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Décisions

Cass. com., 6 avril 2022, n° 18-12.633

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Bellino

Avocats :

SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Claire Leduc et Solange Vigand

Paris, du 11 déc. 2017

11 décembre 2017

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 décembre 2017), par lettre du 14 juin 2010, la société Nouvelles frontières distribution, devenue Tui France (la société Tui), a notifié à la société Jacq voyages, agent mandataire exclusif, sa décision de résilier au 31 décembre 2010 les mandats qui lui étaient confiés, dénonçant des pratiques commerciales incompatibles avec l'obligation de loyauté et les engagements contractuels souscrits.

2. Le 13 décembre 2010, la société Jacq voyages a assigné la société Tui afin de voir juger abusive la rupture des contrats.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

4. La société Tui fait grief à l'arrêt de rejeter le moyen de nullité des mandats et la demande tendant à voir dire et juger que les mandats étaient constitutifs d'engagements perpétuels et à ce titre frappés d'une nullité absolue, alors « que sous l'empire du droit antérieur à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ne constitue pas un contrat à durée indéterminée, mais un contrat nul comme contraire à la prohibition des engagements perpétuels, le mandat d'intérêt commun conclu pour une durée déterminée, mais tacitement et indéfiniment reconductible, sans que la faculté de s'opposer à la tacite reconduction ne soit ouverte aux deux parties ; qu'en considérant, pour rejeter le moyen de nullité dont elle était saisie par la société Tui, que les mandats litigieux étaient constitutifs de mandats d'intérêt commun à durée indéterminée, soumis aux principes régissant la résiliation de telles conventions, après avoir pourtant constaté que les contrats litigieux stipulaient en leur article 18 que "sauf manquement de l'agent à ses obligations contractuelles ou sauf cas de force majeure, la présente convention sera reconduite pour des durées identiques par tacite reconduction, à moins que l'agent ne fasse part de sa volonté de ne pas poursuivre l'activité", ce dont il résultait qu'il s'agissait, non de mandats à durée indéterminée, mais de mandats à durée déterminée indéfiniment reconductibles, qui n'offraient à la mandante aucune possibilité de s'opposer à cette reconduction, celle-ci dépendant de la seule volonté de l'agent de voyages, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, pris dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, les articles 686, 2003 et 2004 du même code, ainsi que l'article 12 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Si c'est à tort qu'après avoir relevé que les contrats en cause étaient renouvelables par tacite reconduction pour une même durée, la cour d'appel en a déduit qu'ils avaient une durée indéterminée, cependant, dans la mesure où elle a retenu qu'il s'agissait de mandats d'intérêt commun, lesquels sont toujours révocables par le mandant, soit pour juste motif, soit moyennant indemnité destinée à compenser le préjudice subi par le mandataire, c'est à juste titre qu'elle a retenu que ces contrats ne constituaient pas un engagement perpétuel prohibé.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le second moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

7. La société Tui fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Jacq voyages une indemnité de rupture de 48 000 euros, alors :

« 1°/ que, lorsqu'elle est justifiée par une cause légitime reconnue en justice, telle la faute du mandataire rendant impossible la poursuite du contrat, la résiliation d'un mandat d'intérêt commun ne donne pas lieu à indemnisation ; qu'ayant elle-même considéré que si, en l'absence d'avertissement préalable, les faits dénoncés par la société Tui dans sa lettre de résiliation du 14 juin 2010, à effet du 31 décembre 2010, ne présentaient pas à la première de ces dates un caractère de gravité suffisant pour constituer un motif légitime de rupture, la réitération de ces manquements au cours de la période de préavis nonobstant leur dénonciation par la société Tui et les menaces et intimidations dont l'agent de voyages s'était en outre rendu coupable étaient constitutifs de "manquements contractuels ne permettant pas la poursuite du contrat", la cour d'appel ne pouvait néanmoins condamner la société Tui à indemnisation, sauf à refuser de tirer les conséquences de ses propres constatations, en violation de l'article 1184 du code civil, pris dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et de l'article 2004 du même code ;

2°/ que lors même que la rupture d'un mandat d'intérêt commun pourrait être regardée comme fautive, pour n'être pas justifiée par un motif légitime, le mandataire ne peut jamais prétendre qu'à l'indemnisation du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de sa révocation, de façon qu'il n'en résulte pour lui ni perte, ni profit ; qu'ayant elle-même relevé qu'à la faveur du préavis qui lui avait été accordé, la société Jacq voyages avait pu préparer la poursuite de son activité sous une nouvelle enseigne et qu'elle ne démontrait pas de perte d'activité qui serait consécutive à la révocation des mandats litigieux, la cour d'appel ne pouvait néanmoins lui accorder une indemnité représentative de la perte de deux mois de commissions, soit de deux mois d'activité, ce en quoi elle a violé le principe de la réparation intégrale du dommage, sans perte ni profit, ensemble l'article 1184 du code civil, pris dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article 2004 du même code. »

Réponse de la Cour

8. D'une part, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que si la société Jacq voyages a commis une faute en vendant des produits « Nouvelles frontières » à des prestataires de services touristiques, cette faute, au regard des éléments de contexte, tenant notamment au caractère ancien et connu de la pratique litigieuse, ne présentait pas un caractère de gravité suffisant pour constituer un juste motif de révocation, d'autant que la participation de la société Jacq voyages au développement d'une offre concurrente de nature à détourner les clients de la société Tui n'était pas démontrée. Il retient également que si la société Jacq voyages a commis une faute en faisant financer par son mandant les délais ou facilités de paiement accordés à d'autres voyagistes, cette faute, au regard des éléments de contexte, tenant notamment à l'absence de mise en demeure par le mandant de cesser ces pratiques avant la résiliation, ne présente pas un caractère de gravité suffisant pour constituer un juste motif de révocation, d'autant que les dossiers concernés sont en faible nombre.

9. De ces seuls motifs et abstraction faite des motifs inopérants, mais surabondants, pris du comportement de la société Jacq voyages postérieurement à la notification de la révocation, indifférents pour apprécier la légitimité de la rupture, la cour d'appel a pu déduire que les fautes reprochées au mandataire ne constituaient pas une cause légitime de révocation du mandat d'intérêt commun.

10. D'autre part, ayant relevé que la société Jacq voyages avait pu préparer la poursuite de son activité dès le mois de juin 2010 et que la lecture des pièces comptables ne démontrait pas de perte d'activité sous la nouvelle enseigne commerciale, l'arrêt retient que le montant de l'indemnité due doit s'établir, selon les prévisions du contrat, aux termes duquel le mandant doit rémunérer l'agent par une commission représentant un pourcentage du prix brut, et en déduit qu'il convient, en l'espèce, d'accorder à la société Jacq voyages une indemnité correspondant à deux mois de commissions. En cet état, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a fixé le montant du préjudice subi par le mandataire, dont elle a justifié l'existence par l'évaluation qu'elle en a fait.

11. Le moyen, pour partie inopérant, n'est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.