Cass. soc., 6 décembre 2023, n° 22-16.261
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Huglo
Rapporteur :
Mme Lanoue
Avocats :
SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Waquet, Farge et Hazan
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 16 mars 2022), Mme [J] a été engagée en qualité de représentant de commerce, statut VRP, à compter du 3 avril 1995 par la société Laboratoire Spad devenue, après fusion absorption, la société Densply Detrey puis la société Dentsply Sirona France (la société). La salariée a été placée le 15 juillet 2013 en arrêt de travail pour cause de maladie. Après une période de mi-temps thérapeutique, elle a repris ses fonctions à temps plein du 15 décembre 2015 au 7 avril 2016, avant une rechute le 13 avril 2016. Elle a repris son travail en mi-temps thérapeutique le 20 octobre 2017. Elle est devenue conseiller prud'homme le 14 décembre 2017 pour la période 2018-2021.
2. Elle a été déclarée inapte après une visite de reprise par avis du médecin du travail du 19 février 2018. Autorisé par l'inspecteur du travail le 12 septembre 2018, son licenciement pour cause d'inaptitude et impossibilité de reclassement lui a été notifié le 21 septembre 2018.
3. La salariée a saisi la juridiction prud'homale le 12 avril 2019 en soutenant que son inaptitude trouve son origine dans des faits de harcèlement moral et aux fins d'obtenir le paiement de diverses sommes.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et le deuxième moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société à payer au salarié la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du harcèlement moral et la somme de 80 000 euros en réparation des pertes de salaires nés de la rupture du contrat de travail, pris en sa première branche
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société à payer au salarié à titre de dommages-intérêts les sommes de 48 000 euros en réparation des préjudices nés de la perte de pension de retraite et 80 000 euros en réparation des pertes de salaires nés de la rupture du contrat de travail, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
5. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la salariée diverses sommes en réparation des pertes de salaires nées de la rupture du contrat de travail et en réparation des préjudices nés de la perte de pension de retraite, alors « que le principe de la réparation intégrale, sans perte ni profit pour la victime, interdit au juge d'indemniser deux fois le même préjudice ; qu'en l'espèce, les préjudices nés de la perte de pension de retraite étaient consécutifs à la rupture du contrat de travail, elle-même causée par le harcèlement retenu par la cour d'appel ; qu'en conséquence, en accordant à la salariée à la fois les sommes de 48 300 euros de dommages-intérêts ''en réparation des préjudices nés de la perte de pension de retraite'' et de 80 000 euros de dommages-intérêts ''en réparation des pertes de salaires nées de la rupture du contrat de travail'', la cour d'appel a indemnisé plusieurs fois tout ou partie des mêmes préjudices et a violé le principe de la réparation intégrale, sans perte ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1103, 1231-1 et 1231-2 du code civil, et le principe de la réparation intégrale du préjudice :
6. Il résulte de ces textes et de ce principe que les dommages-intérêts alloués à un salarié doivent réparer intégralement le préjudice subi sans qu'il en résulte pour lui ni perte ni profit.
7. La cour d'appel a alloué à la salariée, outre des dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à la nullité de son licenciement réparant le préjudice né de la perte de son emploi, des dommages-intérêts réparant la perte de chance de percevoir l'intégralité de la pension de retraite à laquelle elle aurait eu droit si son contrat de travail n'avait pas été rompu avant son départ à la retraite.
8. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a réparé deux fois le même préjudice, a violé les textes et le principe susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
11. La cassation du chef de dispositif relatif à la réparation des préjudices nés de la perte de la pension de retraite n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci, dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Dentsply Sirona France à payer à Mme [J] la somme de 48 300 euros en réparation des préjudices nés de la perte de pension de retraite, l'arrêt rendu le 16 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
REJETTE la demande de Mme [J] en réparation des préjudices nés de la perte de la pension de retraite ;
Condamne Mme [J] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé.