CA Caen, 2e ch. civ., 5 octobre 2023, n° 21/03487
CAEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Caisse de Crédit Mutuel du Bocage Flerien (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Emily
Conseillers :
Mme Courtade, M. Gouarin
Avocats :
Me Balavoine, Me David, Me Besson
Par acte du 23 décembre 2017, la Caisse de crédit mutuel du bocage flérien (le Crédit mutuel) a consenti à la société Crok House un prêt de 35 000 euros.
Par acte du 16 juillet 2018, le Crédit mutuel a consenti à la société Crok House un prêt d'un montant de 25 000 euros.
Par acte du 8 octobre 2018, M. [C] [N] s'est porté caution solidaire de l'ensemble des engagements souscrits par la société Crok House dans la limite de 24 000 euros et pour une durée de 60 mois.
Par jugement du 12 juin 2020, le tribunal de commerce de Caen a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Crok House.
Le Crédit mutuel a déclaré sa créance au passif de la procédure collective à hauteur de 39 964,52 euros à titre privilégié et 2020,71 euros à titre chirographaire.
La liquidation de la société Crok House a été prononcée par jugement du 9 décembre 2020.
Par acte du 15 mars 2021, le Crédit mutuel a fait assigner M. [N], en sa qualité de caution, en paiement.
Par jugement contradictoire du 24 novembre 2021, le tribunal de commerce de Caen a :
- condamné M. [N] à payer au Crédit mutuel la somme de 24 000 euros majorée des intérêts de retard au taux légal à compter du 16 janvier 2021 ;
- dit que M. [N] pourra s'acquitter de sa dette moyennant le versement de 23 échéances mensuelles de 450 euros et une 24ème pour solde de tout compte, la première échéance devant intervenir le 10 du mois suivant la signification du jugement et lessuivantes au même quantième de mois ;
- dit qu'à défaut de paiement d'une seule mensualité à son terme, la totalité de la dettedeviendra immédiatement exigible ;
- débouté M. [N] de toutes autres demandes ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;
- dit n'y avoir à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour chacune des parties ;
- condamné M. [N] aux entiers dépens y compris les frais de greffe.
Par déclaration du 24 décembre 2021, M. [N] a fait appel du jugement.
Dans ses dernières conclusions du 23 mai 2023, il demande à la cour d'infirmer le jugement et statuant à nouveau,
A titre principal,
- de déclarer nul et de nul effet et annuler l'acte de cautionnement souscrit par M. [N] le 8 octobre 2018,
- de débouter par conséquent le Crédit mutuel de toutes ses demandes ;
A titre subsidiaire,
- de débouter le Crédit mutuel de toutes ses demandes en application de l'article L. 332-1 du code de la consommation ;
A titre très subsidiaire,
- de prononcer la déchéance du droit aux intérêts depuis le 31 mars 2019, date à laquelle la première information annuelle aurait, au plus tard dû être fournie ;
- ordonner que les sommes perçues par le Crédit mutuel depuis le 31 mars 2019 soient imputées sur le principal de la dette garantie ;
Avant dire droit sur le montant des sommes dues,
- d'enjoindre au Crédit mutuel de verser aux débats la copie des relevés du compte courant professionnel n° 89098401 ouvert au nom de la société Crok House du 31 mars 2019 jusqu'à sa clôture ainsi qu'un décompte détaillé, justificatifs à l'appui, des sommes réglées entre les mains du Crédit mutuel depuis le 31 mars 2019 et expurgé des intérêts au taux contractuel ;
A titre infiniment subsidiaire,
- de limiter le montant de la condamnation prononcée à l'encontre de M. [N] à la somme de 3.759,62 euros et débouter le Crédit mutuel du surplus de ses demandes ;
- de confirmer le jugement en ce qu'il a octroyé à M. [N] des délais de paiement sauf à actualiser le montant des échéances en considération du montant de la créance ;
Y ajoutant,
- d'ordonner que les règlements effectués par M. [N] soient imputés en priorité sur le capital ;
- ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées portent uniquement intérêt au taux légal sans aucune majoration ;
En tout état de cause,
- de débouter le Crédit mutuel de toutes ses demandes ;
- de condamner le Crédit mutuel à payer à M. [N] la somme de 3.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel ;
- de condamner le Crédit mutuel aux dépens de première instance et d'appel ;
- de débouter le Crédit mutuel de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.
Dans ses dernières conclusions du 23 mai 2023, le Crédit mutuel demande à la cour de débouter M. [N] de toutes ses demandes, fins et conclusions et de le condamner au paiement de la somme de 24.000 euros au titre de son engagement de caution du 8 octobre 2018 outre les intérêts de retard au taux légal à compter de la mise en demeure qui lui a été notifiée le 12 janvier 2021.
Le Crédit mutuel demande en outre que soit constaté son accord sur la demande de délais sollicitée, avec clause de déchéance du terme, le rejet des autres demandes de M. [N] et la condamnation de ce dernier au paiement d'une somme de 2500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens.
La clôture de la procédure est intervenue le 7 juin 2023.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières conclusions.
SUR CE, LA COUR
- Sur la nullité de l'acte de cautionnement
Selon l'article L. 331-1 du code de la consommation, dans sa version applicable à la cause, toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel fait précéder sa signature de la mention manuscrite suivante et uniquement de celle-ci :
" En me portant caution de X...................., dans la limite de la somme de.................... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de...................., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X.................... n'y satisfait pas lui-même. "
Ce formalisme est prévu à peine de nullité.
L'appelant soutient que le cautionnement est nul du fait de l'irrégularité de la mention manuscrite puisqu'il a écrit ' En me portant caution de Crok House dans la somme de 24 000 euros (vingt quatre mille euros) couvrant le principal, les intérêts et, le cas échéant, les pénalités ou intérêts de retard et pour une durée de 5 ans ...' et non ' dans la limite de la somme de 24 000 euros'.
Il apparaît toutefois qu'il s'agit d'une erreur de plume qui ne rend pas la mention inintelligible, la caution étant en mesure de comprendre le sens et la portée de son engagement.
L'acte de cautionnement n'est donc pas nul.
Selon l'article 1169 du code civil, un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire.
L'appelant soutient que le cautionnement est nul pour défaut de cause puisqu'il s'est engagé bien après l'octroi des prêts et que la souscription de l'engagement de caution n'a donné lieu de la part de la banque à aucune contrepartie tant au bénéfice de M. [N] qu'au bénéfice de la société Crok House.
La cause objective du cautionnement est l'avantage procuré par le créancier au débiteur.
La cause du cautionnement peut être le maintien de l'aide financière de la banque à la société et l'absence d'engagement de poursuites.
M. [N] reconnaît dans ses écritures que son cautionnement a été demandé par la banque peu après 'l'apparition de tension sur la trésorerie'.
Au vu de ces éléments, M. [N] ne rapporte pas la preuve de ce que le cautionnement n'avait pas de cause.
La demande d'annulation de l'acte de cautionnement sera rejetée.
- Sur la disproportion
L'article L. 314-18 du code de la consommation édicte qu'un établissement de crédit ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Il appartient à la caution qui entend opposer à la banque créancière les dispositions de l'article L. 314-18 du code de la consommation, de rapporter la preuve du caractère disproportionné de son engagement de caution par rapport à ses biens et à ses revenus.
Il convient de rappeler que le contrôle de proportionnalité de l'engagement de caution repose sur les informations communiquées par les cautions sur la fiche patrimoniale.
La communication des informations repose sur le principe de bonne foi, à charge pour les cautions de supporter les conséquences d'un comportement déloyal.
L'établissement bancaire n'est pas tenu de vérifier, en l'absence d'anomalies apparentes, l'exactitude des informations contenues dans la fiche de renseignement.
L'anomalie apparente dans la fiche de renseignement peut résulter d'éléments non déclarés par la caution mais dont la banque avait connaissance tels des engagements précédemment souscrits par la caution au profit de la même banque ou au profit d'un pool dont faisait partie la banque.
Il n'est toutefois pas imposé à la banque de se renseigner auprès d'autres organismes bancaires pour savoir si la caution est déjà engagée auprès de ces organismes en cette même qualité de caution.
La proportion de l'engagement s'apprécie au regard de la capacité de la caution à faire face au montant de son engagement avec ses biens et ses revenus.
En l'espèce, les parties reconnaissent que M. [N] a remis une fiche patrimoniale dont il résulte qu'il déclarait un revenu en tant que gérant de 1800 euros par mois.
M. [N] indiquait être locataire et payer un loyer de 592 euros par mois.
Il déclarait en outre un prêt Crédit mutuel de 5000 euros dont le capital restant dû était de 4400 euros et qui représentait une charge annuelle de 2300 euros.
M. [N] ne déclarait aucun patrimoine.
Au vu de ces éléments, il n'apparaît pas que l'engagement de caution à hauteur de 24 000 euros était manifestement disproportionné, M. [N] ayant les revenus nécessaires pour faire face au remboursement d'une somme de 24 000 euros sur plusieurs années comme l'a relevé le tribunal.
Il n'y a pas lieu d'apprécier la situation de M.[N] au moment de l'assignation en paiement.
- Sur l'information annuelle de la caution
Selon l'article L. 313-22 du code monétaire et financier, les établissements de crédit ou les sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée.
Le défaut d'accomplissement de la formalité prévue à l'alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.
L'appelant soutient que la banque ne rapporte pas la preuve du respect de cette obligation.
Le Crédit mutuel fait valoir qu'il a bien respecté son obligation d'information annuelle de la caution au titre des années 2019 à 2023 et que l'envoi des courriers d'information est établi par des procès-verbaux de constat d'huissier de justice.
La preuve de l'exécution de l'obligation incombe au créancier.
Cette information est due jusqu'à l'extinction de la dette.
La seule production de la copie d'une lettre ne suffit pas à justifier de l'envoi de l'information.
Aucune forme particulière n'est exigée pour porter à la connaissance de la caution les informations légales et le créancier n'a pas à prouver que la lettre d'information a été effectivement reçue par la caution.
La banque communique des copies de lettres d'information en date des 18 février 2019, 3 mars 2020, 1er mars 2021 et 16 mars 2022. Elle justifie en outre de la réception par M. [N] d'un courrier d'information le 5 avril 2023 mais qui ne contient pas d'indication concernant le montant des intérêts.
Elle communique également des procès-verbaux de constat d'huissier de justice en date du 19 mars 2019, 19 mars 2020 et 18 mars 2021 dont il résulte que des opérations d'envoi de courriers d'information annuelle des cautions ont bien eu lieu.
Toutefois, aucun listing contenant le nom de M. [N] n'est communiqué de telle sorte qu'il ne peut être retenu que la banque rapporte la preuve suffisante de l'envoi des lettres d'information à ce dernier.
Au vu de ces éléments, il y a lieu d'appliquer la sanction prévue par l'article L. 313-22 du code monétaire et financier.
Il résulte des termes de l'article L. 311-22 du code monétaire financier que les intérêts au taux contractuel dont la déchéance est encourue ne concernent que la dette cautionnée et doivent, par conséquent, être déduits du montant de celle-ci et non du montant de la garantie. (Com. 19 mai 2021, 19-20.178)
Il en est de même des versements effectués par le débiteur principal qui doivent être imputés sur le principal de la dette cautionnée.
Au vu du décompte de la banque, non utilement critiqué par l'appelant, il restait dû au titre du prêt de 35 000 euros au 31 mars 2019, après imputation des versements effectués par la débitrice principale jusqu'au 5 février 2020, et après imputation de la somme versée par la société Heineken au titre de sa garantie, la somme de 11 337,77 euros.
Au titre du prêt de 25 000 euros, il restait dû au 31 mars 2019 après imputation des versements effectués par la débitrice principale jusqu'au 10 février 2020, la somme de 19192,71 euros.
Il a en outre été déclaré la somme de 2020,71 euros au titre du solde débiteur du compte courant.
Au vu de ces éléments et du montant maximum de l'engagement de M. [N], celui-ci sera condamné au paiement de la somme de 24 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 16 janvier 2021.
Le Crédit mutuel n'ayant pas fait d'appel incident, il ne peut demander la modification de la date du point de départ des intérêts.
Le jugement est donc confirmé.
Le jugement est également confirmé sur l'octroi des délais de paiement, un échéancier ayant été mis en place par les parties.
M. [N] travaille. Il a perçu en 2021 un revenu mensuel moyen de 1815 euros.
Il n'a pas actualisé sa situation financière.
Compte tenu de ces éléments, il n'y a pas lieu de décider que les règlements s'imputeront en priorité sur le capital ni que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront uniquement intérêts au taux légal sans aucune majoration.
- Sur les dispositions accessoires
Les dispositions du jugement entrepris relatives à l'indemnité de procédure et aux dépens, exactement appréciées, sont confirmées.
M. [N], qui succombe à titre principal en ses prétentions, supportera la charge des dépens d'appel et sera condamné à payer au Crédit mutuel la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est débouté de sa demande au titre de l'indemnité de procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe ;
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Condamne M. [C] [N] à payer à la Caisse de crédit mutuel du bocage flérien la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne M. [C] [N] aux dépens d'appel ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes.