorts [W] seront donc condamnés solidairement à payer à M. [L] la somme de 16.404,77 euros à ce titre, outre intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2018, date de la sommation de payer délivrée par huissier à [X] [W]. Les intérêts dus à ce titre produiront eux-mêmes intérêt dès lors qu'ils seront dus pour une année entière, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce sens.

Sur les désordres affectant l'annexe édifiée par M. [L]

Aux termes de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

M. [N], expert judiciaire, a relevé, concernant la construction du « garage », qu'elle n'était pas achevée. Il a ainsi indiqué que la collecte des eaux de toiture n'était pas réalisée et qu'il existait plusieurs malfaçons : réalisation incorrecte des closoirs en rive, imprégnation par l'humidité des pannes scellées à même le mortier, défaut de protection par closoirs des rives des panneaux sandwich provoquant une dégradation rapide de l'isolant.

L'expert évalue le prix des travaux de reprise à réaliser sur cette construction à hauteur de 2.945,25 euros TTC.

L'argument de M. [L] selon lequel il aurait été mis unilatéralement fin au chantier par le fils de [X] [W], l'empêchant d'achever la construction litigieuse, est inopérant, dans la mesure où il lui appartenait, en sa qualité de professionnel ayant accepté de réaliser les travaux de construction en cause, de ne pas laisser le chantier dans un état susceptible de porter atteinte à l'étanchéité de l'édifice sans avoir obtenu de décharge du maître de l'ouvrage. En outre, M. [N] a déterminé, en réponse à un dire du conseil de M. [L], qu'au-delà de l'état d'inachèvement de certains travaux, les malfaçons constatées ne relevaient pas de simples reprises à réaliser au titre de finitions mais de problématiques plus complexes traduisant une méconnaissance des règles de l'art.

Il sera précisé, en réponse à l'argumentation développée par les consorts [W], que le fait que M. [L] n'ait pas disposé d'une assurance décennale pour les travaux de maçonnerie et de construction effectués ne constitue pas une faute de nature à caractériser un défaut de bonne foi dans l'exécution du contrat ni à engager sa responsabilité contractuelle. En effet, la nécessité de disposer d'une assurance décennale n'est à aucun moment entrée dans le champ contractuel entre les parties, et peut au demeurant difficilement être attendue par le client qui choisit de confier à un paysagiste l'édification d'une annexe/garage.

L'imprécision du « devis » ou des factures ne vient pas davantage entamer la bonne foi de M. [L] dans l'exécution du contrat conclu avec [X] [W].

Enfin, l'impossibilité d'utiliser cette annexe comme garage à véhicules ne démontre pas de mauvaise exécution par M. [L] de la prestation convenue, [X] [W] ayant lui-même décrit cette construction, lors de son dépôt de plainte, comme « une annexe pour mettre du matériel de jardinage » et non comme une structure destinée à abriter un ou plusieurs véhicule(s).

M. [L] devra donc être condamné à indemniser les consorts [W] du montant des travaux de reprise nécessaires tels qu'évalués par l'expert. Le jugement entrepris sera ainsi confirmé en ce sens, précision devant être apportée selon laquelle les bénéficiaires de cette indemnisation seront les consorts [W] et non « l'indivision [W] » comme indiqué à tort dans le dispositif de la décision.

Sur le préjudice moral

Les consorts [W] sollicitent l'indemnisation du préjudice moral qu'ils affirment subir du fait de la nécessité d'effectuer certaines démarches et travaux de reprise pour la mise aux normes du garage, de l'obligation dans laquelle ils se sont trouvés d'intervenir dans la procédure aux lieu et place de leur père décédé, et du défaut de justification par M. [L] d'une assurance décennale garantissant ses travaux.

Le tribunal a retenu, pour motiver la condamnation de M. [L] à indemniser le préjudice moral des consorts [W], que ceux-ci avaient dû accepter le fait que leur père ait pu être victime d'un abus de facturation et subir, pour obtenir réparation, les affres d'une procédure judiciaire.

Toutefois, il ne peut qu'être observé, à la lumière du rejet d'une grande partie des demandes présentées par les consorts [W] selon les motifs qui précèdent, qu'ils ne se trouvaient nullement « obligés » de délivrer assignation à M. [L] afin de poursuivre l'action en justice envisagée par leur père, que le défaut de justification par l'entrepreneur d'une assurance décennale ne saurait engendrer de préjudice moral, particulièrement lorsque la nécessité d'une telle assurance n'est pas entrée dans le champ contractuel, que l'obligation de procéder aux travaux de reprise pour la mise aux normes du garage sera justement réparée par les dommages et intérêts ci-dessus accordés à cette fin et que les consorts [W] ne démontrent pas en quoi cette obligation et celle de procéder aux démarches y afférentes auprès de l'autorité administrative compétente leur causerait un préjudice moral.

En outre, ainsi qu'il a été établi précédemment, aucun abus de facturation n'a été caractérisé à l'encontre de M. [L]. Les consorts [W] ne sauraient ainsi soutenir subir un préjudice moral du fait d'un abus inexistant.

La nécessité de devoir recourir à une procédure judiciaire afin d'être remplis de leurs droits ne peut davantage justifier l'existence d'un préjudice moral que subiraient les consorts [W], qui ont initié la précédente instance et ont vu la majorité de leurs prétentions rejetées comme mal fondées.

Dans ces conditions, les consorts [W] seront déboutés de leur demande indemnitaire fondée sur leur préjudice moral.

Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce qu'il a à ce titre condamné M. [L] à payer aux consorts [W] la somme de 3.000 euros, soit 1.000 euros chacun.

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Il est constant que le droit d'agir ou de se défendre en justice ne dégénère en abus pouvant donner lieu à indemnisation que dans le cas de malice, mauvaise foi ou erreur grossière équipollente au dol.

En l'espèce, l'appréciation inexacte que les consorts [W] ont pu faire de leurs droits est insuffisante à caractériser à leur encontre un comportement fautif répondant aux critères ci-dessus énoncés.

M. [L] sera ainsi débouté de sa demande d'indemnisation de son préjudice moral.

En considération de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [L] à verser aux intimés une indemnité de 2.677,50 euros HT devant être augmentée de la TVA applicable au moment de la réalisation des travaux, outre intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement rendu le 29 décembre 2022 par le tribunal judiciaire de Bourges, et de débouter les consorts [W] du surplus de leurs demandes.

Par ailleurs, les consorts [W] seront solidairement condamnés à payer à M. [L] la somme de 16.404,77 euros au titre de la facture du 30 novembre 2017 demeurée impayée, outre intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2018 qui seront eux-mêmes productifs d'intérêts dès lors qu'ils seront dus pour une année entière.

Sur l'article 700 et les dépens :

L'équité et la prise en considération de l'issue du litige commandent de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner in solidum les consorts [W], qui succombent en la majeure partie de leurs prétentions, à verser à M. [L] la somme de 4.000 euros au titre des frais qu'il aura exposés en première instance et en cause d'appel qui ne seraient pas compris dans les dépens.

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie. Au vu de l'issue du litige déterminée par la présente décision, il convient de condamner in solidum les consorts [W], partie majoritairement succombante, à supporter la charge des dépens de l'instance de référé, de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise.

Le jugement entrepris sera enfin infirmé de ces chefs.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La Cour,

INFIRME partiellement le jugement rendu le 29 décembre 2022 par le Tribunal judiciaire de Bourges en ce qu'il a

condamné M. [L] à payer à l'indivision [W] une indemnité de 82.234,78 euros en réparation de l'abus de facturation pratiqué par l'entrepreneur, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision,

condamné M. [L] à payer une indemnité de 1.000 euros en réparation du préjudice moral subi à chacun des trois défendeurs ;

débouté les parties de toutes autres demandes ;

condamné M. [L] aux dépens, y compris ceux de référé et les frais d'expertise ;

condamné M. [L] à payer aux consorts [W] une indemnité de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus de ses dispositions, étant précisé que les bénéficiaires de la condamnation à paiement de dommages et intérêts d'un montant de 2.677,50 euros HT seront Mme [V] [W] épouse [Z], M. [J] [W] et M. [C] [W] et non l'indivision [W] ;

Et statuant de nouveau des chefs infirmés,

CONDAMNE solidairement Mme [V] [W] épouse [Z], M. [J] [W] et M. [C] [W] à payer à M. [O] [L] la somme de 16.404,77 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2018 ;

DIT que les intérêts dus à ce titre produiront eux-mêmes intérêts dès lors qu'ils seront dus pour une année entière ;

DEBOUTE Mme [V] [W] épouse [Z], M. [J] [W] et M. [C] [W] du surplus de leurs demandes indemnitaires ;

REJETTE toutes autres demandes plus amples ou contraires ;

CONDAMNE in solidum Mme [V] [W] épouse [Z], M. [J] [W] et M. [C] [W] à verser à M. [O] [L] la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum Mme [V] [W] épouse [Z], M. [J] [W] et M. [C] [W] aux entiers dépens de l'instance de référé, de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise.

L'arrêt a été signé par O. CLEMENT, Président, et par S. MAGIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.